Dans les années 70, les Etats-Unis sont agités par des mouvements contestataires violents sur fond de guerre du Vietnam. Je me souviens, par exemple, des Panthères noires dont faisait partie Angela Davis. Dans Merci, Mary, Patty, Lola Lafon explore le cas de Patricia Hearst, fille d’un magnat de la presse américaine, qui fut enlevée en 1974 par les membres du ALS (symbiose Libération Army : Armée de libération symbionaise) mouvement armée de la gauche révolutionnaire. Toute la population s’émeut et Patricia, blanche et innocente jeune fille, devient le sujet préféré de la presse jusqu’au jour où elle passe du côté de ses kidnappeurs et braque une banque avec eux.
Patricia Hearst |
A travers ce récit Lola Lafon s’interroge : qu’est-ce qui peut être à l’origine de ce revirement ? Comment expliquer qu’un jeune fille socialement privilégiée puisse rompre avec son milieu, son clan familial, ses valeurs, pour épouser la cause de ses ravisseurs ? Dans cette quête, l’auteure associe à Patricia les figures de deux autres « victimes » : Mercy Short en 1690, Mary Jamison en 1753 qui, comme Patricia, préfèreront leur société d’adoption (les indiens) et seront alors considérées comme des ennemies voire des malades.
Car le corollaire de leur choix est le suivant : elles cessent d’être victimes et s’attirent la haine de des bien-pensants, de ceux qui détiennent le pouvoir et deviennent un scandale que l’on souhaiterait effacer de la surface de la terre. Patricia est vue comme une icône par la jeunesse qui l'admire. Elle est alors dangereuse pour l’ordre social et le pouvoir établi.
Patricia Hearst à son père : "Dis leur papa, que les vulnérables et une grande partie de la classe moyenne, tous seront au chômage dans moins de trois ans et l’élimination des inutiles a déjà commencé. Dis la vérité au peuple. Que le maintien de l’ordre et des lois sont l’occasion de se débarrasser des éléments prétendument violents, moi, je préfère dire lucides, conscients. J’aurais dû me douter que toi comme les autres hommes d’affaires, vous êtes parfaitement capables de faire ça à des millions de personnes pour conserver le pouvoir, tu serais prêt à me tuer pour les mêmes raisons. Ca prendra combien de temps aux blancs de ce pays pour comprendre que ce qu’on fait aux enfants noirs arrive tôt ou tard aux enfants blancs."
Le roman de Lola Lafon soulève donc des thèmes passionnants traités avec subtilité, dans toute leur complexité.
Patricia Hearst à son père : "Dis leur papa, que les vulnérables et une grande partie de la classe moyenne, tous seront au chômage dans moins de trois ans et l’élimination des inutiles a déjà commencé. Dis la vérité au peuple. Que le maintien de l’ordre et des lois sont l’occasion de se débarrasser des éléments prétendument violents, moi, je préfère dire lucides, conscients. J’aurais dû me douter que toi comme les autres hommes d’affaires, vous êtes parfaitement capables de faire ça à des millions de personnes pour conserver le pouvoir, tu serais prêt à me tuer pour les mêmes raisons. Ca prendra combien de temps aux blancs de ce pays pour comprendre que ce qu’on fait aux enfants noirs arrive tôt ou tard aux enfants blancs."
Le roman de Lola Lafon soulève donc des thèmes passionnants traités avec subtilité, dans toute leur complexité.
Patricia Hearst : son nom de guerre Tania |
Si Mercy et Mary ne sont que des traces dans le roman de Lola Lafon, le cas de Patty est longuement analysé. L'écrivaine fait entrer dans le récit un personnage imaginaire, Gene Neveva, professeur américain venue enseigner en France, dans les Landes. Chargée par l’avocat de la famille Hearst de témoigner au procès de Patricia pour innocenter la jeune fille, elle doit défendre la thèse du lavage de cerveau qu’aurait subi la prisonnière sous l’influence de ses ravisseurs. Pour l’aider à éplucher les dossiers qui concernent l’affaire, elle engage une jeune française Violaine. Celle-ci en lisant les lettres de Patricia et en écoutant ses discours portera un regard neuf et dérangeant sur les raisons de la rupture de Patricia avec son milieu d’origine.
Car, bien sûr, dire que Patricia a opté pour la cause révolutionnaire de son plein gré est dérangeant; elle a eu le regard dessillé par la misère qui régnait autour d’elle et dont elle n’avait jamais eu conscience. Dire qu’elle a reconnu dans ses parents des personnes qui ne raisonnent que par et pour l’argent même lorsqu’il s’agit de leur fille est déplaisant. Dire qu’elle a pris le parti du pauvre, de l’opprimé est gênant aussi. Même de nos jours, à propos de Patricia, l’on opte pour une explication qui satisfait tout le monde en évoquant le syndrome de Stockholm !
"J’ai changé; j’ai grandi. J’ai pris conscience de pas mal de trucs et je ne pourrai jamais retourner à ma vie d’avant; ça a l’air dur, mais au contraire, j’ai appris ce qu’est l’amour inconditionnel pour ceux et celles qui m’entourent, l’amour qui vient de cette certitude que personne ne sera libre tant que nous ne serons pas tous libres."
