Le cimetière San Michele |
Le masque de la journée
Vendredi 24 février : la tradition d'un masque par jour pour la petite Léonie continue.
Venise : Le cimetière Saint Michel et Chateaubriand
Vous allez dire que c'est une idée un peu étrange d'aller visiter le cimetière San Michele en plein carnaval de Venise mais il y déjà très longtemps que j'ai envie de voir ce lieu mythique et de plus, ma photographe de fille, voulait y chercher l'inspiration. Et oui, car à Venise même la mort emprunte la voie de l'eau. Jadis, on y accédait en gondole funéraire, le prêtre se tenait à l'arrière, derrière le gondolier de poupe, dans un silence recueilli. Aujourd'hui l'on s'y rend en bateau à moteur.
Le trajet en vaporetto de la Piazzale Roma, en passant par le canal qui traverse le beau quartier du Cannaregio, le Fondamento Novo jusqu'au cimetière, met déjà dans l'ambiance avec cette brume qui voile tous les édifices et donne à la lagune des teintes étranges bigarrées de toutes les nuances du vert. Et puis, se rapprochant peu à peu, les murailles en brique rose qui entourent l'île San Michele, apparaissent.
L'île a servi de prison comme nous l'indique Chateaubriand à propos de Sylvio Pellico. Elle est devenue le cimetière de la ville sur l'ordre de Napoléon au début du XIX siècle. L'église San Michele avec son joli cloître a été construite dans les années 1470 par Codussi.
Cloître de l'église San Michele |
Soldats morts à la guerre de 1914 |
Lions du cimetière Sans Michele |
Mosaïque chapelle du cimetière San Michele |
Mosaïque chapelle du cimetière San Michele |
Tombe de Diaghilev |
Tombe de Igor Stravinsky |
Sur l'une des tombes, la photographie d'une jeune fille de 19 ans, danseuse, moins célèbre que ses illustres aînés... Une paire de chaussons que ses proches ont recouverte d'une couche dorée est posée sur la pierre et incline à la mélancolie. D'ailleurs, l'humidité qui règne dans le cimetière et la nostalgie liée à tous ces visages qui nous regardent dans leur médaillon, surtout ceux des enfants disparus si tôt, me donnent envie de fuir.
Je me retrouve ainsi dans le dilemme qui se pose aux voyageurs : Venise est-elle cette ville moribonde qui s'enfonce peu à peu dans l'eau et paraît vouée à la mort et à la mélancolie, la ville de Thomas Mann et de Visconti ? Philippe Sollers dans son dictionnaire amoureux de Venise cite Chateaubriand :
"Venise ! Nos destins ont été pareils, mes songes s'évanouissent à mesure que vos palais s'écroulent; les heures de mon printemps sont noircies comme les arabesques dont le faîte de vos monuments sont ornés. Mais vous périssez à votre insu; moi je sais mes ruines.... Le vent qui souffle sur une tête à demi dépouillée ne vient d'aucun rivage heureux."
Mais Sollers conclut ainsi : "Cent soixante-dix ans après ce requiem, on aurait presque honte d'être aujourd'hui pleinement heureux en train d'écrire et qui plus est avec une femme que l'on aime, à Venise. Mais la honte n'est pas au programme de notre philosophie.
... ou bien une cité gaie, active, dont les habitants aiment à s'amuser et à rire.
Les peintres, de Girgiono à Titien, de Pierre Longhi à Tiepolo; les musiciens de Monteverdi, qui célèbre les amours scandaleuses de Néron et de Poppée, à Vivaldi qui fait frémir les violons comme des peaux au soleil; les écrivains de Goldoni à Gozzi, qui fournissaient aux scènes de théâtre des comédies étincelantes, sans craindre les sujets lestes : tous ont exalté a satiété ce plaisir de vivre, cette joie des corps. Comparez la peinture florentine linéaire, maigre, austère à la peinture vénitienne, à ces Vénus plantureuses et fruitées, et vous comprendrez tout de suite pourquoi Diaghilev et Stravinsky, ces princes de la sensualité triomphante, ont voulu être enterrés dans l'île de San Michele, à portée de cloches de la basilique San Marco. (Dominique Fernandez préface culture guides Venise)
Nous voilà à nouveau dans le vaporetto, lieu solide et réel, en route vers le sestiere du Cannaregio et ses petits canaux pittoresques.
Chateaubriand : Quatrième partie des Mémoires d'Outre-tombe Livre VI
Venise, septembre 1833.
Nous
sommes allés voir cet autre champ qui attend le grand laboureur.
Saint-Michel de Murano est un riant monastère avec une église élégante,
des portiques et un cloître blanc. Des fenêtres du couvent on aperçoit,
par-dessus les portiques, les lagunes et Venise ; un jardin rempli de
fleurs va rejoindre le gazon dont l’engrais se prépare encore sous la
peau fraîche d’une jeune fille. Cette charmante retraite est abandonnée à
des Franciscains ; elle conviendrait mieux à des religieuses chantant
comme les petites élèves des Scuole de Rousseau. « Heureuses celles, dit
Manzoni, qui ont pris le voile saint avant d’avoir arrêté leurs yeux
sur le front d’un homme ! »
Donnez-moi là, je vous prie, une cellule pour achever mes Mémoires.
Fra Paolo est inhumé à l’entrée de l’église ; ce chercheur de bruit doit être bien furieux du silence qui l’environne.
Pellico,
condamné à mort, fut déposé à Saint-Michel avant d’être transporté à la
forteresse du Spielberg. Le président du tribunal où comparut Pellico
remplace le poète à Saint-Michel ; il est enseveli dans le cloître ; il
ne sortira pas, lui, de cette prison.
Non
loin de la tombe du magistrat, est celle d’une femme étrangère mariée à
l’âge de vingt-deux ans, au mois de janvier ; elle décéda au mois de
février suivant. Elle ne voulut pas aller au-delà de la lune de miel ;
l’épitaphe porte : Ci revedremo. Si c’était vrai !
Arrière
ce doute, arrière la pensée qu’aucune angoisse ne déchire le néant !
Athée, quand la mort vous enfoncera ses ongles au cœur, qui sait si dans
le dernier moment de connaissance, avant la destruction du moi, vous
n’éprouverez pas une atrocité de douleur capable de remplir l’éternité,
une immensité de souffrance dont l’être humain ne peut avoir l’idée dans
les bornes circonscrites du temps ? Ah ! oui, ci revedremo.