J’ai visionné l’autre soir un documentaire sur Mussolini. J’avais encore tout frais en mémoire le livre de Francesca Melandri Tout sauf moi et le regard horrifié qu’elle porte sur la colonisation de l’Ethiopie voulue par le Duce ! L’écrivaine y raconte les exactions commises dans ce pays, le "nettoyage radical" selon les mots de Mussolini de ce peuple considéré comme inférieur, qui se révolte et qu’il faut "pacifier" - bel euphémisme - en rasant les villages, condamnant les hommes à la pendaison, donnant les femmes aux soldats et enfermant ceux qui restent dans des camps comme l’Italie l’avait déjà fait en Lybie. Je dois dire, au passage, même si ce n’est pas le sujet, que la France, tout comme l’Italie, n’est pas en reste quand il s’agit des violences de la colonisation.
Le livre de Francesca Melandri tout comme le documentaire que j’ai regardé relate le massacre d’Addis-Abeba et décrit le tragique épisode au cours duquel l’armée italienne gaze la population réfugiée dans une grotte et extermine ceux qui essaient de s’enfuir. L’écrivaine met en parallèle l’Italie de l’époque mussolinienne et celle de l’époque berlusconienne dans laquelle des ministres et des députés passifs et obéissants à la voix du maître acceptent les réductions des libertés, le racisme, le mensonge et la corruption. Elle dénonce le sort des immigrés en particulier des éthiopiens menacés par un régime totalitaire qui fuient leur pays et se retrouvent en Italie, enfermés dans ce qu’il est de bon ton d’appeler des "centres" mais qui ressemblent fort à des prisons.
"Le voilà encore le temps de la réclusion, des endroits où Dieu est plus silencieux qu'un mur : il coule visqueux par un trou dans la poitrine, la remplit de noir. Mais ici, ce n'est pas la Lybie, c'est l'Italie civilisée. On peut se lever, marcher, aller dans la cour, fumer une cigarette si on a l'argent. Il y a des douches même si elles sont froides. Les toilettes sont des vraies, et pas seulement un seau pour cent personnes, les portes sont enfoncées, mais en général la chasse à eau fonctionne. L'eau à boire est abondante, on ne meurt pas de soif. Les repas sont réguliers même s'il n'y a ni table ni chaises et qu'on doit les prendre assis sur le lit.
C'est un centre et le jeune homme, ainsi que tous les autres, est un hôte pas un détenu. Et pourtant, exactement comme dans la grande salle de Tripoli, personne ne sait quand il pourra sortir."
Ce roman historique - Nous sommes en 2010 - fait vivre des personnages fictifs pour la plupart ou réels dans cette ville gigantesque, Rome, dont les habitants sont malmenée, excédés par le bruit, les incivilités, l'impossibilité de se garer, les embouteillages, le manque de transports publics, tous ces maux, liés à une circulation automobile saturée, et qui grignotent la tranquillité de l’esprit. Rome où les problèmes que posent l’immigration, la pauvreté, le chômage, l’insuffisance des moyens accordés à l’école, la densité des populations dans des immeubles surchargés, soulèvent les relents méphitiques d’un racisme latent ou exprimé par la montée de l’extrême-droite. Rome, objet de Haine et d’Amour (et oui, cornélien !) pour Ilaria, romaine, hélas ! et fière de l'être, Rome, enfin, comme personnage à part entière du roman !
Ilaria est enseignante. Elle est la fille d’Attilio Profeti mort à l’âge de 97 ans après avoir gagné (du moins c’est ce qu’il croit ) le concours de celui qui mourra le dernier dans son entourage : Tous sauf moi ! Ilaria a déjà beaucoup de choses à reprocher à ce père, si beau que toutes les femmes tombent dans ses bras, si beau qu’il est choisi pour représenter la supériorité de la Race (italienne, bien sûr) sur le peuple noir d’Ethiopie. Elle a d’abord eu un choc quand elle a appris que son père menait une double vie à Rome dans deux foyers différents et avait un autre fils, en plus de ces trois enfants légitimes. Aussi quand elle voit, en rentrant chez elle, un jeune homme noir qui dit être son neveu, Ilaria tombe des nues ! Il se nomme : Shimeta Ietmgeta Attilaprofeti et affirme être le petit-fils d'Attilio Profeti et d’une femme éthiopienne Abeba, avec qui Attilio Profeti aurait eu un fils.
C’est le début de la découverte du passé de son père, de son rôle actif dans le régime mussolinien et la colonisation éthiopienne. Ilaria est une femme droite, exigeante envers elle-même et envers les autres. Pour elle qui met son honneur non dans « l’apparence » mais dans ce qu’elle est « vraiment », qui est « une de ces personnes peu ambitieuse sur le plan social mais beaucoup plus sur le plan existentiel », cette découverte est un séisme ! Son demi-frère Attilio sera à ses côtés pour faire face à cette situation et aux difficultés liées à l’arrivée de cet immigré clandestin, leur neveu, donc ?
Le style de Francesca Melandri est à la hauteur de ce passé mouvementé et violent et de ces personnages entiers. Il offre parfois des fulgurances qui donnent beaucoup de force à la dénonciation de toutes les oppressions, de toutes les dictatures. Il résonne clairement dans une Italie en train de basculer vers un choix douteux.
Une auteure que j'apprécie énormément et qui de roman en roman construit vraiment une oeuvre j'ai aimé tous ses romans celui ci est certainement le plus abouti
RépondreSupprimerOui, c'est un roman très fort.
SupprimerC'est un de mes coups de cœur de l'année. C'est un roman édifiant, et qui en plus bénéficie d'une parfaite maîtrise narrative.
RépondreSupprimerC'est exact ! Et le contexte, le parallèle entre le présent et le passé, sont passionnants.
SupprimerJe l'ai noté et il ne faut pas que je le perde de vue, surtout en ce moment. Je pense qu'il peut aider à comprendre ce qui se passe aujourd'hui en Italie.
RépondreSupprimerOui, il explore Mussolini et la période de Berlusconi.
SupprimerCe n'est pas vraiment la période actuelle mais celle de Berlusconi mise en parallèle avec celle de Mussolini mais on sent bien la montée des tensions liées à l'immigration et les problèmes qui se posent.
Supprimerdepuis que j'ai lu plus haut que la mer de cette romancière, j'avais envie de lire ses autres romans... J'ai écouté sa présentation de ce roman lors d'une conf et j'aime beaucoup... Il ne me reste plus qu'à le lire !
RépondreSupprimerEt moi, il faudra que j'en lise d'autres.
SupprimerC'est une autrice que je n'ai toujours pas lu mais tu m'en donnes bien envie !
RépondreSupprimerOui, c'est vraiment à lire !
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