La guerre des salamandres de l’écrivain tchèque Karel Capek est l’un de ces livres dont le titre m’a interpellée pendant des années, cité très souvent comme l’un des plus grands classiques de la science-fiction politique et aussi comme un texte visionnaire. Une de ces oeuvres dont vous vous dites chaque fois : "Il faut que je la lise » ! Lecture à faire toujours repoussée, oubliée, mais qui reste dans un coin de votre mémoire. Et puis soudain dans le cadre du mois de La littérature de l’Europe de L’Est, voilà que, sans l’avoir cherché, à la bibliothèque, je tombe sur ce livre. Enfin !!
« Que dirions-nous si une espèce animale autre que l’homme proclamait que, vu son nombre, elle possède seule le droit d’occuper le monde entier et de dominer toute la nature » écrit Karel Capek quand il publie La guerre des salamandres. Nous sommes en 1936. Hitler est au pouvoir depuis 1933 et Capek ajoute à propos de l’histoire qu’il a imaginée dans laquelle les salamandres prennent le pouvoir : « La critique l’a qualifiée de roman utopique. Je m’élève contre ce terme. Il ne s’agit pas d’utopie, il s’agit d’actualité. ». Une actualité qui allait bientôt aboutir à la deuxième plus grande boucherie du XX siècle mais Capek ne serait plus là pour la vivre. Il est mort en 1938. On peut dire pourtant qu’il l’avait prévue.
La salamandre géante de Chine : 200 ans, 1m 40, 50 kg |
Dans une petite île près de Sumatra, le capitaine Jan Van Loch découvre une espèce de salamandres douées d’intelligence, adaptées au milieu marin, qu’il décide d’utiliser pour exploiter les perles huitrières. C’est le début d’un capitalisme paternaliste à petite échelle et encore humain, car le capitaine adore ses salamandres et veille à ce qu’elles ne soient pas maltraitées. Mais à sa mort, plus rien ne retient les grandes sociétés capitalistes et c’est par millions qu’elles élèvent les salamandres, les vendent, les utilisent pour tous les grands travaux sous-marins, les instruisent militairement et leur donnent des armes pour faire d’elles de la chair à canon. Mais…. Les salamandres de plus plus nombreuses se révoltent et prennent le pouvoir.
Dans ce roman Karel Capek, sous le couvert d’un roman fantastique, dénoncent toutes les abjectes idéologies en isme en commençant par le capitalisme, le nationalisme, le militarisme et l’impérialisme, le racisme…
Les salamandres représentent les classes laborieuses malheureusement exploitées, des êtres intelligents considérés comme du bétail, achetés et vendus comme jadis les esclaves africains, sujets d’expériences médicales pour les progrès de « la science », puis au fur et à mesure que les salamandres développent une intelligence supérieure et que leur nombre s’accroît, elles vont symboliser l’impérialisme qui chercher à accroître ses territoires au détriment des autres peuples, puis la dictature en prenant le pouvoir.
Les salamandres représentent les classes laborieuses malheureusement exploitées, des êtres intelligents considérés comme du bétail, achetés et vendus comme jadis les esclaves africains, sujets d’expériences médicales pour les progrès de « la science », puis au fur et à mesure que les salamandres développent une intelligence supérieure et que leur nombre s’accroît, elles vont symboliser l’impérialisme qui chercher à accroître ses territoires au détriment des autres peuples, puis la dictature en prenant le pouvoir.
Karel Capek manie l’humour avec brio, et épingle tour à tour toutes les nations, en mettant en valeur leurs travers et leurs faiblesses et chacun en prend pour son grade, l’antisémitisme des allemands, l’orgueil et la prétention à la
supériorité des anglais, le racisme des Etats-Unis avec les agissements
haineux du Ku kux Klan, la vanité culturelle des français, et ceci pour notre plus grand plaisir !
Sous cette apparente de légèreté, le propos est pourtant sombre et grave car Capek a une vision lucide de la société de son temps et des dangers du national-socialisme. C’est un monde bien réel que l’écrivain dénonce et dont il fait la satire. Il déjà tout compris de ce qui est en train de se mettre en place en Allemagne.
Tout en soulevant les questions philosophiques et morales liées à l’exploitation des salamandres, il réalise aussi une satire des législateurs qui multiplient les lois sans se mettre d’accord et sans cohérence, des savants qui écrivent des thèses d’une vacuité absolue.
Tout en soulevant les questions philosophiques et morales liées à l’exploitation des salamandres, il réalise aussi une satire des législateurs qui multiplient les lois sans se mettre d’accord et sans cohérence, des savants qui écrivent des thèses d’une vacuité absolue.
Et il observe la menace montante du totalitarisme et les réponses inadéquates des nations qui laissent se développer cette peste brune sans réagir, des journaux qui ne s’intéressent qu’au sensationnel, à l'anecdote croustillante, et trahissent leur rôle d’éclaireur et d’éveilleur, du cinéma qui joue sur le strass et les paillettes et ne se préoccupe que de l’intérêt économique du film, n’apportant ainsi aucune réflexion sur le monde en crise.
