Pages

Affichage des articles dont le libellé est Editions JC Lattès. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Editions JC Lattès. Afficher tous les articles

mardi 12 janvier 2016

Delphine de Vigan : Rien ne s'oppose à la nuit



Après avoir lu « D’après une histoire vraie », j’ai eu envie de retourner en arrière dans l’oeuvre de Delphine de Vigan. Je n’avais lu jusque-là que le premier livre  Les heures souterraines   que Jorge Semprun  avait proposé au Goncourt, à l’époque, mais en vain.. J’ai donc choisi ce titre Rien ne s’oppose à la nuit qui a son origine dans une chanson de Alain Bashung et Joséphine Osez.

Ecrire sur sa mère atteinte de bipolarité est une idée qui a hanté Delphine de Vigan longtemps après le suicide de celle-ci.  Une idée qu’elle refusait. Pour l’écrivaine, sa mère, Lucile, était « un champ trop vaste, trop sombre, trop désespéré : trop casse gueule en résumé. »

Mais lorsqu’elle réalise que son écriture, ses livres sont tous étroitement liés à sa mère, Delphine de Vigan capitule, d’où ce roman émouvant et fort qui fait revivre cette femme à la fois pleine de fantaisie, intelligente, étonnante, forte et énergique mais aussi fragile, terrassée par la maladie qui la conduit à la folie. La vie de Lucile est, en effet, une lutte éprouvante contre les périodes de dépression et d’exaltation qui alternent et tour à tour obscurcissent son esprit.

Comme dans son roman D’après une histoire vraie, ce livre est aussi une réflexion sur l’écriture. L'auteure  analyse le processus douloureux qui consiste à donner vie à ce récit qui l’implique si profondément. Elle met à jour les déchirures, la violence des deuils qui ont touché la famille, les secrets enfouis en chacun d’entre eux. Elle crée - parfois sur des silences, des vides-  à la recherche d’une vérité qui se dérobe.

Ecrire sur sa mère, c’est écrire sur son enfance et celle de sa soeur, sur sa famille, sur la violence de la maladie et les traumatismes de son enfance et de son adolescence. C’est en même temps vouloir rendre compte, au-delà des sentiments ambivalents et de la peur que lui inspirait la malade, de la force de cette femme, de sa douceur, de l’amour qu’elle portait à ses enfants. Car ce récit se veut aussi un hommage. Mais comment rendre compte de la beauté au milieu de cette noirceur. C’est Pierre Soulages, cité en exergue, qui à la réponse :
« Un jour je peignais, le noir avait envahi toute la surface de la toile, sans formes, sans contrastes, sans transparences. (…) Les différences de texture réfléchissaient plus ou moins faiblement la lumière et du sombre émanait une clarté, une lumière picturale, dont le pouvoir émotionnel particulier animait mon désir de peindre. »

A cet égard le  beau roman de Delphine de Vigan est un tableau de Pierre Soulages :

 Mon instrument n’était plus le noir, mais cette lumière secrète venue du noir.


France : musée Soulages de Rodez  le noir de Pierre Soulages
Pierre Soulages musée de Rodez

lundi 31 août 2015

Delphine Le Vigan : D'après une histoire vraie


D’après une histoire vraie, aux éditions JCLattès,  de Delphine Le Vigan est un livre que j’ai n’ai pu lâcher une fois que je l’ai commencé tant j’ai été happée par l’histoire et par le personnage dont le lecteur ne connaîtra que l’initiale L., mystérieuse et fascinante image du double, allégorie contemporaine du vampire.

Le récit semble autobiographique puisque le personnage, Delphine, écrivaine, est perturbée par le retentissement imprévu de son dernier livre dans lequel elle parlait de la maladie de sa mère, un livre qui a touché les lecteurs et qui a été douloureux pour elle. Fragilisée, elle  a du mal à se remettre à écrire. En effet, on sait que Delphine Le Vigan après la parution de Rien ne s’oppose à la nuit en 2011 n’a rien écrit jusqu’à cette année. De plus, c’est le moment où ses jumeaux quittent le nid familial pour poursuivre leurs études après le bac et d’autre part son compagnon, François, part à l’étranger pour son travail. C’est dans cet état de vulnérabilité qu’elle rencontre L., une jeune femme séduisante qui va devenir son amie et peu à peu s’immiscer dans sa vie privée et professionnelle à tel point qu’elle semble vouloir prendre sa place. L'analyse psychologique des personnages est bien menée et subtile. Chacune des deux femmes a ses failles, chacune porte ses deuils, ses renoncements. Peut-être ne sont-elles que les deux facettes d'un même personnage?
Au-delà de l'intrigue proprement dite, j'ai beaucoup aimé aussi le thème du départ des enfants, ces petits riens auxquels se raccroche la mère, les images qui surgissent dans la mémoire au détour d'un parc et d'un bac à sable, le bonheur éprouvé autour des livres lus et relus le soir jusqu'à connaître le texte par coeur. C'est plein de finesse, très vrai, très pris sur le vif, je suis là (et toutes les mères) pour en témoigner!

