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dimanche 19 février 2023

Honoré de Balzac : La recherche de l'Absolu

 

La Recherche de l’absolu d’Honoré de Balzac, est paru d’abord en 1834 dans les Études de mœurs, Scènes de la vie privée. Après avoir été remanié et republié, il est classé dans sa troisième version, en 1845,  dans Les Etudes philosophiques de La Comédie humaine.

Balthazar Van-Claes-Molina, comte de Nourho, appartient à une vieille famille noble de Flandres, installée dans la ville de Douai. Les Claes sont immensément riches jusqu’au jour ou Balthazar Claes se lance dans la recherche de l’Absolu c'est à dire de l'unité de la matière et pour cela provoque la ruine de sa famille. C’est en vain que sa femme Joséphine essaie de le ramener à la raison. Ni elle, ni ses enfants ne comptent plus aux yeux du savant qui se perd dans sa quête. Joséphine en mourra. C’est sa fille Marguerite qui prendra les rênes de la maison et cherchera à protéger ses petits frères et soeur de la folie de leur père.


Gerard Ter Bor : un intérieur flamand

Dire que La recherche de l’absolu de Balzac m’a ennuyée n’est pas peu dire  ! Qu’Honoré me  le pardonne, mais il m’en a fallu  du temps pour que je commence à m’intéresser à ce roman !

J’ai trouvé qu’il y avait d’abord beaucoup de remplissage : En particulier, lorsque l’écrivain commence par rappeler l’importance de la description des lieux dans un roman. D’habitude, Balzac ne se sent pas obligé de nous l’expliquer !  Il le fait et même fort bien  !  Effectivement, dans le roman Balzacien le milieu où vit le personnage, l’architecture, le climat, conditionnent le caractère et le mode de vie qui en découlent. Ils sont si étroitement liés qu’il y a interaction entre les deux.

De part et d’autre tout se déduit, tout s’enchaîne. La cause fait deviner un effet comme chaque effet permet de remonter à une cause.

Avec ce début, La recherche de l’Absolu n’est plus un roman mais un manifeste littéraire ! Balzac aurait pu faire confiance en son lecteur et le considérer comme assez intelligent pour comprendre ce principe. Effectivement, il décrit longuement le pays, la Flandres, et précise comment les gens qui y vivent sont en adéquation avec les lieux qui déterminent leurs actes, leurs habitudes, leurs goûts.

Le caractère flamand est dans ces deux mots, patience et conscience, qui semblent exclure les riches nuances de la poésie et rendre les moeurs de ce pays aussi plates que le sont les larges plaines, aussi froides que l’est son ciel brumeux; mais il n’en est rien.

Après avoir montré que l’occupation  de son sol par des puissances étrangères  et le  commerce avec de lointains  pays, la Chine, le Japon,  avaient modifié le caractère initial, Balzac conclut  :

Après s’être assimilé par la constante économie de sa conduite, les richesses et les idées de ses maîtres, ce pays, si nativement terne et dépourvu de poésie, se composa une vie originale et des moeurs caractéristiques, sans paraître entaché de servilité. L’art y dépouilla toute idéalité pour reproduire uniquement la Forme. Aussi ne demandez à cette patrie de la poésie plastique, ni la verve de la comédie, ni l’action dramatique, ni les jets hardis de l’épopée ou de l’ode, ni le génie musical; mais elle est fertile en découvertes, en discussions doctorales qui veulent et le temps et la lampe. Tout y est frappé au coin de jouissance temporelle.

Viennent ensuite les personnages.  Joséphine Claes née Temninck, noble espagnole, que Balzac trouve admirable parce qu’elle est inconditionnellement dévouée à Balthazar. C’est une femme douce, soumise, qui éprouve un amour absolu (lui aussi) pour son mari. Cet angélisme de la femme et plus encore les déclarations de l’écrivain m’ont insupportée :


Le charme le plus grand d’une femme consiste dans un appel constant à la générosité de l’homme, dans une gracieuse déclaration de faiblesse par lequel elle l’énorgueillit, et réveille en lui les plus magnifiques sentiments.

