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jeudi 3 octobre 2024

Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe : Albertine et l'homosexualité : Gomorrhe (2)

 


Marcel :  homosexuel ou un mufle ? 
 
Marcel Proust

J’avoue que je comprends pas bien les relations entre Marcel et Albertine ! Chaque fois que Marcel parle d’amour, on s’aperçoit que ce qu’il  éprouve se confond avec la jalousie. Son amour n’existe que lorsque la femme « aimée » semble lui échapper et qu’il risque de ne plus la dominer.

Pourquoi cette attitude ?  On peut se demander si ce n’est pas une manière de se cacher à lui-même ( je parle de Marcel, le personnage) et aux yeux de la société son homosexualité. En fait, il n’est peut-être pas réellement attirée par les femmes de même que Marcel Proust, l'écrivain.
 D’Albertine, Marcel nous avertit seulement qu’il l’a « possédée », un terme qui, en dehors de peindre sa prétention à être le maître du corps féminin, reste vague et sans consistance. Plus tard, on apprend qu’ils s’embrassent dans la voiture mais le jour où Albertine boit un peu d’alcool, c’est elle qui semble manifester le plus de sensualité et qui se presse contre lui.

Pourtant quand il est avec Saint Loup, ils échangent leurs impressions sur leurs rendez-vous dans des maisons de passe et Saint Loup lui donne des tuyaux pour trouver des femmes faciles. Des conversations d’homme à homme, une façon d'afficher leur virilité ! Il en est de même avec Bloch. En fait Marcel et ses amis sont des purs produits de leur époque, jeunes bourgeois ou jeunes nobles, aisés ou riches, élevés dans un patriarcat qui professe à l’égard des femmes, du moins celles qui n’appartiennent pas à leur classe sociale, un certain mépris. Il agit comme un fat qui se vante de ses conquêtes et affiche, en particulier, à l'égard d'Albertine une muflerie manifeste.

"J’ose avouer que beaucoup de ses amies — je ne l’aimais pas encore — me donnèrent, sur une plage ou une autre, des instants de plaisir. Ces jeunes camarades bienveillantes ne me semblaient pas très nombreuses. Mais dernièrement j’y ai repensé, leurs noms me sont revenus. Je comptai que, dans cette seule saison, douze me donnèrent leurs frêles faveurs. Un nom me revint ensuite, ce qui fit treize. J’eus alors comme une cruauté enfantine de rester sur ce nombre. Hélas, je songeais que j’avais oublié la première, Albertine qui n’était plus et qui fit la quatorzième. "

 
La femme est un objet que l’on prend et que l’on jette lorsque l’envie lui en prend. C’est ce qu’affirme le jeune homme et l’on peut constater qu’il en use ainsi avec la jeune fille qui doit se soumettre à ses caprices même lorsqu’elle n’en pas pas envie. Parfois, il refuse de la recevoir, trop fatigué pour cela. Parfois, il lui adresse des paroles humiliantes qui la font pleurer. Souvent, il l’envoie chercher comme une domestique quand il en a besoin dans son lit ou comme une maîtresse que l'on paye.

"D’ailleurs nos désirs pour différentes femmes n’ont pas toujours la même force. Tel soir nous ne pouvons nous passer d’une qui, après cela, pendant un mois ou deux, ne nous troublera guère. Et puis les causes d’alternance, que ce n’est pas le lieu d’étudier ici, après les grandes fatigues charnelles, font que la femme dont l’image hante notre sénilité momentanée est une femme qu’on ne ferait presque que baiser sur le front. Quant à Albertine, je la voyais rarement, et seulement les soirs, fort espacés, où je ne pouvais me passer d’elle. Si un tel désir me saisissait quand elle était trop loin de Balbec pour que Françoise pût aller jusque-là, j’envoyais le lift à Egreville, à la Sogne, à Saint-Frichoux, en lui demandant de terminer son travail un peu plus tôt."

Manifestement, il est le maître, et plus le jeu est cruel, plus il la fait souffrir, plus il l’aime.