Le livre qui est un hommage à Misery de Stephen King se lit comme un roman à suspense et épouse les codes du genre; la tension narrative est maintenue avec beaucoup d’habileté par l’écrivaine jusqu’au dénouement et même au-delà car le lecteur peut légitimement conserver un doute quand le récit se termine; mais je ne peux vous en dire plus! Sachez cependant que le personnage de L. devient de plus en plus inquiétant et l’on se sent totalement impliqué dans le récit, dans l’expectative du drame qui, semble-t-il, ne peut manquer de se produire. Mais le roman n'est pas un thriller et la fin est beaucoup plus subtile.

Ce livre est  bien autre chose qu’un roman à suspense. Reprenons le titre D’après une histoire vraie et voyons avec quelle malice Delphine Le Vigan nous oblige à nous demander ce qui est vrai dans ce récit? Elle mêle si machiavéliquement des éléments autobiographiques et d’autres qui ne le sont sûrement pas, savant brassage entre réalité et fiction, que nous sommes obligés de nous poser la question. Et c’est là le sujet du livre. A notre époque ou sévit la téléréalité, où chacun se met en scène à la télévision et dans les réseaux sociaux, la littérature peut elle encore être fictionnelle? Faut-il, pour toucher le lecteur, ne raconter que des histoires « vraies »? Et d’ailleurs la vérité existe-elle en littérature? "Mais tout écriture de soi est un roman " écrit l'auteure.  Un passionnant débat littéraire auquel ce roman est une brillante réponse!

LIVRE VOYAGEUR mais pas avant le mois d'Octobre

samedi 25 janvier 2014

Ake Edwardson : Danse avec l'ange et Le ciel se trouve sur terre

Festival de polars à Villeneuve-lez-Avignon  : table ronde (Ake Edwardson est le second à partir de la droite)



Ake Edwardson est un journaliste et écrivain suédois. Il habite à Göteberg sur la côte occidentale de la Suède. Il est le "père" de Eric Winter, un personnage récurrent dans ses romans.
Je l'ai rencontré au festival de polars de Villeneuve-lez-Avignon. Au cours d'une table ronde, il nous a expliqué qu'il avait dit adieu à son héros dans un roman précédent, parce que: après dix livres et quinze années passées avec lui, j'avais peur de ne plus rien avoir à dire d'intéressant sur lui.
- Alors pourquoi y être revenu ? a demandé quelqu'un dans la salle.
Ake Edwarson éclate de rire :
Il ne faut pas me croire! Je suis un menteur ! Il faut dire que je voulais savoir ce qu'il devenait, j'avais presque envie de décrocher mon téléphone pour le lui demander."
Et puis surtout, nous l'avons appris au cours de la table ronde, surtout ne prononcez pas son prénom Ake ( à la française) mais Oke!

je vous parlerai aujourd'hui de deux romans sur Erik Winter  (je n'en ai pas lu d'autres pour l'instant) : Danse avec l'ange  qui est le premier de la série et Le ciel se trouve sur la terre qui est la quatrième. j'ai d'ailleurs allègrement, faute de le savoir, commencé par le n°4! Mais je rétablis l'ordre ici.



Danse avec l'ange

Un jeune suédois est assassiné dans une chambre à Londres tandis qu'un jeune anglais est tué à coups de couteau en Suède, à Göteberg. Les particularités de ces meurtres sauvages semblent indiquer qu'ils sont liés. Le commissaire Erik Winter, enquête sur ces meurtres en collaboration avec un policier anglais, Mc Donald.

Le roman nous promène dans les milieux des peep shows de Göterberg et de Londres et dans les underground des films qui jouent sur le sadisme et la morbidité.
Je dois dire que ce roman ne m'a pas passionnée et que j'ai eu du mal à m'intéresser à l'enquête. J'y ai fait la connaissance de  Erik Winter, un brillant policier, le plus jeune commissaire de Suède et assez fier de l'être. Contrairement à beaucoup de ces homologues en littérature, ce n'est pas un vieil alcoolique débraillé mais un jeune dandy très sélect qui aime les beaux vêtements et reste très préoccupé de son apparence.  Inutile de dire que s'il peut s'habiller dans les magasins les plus chers de Suède ou de Londres c'est parce qu'il a une fortune personnelle. Le salaire des policiers en Suède ne semble pas aller de pair avec des goût de luxe! Nous savons aussi qu'il est amateur de jazz, qu'il a une maîtresse qui ne semble pas très présente dans sa vie, une mère exilée en Espagne pour des raisons de fisc.  Peu de choses, en fait! Dans ce premier roman, le personnage est encore mal défini, à l'état d'ébauche, mais il existe et l'on a envie d'en savoir plus sur lui-même si l'impression d'ensemble est plutôt décevante.


 Le ciel se trouve sur la terre

Ce cinquième livre est nettement supérieur au premier. Un inconnu aborde des enfants dans des parcs et les amène en promenade dans sa voiture mais il ne leur fait pas de mal et les relâche indemnes. Les tout-petits racontent leur aventure à leur manière et ne sont en rien traumatisés. Mais tout peut déraper! C'est ce qui arrive bientôt avec un petit garçon que l'on retrouve blessé. Parallèlement, le commissaire Winter enquête sur les agressions subies par de jeunes étudiants. Les affaires seraient-elles liées?