"J’ai changé; j’ai grandi. J’ai pris conscience de pas mal de trucs et je ne pourrai jamais retourner à ma vie d’avant; ça a l’air dur, mais au contraire, j’ai appris ce qu’est l’amour inconditionnel pour ceux et celles qui m’entourent, l’amour qui vient de cette certitude que personne ne sera libre tant que nous ne serons pas tous libres."
J’ai beaucoup aimé cette analyse qui se présente comme une enquête où l’on avance à petits pas, en déchiffrant des archives, en lisant des lettres, en étudiant des photos, en recoupant les témoignages mais aussi en écoutant son intuition.
Les personnages de Gene Neveva et de Violaine sont complexes, bien campés, Lola Lafon a l’art du portrait et la structure du roman est basée sur cette transmission de personnage à personnage, de Gene à Violaine, de Violaine à la narratrice Lola. La multiplicité des points de vue évite une réponse trop simple à une question qui ne l'est pas.
Pourtant, malgré ces qualités, j'ai trouvé que ces personnages fictifs, aussi crédibles soient-ils, faisaient tort au personnage central, Patricia. C'est le petit bémol de ma lecture, cette écriture en ricochets qui détourne du sujet, ce "vous" qui s'adresse à Gene et établit une distance. J'ai préféré le face à face direct et parfois conflictuel qui réunissait ou opposait Nadia Comencini et l'auteure dans La petite communiste qui ne souriait jamais.
Pourtant, malgré ces qualités, j'ai trouvé que ces personnages fictifs, aussi crédibles soient-ils, faisaient tort au personnage central, Patricia. C'est le petit bémol de ma lecture, cette écriture en ricochets qui détourne du sujet, ce "vous" qui s'adresse à Gene et établit une distance. J'ai préféré le face à face direct et parfois conflictuel qui réunissait ou opposait Nadia Comencini et l'auteure dans La petite communiste qui ne souriait jamais.
Ceci dit, il y a des moments puissants dans ce roman, celui par exemple où le FBI et les forces spéciales de police prennent d’assaut, avec une violence inouïe, la maison des révolutionnaires sans avoir évacué les habitants du quartier, exposant des enfants, des femmes et des hommes innocents. Mais peu importe, ils sont noirs et pauvres !
Ce qui me plaît dans les romans de Lola Lafon c’est qu’ils vont toujours
plus loin que l’histoire qu’ils racontent, ils partent du fait divers
pour dénoncer une époque, un milieu social, une idéologie, ils
interrogent l’individu pour révéler le mal enfoui sous des dehors
policés. Ici, dans Merci, Mary, Patty, la violence de la société américaine et du capitalisme laisse les exclus dans le dénuement.
Bien, bien. J'ai lu ton billet (y compris le bémol), a priori cela ne m'attirait pas, mais bon, on verra (il est à la bibli)
RépondreSupprimerBémol ou pas,il vaut la lecture de toutes façons même si j'ai préféré La petite communiste.
Supprimerj'avais lu avec un certain plaisir la Petite communiste mais là le sujet m'attire moins
RépondreSupprimerC'est pourtant la même démarche. Ce n'est plus la société communiste mais la société américaine qui est ciblée et cela ne vaut pas mieux.
SupprimerUn beau roman, merci pour le lien !
RépondreSupprimerOui et j'ai aimé la discussion que tu as eue avec Lola lafon.
SupprimerJ'avais moyennement été enthousiasmée par La petite communiste et là, tu es un peu moins emballée. Je crois que je vais passer.
RépondreSupprimerSi tu n'as pas aimé La petite communiste, en effet, tu n'aimeras peut-être pas celui-ci.
SupprimerMerci pour ce billet qui me donne envie de me pencher sur ce roman, alors même que l'histoire ne m'attire pas vraiment de prime abord !
RépondreSupprimerC'est à dire que l'histoire n'est pas un simple fait divers, c'est la réflexion de l'auteur sur la psychologie du personnage et sur la société qui est intéressante.
Supprimerje crois que je le préfèrerais à son 1er roman... mais il faut que je le lise pour confirmer :))
RépondreSupprimerTu me diras ce que tu en penses si tu le lis.
SupprimerLa petite communiste est toujours dans ma PAL, il va falloir que je me décide!
RépondreSupprimerJe l'avais trouvé très intéressant et sa manière d'aborder le sujet aussi.
SupprimerC'est un des livres de la rentrée littéraire 2017 qui me fait de plus en plus d'appels... mais je croule déjà sous les lectures ! Pffff...
RépondreSupprimerON n'arrive plus à tout lire !
SupprimerIl faut que je lise la petite communiste qui ne souriait jamais avant de lire celui-là.
RépondreSupprimerComme tu le dis si bien:
RépondreSupprimer"ON n'arrive plus à tout lire !" Il faut faire des choix.
Le nom de Patricia Hearst vient très souvent dans la conversation aux US.