Crète, le culte du taureau (3)
Livre : Avignon Musée du Petit Palais Editeur : Réunion des musées nationaux Paris 1999
Le musée du Petit Palais à Avignon abrite la collection Campana riche de nombreux tableaux de la Renaissance.
Petit Palais, Avignon
L’histoire de Thésée et du Minotaure est racontée par un peintre d’origine française, qui partit à Florence au début du XVI° siècle. Son nom est inconnu, c’est pourquoi on l’appelle du nom de la collection du palais : Le Maître des Cassoni Campana.
Qu’est-ce qu’un cassone? C’est un riche coffre de mariage décoré par un peintre. Chacun des épisodes du mythe de Thésée est ainsi peint sur les quatre panneaux du coffre.
Le premier tableau décrit les amours monstreuses de Pasiphaé avec le taureau. Il s’agit d’une sorte de bande dessinée où se déroulent de gauche à droite mais aussi du premier plan au dernier, différentes scènes narrant l’histoire. Il faut donc lire notre BD à la fois linéairement mais aussi en profondeur.
Pasiphaé séduit le taureau (détail)
Au premier plan, à gauche, Pasiphaé, du balcon de son palais, aperçoit le Taureau blanc; elle descend dans le parc, vêtue d’une riche robe rouge et verte, couverte d’une chasuble dorée virevoltant autour d’elle, vêtement contemporain de l’artiste. Les cheveux blonds retenus par un ruban de couleur bleu, les pieds chaussés de spartiates et s’appuyant légèrement sur un bâton, elle s’approche du taureau.
Derrière elle, désobéissant à Poséidon, Minos refuse de sacrifier le bel animal et tue un taureau brun. Dans l’arrière-plan ce dernier, consumé par les flammes, est sacrifié au Dieu sur un table d’offrande.
A droite, toujours au premier plan, Pasiphaé tend une touffe de fleurs au taureau. Un second plan, à gauche, peint Pasiphaé, égarée par la passion, demandant conseil à Poséidon armé d’un trident. Puis Pasiphaé, sur les conseils du Dieu qui retient l’animal, se glisse dans le corps d’une vache fabriquée par Dédale et séduit le taureau. De leur union naîtra le Minotaure, monstre à tête de taureau et au corps humain, qui se nourrit de chair humaine.
L’arrrière plan, au loin, tout en douceur et nuances subtiles, dessine une ville aux tours ajourées. Elle s’étage sur une colline. Dans le lointain apparaissent presque estompées des montagnes diaphanes. Leurs pieds sont baignés par la mer sur laquelle les contours à peine esquissés de petits voiliers voguent allègrement.
Le paysage, à l’inverse des hommes aux passions violentes et dont se jouent les Dieux, est tout de sérénité. Il est très composite : cyprès entourant le palais rappelant l’Italie dans les peintures de la Renaissance, ville, au loin, de style nordique, aux glacis bleutés. Aucune note de réalisme. La Crète, si ce n’est par le récit, est absente ici.
Le deuxième panneau du Maître des Cassoni Campana raconte le combat de Minos contre Athènes. Le roi Minos pour venger son fils Androgée parti à Athènes et tué par Egée attaque les Athéniens et emporte la victoire. Il exige que la Grèce livre un tribut de sept jeunes filles et de sept jeunes gens à la Crète pour être sacrifiés au Minotaure.
La lecture se fait de gauche à droite, de l’arrière plan au premier. A l’arrière, on aperçoit les Crétois assiégeant Athènes ceinte de remparts crénelés et arborant des clochers et des tours, une ville située dans les brumes du Nord de la France. Au premier plan, sur une éminence qui domine la ville, Minos sur son cheval blanc lève son épée pour terrasser un adversaire. Au centre un groupe armé, à cheval, hérissé de lances et d’étendards, à droite de jeunes athéniens amenés prisonniers en Crète par des soldats. La troupe disparaît ensuite dans un défilé de montagne.
Le labyrinthe : troisième panneau
Le troisième panneau du Maître des Cassoni Campana au musée du Petit Palais d'Avignon peint l’arrivée de Thésée, le fils d’Egée, débarquant en Crète avec les autres prisonniers. S’éloignant de la nef, Thésée, en armure, met pied à terre. C’est le plus original et le plus énigmatique de tous les tableaux.
La composition est, en effet, très curieuse. Le peintre brouille les pistes en représentant la même scène deux fois. D’abord, en plan d’ensemble, dans le lointain, devant un palais, Thésée parle aux deux filles de Minos et de Pasiphaé, Phèdre et Ariane. Au premier étage du palais on distingue deux petites silhouettes à peine perceptibles. Ensuite, mais cette fois, de près et en gros plan, Thésée s’entretient avec les jeunes filles. La même scène ? Non car les gestes de jeunes gens se sont modifiés. Les personnages au premier étage ont changé de fenêtre comme pour épier les jeunes gens : Il s’agit d’un homme et d’une femme. Qui sont-ils? Que font-ils ?
A droite, le récit continue avec la même singularité : Ariane et Phèdre sont assises devant l’entrée du labyrinthe. Ariane tient un fil à la main. Le dédale est curieusement représenté, tronqué à mi hauteur de manière à apercevoir ce qui se passe au centre. Thésée est en train de terrasser le minotaure qui apparaît vu par le peintre un peu comme un centaure, avec un corps d’animal et un torse humain.
Puis l’artiste se joue des répères chronologiques : derrière le labyrinthe deux scènes, l’une représente Thésée s’enfuyant avec les deux jeunes filles après avoir tué le monstre. L’autre, peint le minotaure dévorant des êtres humains. Il est fait prisonnier et il est entraîné par des soldats qui le conduisent vers... le labyrinthe ?
On a l’impression que les deux scènes sont contemporaines et se passent après l’exploit de Thésée. Ce qui est impossible. En fait, on s’aperçoit que la scène tourne autour du labyrinthe qui est cylindrique. Si, après la fuite de Thésée, on lit le récit vers la droite on retourne vers le passé. Si au contraire on le lit vers la gauche, on part vers le futur. L’avenir, c’est la nef qui attend Thésée et ses compagnes, c’est le bateau dont Thésée a oublié de retirer la voile noire et qui s’éloigne en direction de la Grèce...
Thésée terrasse le Minotaure (détail)
Enfin, la quatrième et dernier panneau du Maître des Cassoni Campana est l'histoire d’Ariane abandonnée à Naxos. Un lit avec baldaquin où ont dormi les trois jeunes gens figure en gros plan sur la gauche. Thésée et Phèdre, debout et habillés, s’enfuient vers la nef, laissant Ariane nue, endormie dans le lit. A l’arrière plan, on voit la nef s’éloigner, contourner la côte et arriver en vue d’une cité, Athènes. Egée qui guette le retour de son fils, voyant la voile noire, croit que celui-ci est mort. Il se jette de la tour, petit pantin désarticulé. Ariane, elle, est recueillie par Dyonisos que l’on voit arriver de loin avec son cortège de personnages mythiques, faunes, bacchantes, et animaux fabuleux.
Billet paru dans Voix Nomades, blog de voyages aujourd'hui disparu.
Deux interprétations du mythe du Minotaure
De la Grèce Antique à Picasso