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vendredi 1 décembre 2017

Sylvain Tesson : Dans les forêts de Sibérie



Dans les forêts de Sibérie -qui a obtenu le prix Fémina 2011 - est le journal tenu par Sylvain Tesson pendant six mois passés dans une cabane au bord du lac Baïkal. De Février au mois de juillet, six mois dont quatre sous la neige, près du lac gelé, au milieu des tempêtes, à 35 kilomètres de son premier voisin et 130 km du second.
On se dit au départ que ces mois vont être passés dans la solitude la plus totale et vont correspondre à une recherche spirituelle, à une quête de la paix et de la beauté. C’est du moins ce qu’il annonce dès le début  :

"Dans ce désert, je me suis inventé une vie sobre et belle, j’ai vécu une existence  resserrée autour de gestes simples. j’ai regardé les jours passer, face au lac et à la forêt. J’ai coupé du bois, pêché mon dîner, beaucoup lu, marché dans les montagnes et but de la vodka."

J’avoue que j’ai eu une crainte en lisant ce préambule, c’est que le livre soit une leçon de morale sur l’iniquité de la civilisation urbaine, l’imbécillité de notre vie non-contemplative, et tout cela assaisonné de compassion pour nous, pauvres mortels, entassés dans nos HLM.
Les tirades sur l’horreur de la vie moderne, elles y sont d’ailleurs, la contemplation de la nature, les gestes simples aussi. Quant à la vodka, ne vous imaginez pas l’auteur sirotant en épicurien un petit verre au coin du feu. Non, la solitude est noyée dans l’alcool, des litres de vodka et bière ingurgités seul ou avec des amis russes de passage, des beuveries renouvelées qui le laissent ivre mort.
D’où ma surprise ! Non que je pose en moraliste, mais parce que sa « vie sobre et belle » me paraît plutôt en contradiction avec cette rage auto-destructrice. Ceci dit, il est tout à fait libre de se suicider de cette manière. Il revendique ce droit, d’ailleurs, puisqu’il ne veut pas « mourir en bonne santé ».
Peu à peu, le portrait de Sylvain Tesson qui se dessine en creux est celui d’un homme plein de contradictions. Ces mois vécus en solitaire avec la nature, le laisse seul avec ses « fantômes». C’est un homme tourmenté qui dans son « cercueil de bois »,  c’est à dire sa cabane, compte sur la vodka et ses cigarillos pour « combattre ses démons » ; un homme qui refuse la civilisation, qui ne veut vivre que de ce qu’il pêche et ne se chauffer que du bois qu'il coupe, mais qui utilise les pires productions de cette civilisation, l’alcool et le tabac.. 
Enfin, en proie au doute, il parvient à une conclusion qui est contraire à tout ce qu’il avait affirmé au début  :  

 « Le courage serait de regarder les choses en face : ma vie, mon époque et les autres. La nostalgie, la mélancolie, la rêverie, donnent aux âmes romantiques l’illusion d’une échappée vertueuse. Elles passent pour d’esthétiques moyens de résistance à la laideur mais ne sont que le cache-sexe de la lâcheté. Que suis-je ? Un pleutre, affolé par le monde, reclus dans une cabane, au fond des bois. Un couard qui s’alcoolise en silence pour ne pas risquer d’assister au spectacle de son temps ni de croiser sa conscience faisant les cent pas sur la grève. »

C’est à partir de ce moment, quand il perd ses certitudes, que je me suis vraiment intéressé à lui. L’auteur a parfois montré le sourd travail de la solitude, du face à face avec lui-même, de l’inhumanité de la nature si belle mais qui n’est pas à échelle humaine. Ainsi, il décrit la cabane secouée par le vent d’une terrible violence, les craquements sinistres du lac dont les glaces s’entrechoquent. Il raconte qu’une main surgit du lac et lui attrape la cheville. Parfois il note au passage l’ennui, la longueur du temps, le manque d’amour. Mais hélas, c’est toujours d’une manière trop allusive puisqu’il veut prouver le contraire,  que la nature est apaisante.
Elle l’est aussi, bien sûr. Il décrit le bonheur d’être là dans cette cabane bien chauffée, les lectures qu’il partage avec nous, les longues heures de patinage sur la glace et les courses en montagne. Et puis, il y a ses mésanges familières qui arrivent dès qu’elles entendent le son de sa flûte; ses petits chiens qui lui font la fête, des moments de bonheur qui provoquent chez lui une réflexion sur le rôle que jouent les animaux et leur amour sans calcul, comme remède à la solitude. La beauté du lac gelé et ses couleurs changeantes, son immensité. Enfin l’arrivé du printemps qui donne lieu à des pages pittoresques.
Il dresse aussi les portraits des gens qui le visitent et qui ressemblent parfois à des personnages de Dostoievsky. C’est surtout chez les autres d’ailleurs qu’il parvient à cerner combien la Sibérie modèle le caractère des gens et les transforme.  On a un peu l’impression qu’il refuse de s’analyser et qu’il est bien plus libre et perspicace quand il s’agit des autres. Puis, après un « cataclysme » personnel et sentimental qui vient bouleverser sa vie, on assiste à une rupture des digues qu’il maintenait autour de lui pour ne pas se livrer.  Il accepte de reconnaître que sa thèse de départ sur la civilisation n'est pas entièrement juste, ce qui n'enlève rien d'ailleurs à son amour de la nature et son respect des êtres qui y vivent.

