Enfin, j’ai terminé le septième volume de La Recherche du temps perdu en Décembre. C'est fini ! Le défi que nous nous étions lancé, Miriam et moi, est terminé et gagné ! Il me reste à en rendre compte maintenant !
Ce dernier volume Le temps retrouvé est celui où Proust formule une synthèse de tous les moments qui ont marqué sa Recherche, ce qui le conduit à clarifier et exposer sa vision de l’art et de la littérature. Retrouver le temps perdu par le biais des impressions sensorielles, est, pour Marcel Proust, le seul moyen possible pour l'écrivain d'accéder à son art, d'exprimer sa vérité.
"L’impression est pour l’écrivain ce qu’est l’expérimentation pour le
savant, avec cette différence que chez le savant le travail de
l’intelligence précède et chez l’écrivain vient après. Ce que nous
n’avons pas eu à déchiffrer, à éclaircir par notre effort personnel, ce
qui était clair avant nous, n’est pas à nous. Ne vient de nous-même que
ce que nous tirons de l’obscurité qui est en nous et que ne connaissent
pas les autres. Et comme l’art recompose exactement la vie, autour de
ces vérités qu’on a atteintes en soi-même flotte une atmosphère de
poésie, la douceur d’un mystère qui n’est que la pénombre que nous avons
traversée. " (Partie III matinée chez la Princesse de Guermantes)
Le Temps retrouvé est divise en trois grandes parties :
I) Tansonville
Marcel est invité à Tansonville chez Gilberte dans la demeure de son père, Swann, à Combray. Celle-ci a épousé Robert de Saint Loup et est ainsi devenue une Guermantes. Robert est absent et Gilberte se plaint d’être délaissée. Saint Loup, après son amour fou pour Rachel, s’est révélé homosexuel mais il soigne sa réputation d’homme à femmes pour mieux se consacrer à ses amants. Toujours cette nécessité du mensonge pour être accepté en société. En fait, il a une liaison avec l’affreux Morel, dont on se souvient qu’il a joué un rôle peu reluisant auprès de baron Charlus.
On pourrait penser que Marcel en retournant sur le lieux de son enfance va retrouver le passé mais il n’en est rien. Il ne va même pas revoir l’église de Combray qu’il a tant aimée.
Marcel renonce à la littérature pour laquelle, dit-il, il n’a aucun don et va se faire soigner hors de Paris dans un maison de santé qu’il quittera au commencement de l’année 1916 pour rentrer à Paris.
II) Monsieur de Charlus pendant la guerre, ses opinions, ses plaisirs.
Elégantes pendant de la guerre de 14_18 |
Nous sommes en 1916 et Marcel Proust n’est pas tendre envers les « planqués » de l’arrière, comme dirait Céline. Le récit des années de guerre telle que Marcel la voit à Paris ne manque pas, en effet, d’une ironie mordante.
Qu’en est-il des femmes ? Dans ces pages, Marcel pastiche un journal de mode, et décrit comment les grands couturiers et les femmes du monde "participent" à " l’effort de guerre" :
« Les tristesses de l’heure, il est vrai, pourraient avoir raison des énergies féminines si nous n’avions tant de hauts exemples de courage et d’endurance à méditer. Aussi en pensant à nos combattants qui au fond de leur tranchée rêvent de plus de confort et de coquetterie pour la chère absente laissée au foyer, ne cesserons-nous pas d’apporter toujours plus de recherche dans la création de robes répondant aux nécessités du moment. La vogue, cela se conçoit, est surtout aux maisons anglaises, donc alliées, et on raffole cette année de la robe-tonneau dont le joli abandon nous donne à toutes un amusant petit cachet de rare distinction. »
« Quant à la charité, en pensant à toutes les misères nées de l’invasion, à tant de mutilés, il était bien naturel qu’elle fût obligée de se faire plus « ingénieuse encore », ce qui obligeait les dames à haut turbans à passer la fin de l’après-midi dans les thés autour d’une table de bridge, en commentant les nouvelles du « front » tandis qu’à leur porte les attendaient leurs automobiles ayant sur le siège un beau militaire qui bavardait avec le chasseur. »
Voilà pour les femmes. C’est assez méchant, non ? et assez juste !
Quant aux hommes ? Ils ne sont pas épargnés ! Bloch se montre patriote ardent et même chauvin tant qu’il pense être réformée pour myopie mais lorsqu’il comprend que cela ne lui épargnera pas la mobilisation, il se découvre soudain des idées antimilitaristes. Françoise cherche des appuis pour faire exempter son neveu. Saint Loup au contraire fait tout pour être incorporé et trouvera la mort sur le front. C’est l’occasion pour Marcel de rendre hommage aux poilus et même aux socialistes ( Quand on s’appelle Proust, il faut le faire!). Il croit encore à la noblesse de la guerre.
« Les jeunes socialistes qu’il pouvait y avoir à Doncières quand j’y étais, mais que je ne connaissais pas parce qu’ils ne fréquentaient pas le milieu de Saint-Loup, purent se rendre compte que les officiers de ce milieu n’étaient nullement des « aristos » dans l’acception hautainement fière et bassement jouisseuse que le « populo », les officiers sortis des rangs, les francs-maçons donnaient à ce surnom. Et pareillement d’ailleurs, ce même patriotisme, les officiers nobles le rencontrèrent pleinement chez les socialistes que je les avais entendu accuser, pendant que j’étais à Doncières, en pleine affaire Dreyfus, d’être des sans-patrie. »
La guerre de Proust, Céline et Cendrars
L'enterrement du comte d'Orgaz du Greco |
Je ne peux m'empêcher de comparer la guerre vue par Marcel Proust, Cendrars ou Céline. Quels contrastes !
