Titiou Lecoq annonce la couleur avec le titre de sa biographie Honoré et moi. Oui, elle va vous parler de Balzac mais attention, ce sera d’une manière très personnelle et elle aura son mot à dire. Et pas qu’un peu ! Auteur d’une livre féministe qui incite les femmes à ne plus assumer toute seule les tâches ménagères en plus de leur horaire professionnel, elle commence par une défense de la mère de Balzac! C’est vrai ça ! Tout le monde la traite de mauvaise mère, de « mégère hystérique », à commencer par son fils à qui ses biographes, Stefan Zweig en tête, emboîtent allègrement le pas !
Mais qui Honoré appelle-t-il quand il ne peut payer ses créanciers ? C’est maman ! Qui doit gérer ses affaires, ses démêlés avec les éditeurs, régler son loyer quand Honoré part à l’étranger ? C’est maman ! Et qui se retrouve sur la paille dans sa vieillesse, ruinée par son fils prodigue, obligée de quémander une pension à ce même fils ? Non, ce n’est pas le père Goriot, c’est maman ! Quand au papa Balzac, il ne s’occupe pas de ses enfants puis il meurt, donc il n’est responsable de rien.
T Lecoq nous livre les détails de la vie de Balzac acharné à devenir écrivain, à acquérir gloire et fortune qui toutes deux tardent à venir. Ce qui entraînera des catastrophes financières. Balzac se croyant doué pour les affaires investit des sommes colossales et aboutit toujours à un fiasco. Il apprend à fuir les créanciers, à emprunter à ses amis et même quand le succès vient il continue à dépenser plus qu’il ne gagne; ce qui l’oblige à devenir un forçat de l’écriture mais seulement la nuit car les journées et les soirées sont consacrées à paraître dans le monde. Si Balzac aime tant l’argent, ce n’est pas en avare mais en amateur dispendieux, passionné des belles choses, de bonne chère, amoureux du raffinement des étoffes, des vêtements. Il est incapable de résister à des objets précieux comme sa fameuse canne ornée de turquoises, à des meubles luxueux. Il aime le Beau et il veut paraître dans le monde, être reconnu par la noblesse qu’il admire.
L’écrivain montre combien Balzac incarne l’antithèse de l’artiste maudit. Pour lui écrire un chef d’oeuvre et gagner de l’argent n’est pas incompatible : « Pour défendre les droits des écrivains, il imaginera même en 1840 un Code Littéraire, projet dont il donne lecture à la Société des gens de Lettres - sans succès ». Ce qui rappelle les difficultés rencontrées de nos jours pour les gens de lettres et la difficulté qu’il y a toujours à gagner sa vie quand on écrit.
Il y a donc toujours dans cette biographie de fréquents allers-retours entre le XIX siècle et le nôtre, entre les personnages de Balzac et les spécimens du XXI siècle toujours avec beaucoup d’humour.
Car si la société a changé à bien des égards, les hommes non ! J’aime la comparaison qu’elle établit entre Emmanuel Macron et les héros (jeunes loups) de Balzac ! Parti de Province, (scènes de la vie de Province), follement amoureux d'une femme plus âgée (Le lys dans la vallée), il "monte" à la capitale, vit dans une chambre de bonne, se rêve romancier (Les illusions perdues) abandonne ses ambitions littéraires, se lance dans la finance ( Le bal de Sceaux, La maison Nucingen), devient ministre (Le député d'Arcis )...
" La France a élu Rastignac comme président de la République, et c'est peut-être le plus grand fait balzacien de notre société", écrit-elle ! Et ce n'est pas un compliment aux yeux de cette écrivaine !
Mais la faiblesse de Balzac envers l’argent, son goût du luxe et ses problèmes financiers constituent une source qui enrichit son oeuvre car cela le rend à même de comprendre la société de son temps, le triomphe de cette bourgeoisie d’argent qui est en train de modifier une société fondée jusqu’alors sur les valeurs de la noblesse, il connaît les rouages du système bancaire, des taux d’intérêts, de la spéculation (Le banquier Nucingen), il peut décrire les « magouilles du Père Grandet dans Eugénie Grandet » ou encore les malversations du baron Hulot dans La Cousine Bette.
« Balzac s’intéresse également au rapport individuel à l’argent, à ce qu’il représente pour chacun… Pour Pons et Rastignac, l’argent est un moyen mais ils ne tendent pas vers la même fin. Rastignac veut le signifié, le signe extérieur de richesse qui lui permet d’en être. Pour Pons, il est le moyen d’acquérir les oeuvres d’art sans laquelle la vie est moche. A leur opposé Grandet aime l’argent en soi. Il ne dépense rien... Enfin le baron Nucingen aime jouer. Spéculer et gagner la partie, c’est être le maître du monde, le plus fort. »
et de conclure
« Balzac fait donc entrer l’argent en littérature sous les formes le plus diverses et cela valait sans doute bien une faillite »
Le but de Titiou Lecoq n’est pas d’analyser chaque oeuvre en universitaire ni en biographe objectif mais de nous montrer, tout en présentant les grands thèmes de l’oeuvre de Balzac, les femmes, la religion, le mariage, la politique… combien celui-ci a porté sur sa société un regard perspicace, intelligent et même génial et en quoi cette société et les personnages qu’il a créés sont un miroir qu’il nous tend à travers les siècles.
Finalement, l’écrivaine a dressé un portrait de l’homme avec ses qualités, sa gentillesse, son beau regard, sa gaieté , son don pour l'amitié mais aussi ses faiblesses. Et j’apprécie la conclusion qui casse le mythe du Grand Homme, de l’Homme supérieur, providentiel.
« Personne n’aurait été capable d’écrire La comédie humaine. Mais celui qui l’a fait n’est qu’un simple être humain, pas meilleur que vous et moi »
Cette biographie est donc non seulement agréable à lire mais introduit des idées originales.
LC Voir Maggie
J'ai beaucoup de retard pour cette LC (désolée Maggie) mais enfin, voici mon billet !
Je n'ai pas encore trouvé d'avis négatif sur ce livre qui se lit quasiment d'un trait!
RépondreSupprimerMatière à réfléchir. Démarche très intéressante.
RépondreSupprimerJe l'ai noté celui-ci et il me tente toujours. Je m'aperçois que la bibliothèque ne l'a pas. Je vais le leur suggérer fortement.
RépondreSupprimerCoucou Claudia, ce n'est pas grave... on pardonne tout au balzacmania. Oui, une excellente bio que j'ai pris plaisir à lire :-) Je rajoute ton lien. Merci d'avoir participé :-)
RépondreSupprimerQuel régal ce bouquin!! et pourtant Balzac n'est pas mon classique préféré, loin de là! beaucoup de verve dans le style et elle le rend tellement attachant!
RépondreSupprimerj'ai beaucoup aimé le ton adopté!
RépondreSupprimerje l'ai noté évidement mais je suis un peu craintive devant ce genre de livre, ton avis m'importe et va faire pencher la balance je pense
RépondreSupprimerTu en rajoutes une couche, je n'ai lu que des avis très enthousiastes.
RépondreSupprimerJe crois que c'est la 1ère fois qu'un billet me donne envie de lire ce titre, qui a l'air original et très vivant !
RépondreSupprimervoilà il est sur mon étagère grâce à toi
RépondreSupprimerUn point de vue jubilatoire, c'est noté merci !
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