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lundi 6 novembre 2023

Guy Boley : A ma soeur et unique



Je n’ai jamais lu Nietzsche. Pendant très longtemps il a été lié pour moi à Wagner et aux milieux antisémites du XIX siècle, et, plus tard, à l’idéologie nazie jusqu’au jour où j’ai lu un article sur le rôle pervers joué par sa soeur Elizabeth dans sa vie et son oeuvre. Aussi lorsque j’ai vu ce livre de Guy Boley  A ma soeur et unique , j’ai su qu’il me fallait ce livre tant le sujet m’intéressait.

La jeune Elizabeth Nietzsche


Fritz et sa soeur Elisabeth, tous deux marqués dans leur jeune âge par la mort de leur père suivie bien vite de celle de leur petit frère Josef, vivent d’abord une relation fusionnelle : la petite soeur en admiration devant le grand frère lui doit son éducation, le peu d’instruction qu’elle emmagasine auprès de lui, son introduction dans la société. En revanche, comme Friedrich est victime de problèmes ophtalmiques et de maux de tête violents qui le terrassent, elle est, pour lui, une garde-malade dévouée et une précieuse auxiliaire puisqu’elle lui tient lieu de secrétaire. 

Exemplaire, la petite soeur ? Hum ! Déjà, dans l’enfance, le caractère violent, autoritaire, l’orgueil de la fillette puis de la jeune fille, sa jalousie dès que son frère s’intéresse à une autre femme, s’affirment ! Ce n’est pas pour rien que son frère l’appelle Lama, allusion à ces animaux qui crachent sur ceux qui les contrarient.

 

Friedrich Nietzsche jeune
 

Fritz s’affirme rapidement comme un étudiant d’une intelligence brillante, devient professeur universitaire très jeune mais il étouffe entre une mère et une soeur bigotes, dans un milieu étroit d’esprit où ses écrits font scandale et où lui-même fait figure d’Antéchrist !

Mais la rupture entre le frère et la soeur ne surviendra que plus tard, lorsque Fritz, déçu par Wagner qui était devenu son ami, et révolté par l’antisémitisme de ce milieu rompt avec le musicien.

« Les juifs m’intéressent, objectivement, davantage que les allemands : leur histoire offre des problématiques bien plus fondamentales. (…) J’aimerais bien savoir jusqu’où, au bilan, il ne faudrait pas pousser l’indulgence envers un peuple qui, de tous, a eu - non sans notre faute à tous - l’histoire la plus malheureuse, et auquel nous devons l’homme le plus noble (le Christ), le sage le plus pur (Spinoza), le Livre le plus puissant et la Loi morale la plus efficiente que le monde ait jamais vus »

« … c’est pour moi une question d’honneur que d’observer envers l’antisémitisme une attitude absolument nette et sans équivoque, à savoir : celle de l’opposition, comme je le fais dans mes écrits. On m’a accablé ces derniers temps de lettres et de feuilles antisémites ; ma répulsion pour ce parti (qui n’aimerait que trop se prévaloir de mon nom) est aussi  prononcée que possible… »

Elizabeth, elle, non seulement s’épanouit dans ce milieu et adopte les thèses racistes mais elle épouse un professeur universitaire viscéralement antisémite, Bernhard Föster. Elle part ensuite avec lui au Paraguay pour recréer un royaume allemand qui, débarrassé des « juifs et de la juiverie », pourra retrouver la pureté de la race aryenne. L’histoire de ce voyage est un roman d’aventures à lui tout seul !

« Foster se sent un messie faiseur de Paradis où règneront les fils de Wotan et ceux de Parsifal dans un déferlement de chants de Walkyries  (…) Le grand avantage de la bêtise sur l’intelligence, c’est que la première, contrairement à la seconde, est totalement illimitée. Vu sous cet angle, Foster mérite amplement son royaume. ».

Elizabeth Föster-Nietzsche : Edvard Munch


Le frère et la soeur ne se retrouveront que lorsque Elizabeth, devenu veuve après l’échec de son royaume du Paraguay, revient au chevet de son frère, muré dans la maladie, et commence à exploiter financièrement sa célébrité montante et à tronquer, raturer, ajouter, déformer, bref! à falsifier ses œuvres.

