La fête au Bouc de Mario Vargas Llosa est depuis longtemps sur mes étagères et je ne me décidais pas à lire ce roman politique sur la dictature de Rafael Leonidas Trujillo à Saint Domingue. Je craignais que cela ne soit trop rébarbatif ou trop démonstratif. C’est donc dans le cadre du défi lancé par Ingammic ICI et Goran ICi nous invitant à explorer la littérature latino-américaine, que j’ai découvert ce livre et là il n’était plus possible de résister à la force et à l’habileté narrative d’un grand écrivain qui vous tient en haleine et vous retourne comme une crêpe !
Le récit se déroule dans la partie orientale de l’île Hispanolia, dans la République de Saint Domingue dont la frontière divise en deux l'île avec, à l’ouest, Haïti. Nous sommes en 1961, date de l'attentat contre Trujillo, mais l'écrivain va nous promener du présent au passé et inversement, sans ordre chronologique, depuis la prise de pouvoir du dictateur et jusqu'après sa mort.
"L'ouvrage est caractéristique du roman du dictateur, représenté entre autres par Miguel Ángel Asturias (El señor Presidente), Augusto Roa Bastos (Moi, le Suprême) et Gabriel García Márquez (L'Automne du patriarche)" (Wikipédia).
Le roman présente des personnes fictifs mais fortement ancrés dans l’histoire du pays comme Urania Cabral et son père Agusto Cabral, ministre de Trujillo. Urania revient voir son père mourant à Saint Domingue après trente cinq années d’exil aux Etat-Unis, absence pendant laquelle elle a toujours refusé de répondre à ses lettres et à celles de sa famille. Pourquoi revient-elle ? Elle se le demande elle-même mais ce n’est certainement pas par amour si l’on en juge par la violence qui émane de ses propos quand elle parle à celui qui fut son père, certes, mais surtout l’ancien ministre de Trujillo…
Rafael Leonidas Trujillo |
Face à ces personnages fictifs,
des personnages historiques comme le dictateur Rafael Leonidas Trujillo
qui a fait régner la terreur à Saint Domingue, rebaptisée alors, Ciudad
Trujillo, de 1930 à 1961, et ses ministres dévoués jusqu’à la servilité :
emprisonnement, tortures, assassinats, massacre des immigrants
haïtiens, viols, accaparation des biens et des terres des opposants et
des industries, main mise sur la presse et tous les moyens de
communication, culte de la personnalité… D’autres personnages
historiques aussi, sont ceux qui en 1961, ont fomenté l'attentat contre
le dictateur.
Mais peu à peu, le réel et la fiction se mélangent et
tous deviennent les héros d’un roman puissant qui nous fait revivre
toutes ces années de dictature, mêlant les différentes strates du
présent et du passé. La technique narrative de l’auteur est surprenante.
Dans un même paragraphe, nous passons de la vision subjective du
« je », - le personnage se raconte-, au « Il » du narrateur extérieur -
le personnage est vu - ; de plus, les points de vue se multiplient, les
uns et les autres sont observés et racontés par plusieurs personnages, amis,
ennemis, victimes, bourreaux, dressant une multiplicité de portraits et
de récits qui submergent le lecteur de sensations et d’émotions.
De
même, à certains moments de la narration, le présent et le passé sont mis
sur un seul plan et ont lieu en même temps. Ce procédé donne des scènes
saisissantes, comme celles où Urania racontent à sa tante et à ses
cousines pourquoi elle a fui Saint Domingue et où nous assistons à la
fois à son récit au passé et à son déroulement dans le présent, ce qui a
pour effet de dédoubler la scène en lui donnant une force inouïe.
Le
récit est donc puissant, en particulier lorsqu’il interroge sur le
pouvoir. Comment expliquer la fascination exercée par le dictateur sur
la collectivité et sur l’individu ? La peur ne suffit pas à expliquer cet amour, cette admiration, cette soumission au chef ! Urania dit qu’elle peut comprendre pourquoi
le peuple se laisse berner, pris dans le culte de la personnalité,
privé par son manque d’instruction d’un jugement clair, obnubilé par la
propagande mensongère du gouvernement, coupé de la réalité par l’absence
de médias. La Boétie au XVI siècle en arrivait déjà à cette conclusion, entre autres car lui aussi pensait que l'explication en était plus complexe :
Mais comment ceux qui ont l’instruction, les classes
sociales supérieures, instruites, éclairées, peuvent-ils perdre toute
volonté, toute dignité, toute morale, pour complaire au despote ? se demande Urania. Il y a
l’argent, l’intérêt, l’attrait du pouvoir, certes, mais encore quelque
chose au-delà, qui touche au plus profond de la personnalité, quelque chose qui fait que l’on n'est rien sans le regard bienveillant du despote, que c'est lui qui vous fait exister !
Un grand roman, donc !
Et surtout, ne faites pas comme moi, n’ayez pas peur de Mario Vargas Llosa !
Pérou : Mario Varga Llosa
Mario Vargas Llosa |
Mario Varga Llosa est un écrivain péruvien naturalisé espagnol. Il est l’auteur de romans, de pièces de théâtre, de biographies et d’essais politiques. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 2010.