L'intrigue est cette fois-ci bien menée et assez angoissante avec un crescendo habile. Le fait de connaître tout de suite le coupable, d'entrer dans sa conscience et d'épouser son point de vue renforce le sentiment d'insécurité du lecteur. D'autre part, l'écrivain en nous amenant à partager la souffrance de cet homme, à comprendre comment il a été lui-même victime de sévices, brouille le ressort habituel sur lequel joue le thriller, qui est uniquement celui de la peur. On ne guérit jamais d'une enfance malheureuse et de la maltraitance. Nous sommes à la Noël et le contraste entre la fête et le drame qui pèse sur les jeunes enfants accroît le suspense.
Nous retrouvons le commissaire Winter et son équipe qui ont évolué même si l'analyse psychologique n'est pas assez fouillée. Evidemment, il me manque les étapes de cette évolution, ce qui donne envie de retourner en arrière pour lire les romans manquants. Erik Winter a l'air de moins se centrer sur sa petite personne et son apparence vestimentaire. Et quand il se vante encore d'être le plus jeune commissaire de Suède, sa femme Angela le mouche en quelques mots : oui, mais il y a bien longtemps! Il est maintenant marié et père d'une fillette Elsa. C'est sa découverte de l'amour paternel et de sa responsabilité qui va rendre Erik Winter encore plus sensible à la menace qui plane sur les enfants.
Edwarson dénonce dans ce livre le manque de personnel dans les crèches et d'une manière plus générale l'impossibilité de notre société à protéger efficacement ses enfants comme le prouvent toutes les affaires d'enlèvements, de meurtres, de violence et maltraitance toujours d'actualité dans nos pays.   J'ai bien aimé ce roman même si dans mon esprit le commissaire Winter n'est pas l'égal d'un Wallander et Ake Edwardson d'un Mankell.

Chez Athalie Ici

Chez Bibliométrique Ici

chez Jc Lattès ICI







Ce billet me permet de participer à mes deux nouveaux challenges   : Un hiver en Suède organisé par Chroniques littéraires 

Je vous propose donc de passer l’hiver en Suède avec moi. Le Challenge se déroulera du 1er janvier 2014 au 31 mars 2014.
Vous pouvez vous inscrire quand vous le voulez, ici ou sur la page Facebook du groupe.
La formule reste la même : des lectures communes pour ceux qui le souhaitent. N’hésitez donc pas à proposer des titres et des dates





Ma proposition pour ce challenge - qui a déjà fait ses preuves - est de s'astreindre à prélever un titre par mois de sa PAL ("Pile A Lire" pour les petits nouveaux), soit 12 livres de janvier 2014 à décembre 2014, en intitulant si vous le souhaitez ce rendez-vous mensuel Objectif Pal du mois de... à vous d'adapter la chose à votre convenance !! (Vous avez le droit également d'utiliser votre propre logo ou un logo plus esthétique, pas de soucis)
Pour ma part, je pense ne pas prendre en compte les titres empruntés entre temps en bibliothèque, les nouvelles acquisitions ou les titres parus à partir de janvier 2014. Vous trouverez dans le menu au dessus un lien visible vers l'Objectif Pal 2014, enfin je l'espère ;o)...
Je mettrai en place dès le début de chaque mois un billet sur lequel vous pourrez poster, en commentaire le titre et le nom de l'auteur de votre lecture de Pal mensuelle, ainsi que le lien vers votre billet, à tout moment et à votre convenance. J'aimerais également beaucoup que vous rajoutiez à tout ceci un petit commentaire tel que "coup de coeur", "déception", "bonne surprise", etc... à vous de voir, merci !!
Le billet sera réédité avec vos liens et en une sorte de petit bilan, à chaque fin de mois sur ce blog, à partir de janvier donc. Cela vous convient ?


 Au passager je signale aussi le challenge  de George sur la PAL j'étais déjà inscrite chez Antigone mais c'est un challenge très intéressant aussi.




Avec L’Or et la Belette, nous avions déjà mis en place un Objectif PAL Noire (PAL la plus ancienne), mais ce n’est pas suffisant et surtout cet objectif laisse de côté les autres PAL. Car, vous le savez peut-être, mais j’établis des PAL par année avec couleur à l’appui : PAL Noire avant septembre 2009 ; PAL Bleue sept. 2009/sept. 2010 ; PAL Verte sept. 2010/sept. 2011 ; PAL Violette sept. 2011/sept. 2012 ; PAL Turquoise sept. 2012/sept. 2013  et PAL Orange sept.2013/sept.2014. Si je ne dois me consacrer qu’à ma PAL Noire, les autres vont rester en l’état sans oublier le fait que, au fil des années, d’autres vont se constituer ! Au total, me voilà rendue à 799 livres en attente de lecture, bon disons 800 car je ne dois pas être tout à fait jour.

lundi 7 octobre 2013

Isabelle Sorente : 180 Jours Rentrée Littéraire




Alors comme ça, Enders, vous vous posez des questions. C'est mon métier, ai-je dit à Legai. Il m'a jeté un coup d'oeil ironique. Il paraît que les gens qui se posent trop de questions sont moins heureux que les autres… Et vous croyez qu'on est heureux en faisant semblant de ne pas s'en poser? J'ai jamais dit que j'avais la recette, a soupiré Legai.


