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mardi 25 octobre 2022

Hubert Haddad : L'invention du diable



 L’invention du diable de Hubert Haddad aux éditions Zulma raconte l’histoire de Marc Papillon,  seigneur de Lasphrise, poète. Vous avouerez qu’avec ce nom étrange, voire un peu ridicule, Papillon est un parfait personnage de roman. Erreur, car il a existé ! Il est né en 1555 près d’Ambroise. Son oeuvre poétique a survécu au temps même si elle est est moins connue que celle de ses illustres aînés, le "divin" Ronsard, Joachim du Bellay, Maurice de Scève, François Rabelais… Petit hobereau sans fortune dans son domaine tourangeau, Papillon, avant d’être poète, acquit une renommée de bravoure ainsi que moult balafres, cicatrices et coutures, au service des ducs de Guise pendant les guerres de Religion. Quand le capitaine Lasphrise, tout "envieilli", se retire dans son fief, sachez que le "rancuneux" Henri IV lui refuse même une pension pour ses exploits héroïques, preuve que la conversion du roi au catholicisme n’a pas complètement effacé son parpaillotisme … même si Paris vaut bien une messe ! Papillon se consacre à la poésie et à l’éducation de sa fille bien-aimée Marguerite. Il meurt en 1599. Enfin, il meurt ? Mais non ! il survit, comme nous l'apprend Hubert Haddad, car il fait un pacte avec le diable : il ne mourra pas tant que son oeuvre, enfin reconnue, ne  lui aura pas permis d’atteindre à la notoriété.

C’est dans ces vers que l’écrivain a trouvé le sujet du roman :

Démon témoin de mon jugement
Au risque d’en perdre âme et sang
Une plume à ma veine trempée
Scelle un contrat d’immortalité
Tant que gloire enfin me soit donnée
 Jamais serai-je en l’ombreux tombeau.


C’est donc ainsi que nous suivons les aventures de Papillon à travers les siècles, traînant avec lui la pesanteur de l’éternité et le désespoir d’un amour toujours renaissant et toujours mourant. L’éternité au goût de rien, à l’oublieuse mémoire qui laisse surgir, comme un éclair, un visage perdu dans les limbes du souvenir : "La sainte nature m’avait donné une enfant sur le tard. C’est à elle que je pense quelque fois." Sinon, rien !  L’éternité comme une "lassitude", comme une «"érosion", une "usure" qui "réduit à l’os" car  "On n’arrive pas à la gloire sans fatigue ". L’immortalité vécue comme une condamnation et, comble de dérision, condamnation que l’on s’est imposée à soi-même.

" A quelle étrangeté à soi faut-il accéder pour lâcher prise et devenir pareil aux vagues de la mer, à la neige vermeille de l’aube ou au bruissement des feuilles dans la lumière du soir. "  

L'invention du diable,  au-delà du fantastique, est donc la métaphore du Temps ou plutôt de ce rêve que tout être humain, même le plus humble, partage : faire échec au temps, laisser des traces, demeurer dans la mémoire des vivants. Or si cette recherche est commune à tous, elle l'est plus encore, à fortiori, pour le poète, l’écrivain. Ce que Boileau résume ainsi avec ironie :

"Sans cesse poursuivant ces fugitives fées
On voit sous les lauriers haleter les Orphées".

Au terme de son éternité Papillon se demandera si le jeu valait la chandelle, arrivant à la conclusion, après sa rencontre avec Napoléon et sa statue, que même l’immortalité est mortelle :

« Mais les statues vous ignorent : on les brise pour en élever d’autres qui subiront le même sort. ».

Le style de Hubert Haddad est poétique, recherché, brillant et riche avec ce rien de désuet dans la phrase et le vocabulaire qui permet d’évoquer le parler ancien de chacune des époques qu'il visite. Nous sommes au XVI siècle, avec Montaigne et Rabelais comme proches voisins, et nous passons de siècle en siècle, chez la marquise de Rambouillet, dans le salon des Précieuses, avec Voiture et Racan, séjournant à la Bastille dans la tour de la Bertaudière où notre Papillon mange à la table du marquis de Launay, gouverneur de la Bastille, juste avant les assauts de la Révolution. Nous parcourons l’Empire et découvrons son empereur déchu,  la Commune, la Grande Guerre, jusqu’à nos jours. Nous traversons les remous de l’Histoire tout en allant à la rencontre des écrivains, artistes, hommes célèbres.

Ce roman avait donc tout pour me plaire :  la réflexion philosophique sur le Temps soulignant l’éphémérité de la vie humaine, la dérision de l’immortalité; la découverte de ce poète du XVI siècle, Marc Papillon de Laphise, que j’aime beaucoup à travers les extraits qui nous sont proposés ; puis le  retour dans le passé avec  l’Histoire de la France, enfin l’introduction du fantastique.

Et pourtant j’ai éprouvé de la distance, parfois même  de l’ennui, en lisant ce livre. Certes, j’ai bien senti la nostalgie qui imprègne ces pages, j’ai été sensible à la souffrance du personnage, à l’horreur de l’immortalité qui dépossède de la mémoire, qui gomme les êtres que l’on a aimés. Mais en même temps je suis restée en dehors.  A force de  survoler les siècles, on en a une vision au pas de course, trop rapide, réduite souvent à des noms qui font plaisir au lecteur quand il les connaît sans que cela ne les fasse exister. Chaque période nous ramène aux sentiments du personnage, à son engluement dans la vase du Temps comme une sorte de leit-motiv. Voulu, peut-être ? pour évoquer  le lent passage du temps  et l'usure qu'il provoque. Mais cet effet répétitif nuit à l’intérêt du récit. Aussi, je ne suis pas parvenue à rester toujours "accrochée" même si j’ai ressenti de l’admiration pour le style. C’est déjà beaucoup, certes, mais, j’aime bien que l’on me raconte une histoire à laquelle j’adhère complètement et qui m’emporte.  Alors, à vous de lire ! Et vous me direz !