« Est-ce que je peux rester, si je ne vous dérange pas, me demanda Albertine (dans les yeux de qui restaient, amenées par les choses cruelles que je venais de lui dire, quelques larmes que je remarquai sans paraître les voir, mais non sans en être réjoui), j’aurais quelque chose à vous dire. »

Alors Marcel est-il homosexuel ou un mufle ? Ou les deux ?  Mais au moment où je pose cette question, il y a la souffrance infinie de Marcel pleurant dans sa chambre d'hôtel à la pensée que tout est fini avec Albertine. Il y a cette distorsion entre le réel et le monde intellectuel, cette impossibilité de vivre dans la réalité : 

"J'eus l'idée  que le monde où était cette chambre et ces bibliothèques était si peu de chose, était peut-être un monde intellectuel, qui était la seule réalité, et mon chagrin quelque chose comme celui que donne la lecture d'un roman et dont un fou seul pourrait faire une chagrin durable et permanent et se prolongeant dans sa vie; qu'il suffirait d'une petit mouvement de ma volonté pour atteindre ce monde réel, y entrer en dépassant ma douleur comme un cerceau de papier qu'on crève, et ne me plus me soucier de ce qu'avait fait Albertine que nous nous soucions des actions de l'héroïne imaginaire d'un roman que après que nous avons fini la lecture."

Il ne faut pas oublier ce qu'il a déjà  affirmé à propos de Saint Loup et Rachel, que l'amour n'a pas de réalité en soi, "nous sentons que c'est, non à quelques pas de nous, mais en nous qu'était la créature chérie" mais que la souffrance, elle, est réelle.

 Il y a aussi cette affirmation :

J'étais trop porté à croire que, du moment que j'aimais, je ne pouvais pas être aimé et que l'intérêt seul pouvait attacher à moi une femme...  Et de ce jugement, peut-être erroné, naquirent bien des malheurs qui allaient fondre sur nous".

 
 
Albertine homosexuelle, vénale ?
 

Alfred Agostinelli le chauffeur de Proust est l'un des modèles d'Albertine

Albertine ? Elle aussi, je ne la comprends pas ou, peut-être, pour la comprendre, faut-il se placer dans la société de son temps et tenir compte de la condition féminine au début du XX siècle ! Voilà une adorable jeune fille, avec ses joues rondes, « son petit nez rose de chatte », son goût vestimentaire exquis. Intelligente et cultivée, elle est peintre mais l’on remarquera que Marcel ne la considère pas comme une artiste et qu'il ne prend pas la peine de regarder son travail même s’il admire l’église qu’elle a choisie pour thème de sa peinture. Toujours aussi mufle, le petit Marcel ! Elle aime la fête et n’a pas obligatoirement envie de tenir compagnie à Marcel et de rester auprès du malade (ou dans son lit) quand il la veut auprès de lui. Elle pourrait avoir tous les amoureux (ou amoureuses) qu’elle souhaite. Oui, mais dans un autre siècle !

Pourquoi se prête-t-elle aux caprices de Marcel ? J’ai d’abord pensé qu’elle était vraiment amoureuse de lui. Mais les soupçons qui pèsent sur elle permettent de se poser la même question que pour Marcel. Est-elle homosexuelle et doit elle le cacher ?

« Une des jeunes filles que je ne connaissais pas se mit au piano, et Andrée demanda à Albertine de valser avec elle. Heureux, dans ce petit Casino, de penser que j’allais rester avec ces jeunes filles, je fis remarquer à Cottard comme elles dansaient bien. Mais lui, du point de vue spécial du médecin, et avec une mauvaise éducation qui ne tenait pas compte de ce que je connaissais ces jeunes filles, à qui il avait pourtant dû me voir dire bonjour, me répondit : « Oui, mais les parents sont bien imprudents qui laissent leurs filles prendre de pareilles habitudes. Je ne permettrais certainement pas aux miennes de venir ici. Sont-elles jolies au moins ? Je ne distingue pas leurs traits. Tenez, regardez, ajouta-t-il en me montrant Albertine et Andrée qui valsaient lentement, serrées l’une contre l’autre, j’ai oublié mon lorgnon et je ne vois pas bien, mais elles sont certainement au comble de la jouissance. On ne sait pas assez que c’est surtout par les seins que les femmes l’éprouvent. Et, voyez, les leurs se touchent complètement. »

On voit que nous sommes ici dans le volet Gomorrhe, qui fait pendant symétriquement à celui de Sodome et du baron Charlus. Il n’en faut pas plus pour provoquer la jalousie de Marcel qui ne cesse, dès lors, de de surveiller la jeune fille et de la maltraiter. Plus il est féroce envers elle, plus elle se montre docile, plus il l’aime ou croit l’aimer.