Il a été un écrivain engagé toute sa vie, d’abord proche du communisme, il soutient Fidel Castro. Ensuite déçu par la révolution cubaine, il se tourne vers le libéralisme. En avril 2011, lors des élections présidentielles péruviennes, il appuie le vote du candidat nationaliste Ollanta Humala. En 1990, il se présente à la présidence de la république péruvienne à la tête d’une formation Le Front démocratique mais il perd, face à Alberto Fujimori qui dirigera le Pérou de 1990 à 2000. Plus tard il s’affirmera comme conservateur, ultra-libéraliste, selon ses détracteurs, soutenant les régimes de José María Aznar en Espagne et même de Silvio Berlusconi en Italie. (Wikipédia)
Quelques titres :
La ville et les chiens(1963) , La maison verte (1966), Conversation à la cathédrale(1969) , La tante Julia et le scribouillard( 1977), La guerre de la fin du monde (1982), Qui a tué Palomino Molero ?(1986), la fête au bouc (2000),
Si tu veux continuer avec cet auteur, j'ai beaucoup aimé Le rêve du celte et Le héros discret...
RépondreSupprimerOui, je veux continuer et je te remercie de me donner des titres que tu aimes.
SupprimerJe l'ai lu quand il est sorti en France et j'avais beaucoup aimé. J'aimerais bien le relire d'ailleurs. C'est un roman brillant !
RépondreSupprimerOui, un roman brillant ! L'écrivain dit qu'il s'est aperçu très tôt que la violence pouvait être esthétique ! Et l'on peut dire qu'il plonge le lecteur dans la violence mais avec une grande habileté! On est complètement impliqué. C'est ce que j'ai ressenti.
SupprimerEffectivement, ce roman a l'air fort et impressionnant. Mais au sujet des variations de temps et de points de vue, est-ce que ça n'alourdit pas la lecture ? Le lecteur ou la lectrice peut-il s'y perdre ?
RépondreSupprimerPas du tout, la lecture n'en est pas alourdie. On est tellement pris parle récit qu'on en s'aperçoit pas ou à peine de ses changements. Peut-être une fois ou deux, oui, mais non seulement ne dérange pas mais donne un caractère urgent à cette lecture. Impossible d'y échapper et pourtant les faits sont horribles.
SupprimerC'est un auteur que je veux découvrir depuis longtemps. J'avais commandé en librairie "Le rêve du celte", et ai rendu l'exemplaire reçu, car il manquait des pages (il était pourtant neuf...), ce qui reporte cette découverte à plus tard.
RépondreSupprimerMerci pour ta participation qui met à l'honneur un grand monsieur des lettres sud-américaine et pour ce billet comme toujours très intéressant.
J'ai bien envie de lire Le rêve du celte. j'espère le trouver à la médiathèque. C'est un très bonne idée que vous avez eu Goran et toi, car je vais de découvertes en découvertes. Merci à tous les deux.
SupprimerBonjour. Tout comme toi Vargas Llosa me fait un peu peur. Je crois, même pas sûr, avoir jadis tenté La ville et les chiens, et être tombé sur un os. Alors pourquoi pas une seconde chance. Mais il y a tant de livres et si peu de jours.
RépondreSupprimerOui, laisse lui une seconde chance. La violence de la dictature, la justification du crime, les portraits complexes et tortueux de ces personnages historiques, les réflexions sur le pouvoir, les interrogations sur le fonctionnement d'une dictature, la complicité intéressée jusqu'à la compromission des puissances étrangères, le rôle équivoque de l'église... Tout est passionnant et aussi les répercussions de la tyrannie sur les individus.
SupprimerAh la fiesta del chivo en espagnol, un livre dans lequel on se perd de temps en temps, puis on est récupérés, magistralement comme tu dis, par l'auteur.
RépondreSupprimerJe ne vais rien ajouter à ton billet, si bien fait, seulement qu'à travers ce roman on comprend sans doute mieux les rouages d'une dictature...
C'est vrai que c'est foisonnant et riche ! Effectivement la réflexion sur les rouages de la dictature est passionnante.
SupprimerJe ne le connaissais que de nom, mais j'ai emprunté un autre de ses livres pour le mois thématique après avoir vu qu'il semblait faire l'unanimité. Ce titre semble très intéressant aussi, j'aime les fonds historiques, surtout que je ne connais pas du tout cette histoire-là.
RépondreSupprimerJe suis curieuse de savoir quel titre tu as choisi.
Supprimercela fait longtemps que je n'ai rien lu autour de l'Amérique latine, il faudrait que je regarde ce qui traine dans ma PAL!
RépondreSupprimerPeut être est il temps de changer d horizon? Tu me tentes bien. Je le note!
RépondreSupprimerC'est un livre que j'ai beaucoup aimé, comme toi. J'ai également apprécié "la maison verte". Merci beaucoup pour ta critique et ta participation... (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerIl fait partie des titres que j'ai notés il y a longtemps et que je n'ai pas trouvé le moyen de lire encore. A surligner .. Il y a longtemps, j'avais lu "la tante Julie et le scribouillard" qui m'avait plu.
RépondreSupprimertrès tentant en effet ! Je lis un petit polar de l'auteur que je chronique bientôt et ça me plaît beaucoup aussi.
RépondreSupprimer