J’ai déjà beaucoup lu ou vu des livres ou des films décrivant la fin de la civilisation après une catastrophe et la situation de ceux qui survivent : Ravages de Barjavel ou Malevil de Robert Merle pour ne citer qu’eux.
Aussi j’avais peur de cette impression de déjà (trop) connu dans le roman Station Eleven d’Emily St John Mandel, jeune écrivaine canadienne. Mais le livre est placé sous le signe de Shakespeare puisque l’épidémie qui va décimer 99% de la population terrestre a lieu le jour suivant la mort de l’acteur Arthur Leander. Or, celui-ci s’écroule sur scène, victime d'une crise cardiaque, au milieu de la représentation du Roi Lear. Alors ma curiosité a été piquée.
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Bien sûr, j’ai retrouvé dans Station Eleven des situations récurrentes à tous les romans d’anticipation qui explorent ce thème et ceci est inévitable. La fin de la civilisation s’accompagne toujours d’un retour à la loi du plus fort. Et contrairement à la philosophie rousseauiste, comme l’homme est naturellement mauvais, il va s’emparer par la force de ce qu’il désire pour assurer sa survie, son confort (même relatif) et son plaisir! L’enfant et la femme sont une proie pour ces prédateurs. Le roman post-cataclysme développe donc, avec ce retour à la nature primitive, le mythe du chef qui est en général un homme. Souvent la femme, du moins chez les deux écrivains précédemment cités, occupe une place secondaire, importante surtout pour la survie de l’espèce ! Par contre, la femme chez Emily St John Mandel apprend à se défendre seule comme Kirsten, à combattre et à jouer du couteau, s’il le faut. De plus, elle aussi peut-être détenir l’autorité ! Ainsi la chef d’orchestre de la petite troupe autour de laquelle se rallient musiciens et acteurs. Ce qui est entièrement nouveau.
Le rôle de la religion est aussi un thème très présent. Dans Station Eleven le fanatisme est un moyen de manipulation et de contrôle du pouvoir. Le Prophète, nouveau gourou, s’empare d’une petite ville et soumet ses habitants.
Et puis, bien sûr, l’on retrouve dans toutes ces oeuvres la souffrance liée à la disparition d’êtres chers mais aussi du monde ancien. Ceux qui s’en sortent le mieux ce sont les enfants qui n’en ont plus le souvenir. Le regret lancinant des bienfaits de la civilisation disparue taraude les esprits : l’absence d’électricité qui plonge les nuits dans une obscurité angoissante, la lutte pour trouver à manger, la disparition des transports, du téléphone, d’internet qui abolissaient les distances, l’insécurité des villes et des chemins infestés de voleurs de tueurs. Et cette nostalgie donne une coloration au roman qui nous fait regarder d’une autre manière notre civilisation. Un point de vue différent qui nous permet d’en voir les aspects positifs et non, comme nous le faisons souvent à l’heure actuelle, ce qu’il y a de négatif. Nous prenons conscience de la facilité de notre vie liée aux sciences. Là aussi le roman va à l'encontre des idéologies qui critiquent le progrès, l'asservissement de l'homme à la machine.
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Mais la vraie réussite de ce roman, c’est d’avoir fait d’une petite troupe de comédiens itinérants le symbole insubmersible de la civilisation. En effet, les personnages d’Emily St.John Mandel sont des artistes. Ils se déplacent de ville en ville dans des voitures tirées par des chevaux, comme Molière, et oui, pour donner leur spectacle musical et théâtral. Ce sont eux qui maintiennent l’espoir, l’émotion, la beauté et redonnent un sens à la vie, de même qu'ils rendent aux survivants leur statut d’êtres humains. Pourquoi? « Parce que survivre ne suffit pas ».
« Ce qui a été perdu lors du cataclysme : presque tout, presque tous. Mais il reste encore tant de beauté : le crépuscule dans ce monde transformé, une représentation du Songe d’une nuit d’été sur un parking dans la localité mystérieusement baptisée Saint Deborah by the Water avec le lac Michigan qui brille à cinq cent mètres de là. »
Et si les comédiens interprètent uniquement des pièces de Shakespeare, « c’est parce que les gens veulent ce qu’il y avait de meilleur au monde »
Et tant qu’il y a de la beauté sur cette terre, tant que la vie intellectuelle subsiste, la civilisation peut reprendre ; témoin le renouveau avec la création d'un musée, d'un journal et la réapparition timide de l'électricité. Un livre assez optimiste, finalement.
