Jacopo da Pontormo, peintre maniériste florentin est mort le 1er janvier 1557 dans la chapelle de l'église San Lorenzo où il peignait des fresques*, travail commandé par Cosimo de Médicis, duc de Florence, et dont l'artiste aurait voulu qu'elles soient à l'égal de celles de la chapelle Sixtine. Laurent Binet imagine qu'il a été assassiné par une main inconnue et son roman Perpectives(S) se veut alors une enquête policière pour déterminer qui est l'assassin.
La déposition de Pontormo église Sante Felicita Florence |
Le roman est intéressant parce qu'il fait revivre une période de Florence assez délétère où les factions politiques se déchaînent. La reine de France, Catherine de Médicis et son cousin Pietro Strozzi dont le père Philippe Strozzi, républicain, a été exécuté par Cosimo de Médicis, cherchent à mettre la main sur le duché de Florence avec l'aide de l'armée français pendant que Cosimo, grand-Duc de Florence, allié à l'Espagne par son mariage avec Eleonore de Tolède, essaie de se concilier les bonnes grâces du pape Paul IV ( Gian Pietro Carafa) pour être reconnu roi de Florence. Pour les arts, c'est une période néfaste. Le pape, ancien contrôleur général de l'Inquisition, intolérant, puritain, dans cette période de la contre-réforme, condamne le nu et fait "habiller" ou plutôt "culotter" les peintures de Michel-Ange. A Florence, Pontormo considéré comme licencieux s'est attiré la haine de la bigote et fanatique duchesse de Florence, Eleonore de Tolède. Les idées de Savonarole, pourtant mort en 1498, refont surface et ne favorisent pas non plus la liberté de l'artiste. Triste période pour les Arts !
Agnolo Bronzino : Eleonore de Tolède et son fils |
C'est un plaisir de retrouver dans ces pages tous les artistes rencontrés au cours de mes voyages à Florence : Giorgio Vasari, l'auteur des Vies des peintres, bras droit de Cosimo dans l'enquête sur l'assassinat, Jacopo da Pontormo, vieillard irascible, hanté par la mort, son élève Giambattiste Naldini, Michel-Ange lui-même toujours en exil à Rome, Le Bronzino et ses portraits de la famille ducale, Sandro Allori, son élève, sans oublier le mauvais garçon, l'orfèvre, Benvenuto Cellini.
Salière de Benvenuto Cellini |
Par contre, je n'ai pas apprécié le choix du roman épistolaire que j'ai trouvé faux, artificiel : les lettres de nombreux correspondants, toutes écrites dans le même style, ne réflètent ni le caractère, ni la psychologie, ni l'origine sociale, ni la culture des personnages. Ce sont pourtant ces qualités que l'on attend d'un vrai roman épistolaire et qui en font l'intérêt ! Dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi choisir cette forme plutôt que le roman. Je me suis passablement ennuyée à certains moments, à l'exception de celles de Maria de Médicis*, fille de Cosimo et Eleonor, dont on sent la vulnérabilité et la naïveté (Laurent Binet imagine que celle-ci est morte en couches à la suite d'une fugue avec son amant qui l'abandonne, enceinte). Enfin, j'ai trouvé deux lettres supérieures à toutes les autres, vraiment passionnantes celle ou Vasari échappe à la mort grâce, dit-il, à la perspective, reconnaissant ainsi le talent des illustres prédécesseurs, Paolo Ucello, Brunelleschi ou Masaccio et la magnifique réponse de Michel-Ange qui montre la puissance de l'Art comme témoin de la grandeur humaine.
« Nous l'avons méprisée . Mais nous ne l'avons jamais oubliée.
Comment aurions-nous pu ? La perspective nous a donné la profondeur. Et la profondeur nous a ouvert les portes de l'infini. Spectacle terrible. Je ne me rappelle jamais sans trembler la première fois que je vis les fresques de Masaccio à la chapelle Brancacci. Quelle connaissance merveilleuse des raccourcis ! L'homme d'aplomb, enfin à sa taille, ayant retrouvé sa place dans l'espace, pesant son poids, chassé du paradis mais debout sur ses pieds, dans toute sa vérité mortelle. L'image de l'infini sur la terre (…) L'artiste est un prophète parce que, plus que les autres, il a l'idée de Dieu, qui est précisément l'infini, cette chose impensable, inconcevable. »
Masaccio :Adam et Eve chassés du Paradis |
Enfin, le dénouement qui permet de découvrir l'assassin homme ? ou femme ? (Je n'en dirai pas plus !) du Pontormo, est aussi un moment de surprise pour le lecteur et l'on sent que Laurent Binet s'est bien amusé à nous mystifier !