Le conservatisme de Balzac, ses idées réactionnaires m’irritent souvent ! La femme idéale est pour lui celle qui admire son mari, se dévoue à lui au détriment de sa propre vie et  surtout, ne le remet pas en cause. Et de plus, il ne faut pas risquer d'ébranler la toute puissance paternelle, même indigne, qui est le fondement de cette société patriarcale et hiérarchisée. Voilà qui est confortable pour les hommes !  Pourtant, nous sommes à l’époque de George Sand qui, lorsqu’elle parvient à se séparer de son parasite ( son mari qui vit à ses crochets et a autorité sur elle et sur sa fortune) s’écrie : "Enfin, libre !"  ! Et à quelques années d'Olympe de Gouges, morte sur l'échafaud en 1793,  qui l'a précédée dans sa défense des femmes !

Quant à Balthazar Claës, qui ruine sa famille, devient indifférent à sa femme et ses enfants au nom de la Science, par culte de la Chimie, je sais bien que Balzac nous le peint comme un homme d'une vaste intelligence ! Or, doit-on tout pardonner aux hommes supérieurs ? C’est la question que pose le roman et à laquelle l’écrivain répond affirmativement. Mais je n’adhère pas à cette pensée qui affirme que le génie excuse tout. D’autant plus que, ici, cet homme génial ne prouve rien ni le Eurêka de la fin qui n’est peut-être qu’une autre de ses chimères. Au nom du Génie ( de l'homme), que d'horreurs la société a-t-elle couvertes ?  Voilà encore une autre idée balzacienne qui me dérange !

Heureusement, la fille aînée Marguerite Claes a du caractère et après la mort de sa mère elle va, tout en ménageant son père, s’occuper de ses frères et soeur, Gabriel, Jean et Félicie, et les protéger d’un père pareil ! C’est à partir du moment où elle entre en scène, si je puis dire, que le livre m’a paru plus intéressant et que je l'ai lu plus volontiers.

Mais qu’est ce que cette recherche ? C’est un officier polonais Adam de Wierzchownia qui transmet à Claes cette soif de l’Absolu.  Il lui confie le secret de ses expériences dans le but de transformer les corps composés en corps simples et par là de découvrir le principe de la vie. Bien sûr, cette recherche revient à s’identifier à Dieu et c’est ce que reproche Joséphine Claes à son mari, elle qui est très croyante. C’est une question philosophique intéressante mais que Balzac ne développe pas.


L’existence de L’Absolu" c’est la substance (matière première) commune à la matière organique et inorganique, dont les modifications, sous l'effet d'une force unique (le moyen), produisent les formes diversifiées de la matière qui seules nous sont connues (le résultat).  
Là vous rencontrerez le mystérieux Ternaire devant lequel s’est, de tout temps, agenouillée l’humanité : la matière première , le moyen, le résultat."

Dans ce roman, l’écrivain est en perpétuelle contradiction :  d’une part, il prend le parti de s’appuyer sur la science et il précise que son personnage est un savant. D’autre part, il subordonne la recherche de Balthazar  à un désir de créer de l’or et des diamants non pour lui-même, il est vrai, mais pour ses enfants et il en fait un Alchimiste. Il y a quelque chose de surnaturel dans ce savant fou, hanté par une idée fixe mais au moment où Balzac flirte avec le fantastique, il prend soin de s’en démarquer. Ainsi, l'écrivain dresse l’inventaire des richesses entassées dans la maison de Douai, il nous explique des textes de loi qui permettront aux enfants de se libérer de la tutelle de leur père. Il donne les chiffres précis (en millions) des fortunes dilapidées par le savant. Nous sommes en plein réalisme. Puis il décrit comment Joséphine Claes et sa fille reconstituent ces fortunes à plusieurs reprises en quelques années, ce qui est impossible. L’invraisemblance ne serait pas grave si le roman avait joué sur le fantastique mais ce n’est pas le cas. Cette hésitation entre l'un et l'autre ne me paraît pas réussie. Et finalement l’écrivain joue sur les deux tableaux sans être vraiment convaincant ni dans l’un ni dans l’autre. Au moins dans La peau de chagrin, il avait su choisir !

Il en résulte un roman que j’ai trouvé ennuyeux et qui en plus m’a irritée. J’ai vu qu’il avait été mal accueilli par le public et la critique en son temps. Mais j’ai noté que ceux qui l’apprécient le considèrent comme l’un des plus grands romans de Balzac. Tout ou rien ?