Je ne sais si 180 jours d'Isabelle Sorrente aura un grand poids dans la rentrée littéraire 2013 car le sujet est loin d'être souriant et risque d'en rebuter plus d'un! Mais ce que je sais c'est que ce livre est un coup de poing, qu'il a une puissance d'écriture qui m'a interpellée et qu'il pose des questions fondamentales sur l'humain et sur la vie en général.

Le thème

180 jours, c'est le temps qui sépare la naissance d'un porc de sa mort dans l'abattoir. Martin Enders, professeur de philosophie, a tout pour être heureux dans la vie, sa réussite à l'université, son amour pour sa femme Elsa, journaliste, son admiration pour son mentor, collègue et supérieur hiérarchique, le brillant Dionys Marco. Pourtant le jour où la fille de Dionys, Tico, vient, avec la dureté et l'intransigeance de la jeunesse, dire son indignation devant les gens indifférents aux souffrances des animaux, elle va déclencher un séisme dans sa vie. Peu de temps après Marco envoie Martin faire une enquête dans une porcherie industrielle afin de préparer un séminaire philosophique sur l'animal.

Un roman beau et bouleversant

Voilà pour le thème! NON, le livre de Isabelle Sorente n'est pas un documentaire (même s'il est très documenté), non ce n'est pas une démonstration partisane (même s'il vous bouleverse), ni un essai pour vous culpabiliser (même si vous ne vous sentez pas bien). Il s'agit d'un Roman écrit d'une plume vigoureuse et sans concession, qui vous tient en haleine, avec des personnages auxquels on s'attache et dont la psychologie complexe, sans manichéisme, évite au roman schématisme, mièvrerie et bons sentiments. Et si 180 jours parle de la souffrance animale, s'il explore la frontière fragile et poreuse qui sépare l'humain et l'animal, c'est aussi un livre sur les rapports entre les hommes, la souffrance d'être différent des autres, les affres de l'adolescence, l'amitié, la solidarité, l'amour et, bien sûr, face à la mort omniprésente dans le récit, une réflexion sur la vie.

Les personnages

Il n'est pas étonnant qu'Isabelle Sorrente ait choisi pour personnage principal et narrateur un professeur de philosophie Martin Enders. Quelqu'un dont c'est le métier de poser des questions :

Je m'intéresse à l'automatisation des actions humaines, explique-t-il à Jean Legay, le PDG de l'entreprise industrielle. Celles qui autrefois reliaient les hommes à la nature n'échappent pas à la règle, alors je voudrais savoir si les rapports avec les animaux sont encore possibles ou s'ils sont voués à devenir  entièrement mécaniques.


Un rapport humain avec les animaux : Filomena, ses petits et son maître photogaphiés  par Yan Arthus Bertrand
C'est en rencontrant Camélia, le porcher,  qui a su rester humain malgré son travail,  avec lequel il se lie d'amitié malgré la différence sociale, que Martin effectuera cette descente aux Enfers. Accession à une connaissance qui va bouleverser sa vie. Il  subira ce que les employés de la porcherie appellent le Jet-lag quand ils sortent de leur lieu de travail, semblable au décalage horaire vécu lors d'un voyage en avion, le décalage entre l'extérieur et l'intérieur des bâtiments, l'impression de devoir réajuster deux réalités qui n'ont rien de commun et trop souvent le sentiment de ne pas y parvenir.


La porcherie industrielle, un miroir de notre monde

Un élevage industriel

L'élevage industriel est une entreprise d'anéantissement à une telle échelle- quinze mille têtes- qu'il est difficile sinon impossible d'en sortir indemne lorsqu'on en est le témoin ou quand on y travaille. Les méthodes qui y sont utilisées ont pour but l'extermination. Elles sont semblables à celles utilisées dans les camps de concentration même si elles s'appliquent à des animaux. L'homme pour parvenir à faire naître, vivre et mourir des animaux en une telle quantité se posent les mêmes questions que les nazis de la solution finale. Quand l'homme en arrive pour se nourrir à une telle déshumanisation, quand l'animal n'est plus qu'une "viande sur pattes", qu'il est entièrement "désanimalisé" (si je peux risquer ce néologisme), et qu'il souffre physiquement aussi bien que psychiquement, alors l'homme et la bête finissent beaucoup par se ressembler. Enfermées dans l'obscurité totale, dans un espace réduit, dans des conditions épouvantables, le porc a peur, tremble, gémit comme un enfant malade, pleure, hurle, refuse sa condition porcine, devient fou. Il faut des calmants pour le faire taire, son coeur peut s'arrêter de battre à tout instant. C'est avec un immense talent qu'Isabelle Sorente nous fait sentir cela. Elle amène son lecteur à glisser, par une gigantesque métaphore, de la porcherie à la "cage" où nous vivons tous, de l'Outil qui est la machine à débiter la vie des cochons, à la condition humaine, de l'abattoir à notre mort.  La porcherie n'est qu'un miroir, le reflet de nous-mêmes. En nous parlant des porcs, c'est de nous qu'Isabelle Sorente nous entretient.

 Le nombre des panneaux Exit, où un type illuminé par une lumière verte court vers une cage d'escalier témoigne d'une foi aveugle en l'issue de secours. Mais dans la cage d'escalier qu'entend-on, si ce n'est le bruit régulier d'un moteur? Le bruit lointain de la chaîne d'abattage au bout de la route?

