Quatrième de couverture : Nous sommes au XVIIIe siècle, un enfant au regard terrifiant vient de naître à Honfleur. Il se nomme Latour, sa naissance est la conséquence d'un viol. Bou-Bou, sa mère, l'élève avec tendresse d'autant que cet enfant est étrange : il ne ressent pas la douleur. Après une formation professionnelle chez un taxidermiste, Latour quitte la Normandie. Accompagné d'une prostituée, il vit dans les bas-fonds de Paris où commence vraiment son aventure. Obsédé par son infirmité, fasciné par le mystère de la douleur, Latour entre dans la spirale infernale du meurtre, tue et dissèque, étudie chaque organe, et finit par usurper l'identité d'une de ses victimes pour devenir l'élève du grand anatomiste Rouchefoucault. Un jour pourtant, sa vie bascule : une prostituée le conduit auprès du marquis de Sade, Latour entre à son service, il va devenir son valet, son complice, jusqu'à la mort.
Nikolaj Frobenius |
De Nikolaj Frobenius, écrivain norvégien naît à Oslo en 1965, j’ai lu et commenté dans mon blog Branches obscures (Ici), un thriller qui traite du pouvoir de l’écriture et où l’écrivain se révèle un manipulateur inquiétant. Le valet de Sade, on s’en doute avec un titre pareil, nage lui aussi en eaux troubles et pas n’importe lesquelles puisque Frobenius convoque auprès de son valet rien moins que la sulfureuse présence du Marquis de Sade. Pourtant ce dernier n’est pas le personnage principal du roman et c’est bien Latour son valet qui en est le centre. Et en un sens bien plus inquiétant que le maître. Psychopathe, serial killer avant le mot, Latour qui ne sent pas la douleur s’obstine à en percer le mystère en disséquant le cerveau de ceux qui font partie de sa liste parce qu’ils les soupçonnent d’avoir tué sa mère. Aucune empathie n’est possible envers ses victimes qu’il fait mourir dans d’atroces souffrances puisqu’il ne peut comprendre ce qu’ils éprouvent. Latour est le Mal personnifié qui épouvante le Marquis de Sade lui-même et le fascine, devenant pour lui une source d’inspiration littéraire.
Fascinant, en effet, ce Latour, et pas seulement parce qu’il incarne le Mal mais aussi parce qu’il représente l’homme de science acharné dans ses recherches, l’intelligence humaine qui à la volonté de percer le mystère du fonctionnement de l’homme, de son cerveau; une sorte de visionnaire qui comprend bien avant l’heure que la douleur doit être liée à un influx électrique qui circule à travers les nerfs.
On compare souvent Le valet de Sade au roman de Suskind Le Parfum. Ma lecture de ce dernier livre est trop lointaine pour que je puisse en tomber d’accord malgré les ressemblances évidentes à propos du meurtrier ou du climat trouble et inquiétant. Mais pour moi, Le Valet de Sade n’est pas vraiment un thriller, ni seulement un roman policier, même s’il y a enquête autour des meurtres commis par Latour et des exactions de Sade.
Je me suis beaucoup interrogée sur le sens de ce livre qui nous invite à réfléchir sur la violence, la douleur et sur la solitude de l’homme. Il me semble que que l'auteur nous en propose une explication philosophique : Latour, cet homme laid, rejeté de tous, devenu un criminel insensible, n’est-il pas le symbole de cette cette brillante société du XVIII siècle (et pourquoi pas actuelle ? ) qui cache, sous l’or des palais, la somptuosité des parures, le brio des esprits, une violence extrême envers les peuples opprimés. Ce que fait Latour est-il plus terrible que ce que fait un gouvernement qui prive le peuple de pain et de sa liberté, l’envoie servir de chair à canon dans des guerres qui ne sont pas les siennes?