« On aurait pu lui pardonner ses mensonges, son orgueil, ses tricheries; et sa bêtise aussi. On était même prêt à l’absoudre et à solder, quasi sans rancune, à la façon d’une fable, l’histoire de leurs vies : «  Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre, l’un d’entre eux devint fou et l’autre s’enrichit sur le dos de cette folie ». Cela nous aurait donné une morale acceptable, une fin un peu cruelle mais le monde aussi l’est. Mais d’avoir par la suite, vendu son frère, ses écrits, ses pensées, son âme et son esprit aux pires démons que le monde ait jamais en son sein fécondés, d’avoir fait de Friedrich une pensée bottée qui marche au pas de l’oie, la svastika taguée sur son Zarathoustra, cela mérite le pal, la corde et le bûcher. »

Le style de l’auteur est assez flamboyant, prolixe, une sorte d’avalanche de mots qui emporte tout sur son passage, torrent en crue qui m’a submergée, parfois un peu trop, en m’agaçant, parfois, au contraire d’une manière réussie qui emporte l’adhésion. L’auteur n’est pas neutre ( A vrai dire, cela n’a pas l’air d’être dans son caractère ! ). Le lecteur, lui aussi, cesse bien vite de l’être et éprouve de la compassion pour Nietzsche puis découvre avec stupéfaction et indignation la noirceur d’Elizabeth, un personnage digne d’illustrer le livre falsifié qu’elle a offert au Fürher, La volonté de puissance.

A ma soeur et unique est donc un bouquin passionnant tant la vie de Friedrich Nietzsche ressemble, comme le dit l’auteur, à une tragédie grecque ou à un drame shakespearien !


Nietzsche : Evard Munch
 

On peut parler à son propos d’un destin marqué par la fatalité, celle de la maladie, de la solitude, de la folie; c’est le destin d’un homme et d’un philosophe condamné de son vivant à l’incompréhension et qui n’obtiendra reconnaissance, succès et gloire, que lorsqu’il sera devenu un être diminué, un mort-vivant enfermé dans sa folie, dans l’impossibilité de communiquer avec autrui et sous la dépendance totale d’une soeur avide et sans scrupules.

C’est décidé ! J’ai acheté Ainsi parlait Zarathoustra et je vais le lire. Du moins, je vais essayer car ces écrits semblent difficiles. Ne disait-il pas de lui-même : « Malheur à moi qui suis une nuance »




 


12 commentaires:

  1. Et bien , elle n'est pas sympathique du tout cette Elizabeth ! J'ai lu Ainsi parlait Zarathoustra quand j'étais étudiante mais j'avoue que j'ai eu du mal. C'était peut-être trop tôt.

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    1. Oh! Tu l'as lu et étudié ? Personnellement, j'ai des doutes sur ma capacité à comprendre une pensée tellement subtile ! Mais je vais essayer. On se dit en lisant le livre de Guy Boley qu'il mérite que l'on fasse cet effort !

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  2. Pareil que toi, je découvre, et ça change tout!

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  3. J'ai découvert Nietzsche avec Irving Yalom " Et Nietzsche a pleuré" que je conseille vivement.

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    1. Oui, je connais le titre de cet essai et il m'intéresse.

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  4. miriam : voici un titre bien intéressant à noter, j'ajoute à la liste le livre d'Irving Yalom mais ce n'est pas pour maintenant.

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    1. Oui, je pense que le roman d'Irving Yalom est intéressant.

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  5. J'ai dû entendre une émission de radio sur ce livre, je me souviens de l'attitude terrible de la soeur (que je découvrais entièrement) J'ai le livre de Yalom dans mes étagères, je commencerai par lui. Je ne pense pas que lire directement Nietzsche soit à ma portée.

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    1. J'ai dit que j'allais essayer , je ne suis pas sûre d'aller jusqu'au bout ! Mais je suis contente d'avoir lu le livre de Guy Boley pour en savoir plus sur ces deux personnages hors du commun !

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  6. Dans La Libre Belgique, la critique de ce livre est aussi élogieuse.
    Pour ce qui concerne "Zarathoustra", je me permets de signaler le blog d'Ariane Beth, qui commente ses lectures philosophiques, et en particulier sur Nietzsche à partir d'ici : http://leblogdarianebeth.blogspirit.com/archive/2015/03/03/divagation-3038806.html

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