C'est pourtant sur la vie que se termine le roman avec l'enfant que porte Elsa et que Martin, malgré sa lucidité exempte d'illusions, malgré sa peur, a fini par accepter.

Bientôt tu porteras mon nom, je te parlerai comme on parle aux enfants. Comme s'il n'y avait pas de second stade au miroir. Comme si je n'étais pas un animal qui meurt. Est-ce parce que j'ai commencé à t'imaginer? J'aime écouter les rires qui éclatent sans raison, je me dis que toi aussi, tu courras après le pigeons, peut-être que tes cheveux seront roux, comme ceux de ta mère. Je ne passe nulle part sans observer les enfants. Il arrive que les plus jeunes se mettent à crier, sans raison apparente, dans une salle bien éclairée. Ils savent ce que cache le décor aseptisé, à quel prix se maintient la température de confort. Le hurlement étouffé par les mouvement automatiques. Même si personne ne l'entend, si personne ne le voit. L'Outil respire partout.

Une magnifique écriture

L'écriture d'Isabelle Sorente a parfois une telle puissance d'évocation qu'elle vous laisse pantois.  J'ai été fascinée par certains passages qui sont des temps si forts dans le récit qu'après les avoir lus, on a besoin d'une respiration. 

Garde-à vous
Camélia a ajusté sa casquette, la visière à l'envers et il a crié : GARDE A VOUS! ET les deux cent soixante-quatre mâles se sont figés sur place. Ceux qui criaient se sont tus. Ceux qui étaient couchés se sont redressés, les combattants se sont séparés. Garde à vous! a crié Camélia. Le visage fripé, les oreilles tremblantes, ils clignaient des yeux comme des pauvres gars réveillés en sursaut. Camélia a fait quelques pas dans l'allée centrale, il a tourné sa casquette comme un béret grotesque, il a froncé ses sourcils en accent circonflexe : REPOS! Une onde de soulagement a traversé le troupeau, les deux cent soixante-quatre gars ont frémi, libérés d'un sortilège, les porcs ont recommencé dans leurs cases. Tout d'un coup j'avais froid, je me retenais pour ne pas claquer des dents, je tremblais comme un idiot qui a vu une apparition. Pourtant il faisait chaud dans le bâtiment D (Sevrage), le système de climatisation maintenait la température à vingt-cinq degrés. Tout va bien, Martin? a dit Camélia. Il avait repris son air désinvolte. Pourquoi tu as fait ça? Comment c'est possible? Ils comprennent tes ordres. Bien sûr que non, a dit Camélia, t'affole pas comme ça. C'est un phénomène que j'ai constaté, depuis le temps que je travaille à la porcherie, personne n'en parle jamais, toujours est-il que le porc se met au garde-à-vous devant l'homme.

L'infanticide
Laurence était arrivée en Maternité vers huit heures du matin, elle avait tout de suite compris qu'il se passait quelque chose d'anormal. Au lieu d'être tranquillement couchées dans leurs cages, les truies faisaient un raffut de tous les diables, elles donnaient des coups de tête dans leurs auges, roulaient des yeux affolés, mais la plupart, oui, la plupart pleurait. Et au milieu des pleureuses, dressée dans sa cage, Marina chantait. Ce n'était pas un gémissement, c'était un chant. (…)
  Sa gueule semblait barbouillée de rouge à lèvres, avec ses yeux charbonneux, on aurait dit l'héroïne criminelle d'un film noir. Aux pieds de Marina, il n'y avait plus qu'un tas de boue brunâtre, avec des grumeaux rouges et roses. La truie s'arrêta de chanter, le silence tomba dans la Maternité. Marina fixait la femme de son oeil de reine tragique. C'est alors que le tas de boue se mit à pleurer. Ils n'étaient pas tous morts, dit Laurence, ces pleurs, on aurait dit de la pluie, tellement ils étaient faibles, on aurait dit l'eau de tous ces petits nuages qui crèvent dans le ciel sans que personne s'en aperçoive.

Le corps est une musique
A quoi pensent les enfants quand ils dessinent au feutre le contour de leur main.? Comme ils aiment ce jeu, comme ils aiment suivre leur propre contour. (...)
Te souviens-tu de la première fois où tu as dessiné le contour de ta main? Dis, c'est quoi la forme d'un être humain? Moi je dis que c'est autre chose. Puisque les jambes traversent le temps, que les mains donnent des signes, puisque les yeux parlent, le corps n'est pas qu'un tronc avec deux bras, deux jambes. Puisque le coeur bat de plus en plus fort, le corps est une musique qui se remplit de sang, une mémoire infinie qui ne cesse de s'étendre.


Les différentes réactions face à l'élevage industriel : Vous reconnaissez-vous?

Voici les réactions par rapport à l'élevage industriel que l'on rencontre dans le roman.

Ceux qui ont des intérêts économiques dans ce  type d'élevage : Jean Legai

Ceux qui sont indifférents ou qui ne veulent pas savoir : la plupart des gens.

