Franklin Carmichael
Dans Kafka sur le rivage, Haruki Murakami  raconte l'histoire d'un jeune garçon de 15 ans, Kafka Tamura, qui  s'enfuit de Tokyo pour échapper à la prophétie de son père qui pourrait  le détruire. Son voyage l'amène loin de chez lui dans une ville,  Takamatsu, jusqu'à une bibliothèque de livres anciens et précieux où il  rencontre Oshami, le bibliothécaire, et la mystérieuse Melle Saeki, la  directrice. Parallèlement, nous suivons le trajet d'un vieil homme,  Nakata, qui part de Tokyo poussé par la nécessité et arrive lui aussi à  Takamatsu pour trouver la pierre d'entrée.
Haruki Murakami est un auteur très riche car s'il  nous fait pénétrer dans sa culture, il ouvre la porte aussi aux mythes  grecs, fondateurs de l'humanité, comme celui d'Oedipe cherchant à  échapper à l'oracle pour mieux accomplir son destin, ainsi qu'à  différentes cultures par le biais du cinéma, de la musique, des livres  que lit Kafka, car les livres font partie de sa vie et la bibliothèque  est le seul endroit où il se trouve chez lui.
Même un esprit cartésien peut accepter d'entrer dans  un roman fantastique  et y adhérer mais le passage entre le réel et  l'imaginaire doit être délimité, une barrière bien franche qui permet de  garder des repères. Le fantastique finit donc par avoir sa propre  logique et si l'esprit frémit d'horreur, les pieds restent plantés en  terre. Autrement dit, nous ne croyons pas aux fantômes mais nous en  avons peur! Un sentiment délicieux à éprouver quand vous êtes  douillettement installé sur votre canapé, auprès d'un bon feu, si  possible!  Mais avec Haruki Murakami, il faut abandonner toutes  certitudes.  Lorsque vous pénétrez dans son univers, c'est comme si vous  larguiez les amarres, comme si vous vous détachiez de la rive pour  partir vers  l'inconnu car la frontière n'existe plus; les esprits des  morts côtoient les vivants sans distinction, les vivants, eux-mêmes,  peuvent devenir fantômes, se projetant dans un âge de leur vie qu'ils ne  veulent pas quitter, la forêt est peuplée de soldats disparus il y a un  demi-siècle, les chats parlent avec un vieil homme capable de provoquer  des pluies de poissons.. Tout est possible! Et c'est cela qu'il y a de  très beau dans ce roman, cet abandon que vous devez faire de vous-même,  ce mélange indistinct de réalisme et de rêve, cette exploration de  contrées inconnues, obscures, qui sont peut-être aussi ceux de l'âme  humaine. Car ce qui me touche beaucoup dans ce roman, c'est que tous les  personnages, fragiles et attachants,  sont à la recherche d'eux-même.  Ils ne savent pas qui ils sont, que ce soit Nakata, le vieillard  amnésique dont la mémoire a été mystérieusement effacée mais qui a  bénéficié d'autres dons en contrepartie; que ce soit le jeune héros,  Kafka Tamura, qui ne connaît ni sa mère, ni sa soeur, ou Oshima qui ne  sait pas s'il est homme ou femme, ou la vieille-jeune Melle Saeki. Et il  faut encore accepter de ne pas avoir de réponse toute prête car cette  quête douloureuse et hésitante n'a pas d'autre enjeu que la vie ou la  mort. Et c'est à chacun de nous de  trouver des raisons de vivre ou  encore de mourir.
Voici la réponse de Kafka Tamura :
" Ai-je agi comme il fallait?
-Tu as agi comme il le  fallait, dit le garçon nommé Corbeau. Tu as fait ce qui était juste.  Personne n'aurait pu agir aussi bien que toi. Tu es le garçon de quinze  ans le plus courageux du monde réel, tu sais.
-Mais je ne sais toujours pas ce que cela signifie vivre, dis-je.
-Regarde le tableau et écoute le vent.
Je hoche la tête.
-Tu en es capable.
Je hoche à nouveau la tête.
-Tu devrais dormir un peu, dit le garçon nommé Corbeau; Quand tu te réveilleras, tu feras partie d'un monde nouveau.
Tu t'endors sans tarder.
Et quand tu t'es réveillé, tu faisais partie d'un monde nouveau. "
 