 

Lu pour le Prix littéraire des Avignonnais

 

La Ville d’Avignon lance le premier Prix littéraire des Avignonnais. À partir du 1er octobre et jusqu’au 12 novembre, les avignonnais et tous les amoureux de la littérature sont invités à élire, parmi les cinq ouvrages sélectionnés par les bibliothèques, les librairies d'Avignon, un professeur de lettres du lycée René Char et la directrice des bibliothèques d'Avignon, leur roman préféré issu de la rentrée littéraire d’automne. Lectures, tables rondes, midi-sandwichs et de nombreuses animations permettront de mieux faire connaître ces cinq ouvrages et de voter pour celui qui emportera le premier Prix.
Les cinq romans sélectionnés sont disponibles en prêt dans les bibliothèques de la Ville et à la vente dans les librairies partenaires.
 



 

« Qu’est-ce qui peut bien faire qu’une femme soudain abandonne celle à qui elle vient de dire, Quels merveilleux moments j’ai passés auprès de toi, aujourd’hui encore : je veux ça tous les jours de la vie ? » Tel est le questionnement auquel est confrontée Jenny après le départ d’Ève. Toutes deux apprendront que l’ on peut vivre une même histoire de deux façons totalement différentes ».

 
 

 

Le pion 
Paco Cerdà
  Éditions La Contre Allée 

 


Stockholm, hiver 1962. Deux hommes de mondes adverses se font face. Arturo Pomar, l’enfant prodige espagnol, affronte sur l’échiquier Bobby Fischer, un jeune Américain excentrique et ambitieux.
En pleine guerre froide, l’un était le pion du régime franquiste, l’autre sera celui des États-Unis.
    •    Première sélection du Prix du Meilleur Livre Étranger - catégorie non-fiction.

 
 

 

Eleftheria 
Murielle Szac  
Éditions Emmanuelle Collas 

 


 
1940, au nord de la Crète. La communauté juive célèbre Rosh Hashana. Rebecca écoute les commérages sur le futur mariage de Stella. On s’interroge aussi sur la guerre qui a commencé en Europe. Metaxas, le dictateur au pouvoir à Athènes, saura-t-il résister à Mussolini et à son allié, Hitler ? Bientôt, le bateau de Nikos, le Tanaïs, est réquisitionné par l’armée grecque. Malgré la menace, la vie continue… Jusqu’au matin du 20 mai 1941, lorsque le 3e Reich lance sur la Crète une invasion aéroportée. Faut-il fuir ou rester ? C’est l’heure de savoir si l’on est libre de choisir son destin.


 

 

Des rêves d’or et d’acier
 Émilie Tôn
 Éditions Hors d’atteinte 

 


 

 Je veux savoir comment mon père est arrivé dans cette Lorraine où l’acier s’écoule, comprendre comment il est devenu cet homme au destin plusieurs fois brisé, qui n’a jamais abandonné. Il l’a toujours dit : « Quand on a tout perdu plusieurs fois, on n’a plus peur de se lancer. »
 


 

 

 

L’invention du diable
 Hubert Haddad
 Éditions Zulma 

 



Papillon de Lasphrise s’est retiré dans sa tour d’ivoire angevine. Après une existence dédiée à l’amour et à la guerre, le voilà tout entier habité par le démon de l’écriture. Au soir de sa vie, il pactise avec le diable : tant que ses Poésies n’auront pas accédé à la postérité, il ne connaîtra pas le repos éternel. L’immortalité sera sa malédiction.
 

 

 

12 commentaires:

  1. J'ai tant à lire déjà (dont un autre titre d'Hubert Haddad) que je ne vais pas noter celui-ci, d'autant plus que ton avis est mitigé.

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  2. Tu nous diras ce que tu as pensé de cet autre titre de Hubert Haddad ? C'est le premier que je lis de lui et vraiment, à priori, il y a avait tout pour que j'aime ce roman mais... cela n'a pas marché, du moins partiellement.

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  3. J’ai beaucoup aimé Le peintre d’éventail et”Mā”. Je n’ai plus accroché à l’auteur après.

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    1. Il faudra que je lise le peintre à l'éventail? Cela vaut peut-être le coup de le lire si tu dis que tu as aimé car le style de l'auteur est très beau.

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  4. Merci pour la précision de ce billet. J'étais très curieuse de ce titre. Je comprends ce qui t'a tenue à distance, je crains de ressentir la même impression. De Hubert Haddad, j'avais beaucoup aimé Le peintre d'éventail, d'une grande beauté, avec sa dimension poétique également.

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    1. Même remarque que ci-dessus. J'ai regretté de ne pas plus adhérer à ce roman que le style de l'Invention du diable me plaisait.

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  5. J'avais lu un recueil de nouvelles qui m'avait plu il y a quelques années : http://legoutdeslivres.canalblog.com/archives/2010/09/03/18966810.html Et ce sont deux livres qui m'attendent dans ma PAL "Ma" et "Un monstre et un chaos".

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  6. De Hubert haddad, j'ai déjà lu Le peintre d'éventails et Casting sauvage (beaucoup aimé ces deux-là) puis Théorie de la vilaine petite fille et Corps désirable (moins aimés). Toutefois, j'aime son style... sinon, je n'aurais pas insisté ! ;-)

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  7. Je n'ai jamais essayé de lire cet auteur mais je commencerai pas par celui-là parce que tu sembles t'être ennuyée

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    1. Tous semblent unanimes pour dire que Le peintre à l'éventail ou Ma sont très réussis.

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