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jeudi 7 novembre 2024

Le Jeudi avec Marcel Proust : La prisonnière : Marcel Proust et la mode, Mariano Fortuny et Jacques Doucet

Elena vêtue d'une robe Delphos de Mariano Fortuny
 

Marcel Proust est fasciné par les toilettes des femmes et il les décrit avec une précision et une délicatesse qui témoignent de son sens de l’observation, son tempérament d’artiste et son amour de l’art, celui-ci lui permettant de jeter des liens par-delà les siècles entre les oeuvres des grands couturiers de son temps, Jacques Doucet, Fortuny et la peinture vénitienne, Carpaccio, Le Titien, Tiepolo. 

 

Le Titien : portrait de femme


" Et les manches étaient doublées d’un rose cerise, qui est si particulièrement vénitien qu’on l’appelle rose Tiepolo."

Jean-Baptiste Tiepolo: fresque de l'Olympe, le rose Tiepolo

C’est  à travers la description du vêtement que Marcel Proust exprime la sensualité du corps féminin, "Mais la robe ne m'empêchait pas de penser à la femme", dans la couleur ou la brillance d’une étoffe, les courbes d’un pli, les arrondis d’une manche, les détails raffinés.
Pour lui, le vêtement d’une femme est un paysage, une saison comme pour Odette dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs avec "les névés de son manchon", et ses fourrures d’hermine  "qui avaient l’air des derniers carrés des neiges de l’hiver… " 
Comme la robe d’Oriane de Guermantes, fleur, pierre précieuse, feu et passion :  "Vous aviez une robe toute rouge, avec des souliers rouges ; vous étiez inouïe, vous aviez l’air d’une espèce de grande fleur de sang, d’un rubis en flammes".
La toilette est aussi un état d’âme : " Je trouvais la duchesse ennuagée dans la brume d’une robe en crêpe de Chine gris, j’acceptais cet aspect que je sentais dû à des causes complexes et qui n’eût pu être changé, je me laissais envahir par l’atmosphère qu’il dégageait, comme la fin de certaines après-midi ouatées en gris perle par un brouillard vaporeux. "

C’est pourquoi dans La prisonnière Marcel cherche à cerner ce qui transcende la parure féminine, ce qu’elle exprime d’une manière subtile. La toilette féminine n’est pas un décor, nous dit-il, " mais une réalité donnée et poétique comme est celle du temps qu’il fait, comme est la lumière spéciale à une certaine heure.". La toilette est  donc une réalité qui est de l’ordre de l’émotion, du ressenti, transformée par ce qui est au-delà de la perception, ce qui s’exprime par le symbole, la métaphore, le mystère, le langage même de la poésie.

Proust comprend que malgré les conseils de Mme de Guermantes, il ne pourra mettre les mots sur ce qui fait la spécificité d’une robe de Doucet ou de Fortuny :  " mais si vous faites faire des choses de Callot, de Doucet, de Paquin par de petites couturières, cela ne sera jamais la même chose. — Mais je ne veux pas du tout aller chez une petite couturière, je sais très bien que ce sera autre chose ; mais cela m’intéresserait de comprendre pourquoi ce sera autre chose. "
Proust se rendra à l’évidence, comme pour les grandes oeuvres, la grande couture ne peut se définir ni s’expliquer car elle est aussi un art.


Jacques Doucet

Jacques Doucet (détail d'une robe)


"Telle toque, tel manteau de zibeline, tel peignoir de Doucet, aux manches doublées de rose, prenaient pour Albertine, qui les avait aperçus, convoités et, grâce à l’exclusivisme et à la minutie qui caractérisent le désir, les avait à la fois isolés du reste dans un vide sur lequel se détachait à merveille la doublure, ou l’écharpe, et connus dans toutes leurs parties (…) une importance, un charme qu’ils n’avaient certes pas pour la duchesse, rassasiée avant même d’être en état d’appétit…"

Entre 1880 et les années 1920, le grand couturier Jacques Doucet habilla les dames de la noblesse et de la grande bourgeoisie. Réjane et Sarah Bernhardt furent parmi ses clientes. Mais Jacques Doucet était aussi l’un des plus importants collectionneurs de son temps, peintures, gravures, livres anciens. Les héritiers de Jacques Doucet, monsieur et madame Angladon, avignonnais, ont revendu une partie de ses collections mais ont gardé certaines oeuvres, Van Gogh, Degas, Sisley, Picasso, Foujita, Modigliani... qui sont exposées actuellement à Avignon à la fondation Angladon. Un joli petit musée à visiter si vous passez dans la ville.

 

Jacques Doucet : robe de soirée

Mariano Fortuny

Oswald Hornby Joseph Birley :  Muriel Gore dans une robe Fortuny


"De toutes les robes ou robes de chambre que portait Mme de Guermantes, celles qui semblaient le plus répondre à une intention déterminée, être pourvues d’une signification spéciale, c’étaient ces robes que Fortuny a faites d’après d’antiques dessins de Venise. Est-ce leur caractère historique, est-ce plutôt le fait que chacune est unique qui lui donne un caractère si particulier que la pose de la femme qui les porte en vous attendant, en causant avec vous, prend une importance exceptionnelle, comme si ce costume avait été le fruit d’une longue délibération et comme si cette conversation se détachait de la vie courante comme une scène de roman ?"