C’est ce que Nikolaj Frobenius fait dire au Marquis de Sade : « J’ai beaucoup réfléchi sur ma pratique du libertinage, mais je n’ai pas mis toutes mes idées en application. C’est voyez-vous, c'est une condition de la création qu’on apprenne à distinguer le récit de la réalité. Je ne suis certes pas un ange. Mais mes forfaits sont risibles au regard de ceux qui sont commis chaque jour par ceux qui nous gouvernent et qui organisent ce pays. »
Portait présume du Marquis de Sade : par Van Loo |
Comme je connais mal la vie de Sade et que je ne suis jamais parvenue à lire son oeuvre jusqu'au bout, le livre de Frobenius m'interroge par cette idée nouvelle pour moi : le Marquis n'aurait pas pratiqué les actes sadiques - du moins les plus violents - qu'il décrit dans son oeuvre. C'est que pense Latour quand il copie les oeuvres du Maître :
"Mais chaque cri infâme, chaque injure lancée contre un défi à Dieu, chaque violence perpétrée contre de pitoyables victimes me libérèrent peu à peu de mon malaise. La cruauté était devenue invraisemblable et je compris alors que ce n'était pas la jouissance de ces actes que mon maître avait essayé de décrire. Mais bien la solitude. Le désert de la solitude, le vide des geôles."
Je suppose qu'il faut lire, pour avoir une réponse, la biographie que lui consacre Jean-Jacques Pauvert qui a été le premier à le publier.
Le valet qui a été complice du maître dans l'histoire que relate Nikolaj Fobroenius à propos des cinq prostituées rendues malades par des pilules à la cantharide a existé. Il a été poursuivi comme son maître et condamné à mort comme lui et brûlé en effigie par contumace. Mais l'écrivain a pris des libertés par rapport à la vérité historique en réunissant dans un même personnage les deux valets de Sade : d'Armand dit Latour et Carteron dit Martin Quiros, valet et copiste du marquis.
"Mais chaque cri infâme, chaque injure lancée contre un défi à Dieu, chaque violence perpétrée contre de pitoyables victimes me libérèrent peu à peu de mon malaise. La cruauté était devenue invraisemblable et je compris alors que ce n'était pas la jouissance de ces actes que mon maître avait essayé de décrire. Mais bien la solitude. Le désert de la solitude, le vide des geôles."
Je suppose qu'il faut lire, pour avoir une réponse, la biographie que lui consacre Jean-Jacques Pauvert qui a été le premier à le publier.
Le valet qui a été complice du maître dans l'histoire que relate Nikolaj Fobroenius à propos des cinq prostituées rendues malades par des pilules à la cantharide a existé. Il a été poursuivi comme son maître et condamné à mort comme lui et brûlé en effigie par contumace. Mais l'écrivain a pris des libertés par rapport à la vérité historique en réunissant dans un même personnage les deux valets de Sade : d'Armand dit Latour et Carteron dit Martin Quiros, valet et copiste du marquis.
Le roman de Nikolaj Fobroenius pose donc des question intéressantes qui prêtent à réflexion mais je vous avoue qu’il faut avoir le coeur bien accroché pour supporter à la fois la description des meurtres de Latour et des pratiques sexuelles déviées de Sade. Le style de l’écrivain est à la fois élégant et précis, jamais vulgaire, mais brillant et assez dérangeant car il exerce une fascination-répulsion sur le lecteur qui a parfois envie d’abandonner le livre. Enfin, c’est ce que j’ai éprouvé personnellement mais cela aurait été dommage de ne pas aller jusqu'au bout car cet ouvrage a des qualités !
Je n'ai pas le cœur assez bien accroché pour me lancer dans cette lecture-là !
RépondreSupprimerJe m'en doutais un peu; d'ailleurs je pensais à toi quand j'écrivais ces mots!
Supprimerj'ai comme une allergie à Sade qui est un personnage dont la violence et le ..sadisme ne m'attire pas du tout donc je passe
RépondreSupprimerJe te comprends ! Mais ce qui m'intéresserait, ce serait de savoir s'il a été emprisonné pour ses actes ou pour ses idées : son athéisme, son anticléricalisme etc.. Mais en fait, il n'est pas le personnage du roman, et Latour est bien pire que lui! C'est dire!
SupprimerAutant j'ai aimé "Le parfum" de P Süskind et la dernière partie de ton billet autant je ne me sens pas prête à lire ce livre.
RépondreSupprimerJe ne suis pas sûre de supporter autant de violence... Dommage car tu mets bien les qualités en avant et tu donnes vraiment envie de découvrir cette oeuvre. JE n'ai par ailleurs rien lu de Sade, pas du tout envie de découvrir cet auteur ni son oeuvre...
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