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jeudi 2 novembre 2023

Maggie O'Farrell : Le portrait de mariage

 

Dans Le portrait de mariage, Maggie O’Farell nous transporte dans la Renaissance Italienne, dans les années 1550  et 1560, à Florence sous le règnes de Cosme II, grand Duc de Toscane et de son épouse Éléonore de Tolède puis à Ferrare dans le château des ducs d'Este.

Le hasard de mes lectures a fait que Le Portrait de mariage semble faire suite à Perspectives dans lequel Laurent Binet  présentait Maria de Médicis, la fille aînée de ces souverains toscans, fiancée à Alfonso II d’Este, duc de Ferrare. Mais cette dernière meurt à l’âge de dix-sept ans avant le mariage. Maggie O’Farrel raconte, elle, l’histoire de sa soeur Lucrèce contrainte d’épouser le duc à l’âge de treize ans à la place de Marie et de quitter sa famille à 15 ans pour un exil douloureux à Ferrare où elle mourra un an après…

 

Marie de Médicis Bronzino


On sait peu de choses sur Lucrèce de Médicis et sa courte existence aussi l’écrivaine a dû faire largement appel à son imagination. Et il y des passages réussis, en particulier, la description de l’enfance de la fillette et de ses frères et soeurs dans « la pouponnière » du  Palais Médicis, neuf enfants dont l’aînée est Maria, entourés des nourrices, des serviteurs et des précepteurs qui se succèdent pour enseigner le grec et le latin, la musique ou la danse et pour les garçons les arts martiaux. Une enfance cloîtrée ! Les filles ne peuvent pas se mélanger au peuple et ne sortent pas du palais. C'est du haut des remparts d’où elles aperçoivent le David de Michel Ange, qu’elles observent la place de la Seigneurie, les va-et vient de la foule, les fêtes somptueuses, les pallios, organisées par son père… Lucrèce n’en sortira que pour son mariage à l’église de Santa Maria Novella. La ménagerie de son père installée dans le palais (dont l’odeur incommode tant Eleonore que la cour finira par déménager au Palazzo Pitti) donne lieu à une belle scène. Lucrèze y découvre la tigresse arrivée au palais en 1552 et un lien se crée entre la fillette et le fauve, peut-être suggère l’auteure, en raison de leur appartenance à la même espèce, celle des solitaires, peut-être en raison aussi de leur destin semblable, privation de liberté et impossibilité du choix. 

« Ses mouvements étaient aussi fluides que du miel tombant d’une cuillère. Elle sortit  de l’ombre de sa cage  comme si la jungle tout entière était son royaume, faisant rouler sous ses pattes la terre de Florence qui composait ce sol crasseux. (…) Cette bête frémissait, crépitait, bouillonnait, habitée par un feu, étonnante avec sa gueule à la symétrie parfaite. Lucrèce n’avait jamais rien vu d’aussi beau de toute sa vie. La flamboyance de ce dos et de ces flancs, ce bas-ventre clair. Les marques sur son pelage, remarqua-t-elle, n’étaient pas des rayures, non, le mot était trop faible. Elles étaient une dentelle noire et virtuose, une parure, un camouflage, elles la définissaient, la sauvaient. (…)
Lucrèce ressentait la tristesse, la solitude qui se dégageaient de la bête, son traumatisme d’avoir été arrachée de son environnement.»

 

Lucrèce de Médicis, duchesse de Ferrare



 Bien sûr, ce qui intéresse Maggie O’Farell à travers la vie de ce personnage, c’est le thème féministe. La jeune fille n’a jamais le choix ni de vivre librement, ni de choisir son époux, ni de penser, de donner son avis, de décider de quoi que ce soit. Elle passe de la tutelle de ses parents à celle de son époux et est considérée surtout et seulement comme une reproductrice. Or, comme elle ne parvient pas à être enceinte (et pour cause le duc Alfonso, stérile, se mariera trois fois sans avoir d’héritier), elle devient gênante. Mais est-elle morte assassinée par son mari comme les rumeurs l’ont laissé entendre ou des suites d’une maladie ? Les Historiens d’aujourd’hui penchent plutôt, d’après les symptômes, pour un décès lié à la tuberculose. L’écrivaine a le choix et reprend la thèse de l’assassinat qui est bien, d’ailleurs, dans les moeurs du temps puisque la soeur de Lucrèce, Isabella de Médicis, a été tuée, étouffée dans son lit par son mari Paolo d’Orsini aidé de François, son frère, devenu le grand-duc de Florence après la mort de Cosme II. Et le frère de Lucrèce, Pierre, s’est débarrassé de son épouse de la même manière sans être autrement inquiété !

Isabella de Médicis


Ce que je n’ai pas apprécié, par contre, c’est la fin extravagante, invraisemblable, imaginée par Maggie 0’ Farrell dans le dénouement qui m’a paru un peu fleur bleue, ni les libertés qu’elle a prises avec l’Histoire quand celle-ci est avérée comme par exemple de changer les noms de soeurs du Duc de Ferrare ou de  rendre Lucrèce témoin d’un évènement qui n’aura lieu qu’après la mort de la jeune femme. Dans un roman historique, on peut remplir les cases manquantes par l’imagination mais ne pas jouer avec les faits certains même si c’est pour des raisons dramatiques.

Comme on peut s’en rendre compte à la lecture de l’extrait ci-dessus la langue est riche, évocatrice, le style très travaillé, ciselé mais presque trop, entravant parfois le récit, les pensées de la jeune femme imaginées si minutieusement par l’auteur prenant forcément le dessus sur l’intrigue et les faits historiques. On a parfois l’impression de faire du surplace ! Une certaine lassitude naît par moments de toutes ces longueurs surtout dans les passages qui se déroulent à Ferrare. Le livre est donc intéressant et présente des qualités mais il n’a pas totalement emporté mon adhésion.