Enfin, l’originalité du roman, c’est cette construction savante de récits conçus non comme des retours dans le passé, mais comme des espaces temps qui font coexister le présent et le passé ou même parfois anticiper l'un par rapport à l'autre. La vie de l’acteur Arthur Leander, de son fils Tyler et de ses trois épouses, sa mort, l’enfance de Kirsten et sa vie actuelle se déroulent en parallèle… Et entre passé et présent émerge un personnage très beau, celui Miranda, la première femme de Leander, une artiste elle aussi, qui écrit et dessine une bande dessinée. Elle y raconte une histoire de survie après la fin d’une civilisation, récit dans le récit, fil conducteur entre le passé et le présent et entre les personnages, en particulier entre Kirsten et Tyler, tous deux très jeunes au moment de la catastrophe.
Un roman bien écrit et intéressant qui trouve sa place auprès des bons romans illustrant ce genre.
Depuis le festival america ce roman je veux le lire! Tu confirmes
RépondreSupprimer(et j'adore tes illustrations!)
Elles sont impressionnantes ces photographies? et d'autant plus si l'on connaît Nîmes !
SupprimerJ'ai hâte de le lire celui-là ; la bibliothèque l'a commandé, j'espère qu'ils ne me feront pas attendre trop longtemps.
RépondreSupprimerHélas ! Je ne peux encore le prêter car Wens et mes filles doivent le lire.
Supprimerj'ai trouvé que ce roman dépassait le cadre de l'anticipation ( mais peut-être que je me trompe car Je lis très peu de romans dits d'anticipation) pas les réflexions sous-jacentes et les thèmes abordés.
RépondreSupprimerTout bon roman d'anticipation est une réflexion sur notre société et plus généralement sur la civilisation. Les idées philosophiques de l'auteur s'y expriment forcément. Beaucoup de thèmes abordés dans Station Eleeven le sont aussi dans les autres romans. L'originalité de celui-ci c'est d'avoir fait de la littérature la condition de survie de l'humanité.
Supprimerj'ai lu Anna de Niccolo Ammanati sur le thème d'épidémie dévastatrice (tous les adultes meurent ne restent que les enfants et je n'ai pas aimé) mais celui-ci a l'air plus intéressant
RépondreSupprimerJ e n'ai pas lu celui d'Anna de Nicclo Ammanati. Pourquoi n'as tu pas aimé? Station Eleven est aussi sur le thème de l'épidémie.
SupprimerPendant la guerre froide, le cataclysme était en général causé par une guerre atomique. Ce genre de roman exprime les peurs d'une époque. Tu te souviens du roman de Nevil Shute : le dernier rivage?
tu vas parvenir à me convaincre alors que j'étais plutôt réticente
RépondreSupprimerTous les avis sont décidément enthousiastes, il faut croire que c'est le genre en lui-même qui m'a posé problème alors (et pourtant, j'ai beaucoup aimé le premier chapitre).
RépondreSupprimerOui,le premier chapitre est consacré à Shakespeare et à la mort de cet acteur shakespearien, Leander. Moi aussi,j'ai aimé ce début. Mais on retrouve le comédien dans la suite du roman car sa vie est intimement liée à des personnages qui ont survécu à la catastrophe.
SupprimerIl est déjà bien chroniqué sur la blogo, ce livre, et ton beau billet donne encore plus envie de le lire...
RépondreSupprimerC'est un bon roman, intéressant. Pas un coup de coeur mais j'ai pris plaisir à le lire.
SupprimerJ'ai tellement envie de le lire ce livre, j'en trépigne encore plus avec ton avis. Et je note surtout que Malevil est dans ma bibliothèque : je vais vite le ressortir (j'ai adoré Ravage)
RépondreSupprimerJ'ai bien envie de le lire, j'ai hésité à l'acheter au Festival America, et me suis dit que je n'aurais pas de mal à le trouver dans mes librairies ! (un zeste de raison, parfois...)
RépondreSupprimerUn très bon roman, envoûtant, auquel je repense souvent, plus d'un mois après l'avoir lu. J'ai beaucoup aimé le rôle central donné à l'art en tant que moteur pour la survie de ce qu'il reste de la civilisation. L'auteure parvient à nous faire oublier la noirceur de la situation : l'espoir est présent en permanence, ce qui fait de ce livre, il me semble, un roman d'anticipation assez atypique (mais je ne suis pas spécialiste !) J'ai adoré aussi le musée de la civilisation où l'on vient "regarder le passé" : de quoi nous réconcilier en effet avec les outrances du progrès !
RépondreSupprimerTu semble conquise toi aussi😊 il est maintenant dans ma pal 😊 j'ai hâte de le lire
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