 Ceux qui pensent que c'est dans l'ordre des choses, le plus faible doit être mangé, on n'y peut rien, les incapables de compassion, les infirmes de l'empathie :  Elsa

Ceux qui disent, ce ne sont que des bêtes, les incapables d'imagination : Dionys Marco

Ceux qui s'indignent mais ne font rien, les imposteurs :  Martin Enders avant de rencontrer Camélia

Ceux qui ont bonne conscience parce qu'ils sont végétariens :  Anne

Ceux qui agissent, les indignés (Camélia, Tico, Martin) mais que l'on n'entend pas parce qu'ils se heurtent à des lobbies d'une puissance économique telle qu'il est impossible de les dénoncer d'autant plus que les gouvernements s'en font les complices : on sait combien nos gouvernants (écolos ou non) piétinent allègrement leur conscience (s'ils en ont une) quand l'intérêt collectif ou personnel est en jeu.

Les victimes : les porcs et les employés de la porcherie :  Marina, le Boîteux, Camélia, Laurence, Jean-François ... et tant d'autres,  porcs ou humains!

LIVRE VOYAGEUR

Lu aussi sur ce sujet le documentaire Jonathan Safran Foer





Merci à  La Librairie Dialogues et aux Editions JC Lattès

mardi 4 juin 2013

Semaine italienne : Léonard de Vinci de Serge Bramly




La biographie de Léonard de Vinci de Serge Bramly est paru aux éditions JC Lattès en 1989 et a été rééditée en 2004. Elle est considérée jusqu'à ce jour comme l'une des meilleures parues sur cet immense artiste et il faut bien dire qu'elle est passionnante et riche. Elle permet de cerner au plus près le génie de de cet  homme de la Renaissance, autodidacte épris de savoir, peintre, sculpteur, architecte, musicien, sage et philosophe mais aussi inventeur, anatomiste, mathématicien, astronome… bref ! un homme universel. Elle a aussi le mérite de nous faire vivre dans l'Italie de la Renaissance, à Florence, Milan, Rome, de nous faire pénètrer dans les botteghe d'artistes, les ateliers  de Florence ou à la cour des puissants Sforza. Nous y rencontrons les hommes célèbres que Léonard de Vinci a côtoyés, avec qui il s'est lié d'amitié ou au contraire qu'il a considéré comme ses rivaux. Elle nous propose aussi des analyses très intéressantes des oeuvres du peintre.

Florence au XVème siècle, ville où Vinci étudia

Pourtant, l'auteur dès les premières lignes souligne la difficulté d'écrire une biographie sur cet homme complexe, cerné de zones d'ombre. Léonard de Vinci, en effet, est auréolé d'une gloire qui, tout en le plaçant en pleine lumière, fausse notre vision. Et ce ne sont pas les nombreux carnets dans lesquels il consignait ses pensées, ses recherches, ses doutes mais aussi ses dépenses quotidiennes, des fragments de lettres, des brouillons, des croquis, des listes de mots qui lèvent obligatoirement le mystère. Certes, ils fournissent une quantité de renseignements précieux mais jamais complets ou explicites et qu'il faut souvent interpréter. Aussi Serge Bramly précise qu'il cherchera à prendre du recul par rapport aux anecdotes, aux récits, aux hagiographies qui parlent de Vinci et le parent d'une aura mythique. Une des sources, parmi tant d'autres, sur lequel Bramly s'appuiera est La vie des meilleurs peintres et sculpteurs et architectes de Giorgio Vasari, peintre, architecte du XVIème siècle à Florence qui avait huit ans à la mort de Léonard. Si Vasari n'a pu connaître lui-même l'artiste, il a travaillé dans des ateliers où son souvenir était encore très vivace et il écrit :  Quoi qu'il fasse, chacun de ses gestes est si divin que tout le monde en est éclipsé, et on saisit clairement qu'il s'agit là d'une faveur divine et non d'un  effort humain."  Enfin, Cellini  dit de lui qu'il est  "un ange incarné". Pourtant si Vinci connaît la notoriété, il doit faire face aussi à de nombreux échecs, d'oeuvres inabouties, comme si ce visionnaire ne pouvait réaliser jusqu'au bout ce qu'il crée en esprit.

Le baptême du Christ par Verrochio, achevé par Léonard de Vinci

Né à Vinci le15 Avril 1452, fils illégitime de Ser Piero de Vinci, notaire et de Catarina, jeune paysanne, Léonard fait ses études à Florence dans l'atelier du peintre et sculpteur Verrochio.  Accusé de sodomie et traîné en justice, il part à Milan à la cour de Ludovic le More où il a l'ambition de se faire connaître en tant qu'ingénieur militaire, sculpteur et peintre. Il crée la plus grande statue de cheval, en argile, jamais réalisée mais n'arrivera pas à la fondre. Il mettra son génie au service des fêtes somptueuses données par le More, et  imaginera pour lui des engins militaires. Lorsque Milan capitule devant les français, Vinci qui jouissait d'une certaine aisance et de la notoriété à la cours des Sforza part à Rome, Venise puis en France, attiré par le roi François 1er à Amboise. C'est là qu'il mourra le 2 mai 1519.