 

René de France


 J'ai découvert un personnage secondaire du roman qui est aussi très intéressant : C’est Renée de France, fille du roi français Louis XII, épouse du Duc de Ferrare Hercule II d’Este, père du duc Alfonso II. Protestante, elle accueille à la cour de Ferrare de nombreux réformés dont Calvin sous un nom d'emprunt et ne renonce jamais à sa confession. Elle s'attire les foudres du pape et part en France dans son comté de Montargis.


Alfonso II duc de Ferrare

D’autre part, il est question dans le roman de Maggie O'Farell du portrait de mariage de Lucrèce commandé par le duc Alfonso au peintre Bastiniano,  portrait qui renvoie au poème de Robert Browning My last Duchess (1842) dans lequel le poète imagine le duc de Ferrare montrant le tableau de Lucrèce qu'il a assassinée, oeuvre d'un peintre fictif Pandolf, à l'émissaire qu'il reçoit pour conclure son second mariage. 

Là, peinte au mur, c'est ma dernière duchesse,

 
Ne la croirait-on pas vivante ? Cette œuvre 


est une merveille, savez-vous ? 

Les mains de Frère Pandolf 


se sont affairées une journée entière, et la voici, en pied. 


Vous plairait-il de vous asseoir et de la contempler ?

 
J'ai dit « Frère Pandolf » à dessein, car, voyez-vous, 

aucun étranger n'a jamais lu ce visage ici peint comme vous le faites, 


la profondeur, la passion, la détermination de son regard, 


sans se tourner vers moi (car personne d'autre ne tire le rideau, 


comme je viens de le faire pour vous)...

Voir  l'avis d'Eimelle Ici 

16 commentaires:

  1. il s'enchaîne très bien avec Perspectives en effet (qui reste mon préféré des deux!)

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    1. Moi, je n'ai pas complètement été enthousiasmée par les deux pour des raisons différentes mais ils ont tous les deux des qualités.

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  2. Je viens de lire (en 24 h!!!) Perspectives, vraiment enchantée tellement je me suis amusée, là on est dans un autre genre on dirait, pas sûr que ça me plaise. Mais au moins on en apprend sur cette période où être femme de la noblesse n'était pas enviable...

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    1. Oui, tous deux sont sur la Renaissance mais dans un genre très différent, l'un un pseudo policier, l'autre un roman pas entièrement historique. J'ai un bémol pour la forme épistolaire du premier et pour les longueurs de l'autre.

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  3. je trouve qu'il y a en ce moment un rien de surdosage des romans sur la Renaissance et ça me rend toujours un peu méfiante, je vais noter celui là malgré ton bémol que je comprends très bien mais c'est vrai que j'aime l'auteur et sa façon de raconter alors je vais peut être me laisser aller

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    1. J'ai lu des critiques qui disent toutes que Le portrait de mariage est moins bon que Hamnet de la même auteure. Je n'ai pas lu ce dernier mais cela m'a donné envie de le lire et je vais essayer de la trouver en bibliothèque.

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  4. J'ai prévu de lire ce livre dès que j'en aurai l'occasion mais il n'est pas dispo à la bibli. Je pense effectivement qu'il doit être intéressant de le lire parallèlement à Perspectives de Binet.

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    1. Oui, c'est intéressant de les lire à la suite mais c'est juste anecdotique. Je veux dire que cela ne change rien à la lecture si l'on n'a pas lu l'un ou l'autre.

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  5. miriam : Comme eimelle et keisha ce serait une lecture qui s'enchaînerait avec Perspective(s) mais le manque de rigueur historique me gêne un peu. A propos, est ce que le livre voyageur a un(e) autre destination? ou je te le renvoie?

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    1. Ce n'est pas tant un manque de rigueur historique qu'un volonté délibérée de l'auteur de prendre des libertés par rapport à l'Histoire. On peut le comprendre car elle écrit sur un personnage dont on ne connaît, en fait, que la naissance, le mariage et la mort, donc elle invente, imagine. Cela ne me gêne que lorsqu'elle modifie les faits historiques pour rendre son récit plus clair et plus dramatique.
      Tu peux garder le livre où le faire circuler, le prêter à tes amis, à ton gré...

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  6. Enfin les femmes, historiennes, écrivaines, s'attélent à découvrir et raconter les femmes du passé. Chose compliquée, oui, mais pas impossible semble-t-il, car, malgré eux les hommes (et certaines famemes) ont laissé des traces, des indices....

    Le portrait de Lucrèce est magnifique et son regard pourrait être assimilé à celui d'une tigresse, mais oui, d'une superbe tigresse.

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    1. Ce qui me paraît le plus injuste c'est la manière dont les femmes artistes les scientifiques etc... ont été étouffées pendant des siècles. Aujourd'hui on redécouvre des peintres, des compositrices...

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  7. j'aime bien cette écrivaine britannique, dommage pour la fin mais j'ai quand même envie de lire ce roman.

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    1. Les lecteurs qui ont lu Hammet le trouve supérieur à celui-ci.

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  8. C'est bien intéressant, ce thème ! Je ne connais pas cette auteure et dès que j'aurai du temps, je le feuilletterai. Je partage votre avis sur le respect des faits historiques mais quand on est romancier, on se sent vraiment libre alors... on invente !
    Bonne journée.

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  9. je n'ai pas trop aimé "perspectives" mais d'habitude j'aime bien cette écrivaine, alors ? je crois que je vais laisser passer du temps

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