« Ce n’est pas l’entassement dans le parc urbain qui rend méchant, ni le stress provoqué par la pression marchande qui transforme l’homme en rat hargneux, ni la rivalité mimétique de la promiscuité qui commande « aux frères de se haïr «  (Coupar dans Tiqqun). Au Baïkal, séparés par des dizaines de kilomètres de côtes, vivant dans la splendeur des bois, les hommes se déchirent comme des voisins de palier d’une vulgaire métropole. Changez le cadre, la nature des « frères » restera la même. L’harmonie des lieux n’y fera rien. L’homme ne se refait pas. »


Il y a donc bien des pensées intéressantes dans ce journal de Sylvain Tesson, et aussi des passages très bien écrits ou le style nous remue mais… ils alternent parfois avec quelques pages banales et sans grand intérêt. Et c’est dommage car l’on sent que ce journal aurait pu être plus riche.

Voir le film-vidéo de Sylvain Tesson ici :

Les avis sont très différents selon les participantes. Je vous invite à aller voir les organisatrices du blogoclub :  Amandine et Florence et toutes les autres lectrices.
 

Lecture commune  du Blogoclub



et Sylire ; Titine ; Gambadou;  Itzamna

Hélène Ici  nous a accompagnées  avec un autre livre de voyage : L'usage du monde de Nicolas Bouvier

21 commentaires:

  1. je n'ai encore rien lu de cet auteur, il faudrait que j'essaye!

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    1. Dominique dit que ces livres suivants sont plus riches !

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  2. Ce livre me tente depuis un moment, et même tes réserves me confortent dans l'idée que j'aimerais ce livre. Helas, j'ai manqué le rendez-vous du blogoclub.

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    1. Tu nous diras ce que tu en penses ! Je suis curieuse ! j'aimerais savoir en quoi les réserves que j'ai formulées t'intéressent.

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  3. J'ai contracté il y a quelques années une allergie grave au personnage de l'auteur que j'avais trouvé prétentieux, Monsieur-je-fais-tout-bien et en effet moralisateur comme tu l'as craint. peut être a-t-il mûri? peut être devrais-je le lire à nouveau? Les bitures ne sont pas non plus de mon goût.

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    1. C'était avec quel bouquin ? D'après Dominique il a évolué. ??

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  4. Un avis que je partage : une expérience magnifique, des paysages à vous couper le souffle... mais quelques longueurs et un peu trop de vodka. A lire néanmoins, pour l'univers et les rencontres authentiques.

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    1. J'ai bien aimé, en effet, les personnages qu'il rencontre; et oui, la région est splendide.

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  5. Comme Miriam, je le trouvais tellement imbu de lui-même et insupportable dans ses interviews radio et télé que je ne voulais pas le lire. Et ces saoûleries perpétuelles, très peu pour moi .. J'ai lu "les chemins noirs" où il est nettement moins flamboyant, mais où les contradictions sont toujours là et où perce des regrets d'avoir fichu en l'air une santé qui était solide(et fini les beuveries). Bien des réflexions sur la société m'ont paru justes, un peu faciles aussi, il n'est pas dans la situation de quelqu'un qui n'a vraiment rien.

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    1. Jamais vu, jamais entendu, je ne connais pas l'homme ! Mais c'est dans son livre que j'ai trouvé des contradictions qui m'ont gênée. Qu'il se saoule ne me dérangerait pas s'il ne se posait pas en champion du retour à la nature, en esthète de la vraie vie, en portant un regard condescendant sur la civilisation.

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  6. Mon agacement envers ses leçons de morale a été le plus fort, j'ai terminé ce livre agacée... Mais bizarrement, je relirais bien l'auteur tout de même !

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    1. Et oui, bien sûr, je comprends que tu sois tentée de lire un autre livre de lui car il y a des qualités littéraires même si elles n'apparaissent que de temps en temps. Et puis,il nous fait voir un univers sauvage que nous ne connaissons pas.

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  7. j'ai beaucoup aimé ce livre, malgré les litres de vodka sa vision de la vie rejoint assez la mienne (alcool en moins bien-sûr!)
    cet auteur est attachant

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    1. Finalement,les avis sont très partagés et deux problèmes sont en cause.
      D'abord il y a l'homme qui ne fait pas l'unanimité et puis il y a les qualités littéraires du journal.