Léonard de  Vinci : son apparence physique

 Autoportrait de Léonard de Vinci Bibliothèque  de Turin


 Le Maître apparaît doté non seulement de dons exceptionnels mais aussi d'une  grande beauté physique. On a de nombreuses descriptions de lui de la part de ses contemporains qui le décrivent comme très soigné de sa personne, avec sa barbe peignée et frisée, son court manteau de couleur rose. Mais le seul autoportrait avéré, celui de la bibliothèque de Turin, exécutée à Milan en 1512  avant son départ à Rome,  une sanguine très fouillée, très aboutie, le représente âgé, les traits usés, un homme en proie au doute, à l'amertume. Ce qui surprend dans cet autoportrait c'est que les yeux du peintre ne regardent pas en face car Léonard de Vinci utilise un jeu de miroirs qui lui permet de se peindre sans se regarder en face.
L'autoportrait de Turin- seul portrait quasi incontestable de Léonard- parle de noblesse, d'une grandeur poignante, sans doute, mais ne laisse guère deviner derrière les rides désabusées qu'il avoue, l'Appolon que le vieillard de soixante ans put être autrefois. (….) C'est un autoportrait pour soi, enregistré par un crayon minutieux mais urgent, sans possibilité mais(ni désir) de repentir, presque un instantané.

Léonard de Vinci : Le peintre

 La Joconde


Léonard, curieusement, dès que les questions théologiques perdent leur importance, qu'on n'attend plus du peintre qu'il délivre un message, séduit d'abord par son hermétisme, son étrangeté que d'autres qualifiaient d'extravagance. "Devant la Joconde, écrit Julien Green dans son journal, j'entendis dire que cette peinture créait l'illusion de la vie. Elle crée bien plus, elle crée l'illusion du rêve.

La Vierge aux Rochers


La Vierge aux Rochers nous transporte de la même façon à l'intérieur d'un espace-temps irréel; cela défie l'analyse. On ne sait trop où prendre des termes pour exprimer l'impression ressentie. Le mystère, s'il peut se discuter, ne s'accorde pas avec le bon sens ni la raison; il nous ravit -parce que l'artiste lui a donné la force de l'évidence.


La dame à l'hermine 

La dame à L'Hermine est le portrait de Cecilia Gallerini, la jeune maîtresse du duc de Milan, Ludovic le More :
La jeune femme tient dans ses bras une hermine ou une martre, animal qu'on élevait depuis l'antiquité au lieu des chats, semble-t-il, pour chasser les souris; or l'hermine compte parmi les innombrables emblèmes du duc et le nom de l'animal est en grec Galé, d'où un jeu de mots probable sur le nom de Gallerani.

Léonard de Vinci : Le savant

 Avion


La science après s'être longtemps ébahie, hésite pourtant sur la valeur exacte qu'on doit accorder à ces découvertes - ou embryons de découverte.
Ainsi, explique Serge Bramly, Léonard de Vinci dit que là où ne brille aucune flamme, nul animal ne peut vire, mais c'est une constatation courante et pas un savoir. Léonard ne sait pas ce qu'est l'oxygène. D'autres "inventions" de Léonard de Vinci étaient déjà des préoccupations d'autres chercheurs de son temps.

 Char de guerre



 L'histoire des sciences, à travers laquelle nous appréhendons ses découvertes, fausse souvent, dans un sens comme dans un autre notre appréciation de la science de Léonard. Il faut être très prudent : je n'entrerai pas dans le débat ; personnellement, je suis tout autant émerveillé par les innombrables résultats auxquels Léonard aboutit (quelque limite qu'on leur donne) que par son extraordinaire besoin de comprendre, par la volonté obstinée qui le pousse sans répit dans tant de recherches, lui faisant poser des questions que nul n'a posées avant lui, par le fait enfin que cet autodidacte, disposant de moyens dérisoires, explorant l'univers à ses heures perdues, comme pour passer le temps, réussit au bout du compte, principalement grâce à des analogies, des correspondances, à élaborer une théorie générale du monde solide, puissante, cohérente.





jeudi 22 décembre 2011

Delphine de Vigan : Les heures souterraines

41d9mp1927l_ss500_.1265303046.jpg


Les heures souterraines aux éditions JC Lattès est l'ouvrage que Jorge Semprun préférait à Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye et qu'il aurait voulu voir couronner du Goncourt 2009. ET bien sûr, si Jorge Semprun aime, j'ai aussitôt envie de découvrir!
Dès le début, ce qui me frappe, c'est le contraste entre ces deux romans qui sont aux antipodes l'un de l'autre. Les phrases longues et sinueuses de Marie Ndiaye qui paraissent suivre les méandres tortueux de l'esprit humain contrastent en effet, avec le style direct, rapide, nerveux de Delphine de Vigan, oscillant entre présent de narration qui montre les personnages en action, aux prises avec la réalité de la vie quotidienne, et le passé, retour en arrière qui éclaire la situation. Au récit de Marie Ndiaye, intellectualisant, jouant entre réalisme et fantastique, s'oppose celui de Delphine de Vigan ancré dans la société française, réalisme terre à terre du travail dans une entreprise, personnages en qui chacun d'entre nous peut se reconnaître.
Le roman met en scène Mathilde et Mathieu, une femme et un homme anonymes dans la foule du grand Paris et qui ne se connaissent pas. Leur vie est racontée dans deux récits parallèles dont le lecteur ne doute pas qu'ils finiront par se rejoindre un jour. Mais une véritable rencontre est-elle possible dans un monde ainsi déshumanisé? C'est la question que pose ce récit-choc.
Mathilde travaille dans une entreprise de produits diététiques et seconde efficacement son patron, Jacques, jusqu'au jour où, à propos d'un litige sans grande importance, elle se permet de n'être pas d'accord avec lui et le lui fait savoir. Dès lors, insidieusement, sans avoir droit à une explication, il lui retire peu à peu toutes responsabilités et la relègue dans une bureau, près des toilettes, place symbolique du rang qu'elle occupe désormais. L'écrivain analyse avec beaucoup de justesse les réactions du personnage, le sentiment de dévalorisation qu'elle éprouve, et les ravages que cette mise au placard méprisante et destructrice va produire chez elle. A partir d'une réalité sociale tristement d'actualité, Delphine de Vigan, met en scène une femme tourmentée et isolée dans un monde impitoyable qui n'a plus de respect pour l'individu.