Saint Loup est convaincu que la guerre est un art et que celle-ci obéit
aux lois subtiles des stratèges. C'est ce qu'il explique à son ami Marcel alors que dans La main coupée Blaise Cendrars écrit :
Je m’empresse de dire que la guerre ça n’est pas beau et que, surtout ce qu’on en voit quand on y est mêlé comme exécutant, un homme perdu dans le rang, un matricule parmi des millions d’autres, est par trop bête et ne semble obéir à aucun plan d’ensemble mais au hasard. A la formule marche ou crève on peut ajouter cet autre axiome : va comme je te pousse ! Et c’est bien ça, on va, on pousse, on tombe, on crève, on se relève, on marche et on recommence. De tous les tableaux des batailles auxquelles j’ai assisté je n’ai rapporté qu’une image de pagaïe. Je me demande où les types vont chercher ça quand ils racontent qu’ils ont vécu des heures historiques ou sublimes.
Marcel juge la guerre en intellectuel, en artiste, sensible à la beauté des ombres et des lumières qu'il compare à un tableau du Gréco. Il ne peut s'empêcher aussi de souligner le côté vaudevillesque de cette scène de bombardement qui - pourtant, sème la panique et la mort - parce qu'elle lui a permis de voir la duchesse de Guermantes en chemise de nuit dans la cour et le duc en pyjama rose ! Il peut encore rire de la guerre, peut-être parce qu'il n'est pas dans les tranchées !
La ville
semblait une masse informe et noire qui tout d’un coup passait des
profondeurs de la nuit dans la lumière et dans le ciel où un à un les
aviateurs s’élevaient à l’appel déchirant des sirènes, cependant que
d’un mouvement plus lent, mais
plus insidieux, plus alarmant, car ce regard faisait penser à l’objet
invisible encore et peut-être déjà proche qu’il cherchait, les
projecteurs se remuaient sans cesse, flairaient l’ennemi, le cernaient
dans leurs lumières jusqu’au moment où les avions aiguillés bondiraient
en chasse pour le saisir. Et escadrille après escadrille chaque aviateur
s’élançait ainsi de la ville, transporté maintenant dans le ciel,
pareil à une Walkyrie. Pourtant des coins de la terre, au ras des maisons, s’éclairaient et je
dis à Saint-Loup que s’il avait été à la maison la veille, il aurait
pu, tout en contemplant l’apocalypse dans le ciel, voir sur la terre,
comme dans l’enterrement du comte d’Orgaz du Greco où ces différents
plans sont parallèles, un vrai vaudeville joué par des personnages en
chemise de nuit ...
C’est évidemment la différence, et par la style et par les idées, entre un Proust et un Céline qui a été au première loge, engagé volontaire à dix-huit ans. Dans Le voyage au bout de la nuit, il écrit :
Serais-je donc le seul lâche sur la terre? pensais-je. Et avec quel effroi !... Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu'aux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en autos, sifflant, tirailleurs, comploteurs, volant, à genoux, creusant, se défilant, caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre comme dans un cabanon, pour y tout détruire, Allemagne, France et continents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que les chiens, adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux! Nous étions jolis ! Décidément, je le concevais, je m'étais embarqué dans une croisade apocalyptique.
On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant la place Clichy ? Qui aurait pu prévoir, avant d’entrer vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ? A présent, j’étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu… Ça venait des profondeurs et c’était arrivé."
"Quand on a vécu ça, on ne croit plus aux slogans des stratèges. On est initié. L'art militaire est affaire des culottes de peau. Une sale routine. Marche ou crève.
Et nous marchions. Et nous crevions."
Marcel Proust décrit aussi une époque où les parvenues et parvenus se mêlent à la haute société, tout un milieu interlope, qui, profitant des désastres et des bouleversements amenés par la guerre, signe le glas d’une certains noblesse imbue de ses privilèges et qui sera bien vite remplacée par d’autres profiteurs. L’heure n’est plus au dreyfusisme mais au patriotisme et les libéraux antifreyfusards de jadis deviennent les conservateurs d'aujourd’hui (Clémenceau).
Quant au Baron Charlus, ses racines allemandes et ces propos pro- germanistes lui font du tort. Il est désormais bien vieux, malade, diminuée mais cela ne l’empêche pas d’être vu par Marcel dans une maison de passe tenue par Jupien où l’on pratique des jeux sado-masochistes.
Suite : Le temps retrouvé (2) lundi
3ième partie : Matinée chez la princesse de Guermantes
Nul doute que je relirai La Recherche prochainement... Je le fais à peu près tous les dix ans. Bon dimanche.
RépondreSupprimerMoi je sais que je ne le relirai pas ! Ou alors des extraits car il y a des pages très belles. J'ai trouvé très longue cette lecture ininterrompue des sept livres qui laissent apparaître, du coup, toutes les longueurs, les répétitions, les redondances de l'écrivain.
SupprimerTu t'es décidée à rédiger tes billets.
RépondreSupprimerA quand la récapitulation?
j'aimerais y adjoindre le billet sur le livre : Le lièvre aux yeux d'ambre pour le personnage qui a servi de modèle pour Swann et La divine film biopic de Sarah Bernhardt pour les décors et costumes.
Mon deuxième et dernier billet sur Le temps retrouvé paraît demain. On peut faire la récapitulation à une date qui te convient la semaine prochaine. Dis-moi quand ? Je la préparerai, en regroupant les bilans 6 et 7 et je te l'enverrai pour que tu le publies. Quand veux-tu que ce soit fait ?
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