Bronzino : Maria de Médicis |
*
Maria de Médicis devait épouser Alphonse II d'Este, duc de Ferrare,
à la sinistre réputation. A sa mort (peut-être du paludisme ?? Cf Wikipedia
), c'est sa jeune soeur Lucrèce qui doit la remplacer pour cette
funeste union. Hasard de la parution, le destin de Lucrèce si mal
mariée est le thème du livre de Maggie O' Farrel : Le
portrait de mariage.
Alessandro Allori : Lucrezia de Médidis |
* les fresques du Pontormo ont disparu.
Voir aussi Je lis je blogue : Perspectives Ici
Donc, en dépit du petit bémol sur la forme épistolaire, tu as apprécié le roman. Pour ma part, cela ne m'a pas gênée. Je me suis tellement laissée emportée dans l'intrigue et l'atmosphère de l'époque que rien n'aurait pu altérer mon plaisir.
RépondreSupprimerSi je peux me permettre, l'intérêt de la forme épistolaire est d'abord que le lecteur en sait plus que chacun des personnages, mais sans pourtant connaître toutes les informations, ce qui semble pertinent dans un roman policier. Et il y a aussi un jeu de chronologie en général puisque l'envoi des lettres est plus lent que celui des mails. Mais je n'ai pas lu le livre, donc je n'en dis pas plus !
RépondreSupprimerOui, c'est vrai qu'il s'agit d'un roman policier et bien, sûr, le lecteur doit en savoir plsu que chaque personnage sans connaître toutes les informations; Mais cela est vrai aussi même si la forme n'est pas épistolaire; c'est le propre d'un roman policier quel qu'il soit. Bien sûr le roman épistolaire doit faire avancer l'action mais pour moi son intérêt principal est de révéler le caractères du personnage par l'intérieur. Or, j'ai trouvé qui si Laurent Binet y parvenait pour certains personnages, il n'y arrivait pas pour d'autres. Et cette succession de lettres dans lesquelles le style est toujours le même sonnent faux. D'autre part, certains de ces personnages ne savaient peut-être même écrire ou à peine, et de toutes façons n'auraient pas confié à l'écrit des pensées qui auraient pu les envoyer sur le bûcher dans ce siècle d'inquisition ! Bref ! je n'ai pas pu y entrer complètement !
SupprimerDécidément, on voit beaucoup ce livre partout, à juste titre manifestement. Ce sera pour moi, quand je le trouverai, l'occasion de découvrir Laurent BInet.
RépondreSupprimerJe crois qu'il a reçu un prix pour le roman Historique ?
SupprimerComme toi, ce fut un bonheur de voyage temporel en Italie cette lecture. En revanche, la forme épistolaire m'a entraînée, j'ai aimé ces voix qui se croisent. Nous nous retrouvons sur cette fabuleuse lettre consacrée à la perspective et au rôle de l'artiste. Merci pour cette lecture commune, au plaisir d'un prochain titre partagé. Marilyne
RépondreSupprimerj'ai noté ce livre puis je l'ai enlevé de la liste à entendre des critiques vraiment mauvaises j'ai l'impression que tu te situes au milieu, bien le sujet mais dommage pour l'aspect épistolaire qui ne présente pas vraiment d'intérêt donc je vais le mettre un peu en fin de liste :-)
RépondreSupprimerDommage pour la déception, les avis ont l'air assez partagés sur ce dernier roman. Normalement je vais bientôt à une rencontre avec lui, il parlera peut-être de cette forme épistolaire.
RépondreSupprimerj'ai beaucoup aimé cette plongée dans l'art et dans la Florence de la Renaissance, la forme ne m'a pas gênée, mais je comprends ton bémol
RépondreSupprimerIl me fait bien envie malgré ton bémol sur les lettres et la forme épistolaire ! Envie de peinture et d'Italie!
RépondreSupprimerComme tu l'avais déjà évoqué sur mon blog, je retrouve ici ton reproche sur la crédibilité de la narration, qui m'incite à faire l'impasse sur ce titre sans regret (il est déjà bien difficile de trancher parmi les titres de cette rentrée littéraire).
RépondreSupprimermiriam : je me suis bien amusée et fort instruite! Belles illustrations aussi (je dois me restreindre pour illustrer mon blog, je n'ai presque plus de place dans la galerie WP). Merci encore et je mets ton billet en llien
RépondreSupprimerje me suis vraiment perdu dans ce roman , il y a trop d'intrigues différentes qui auraient pu au moins faire le sujet de cinq ou six romans différents. la forme épistolaire a beaucoup contribué à me perdre
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