Et oui, l’on rit en lisant La guerre des salamandres mais l’on ne peut s’empêcher de penser avec effroi à «l’ actualité » - du propos comme le soulignait l’écrivain lui-même -, une actualité qui est aussi et toujours la nôtre et pas seulement celles des années 1930. A lire !!
Nommé sept fois pour le Nobel de Littérature en 1932 et 1938, Karel Čapek, né le 9 janvier 1890 à Malé Svatoňovice dans la région de Hradec Králové en Bohême, mort le 25 décembre 1938 à Prague, est l'un des plus importants écrivains tchèques du XXᵉ siècle
Et bien on peut dire que tu auras été un pilier de cette activité, bravo ! Comme toi, c'est un titre que je me promets de lire depuis longtemps, et il a l'air passionnant... allez hop, sur la liste des priorités !
RépondreSupprimerMerci ! Il est très intéressant, en effet, et d'une lucidité incroyable.
SupprimerOh, il me tente celui-là! Le sujet m’intéresse. Je le note!
RépondreSupprimerDaphné
J'irai peut-être un jour lire un billet de toi sur ce livre. C'est un grand classique à l'égal de 1984.
SupprimerQuel plaisir de te voir chroniquer Karel Capek! De surcroît de cette façon. J'avais lu de très bonnes critiques sur ce livre, il me faut absolument le lire. Dans un registre humoristique, j'avais beaucoup aimé "L'année du jardinier" ; ou alors (très différent) ses "Entretiens avec Masaryk", l'ancien premier président de Tchécoslovaquie, qui mourut 1 an avant Capek.
RépondreSupprimerMerci pour ces titres, je les note aussi. Je fais provision de livres des pays de l'Europe l'Est pour ... des années, je crois !
SupprimerJe n'en ai jamais entendu parler, ça a l'air tout à fait intéressant. Je pourrais faire un petit rapprochement avec Barjavel que j'ai relu récemment ; faire du fantastique pour dénoncer... C'est souvent efficace ! Le dernier Claudel me tente aussi ; faire réfléchir mais sans le côté fantastique ;-)
RépondreSupprimerBarjavel fait partie des récits apocalyptiques que j'ai aimés. Capek va encore plus loin que Barjavel. Son analyse politique du monde occidental, du capitalisme et du nazisme est d'une lucidité et d'une intelligence impressionnantes.
SupprimerOh mais je l'ai lu celui là, bonne pioche inattendue dans ma bibli!
RépondreSupprimerBonne pioche, en effet ! Allez, à vos marques, prête, partez !
SupprimerJ'adore ce livre et cet écrivain… Je peux aussi te conseiller "La fabrique d'absolu" (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerMerci pour le titre; je comprends que tu l'aimes !
Supprimerun roman que j'ai lu il y a longtemps mais dont j'ai bien gardé en tête le propos, Capek peut se positionner aux côtés de Orwell, même type de propos, même mise en garde
RépondreSupprimerDes hommes que l'on a trop peu écouté et suivi
Exactement Capek et Orwell sont au même niveau, deux grands chefs d'oeuvre qui, de plus, sont dérangeants..
SupprimerUn autre qu'il faut absolument que je découvre ! Je me souviens qu'il y avait un de ses livres il y a quelques décennies chez mes parents, le nom de l'auteur m'intriguait lorsque je lisais les tranches des livres... (et voilà pourquoi j'adore la littérature étrangère !) :)
RépondreSupprimerEt oui, les livres d'une bibliothèque, même quand on ne les a pas encore lus, ont déjà une grande influence sur nous.
SupprimerJe ne suis pas trop branchée SF mais ton image m'impressionne, je ne savais pas qu'une telle bestiole existait. Je préfère les petites salamandres de mon jardin mais je ne les regarderai peut-être plus du même oeil !
RépondreSupprimerSF est une désignation comme une autre pour désigner un roman qui parle de l'actualité pour mieux attirer notre attention sur les dangers qui menacent nos sociétés.
SupprimerJe ne connaissais pas du tout ce titre, ni l'histoire ! Elle a de quoi me plaire et elle n'a rien perdu de son actualité, comme tu dis, hélas.
RépondreSupprimerOui; j'espère que tu le liras un jour et qu'il te plaira.
SupprimerCelui-ci me tente depuis bien longtemps. Malheureusement, ils ne l'ont pas à la bibliothèque (mais je finirai par l'acheter un jour).
RépondreSupprimerC'est sûr que en tant que classique, il est assez incontournable. Je ne sais combien de fois je l'ai vu cité dans des textes d'analyse littéraire.
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé ce livre. Est-ce que je peux te demander ou est-ce que t'as trouvé ces citations de Karel Capek (en bleu sur ton article)? J'aurais bien aimé lire une interview ou un document de l'auteur qui explique un peu son roman... Merci!