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jeudi 22 décembre 2011

Delphine de Vigan : Les heures souterraines

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Les heures souterraines aux éditions JC Lattès est l'ouvrage que Jorge Semprun préférait à Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye et qu'il aurait voulu voir couronner du Goncourt 2009. ET bien sûr, si Jorge Semprun aime, j'ai aussitôt envie de découvrir!
Dès le début, ce qui me frappe, c'est le contraste entre ces deux romans qui sont aux antipodes l'un de l'autre. Les phrases longues et sinueuses de Marie Ndiaye qui paraissent suivre les méandres tortueux de l'esprit humain contrastent en effet, avec le style direct, rapide, nerveux de Delphine de Vigan, oscillant entre présent de narration qui montre les personnages en action, aux prises avec la réalité de la vie quotidienne, et le passé, retour en arrière qui éclaire la situation. Au récit de Marie Ndiaye, intellectualisant, jouant entre réalisme et fantastique, s'oppose celui de Delphine de Vigan ancré dans la société française, réalisme terre à terre du travail dans une entreprise, personnages en qui chacun d'entre nous peut se reconnaître.
Le roman met en scène Mathilde et Mathieu, une femme et un homme anonymes dans la foule du grand Paris et qui ne se connaissent pas. Leur vie est racontée dans deux récits parallèles dont le lecteur ne doute pas qu'ils finiront par se rejoindre un jour. Mais une véritable rencontre est-elle possible dans un monde ainsi déshumanisé? C'est la question que pose ce récit-choc.
Mathilde travaille dans une entreprise de produits diététiques et seconde efficacement son patron, Jacques, jusqu'au jour où, à propos d'un litige sans grande importance, elle se permet de n'être pas d'accord avec lui et le lui fait savoir. Dès lors, insidieusement, sans avoir droit à une explication, il lui retire peu à peu toutes responsabilités et la relègue dans une bureau, près des toilettes, place symbolique du rang qu'elle occupe désormais. L'écrivain analyse avec beaucoup de justesse les réactions du personnage, le sentiment de dévalorisation qu'elle éprouve, et les ravages que cette mise au placard méprisante et destructrice va produire chez elle. A partir d'une réalité sociale tristement d'actualité, Delphine de Vigan, met en scène une femme tourmentée et isolée dans un monde impitoyable qui n'a plus de respect pour l'individu.

"Aujourd'hui il lui semble que l'entreprise est un lieu qui broie, un lieu totalitaire, un lieu de prédation, un lieu de mystification et d'abus de pouvoir, un lieu de trahison et de médiocrité."

Thibault, médecin urgentiste, sillonne les rues de Paris pour se rendre de malade en malade, pour des visites à domicile. Après sa rupture avec Lisa dont il a du mal à se remettre, il va à la rencontre, dans des appartements miteux, de la misère, de la souffrance et de la solitude.

"Il n'a rien d'un héros. Il a les mains dans la merde et la merde lui colle aux mains. Sa vie se partage entre 60°/° de rhinopharyngites et 40°/° de solitude. Sa vie n'est rien d'autre que ça : une vue imprenable sur l'ampleur du désastre."

J'ai eu un peu peur à moment donné - à cause de certains passages répétitifs- que le roman devienne trop démonstratif et tourne à la thèse sociale. Heureusement, il n'en est rien, car l'écrivain a su créer de vrais personnages auxquels je me suis intéressée et des thèmes qui m'ont touchée, celui de la solitude au milieu de la foule, de la violence d'un capitalisme qui n'a plus de frein, pour qui le profit prime sur toute considération humaniste. Sans être un grand roman, Les heures souterraines, est un bon livre qui a le mérite de parler de problèmes actuels dans le monde du travail, ce qui est assez rare dans notre littérature, tout en faisant vivre les personnages.

Article publié dans mon ancien blog en 2010