      L'homme ? Cela m'est bien égal que quelqu'un s'abreuve jusqu'à être ivre mort (cela ne me regarde pas, encore une fois je ne suis pas moraliste, ni moralisatrice !) à condition qu'il ne prétende pas vouloir donner une leçon de vie aux autres, et ne présente pas cette vie sauvage est une régénérescence. Pour moi, c'est plutôt un naufrage. Finalement, je le préfère, comme je le dis dans mon billet, quand il nous fait part de ses doutes et qu'il nous avoue s'être trompé.

      Et puis il y a les qualités du journal : évidemment, la nature est magnifique et l'aventure nous attire, surtout quand on n'a pas à subir les inconvénients de cette retraite en solitaire dans le froid et la nuit. Mais j'ai trouvé que le livre était assez inégal et dans les descriptions et dans les réflexions et pas toujours au top ! Mais il y a aussi de bons passages. J'ai bien aimé, par exemple, les portraits des gens qu'il rencontre.

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  8. Je connais le coin, j'ai lu le livre, pas le meilleur de l'auteur à mon idée

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    1. Tu connais le lac Baïkal ? Raconte ! Il me faudra lire un jour ce qui est meilleur dans son oeuvre..

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  9. Ton analyse est très intéressante Claudia et je suis d'accord avec toi sur beaucoup de points, même si je suis plus enthousiaste dans l'ensemble.Ce livre m'a emportée car il m'a dépaysée. J'ai retrouvé, toutes proportions gardées, mon coin de balcon à la montagne où je peux rester des heures à regarder le paysage. J'ai donc aimé les pages dédiées aux changements infimes de la lumière sur le lac, contemplés depuis sa fenêtre!

    Pour ce qui est de l'homme, je comprends qu'il puisse agacer, comme l'attestent certains commentaires. Je l'ai vu plusieurs fois à la télé et il peut paraître arrogant. Mais je ressens surtout une fêlure importante chez lui, beaucoup de contradictions en effet, et une certaine auto-destruction dont il semble avoir pris conscience ces dernières années, notamment après la chute qui a failli lui coûter la vie à Chamonix, en grimpant sur la façade d'un chalet !

    Pour ce qui est de la réflexion, j'ai pioché pas mal de choses intéressantes, même si depuis 2011, certaines idées ne paraissent plus aussi novatrices. Je ne connaissais pas par exemple l'énergie grise... Et je ne l'ai pas trouvé moralisateur du tout. On sent qu'il parle pour lui-même, en tout cas c'est comme cela que je l'ai ressenti. Il reconnait que la plupart ne peuvent se retirer comme il l'a fait, ce qui n'aurait de toute façon aucun sens puisque cela reviendrait à bâtir les villes à la campagne... Mais il insiste aussi sur le rôle des citadins qui peuvent à leur manière, et en partie seulement,refuser la société de consommation.

    Ce n'est pas le livre que je préfère de Tesson (j'ai beaucoup apprécié "Géographie de l'instant" et "L'axe du loup") mais "Dans les forêts de Sibérie" comporte aussi quelque chose de romantique. C'est ce que j'aurais aimé faire, moi qui aime le froid, la neige, les livres (pas la vodka!),les phénomènes météorologiques à observer,tout en sachant que je n'aurais jamais eu le courage nécessaire pour le faire...

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  10. Merci pour ta longue réponse; j'aime quand un livre suscite des discussions.

    Oui, c'est sûr qu'il faut du courage pour survivre et de la force et de l'endurance physiques aussi ! Tu as raison sur bien des plans. Je reconnais qu'il y a des passages qui sont intéressants dans ce journal, que ce paysage fait rêver ..

    Mais rêver en touriste ! Car mon bout de montagne à moi m'a prouvé que ceux qui jadis y vivaient à l'année, dans des conditions de confort minimal, n'en devenaient pas des hommes supérieurs mais endurcis et râpeux. C'est d'ailleurs ce que S.T finit par reconnaître !

    De plus, je ne pense pas que S Tesson refuse la société de consommation puisqu'il fait provision d'alcool et de tabac à profusion. Bref je ne le trouve pas en accord avec ce qu'il préconise !


    Quant à la fragilité de l'auteur, je suis d'accord avec toi. On le sent d'ailleurs dans le livre et dans cette manière de se tuer à l'alcool ! Mais ce qui m'a ennuyée et que j'appelle "donner de leçons" c'est qu'il présente sa retraite au lac Baïkal comme quelque chose de supérieur à la vie des gens dans la ville alors qu'il s'agit plutôt d'une fuite dans l'alcool et, peut-être, aussi d'éviter des responsabilités, peur d'assumer l'amour, la vie de famille.

    Il faudra que je lise "Géographie de l'instant" ou "l'axe du loup "puisque tu me dis que ce sont tes préférés.

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  11. Je n'avais pas du tout apprécié ce livre ! Trop d'alcool, trop nombriliste, trop de critiques facile sur la surconsommation alors que visiblement il a du mal à se retrouver tout seul pendant 6 mois... Bref, j'ai plein de tesson dans ma PAL et j'ai peur de les ouvrir...

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    1. Et oui, c'est facile de critiquer la société de consommation quand on "fait le plein" dans les magasins avant d'y aller !

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