"Mina de Vanghel naquit dans le pays de la philosophie et de l'imagination, à Kœnigsberg. Vers la fin de la campagne de France, en 1814, le général prussien comte de Vanghel quitta brusquement la cour et l'armée. Un soir, c’était à Craonne, en Champagne, après un combat meurtrier où les troupes sous ses ordres avait arraché la victoire, un doute assaillit son esprit : un peuple a-t-il le droit de changer la manière intime et rationnelle suivant laquelle un autre peuple veut régler son existence matérielle et morale? "
Voilà un doute fâcheux pour un militaire qui vaut au comte de Vanghel d’être surveillé de très près par la police de Berlin et d’être confiné dans ses terres où il s’occupe en bon philosophe de l’éducation de sa fille Mina.
Après cela, à la mort du comte, vous comprendrez quel va être le caractère de la jolie Mina et ses idées peu conventionnelles et indépendantes que la lecture des romans a encore exaltées. Aussi lorsque le Grand-duc de C. qui l’a attirée à la cour veut lui faire faire un mariage d’argent, la belle qui ne veut épouser qu’un homme digne d'une grande passion s’enfuit à Paris avec sa mère. Malgré ses nombreux soupirants, lorsqu’elle tombe amoureuse, c’est d’un homme marié, Monsieur de Larcay. Après la mort de sa mère, elle est prête à tout pour conquérir cet homme et rien ne saura l’empêcher de vivre sa passion.
L’ironie stendhalienne
« Un peuple a-t-il le droit de changer la manière intime et rationnelle suivant laquelle un autre peuple veut régler son existence matérielle et morale? » Stendhal exprime ici son attachement bonapartiste et son hostilité à la restauration d’une monarchie française qui appelle à l’aide une armée étrangère pour se battre contre son propre peuple.. Il y a une certaine ironie de la part de Stendhal d’attribuer à un officier allemand cette révélation soudaine surtout après une bataille aussi sanglante !
L’ironie, Stendhal l’exerce aussi au dépens de la bonne société française. Si la politesse des grandes dames est parfaite, il n’y aucune possibilité de faire des progrès dans leur amitié. C’est ce qu’il nomme la « sauvagerie polie » des françaises
« Au travers de toutes ces imaginations allemandes, Mina, qui avait dix-huit ans, commençait à avoir des éclairs de bon sens; elle remarqua qu’elle ne pourrait parvenir à se lier avec aucune femme française. »
Quant aux français, voilà ce qu'en pense Mina :
J’admire leur esprit brillant, chaque jour leur ironie si fine me surprend et m’amuse ; mais ne les trouvez-vous pas empruntés et ridicules dès qu’ils essaient de paraître émus ? Est-ce que jamais leur émotion s’ignore elle-même ?
A la froideur et la superficialité de ce peuple, il faut ajouter l’hypocrisie : « Alfred, sans croire beaucoup à la religion, trouvait qu’il était de mauvais ton de n’en pas avoir. »
Mais Stendhal ne ménage non plus la société allemande, du moins celle des courtisans lorsque, au début de la nouvelle, il remarque que ces derniers, malgré les beaux yeux de Mina, sont beaucoup moins empressés auprès d’elle quand ils apprennent qu’elle a attiré l’inimitié du grand-duc.
Une héroïne romantique
Film de Maurice Calvel : Mina de Vanghel/ Odile versois |
Si Stendhal est critique envers la société française, il s'intéresse aussi à l'analyse psychologique de son personnage principal Mina de Vanghel. La nouvelle paraît en 1827. Son héroïne annonce déjà Mathilde de la Mole dans Le Rouge et le Noir (1830). Comme elle, elle est issue de la noblesse et très consciente de sa caste, de sa richesse et de sa beauté; comme elle, elle est très orgueilleuse et prête à tout braver pour aller jusqu’au bout de sa passion. Ce sont deux tempéraments exaltés qui placent les sentiments au-dessus des conventions, de la morale et de la bienséance. Mais contrairement à Mathilde dont l’orgueil ne pourrait s’abaisser au mensonge et à la bassesse, Mina est capable de tout, même d’actes vils et mesquins pour se venger.
Stendhal attribue à l’âme allemande le grain de folie qui est celui de Mina quand elle se déguise en servante pour parvenir à ses fins : « Mina n’était nullement agitée par les idées de voir et la crainte du ridicule »; Alors que, dit-il, un français manquerait dans la même situation "de courage ou de constance". Le trait de caractère principal de Mina semble bien être la déraison comme le prouve la suite du récit.
Une fin lapidaire
film de Maurice Barry, Maurice Clavel : Mina en servante |
Comme je l’ai déjà noté dans les nouvelles de Stendhal, la fin la nouvelle est d’une rapidité déconcertante. Après un long développement qui brosse un tableau de la société, peint le caractère de l'héroïne et raconte la naissance de sa passion, ses intrigues, le dénouement intervient en cinq lignes d’une brutalité totale. La dernière phrase met un point final au destin de Mina d’une manière lapidaire dans un refus de l’émotion et de l’effet, à l’opposé de l’épanchement romantique.