Mariano Fortuny y Madraza est un espagnol né à Grenade en 1871.  Il s’installe à Venise avec son épouse Henriette Négrin au palais Fortuny qui est actuellement un musée de la mode et des tissus.  Il s’inspire de décors crétois, coptes, byzantins, grecs et crée des modèles dont la forme est proche de la djellaba ou de la toge antique. Il est le créateur-inventeur de plissés et de soie (en mousseline, voile, velours, taffetas..) sur lesquels était appliqué de l’or, de l’argent, en motifs, également brodés ou métallisés par des procédés nouveaux (25 brevets furent déposés alors). Sa robe plissée Delphos, achetée dès 1909 par la marquise Casati, le rend célèbre, ainsi que la tunique de bacchante (réalisée avec le couturier Paul Poiret), ou le châle Knossos. Ce genre d’inspiration confirmait la mode de l’Antiquité grecque, avec des plissés, de longues tuniques, des drapés.  

 "La robe de Fortuny que portait ce soir-là Albertine me semblait comme l’ombre tentatrice de cette invisible Venise. Elle était envahie d’ornementation arabe, comme les palais de Venise dissimulés à la façon des sultanes derrière un voile ajouré de pierres, comme les reliures de la Bibliothèque Ambrosienne, comme les colonnes desquelles les oiseaux orientaux qui signifient alternativement la mort et la vie, se répétaient dans le miroitement de l’étoffe, d’un bleu profond qui, au fur et à mesure que mon regard s’y avançait, se changeait en or malléable par ces mêmes transmutations qui, devant la gondole qui s’avance, changent en métal flamboyant l’azur du grand canal."

 

Robes Mariano Fortuny

« Ces robes de Fortuny, dont j’avais vu l’une sur Mme de Guermantes, c’était celles dont Elstir, quand il nous parlait des vêtements magnifiques des contemporaines de Carpaccio et du Titien, nous avait annoncé la prochaine apparition, renaissant de leurs cendres, somptueuses, car tout doit revenir comme il est écrit aux voûtes de Saint-Marc, et comme le proclament, buvant aux urnes de marbre et de jaspe des chapiteaux byzantins, les oiseaux qui signifient à la fois la mort et la résurrection. »


Vittore Carpaccio : Fuite en Egypte


Dès que les femmes avaient commencé à en porter, Albertine s’était rappelé les promesses d’Elstir, elle en avait désiré, et nous devions aller en choisir une. Or ces robes, si elles n’étaient pas de ces véritables robes anciennes, dans lesquelles les femmes aujourd’hui ont un peu trop l’air costumées et qu’il est plus joli de garder comme pièces de collection (j’en cherchais, d’ailleurs, aussi de telles pour Albertine), n’avaient pas non plus la froideur du pastiche, du faux ancien.  (...) ces robes de Fortuny, fidèlement antiques mais puissamment originales, faisaient apparaître comme un décor, avec une plus grande force d’évocation même qu’un décor, puisque le décor restait à imaginer, la Venise tout encombrée d’Orient où elles auraient été portées, dont elles étaient, mieux qu’une relique dans la châsse de Saint-Marc évocatrice du soleil et des turbans environnants, la couleur fragmentée, mystérieuse et complémentaire. Tout avait péri de ce temps, mais tout renaissait, évoqué pour les relier entre elles par la splendeur du paysage et le grouillement de la vie, par le surgissement parcellaire et survivant des étoffes des dogaresses.


 Tissus Fortuny


Plus tard, Marcel les offre en cadeaux à Albertine  : « Pour les robes de Fortuny, nous nous étions enfin décidés pour une bleu et or doublée de rose, qui venait d’être terminée. Et j’avais commandé tout de même les cinq auxquelles elle avait renoncé avec regret, par préférence pour celle-là. «

 

Robes Mariano Fortuny

 Pour définir le style de Mariano Fortuny, Marcel Proust évoque les peintres-décorateurs de son époque qui ont contribué au succès des ballets russes de Diaghilev.   "À la façon des décors de Sert, de Bakst et de Benois, qui, à ce moment, évoquaient dans les ballets russes les époques d’art les plus aimées — à l’aide d’œuvres d’art imprégnées de leur esprit et pourtant originales "

 

Jose Maria Sert y Badia

 

Jose Sert : paravent pour le boudoir de la reine d'Espagne

 Jose Maria Sert y Badia est un peintre et décorateur  espagnol (1874-1945). Son art, pétri de références à la grande tradition, se concentre sur le grandiose.  Il a travaillé pour les ballets russes. Voir Ici

 

  Léon Bakst

Léon Bakst : Bacchante et faune
 

Lev Samoilovitch Rosenberg dit Léon Bakst (1866-1924),  russe, peintre, décorateur, costumier a été  le principal collaborateur des ballets russes très à la mode au début du XX siècle. Il a travaillé aussi pour l'opéra de Paris.

Marcel Proust, dans une lettre à Reynaldo Hahn, le 4 mai 1911, lui écrit : « Dites mille choses à Bakst que j’admire profondément, ne connaissant rien de plus beau que Schéhérazade. »


Alexandre Nikolaïevitch Benois
 
 
Alexande Benois : Pétrouchka

 
 
Alexandre Nikolaïevitch Benois, (1870-1960), né a Saint-Peterbourg, d'un père d'origine française, mort à Paris, peintre et décorateur, a réalisé de nombreux décors de ballets, Giselle, Pétrouchka, Les Sylphides, le Boléro...
 
 
 
 
 
 

1 commentaire:

  1. La prisonnière, ça va être sans moi. J'ai commencé et bien sûr j'ai lu ces passages sur les tenues de la duchesse, là ça me captive, mais franchement la jalousie maladive du narrateur a eu raison de moi, pour l'instant en tout cas.

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