La vie en sourdine  est le dernier roman de David Lodge dans lequel il a mis beaucoup de  lui-même à commencer par sa surdité et la mort de son père.
Le titre anglais Deaf Sentence de même que  les  phrases mal comprises et déformées par la surdité (ce qui donne  lieu à des quiproquos incessants) sont difficiles à traduire sinon  intraduisibles, comme l'écrivain le reconnaît lui-même, d'où l'hommage à  ses traducteurs Maurice et Yvonne Couturier.
Le titre joue en effet, sur le jeu de mot entre death : mort et deaf :  sourd.* La surdité est bien une condamnation à mort : mort sociale  d'abord puisque l'impossiblité de suivre une conversation oblige  Desmond, le héros du livre, professeur de linguistique retraité, à  renoncer à une vie mondaine mais aussi à des conférences internationales  qui auraient donné sens à sa vie et maintenu intacts ses centres  d'intérêt intellectuels. Mort aussi car en s'enfonçant dans la surdité,  Desmond s'engage  dans la vieillesse, sur un chemin où il n'y plus de  retour possible.
Le tragique par opposition au comique. Le poétique par opposition au prosaïque. Le sublime par rapport au ridicule. 
Les prophètes et les voyants  sont aveugles -Tirésias par exemple- mais jamais sourds. Imaginez-vous  en train de poser une question à la Sybille et recevant pour toute  réponse un : "quoi? Quoi?" irascible.
C'est ainsi que David Lodge explore, avec un humour  parfois grinçant et  par l'auto-dérision,  cette tranche de vie  des  plus de 60 ans, qui se manifeste à travers son personnage par le besoin  de trouver un sens à sa vie, malgré la cessation d'activité - selon la  périphrase pudique qui désigne la retraite-  cessation de vie  pourrait-on dire- encore aggravée par la surdité, qui lui donne  l'impression d'être mis au rencart; par la baisse de la libido surtout  lorsqu'on a une femme plus jeune, résolument active, par les dernières  tentations sexuelles sous les traits d'une jeune étudiante un peu  spéciale; par une visite à Auschwitz  qui est un écho à la mort du père  et de sa première femme, Maisie, par la naissance d'un petit-fils qui  rétablit un instant l'équilibre précaire...
Et enfin, il décrit, autre thème majeur, les rapports  avec son père dans toute leur complexité,  révélant le fossé  social et  intellectuel qui s'est créé entre le vieil homme qui a quitté l'école à  quatorze ans et dont il dresse un portrait haut en couleur et lui, le  fils,  universitaire distingué, relations douloureuses entre amour et  refus, entre amour et culpabilité jusqu'à la maladie qui occulte les  facultés mentales du vieillard et enfin sa mort.
On le voit le roman traite de thèmes tragiques  et  pourtant  l'écrivain avec pudeur, dignité, refus de l'attendrissement,  nous amène à en rire.
Un très beau roman, donc, où David Lodge aborde les  problèmes d'un homme de son âge dans un récit qui alterne la première et  la troisième personne comme pour mieux affirmer qu'il s'agit bien de  lui mais aussi d'un autre, d'un journal intime mais aussi d'un roman,  et, somme toute, d'une histoire qui nous concerne tous, jeunes et vieux,  et que nous serons tous amenés, un jour ou l'autre, à expérimenter.
Les évènements de ces deux  derniers mois ne cessent de déclencher en moi des échos et des  résonnances de ce genre : la bougie votive vacillant dans l'obscurité  parmi les gravats du crématoire d'Auschwitz et la bougie que j'ai mise  sur la table de chevet de Maisie lorsqu'elle s'est endormie  définitivement; les pyjamas d'hôpital et les uniformes rayés des  prisonniers; le spectacle du corps nu et ravagé de papa sur le matelas  de l'hôpital lorsque j'ai aidé à le laver et les photos granuleuses de  cadavres nus entassés dans les camps de la mort. L'expérience de ces  dernières semaines m'a servi en queque sorte de leçon. "La surdité est  comique, la cécité tragique", ai-je écrit  plus tôt dans ce journal  intime, mais maintenant il me paraît plus significatif de dire que la  surdité est comique et la mort tragique, parce que définitive,  inévitable, impénétrable.
*Le titre français, s'il ne peut rendre compte entièrement de ce jeu de mot, est très habile : La vie en sourdine joue, en effet, sur le jeu entre les mots sourd et sourdine,  ce dernier impliquant que la vie a perdu son éclat,  son  retentissement, qu'elle va être jouée en demi-teintes, avec un bémol à  la clef. C'est aussi une annonciation de la mort qui passe par de  nombreux renoncements.
Republié de mon ancien blog 

Ce très beau billet devrait donner envie de lire ce roman de David Lodge à ceux qui ne l'ont pas fait !
RépondreSupprimeret bien, je suis passée à côté complètement ! je vais le ressortir, je n'aime pas avoir l'impression d'avoir râté quelquechose, et ton billet est très tentant ! J'aime beaucoup cet auteur et son humour, son ironie mais j'en avais préféré beaucoup d'autres...mystère....
RépondreSupprimerLu et approuvé ! aussi bien par mon époux, devenu "dur de la feuille" avec l'âge, que par moi même, vu que j'ai bien souvent du mal à me faire comprendre de mon Professeur Tournesol :)
RépondreSupprimerMerci pour le très intéressant complément d'informations à propos du titre anglais.
J'ai eu la chance d'entendre l'auteur parler de son livre dans ma bonne ville. J'attendais le poche, qui est peut-être sorti maintenant. A vérifier.
RépondreSupprimer@ Kathel ; un beau roman grave mais l'humour de Lodge est toujours bien là!
RépondreSupprimer@ jeneen : Il y a un temps pour lire un livre, peut-être n'était-ce pas le moment pour toi.
RépondreSupprimer@ Tilia : Le roman de Lodge est si vrai qu'effectivement on peut se sentir concerné. En fait, c'est du vécu! C'est bien de sa propre expérience qu'il s'agit.
RépondreSupprimer@ aifelle : Encore un auteur qui est venu dans ta bonne ville?
RépondreSupprimerJe ne sais pas s'il est paru en poche. Si je le retrouve (je crois l'avoir prêté) je peux te l'envoyer en livre voyageur. Dis-moi si ça t'intéresse, je le chercherai.
je n'avais jamais pensé au comique de la surdité par rapport à la cécité mais c'est très bien pensé. Du coup, cette lecture me tente
RépondreSupprimer@ Aymeline : Oui, et pourtant la surdité est aussi une infirmité terrible!
RépondreSupprimerIl est en poche et il est aussi à la bibliothèque. A moi de jouer ..
RépondreSupprimer@ Aifelle : OK!
RépondreSupprimerJe viens de jeter un oeil sur mes critiques de Lodge pour retrouver lequel j'avais lu en dernier (c'était Thérapie), et j'avais noté en 2010 la sortie de "La vie en sourdine" pensant le lire bientôt... et le temps à passer.
RépondreSupprimerMerci pour cette critique qui donne envie de s'y plonger.
@ lireau jardin : Et tu as le livre? Sinon je peux te le prêter! Et les vestiges du Jour?
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