Dans son roman Le rayon vert Jules Verne imagine que son héroïne, la charmante écossaise Helena Campbell - orpheline élevée par ses deux oncles qui veulent la marier- leur répond qu’elle ne se mariera que lorsqu’elle aura pu observer le rayon vert. Celui-ci est le dernier rayon que le soleil lance avant de se coucher sur la mer et de disparaître à l’horizon, dans un ciel pur, débarrassé de toutes particules et nuages…
Cette Écossaise, dont la « fibre patriotique vibrait comme la corde d’une harpe », est dotée d’un tempérament poétique et rêveur à l’extrême. Son caractère présente une dualité marquée : elle peut se montrer tantôt sérieuse et réfléchie, tantôt superstitieuse et fantasque. Bonne et charitable « elle s’appliquait à justifier le vieux proverbe gaélique : “Puisse la main qui s’ouvre être toujours pleine !” »
![]() |
Le rayon vert du film de Rohmer |
Pour moi Le rayon vert a une résonance particulière. Je me souviens d’avoir essayé, en vain, de l’observer en Lozère avec mes amis cinéphiles, tous amoureux d’Eric Rohmer dont nous aimions le film éponyme qui venait de sortir. Nous avions peu de chance de l’apercevoir en montagne, il faut bien le dire, mais cela avait peu d’importance puisque j’ai toujours cru que le rayon vert n’existait pas. Or, récemment, en cherchant des images du film sur le net, je me suis aperçue que non seulement Rohmer ( ou plutôt son équipe) l’avait filmé ( au ralenti) et que ce n’était pas un trucage comme je l’avais cru jadis mais une réalité.
Ainsi le « mythique » rayon vert, qui donne un pouvoir exceptionnel de lucidité sur soi-même et sur les autres, celui qui permet d’y voir plus clair dans ses sentiments, est tout simplement un phénomène physique rare qui ne dure qu’une seconde ou deux d'où la difficulté de le saisir et encore plus de le filmer !
« Le rayon vert est la combinaison de deux phénomènes différents, la dispersion et la diffusion de la lumière par l’atmosphère terrestre (beaucoup plus épaisse à l’horizon) qui joue le rôle d’un prisme. »
![]() |
Le rayon vert |
Mais revenons à nos moutons ou plutôt au roman de Jules Verne qui a d’ailleurs inspiré Eric Rohmer !
Il faut bien l’avouer Sam et Sib Melvill adorent leur nièce et sont toujours prêts à faire ses quatre volontés, mais ils ne sont pas très au fait des sentiments féminins quand ils cherchent à la marier avec le savant (et prétentieux), insipide, pour ne pas dire définitivement rasoir, Aristobulus Ursiclos. Déjà avec un nom pareil, le lecteur le moins fûté comprend que le jeune homme est in-mariable.
Si bien que nous nous lançons avec Helena et ses oncles à la recherche du rayon vert qui décidera de son mariage. Au cours de cette quête qui se passe en Ecosse nous sommes rejoints par le jeune et courageux Olivier Sinclair, dernier « rejeton d’une honorable famille d’Edimbourg », qui s’est illustré devant la jeune fille par un héroïque sauvetage en mer dans le gouffre de Corryvrekan.
« Le gouffre de Corryvrekan, justement redouté dans ces parages, est cité comme l’un des plus curieux endroits de l’archipel des Hébrides. Peut-être pourrait-on le comparer au raz de Sein, formé par le rétrécissement de la mer entre la chaussée de ce nom et la baie des Trépassés, sur la côte de Bretagne, et au raz Blanchart, à travers lequel se déversent les eaux de la Manche, entre Aurigny et la terre de Cherbourg. La légende affirme qu’il doit son nom à un prince scandinave, dont le navire y périt dans les temps celtiques. En réalité, c’est un passage dangereux, où bien des bâtiments ont été entraînés à leur perte, et qui, pour la mauvaise réputation de ses courants, peut le disputer au sinistre Maelström des côtes de Norvège. »
Pas besoin du rayon vert pour savoir ce qui va arriver !
« Peintre distingué, qui aurait pu vendre ses œuvres à haut prix s'il l'eût voulu, poète à ses heures — et qui ne le serait à un âge où toute l'existence vous sourit ? —, cœur chaud, nature artiste, il était pour plaire et plaisait sans pose ni fatuité. (…) »
D’habitude, c’est le savant qui, dans Jules Verne, a le beau rôle. Ce n’est pas le cas ici ! Aristobulus va se rendre de plus en plus insupportable car le roman ne manque pas d’humour et chaque fois que les jeunes gens vont enfin pouvoir admirer le rayon vert, que toutes les conditions sont réunies, qui surgit entre eux et l’horizon ? Devinez ? Même le lecteur a envie que le fâcheux jeune homme reste définitivement suspendu à la souche qui l’arrête quand il tombe de la falaise et d’où Olivier, charitable, le décroche ! Qui plus est, l’explication qu’il donne du rayon vert est fausse… mais on ne le savait pas à l’époque ! Pardonnons-lui !
Le roman est aussi un prétexte à une visite de l’Ecosse, de son littoral et de ses îles, de la mer, qui donne lieu à des descriptions pittoresques et détaillées du pays, ce qui n’est pas l’un des moindres intérêts de la lecture.
« C’est un curieux emplacement, ce terrain semé de pierres funéraires, où dorment quarante-huit rois écossais, huit vice-rois des Hébrides, quatre vice-rois d’Irlande, et un roi de France, au nom perdu comme celui d’un chef des temps préhistoriques. Entouré de sa longue grille de fer, pavé de dalles juxtaposées, on dirait une sorte de champ de Karnac, dont les pierres seraient des tombes, et non des roches druidiques. Entre elles, couché sur la litière verte, s’allonge le granit du roi d’Écosse, ce Duncan illustré par la sombre tragédie de Macbeth. De ces pierres, les unes portent simplement des ornements d’un dessin géométrique ; les autres, sculptées en ronde bosse, représentent quelques-uns de ces farouches rois celtiques, étendus là avec une rigidité de cadavre.
Que de souvenirs errent au-dessus de cette nécropole d’Iona ! Quel recul l’imagination fait dans le passé, en fouillant le sol de ce Saint-Denis des Hébrides ! »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.