 |
Gwenaelle Péron*: Jardin gyvernesque source |
Le livre de Evelyne Bloch Dano : Jardins de papier m'a donné envie de redécouvrir Le Paradou, ce jardin magique peint par Emile Zola dans La Faute de l'abbé Mouret. J'ai lu ce roman quand j'étais au collège et je me souviens avoir été charmée, ravie, enivrée par le jardin qui y est décrit.
Le Paradou. Il porte bien son nom, le Paradou, puisqu'il s'agit d'un jardin d'avant la chute, un Eden luxuriant, redevenu sauvage, qui a oublié la main de l'homme pour se lancer à la conquête du ciel. Les Arbres se sont développés, les fleurs les plus belles comme les plus vénéneuses se sont épanouies dans toute leur flamboyante beauté! Tout est germination, appel à la vie, tout est une invite à l'amour.
C'est dans ce paradis que l'abbé Serge Mouret et Albine se rencontrent, c'est dans ce Paradou aux lourds parfums sensuels que l'abbé déchiré entre l'amour de Dieu et la sensualité va commettre la faute. Le livre est une critique implicite du catholicisme qui fait de la sensualité un péché, refusant ainsi les lois de la nature et prônant la mortification de la chair : Serge a failli en mourir, Albine en mourra.
Evelyne Bloch-Dano reproche à Zola l'aspect souvent artificiel de ses évocations qui serait lié, dit-elle, à un excès de recherches documentaires. Il n'en reste pas moins que Zola, inspiré par les peintres impressionnistes et certainement par le Giverny de Monet, met en valeur les jeux d'ombre et de lumière, la fulgurance des couleurs et des nuances, les transparences du ciel, réussissant à "faire de certains passages de véritables tableaux poétiques en prose". E. Bloch-Dano
Le Paradou (extraits)
Une mer de verdure, en face, à droite, à gauche, partout. Une mer roulant sa houle de feuilles jusqu’à l’horizon, sans l’obstacle d’une maison, d’un pan de muraille, d’une route poudreuse. Une mer déserte, vierge, sacrée, étalant sa douceur sauvage dans l’innocence de la solitude. Le soleil seul entrait là, se vautrait en nappe d’or sur les prés, enfilait les allées de la course échappée de ses rayons, laissait pendre à travers les arbres ses fins cheveux flambants, buvait aux sources d’une lèvre blonde qui trempait l’eau d’un frisson. Sous ce poudroiement de flammes, le grand jardin vivait avec une extravagance de bête heureuse, lâchée au bout du monde, loin de tout, libre de tout.
C’était une débauche telle de feuillages, une marée d’herbes si débordante, qu’il était comme dérobé d’un bout à l’autre, inondé, noyé. Rien que des pentes vertes, des tiges ayant des jaillissements de fontaine, des masses moutonnantes, des rideaux de forêts hermétiquement tirés, des manteaux de plantes grimpantes traînant à terre, des volées de rameaux gigantesques s’abattant de tous côtés.
La grotte disparaissait sous l’assaut des feuillages. En bas, des rangées de roses trémières semblaient barrer l’entrée d’une grille de fleurs rouges, jaunes, mauves, blanches, dont les bâtons se noyaient dans des orties colossales, d’un vert de bronze, suant tranquillement les brûlures de leur poison. Puis, c’était un élan prodigieux, grimpant en quelques bonds: les jasmins, étoilés de leurs fleurs suaves; les glycines, aux feuilles de dentelle tendre ; les lierres épais, découpés comme de la tôle vernie; les chèvrefeuilles souples, criblés de leurs brins de corail pâle; les clématites amoureuses, allongeant les bras, pomponnées d’aigrettes blanches. Et d’autres plantes, plus frêles, s’enlaçaient encore à celles-ci, les liaient davantage, les tissaient d’une trame odorante. Des capucines, aux chairs verdâtres et nues, ouvraient des bouches d’or rouge. Des haricots d’Espagne, forts comme des ficelles minces, allumaient de place en place l’incendie de leurs étincelles vives. Des volubilis élargissaient le cœur découpé de leurs feuilles, sonnaient de leurs milliers de clochettes un silencieux carillon de couleurs exquises. Des pois de senteur, pareils à des vols de papillons posés, repliaient leurs ailes fauves, leurs ailes roses,prêts à se laisser emporter plus loin, par le premier souffle de vent. Chevelure immense de verdure, piquée d’une pluie de fleurs, dont les mèches débordaient de toutes parts, s’échappaient en un échevellement fou, faisaient songer à quelque fille géante, pâmée(...)
Le soleil glissant à l’horizon trouvait toujours un nouveau sourire. Parfois, il s’en allait, au milieu d’une paix sereine, sans un nuage, noyé peu à peu dans un bain d’or. D’autres fois, il éclatait en rayons de pourpre, il crevait sa robe de vapeur, s’échappait en ondées de flammes qui barraient le ciel de queues de comètes gigantesques, dont les chevelures incendiaient les cimes des hautes futaies. Puis, c’étaient, sur des plages de sable rouge, sur des bancs allongés de corail rose, un coucher d’astre attendri, soufflant un à un ses rayons; ou encore un coucher discret, derrière quelque gros nuage, drapé comme un rideau d’alcôve de soie grise, ne montrant qu’une rougeur de veilleuse, au fond de l’ombre croissante ; ou encore un coucher passionné, des blancheurs renversées, peu à peu saignantes sous le disque embrasé qui les mordait, finissant par rouler avec lui derrière l’horizon, au milieu d’un chaos de membres tordus qui s’écroulait dans la lumière.

Voilà comment Gwenaëlle explique la naissance du tableau : Jardin gyvernesque dans son billet Les chemins du hasard :
Passant souvent à proximité de chantiers navals, j’aime observer la coque des bateaux en réparation. Souvent, la corrosion, les couches de peintures successives et les coquillages ont donné naissance à des mélanges de couleurs qui évoquent quelque paysage martien, fait de cratères, de coulures et d’audacieux mélanges. J’ai eu envie, pour ces essais sur papier, de partir de cette idée : peindre d’abord au hasard, par impression, au rouleau, des taches, des traits, des formes diverses. Et puis voir ensuite ce qui émergeait de cette première couche.
Plein de reflets et tout en fluidité (ça vous étonne?), c’est une sorte de jardin givernesque qui s’est doucement révélé. Une cachette sous les saules pleureurs, un lieu paisible, propice à la contemplation, mais dont on peut très bien imaginer aussi la transparence de l’eau bientôt troublée par le plongeon intrépide de l’enfant en nous. Cet être plein de rêves, éternel robinson amoureux des cabanes, qui n’attend que la bonne occasion pour surgir dans un grand éclat de rire…