Maryse Condé nous l’annonce, dès le titre, Tituba, sorcière, elle va raconter l’histoire de Tituba, l’une des femmes qui a été accusée de sorcellerie lors du procès qui s’est tenue à Salem en 1692. Dénoncée par des jeunes filles de la bonne société puritaine, menteuses, affabulatrices, perverties par l’éducation répressive liée à la religion, par l’obsession du péché, et la peur du diable, Tituba n’a pas été condamnée à mort. Mais, remarque l’écrivaine, elle n’a jamais été réhabilitée non plus, comme l’ont été les autres victimes. Elle est restée un nom sur les minutes d’un procès avec une mention : pratique le vaudou, et l’on ne sait rien de plus d’elle. Si tout le récit lié à Salem est historique et s’appuie sur des documents, le reste est donc laissé à l’imagination de Maryse Condé.
Tituba naît d’un viol subie par sa mère Abena dans le bateau négrier qui l’amène comme esclave à la Bardade. A l’âge de quatre ans, elle voit sa mère pendue pour avoir donné un coup de couteau au maître qui cherchait à abuser d’elle. La petite, chassée de la plantation, est recueillie par une vieille femme Man Yaya qui lui apprend les vertus des plantes et les rites vaudous qui lui permettent de parler avec ses morts.
« Elle m’apprit que tout vit, tout a une âme, un souffle. Que tout doit être respecté. Que l’homme n’est pas un maître parcourant à cheval son royaume »
« Les morts ne meurent que s’ils meurent dans nos coeurs. Ils vivent si nous les chérissons, si nous honorons leur mémoire… »
Elle est bientôt reconnue et redoutée par les siens pour ses pouvoirs. Mais elle choisit bien mal son compagnon, John Indien, un esclave qui flatte les blancs pour survivre et l’abandonnera dans la détresse quand elle sera accusée. Pourtant, Tituba a accepté de redevenir esclave pour ne pas être séparée de lui quand il est vendu au pasteur Samuel Paris qui les emmène à Boston puis dans le village de Salem.
Salle d'audience au procès de Salem |
Le livre de Maryse Condé décrit les horreurs de l’esclavage mais ce n’est pas le thème principal indiqué dès le titre : Tituba, sorcière. Ce roman fait revivre un personnage injustement persécutée pour son action de guérisseuse et revient sur la connotation péjorative liée au mot sorcière alors que, bien souvent, il s’agissait de femmes qui avaient acquis leurs connaissances dans la nature, ce qui leur permettait de soigner les maladies. Au-delà, elle dénonce comment le savoir que Tituba utilise pour le bien et pour guérir les maladies la met à l’écart de ses semblables qui ont peur d’elle, et est détourné par les blancs au nom de leur religion.
« Qu’est-ce qu’une sorcière ? je m’apercevais que le mot était entaché d’opprobre. Comment cela ? Comment ? La faculté de communiquer avec les invisibles, de garder un lien constant avec les invisibles, de garder un lien constant avec les disparus, de soigner, de guérir n’était-elle pas une grâce supérieure de nature à inspirer respect, admiration, gratitude ?
Elle montre combien la négation de ce savoir, est un abandon préjudiciable à l’homme de connaissances ancestrales qui ont fait leur preuve On est donc aux antipodes de la religion et sur un plan différent qui vise à réhabiliter l’image de la sorcière.
Pourtant, il faut remarquer que Tituba se venge de la maîtresse de John Indien en la rendant malade, c’est la seule fois qu’elle utilise ses connaissances pour le mal, ce qui est la cause de sa perte de liberté. On peut se demander s’il faut y voir l’idée chrétienne de la punition divine du péché. Bien sûr, il me semble que c’est très éloigné des idées de Maryse Condé et même que c’est un contresens. Pourtant, le fait que Tituba va payer l’utilisation pernicieuse de son savoir en devenant l’esclave d’un homme d’église, d’un puritain sans bonté et humanité, qui va causer son malheur, semble bien être ironique de la part de l’écrivaine.
Le roman présente donc des questions intéressantes et fait vivre une personne doublement condamnée en tant qu'esclave et guérisseuse.