"Aujourd'hui il lui semble que l'entreprise est un lieu qui broie, un lieu totalitaire, un lieu de prédation, un lieu de mystification et d'abus de pouvoir, un lieu de trahison et de médiocrité."

Thibault, médecin urgentiste, sillonne les rues de Paris pour se rendre de malade en malade, pour des visites à domicile. Après sa rupture avec Lisa dont il a du mal à se remettre, il va à la rencontre, dans des appartements miteux, de la misère, de la souffrance et de la solitude.

"Il n'a rien d'un héros. Il a les mains dans la merde et la merde lui colle aux mains. Sa vie se partage entre 60°/° de rhinopharyngites et 40°/° de solitude. Sa vie n'est rien d'autre que ça : une vue imprenable sur l'ampleur du désastre."

J'ai eu un peu peur à moment donné - à cause de certains passages répétitifs- que le roman devienne trop démonstratif et tourne à la thèse sociale. Heureusement, il n'en est rien, car l'écrivain a su créer de vrais personnages auxquels je me suis intéressée et des thèmes qui m'ont touchée, celui de la solitude au milieu de la foule, de la violence d'un capitalisme qui n'a plus de frein, pour qui le profit prime sur toute considération humaniste. Sans être un grand roman, Les heures souterraines, est un bon livre qui a le mérite de parler de problèmes actuels dans le monde du travail, ce qui est assez rare dans notre littérature, tout en faisant vivre les personnages.

Article publié dans mon ancien blog en 2010

dimanche 21 mars 2010

David Wroblewski : l’histoire d’Edgar Sawtelle



 Et voilà un livre comme je les aime dans lequel on s'enfonce délicieusement, que l'on ne peut quitter tant on est tenu en haleine, que l'on n'a de cesse d'avoir fini tout en sachant qu'on regrettera d'avoir à le fermer en arrivant à la dernière page.

L'histoire d'Edgard Sawtelle de Davis Wroblewski est celle d'un petit garçon, muet de naissance, dans une ferme du Wisconsin où il grandit avec ses parents, Gar et Trudy, qui sont éleveurs de chiens et ceci depuis des générations. Doué d'une précocité remarquable, l'enfant apprend le langage des signes qu'il invente au besoin et est suivi comme son ombre par sa chienne Almondine qui lui sert à la fois de nounou et d'ange gardien, personnage à part entière du roman et non le moins attachant!
C'est avec beaucoup de talent que l'auteur nous introduit dans cette vie campagnarde, paisible mais laborieuse, vouée à l'élevage des chiens Sawtelle, une race créée par les grands parents d'Edgar, et inlassablement améliorée selon un principe tout darwinien. Nous partageons le quotidien de la famille dont les tâches se distribuent entre les soins, les recherches sur l'hérédité, les naissances, le dressage ... une vie somme toute routinière mais faite de beaucoup de joies, de satisfactions dans les échanges avec les chiens, d'amour et de respect mutuels. Pourtant des ombres inquiétantes viennent troubler l'harmonie apparente, la fragilité de Trudy qui a perdu un enfant à la naissance, le côté renfermé d'Edgar, et surtout l'arrivée de Claude, le frère de Gar. Et la haine que semble se vouer les deux frères depuis l'enfance va ressurgir...

Il ne faut pas dévoiler plus longuement l'intrigue qui nous réserve bien des surprises. Sachez cependant que ce roman original, surprenant, inclassable, tant il adopte des tons différents est aussi un roman initiatique qui nous fait partir à l'aventure dans la forêt de Chequamedon avec Edgar, un livre sur la nature dont David Wroblewski nous décrit la beauté et les violences, magnifique description de tornades au-dessus d'un lac, un récit fantastique où fait irruption avec violence l'irrationnel, une rencontre formidable avec une pléïade de personnages exceptionnels.. De plus l'écrivain sait créer un suspense haletant qu'il entretient jusqu'à l'ultime page.

Placé sous patronage de Kipling avec Le Livre de la jungle, ouvrage préféré d'Edgar qui finit par s'incarner dans le personnage de Mowgli pendant son errance dans la forêt entouré de ses trois chiens, l'on ne peut s'empêcher de penser aussi à Hamlet lors de l'apparition du spectre décrite d'une manière hallucinante.