« Aussitôt seuls et engagés dans le corridor, Albertine me dit : « Qu’est-ce que vous avez contre moi ? »
Elle avait l’air si doux, si tristement docile et d’attendre de moi son bonheur, que j’avais peine à me contenir et à ne pas embrasser, presque avec le même genre de plaisir que j’aurais eu à embrasser ma mère, ce visage nouveau qui n’offrait plus la mine éveillée et rougissante d’une chatte mutine et perverse au petit nez rose et levé, mais semblait dans la plénitude de sa tristesse accablée, fondu, à larges coulées aplaties et retombantes, dans de la bonté. Faisant abstraction de mon amour comme d’une folie chronique sans rapport avec elle, me mettant à sa place, je m’attendrissais devant cette brave fille habituée à ce qu’on eût pour elle des procédés aimables et loyaux, et que le bon camarade qu’elle avait pu croire que j’étais pour elle poursuivait, depuis des semaines, de persécutions qui étaient enfin arrivées à leur point culminant. «

Marie Finally, l'un des autres modèles d'Albertine


Autre question ? Albertine Simonet est orpheline. Elle a été élevée par sa tante Madame Bontemps. On la dit pauvre. Entendons-nous, son oncle n’est pas nécessiteux, il est conseiller d’Ambassade. Disons qu'elle n'est pas fortunée et appartient à une classe bourgeoise moyenne.
Est-elle attirée par les cadeaux que lui offre Marcel ? Une trousse de toilettes avec des accessoires en or, une toque et un voile qu’elle est heureuse de porter, la location d’une voiture avec chauffeur, ce qui est un luxe dispendieux à l’époque. La mère de Marcel, qui n’aime pas Albertine et qui est très conservatrice au niveau social, lui reproche d’ailleurs d’être trop dépensier et l’incite à plus de prudence. Françoise aussi ne l'aime pas parce que la jeune fille est pauvre !

C'est certain qu'Albertine apprécie le luxe. Son amie, Andrée, lui faisait profiter de sa fortune dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs. Albertine, pourtant n’est pas vénale comme le prouve ses réactions lorsque Marcel, trop lâche pour dire la vérité, cherche à rompre avec elle en lui mentant et en feignant d’aimer une autre femme :

"C’est pour cela que je vous ai demandé hier soir si vous ne pourriez pas venir coucher à Balbec. Si j’avais dû mourir, j’aurais aimé vous dire adieu. » Et je donnai libre cours aux larmes que ma fiction rendait naturelles. « Mon pauvre petit, si j’avais su, j’aurais passé la nuit auprès de vous », s’écria Albertine, à l’esprit de qui l’idée que j’épouserais peut-être cette femme et que l’occasion de faire, elle, un « beau mariage » s’évanouissait ne vint même pas, tant elle était sincèrement émue d’un chagrin dont je pouvais lui cacher la cause, mais non la réalité et la force."

En fait, il semble qu’elle cherche à réaliser ainsi l’idéal de toutes les jeunes filles de l’époque :  Un beau mariage mais elle a une affection qui semble sincère pour Marcel !  Et elle se comporte, peut-être, après tout, comme on l’attend d’une jeune fille bien éduquée et sans fortune : Douceur et soumission !  (bien que Marcel la trouve mal élevée et manifeste de la condescendance envers elle et ceci d'autant plus qu'il a couché avec elle ! ). On voit aussi qu'elle est maternelle : "Mon petit", même si elle n'attend plus rien de lui. Elle lui conseille même d'épouser l'autre femme. Toutes les qualités que ce début du siècle attend d'une femme, du moins de la femme que l'on épouse, douceur, soumission, maternité ! Evidemment, on peut se demander qui se cache derrière ce masque ? Parfois le jeune homme sent qu'elle n'aime pas être contrainte " et désireuse de se montrer gentille mais contrarié d'être asservie...". Qui est réellement Albertine ? A ce stade du récit, nous ne le savons pas encore.

 Pourtant, comme elle m’avait paru indépendante, fière et fantasque, "l'effrontée" Albertine, quand elle était encore une jeune fille en fleurs !



Demain Vendredi 4 Octobre : Sodome et Gomorrhe : L'humour de Proust

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