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lundi 15 janvier 2024

Annette Hess : La maison allemande

 

Dans La maison allemande de Annette Hess, nous sommes en 1963 et le deuxième procès des criminels nazis du camp d’extermination d’Autschwitz va avoir lieu à la grande la désapprobation de l’opinion publique, les journaux se faisant l’écho de  la population qui pense que l’on ne doit pas remuer le passé.

« Ce qui ressortait de la plupart des articles, c’était qu’il fallait tirer un trait sur le passé. Les vingt et un accusés étaient de gentils grands-pères et pères de famille, de braves citoyens travailleurs qui avaient traversé le processus de dénazification sans se faire particulièrement remarquer. »

Evan Bruhns, une jeune interprète allemand-polonais, est sollicitée pour traduite les  dépositions des victimes polonaises mais elle se heurte dès le début à l’opposition de ses parents Edith et Ludwig et de son fiancé Junger, un riche héritier.  Eva comme la plupart des jeunes gens de son âge a été tenue dans l’ignorance de ce qui s’est passé, les générations précédentes préférant laisser dans l’oubli l’horreur des faits et le rôle actif ou passif qui a été le leur.
Pour la jeune fille qui va traduire les témoignages et être au plus près des victimes, ce sera la prise de conscience de ce qu’a été le nazisme et l’horreur des camps de concentration. Elle découvrira la responsabilité, pour ne pas dire la culpabilité d’une grande partie de la population, y compris de ses parents. Sa compassion envers les victimes et son indignation sont d’autant plus virulentes que les accusés, presque certains de leur impunité, nient les faits et opposent indifférence et mépris aux juifs qui ont le courage de venir témoigner.  Et effectivement les peines retenues contre eux seront légères.
 

"Mais Otto Cohn leva la main.
_ J’ai une dernière chose à dire. Je sais que tous ces messieurs affirment qu’ils ne savaient pas ce qui se passait dans le camp. Le lendemain de mon arrivée, je savais déjà tout.  Et je n’étais pas le seul. Il y avait là un garçon de seize ans qui s’appelait Andreas Rapaport. Il a écrit  avec son sang sur le mur en hongrois : « Andréas mort à seize ans. ». Ils sont venus le chercher au bout de deux jours. Il m’a crié : «Je sais que je vais mourir. Dis à ma mère que j’ai pensé à elle jusqu’au dernier instant. » Mais je n’ai pas pu le lui dire car elle était morte aussi. Ce garçon, il savait ce qui se passait là-bas !
Cohn fit quelques pas en direction des accusés. Les deux poings levés , il criait.
-Il savait et vous non ? ! Vous, Non ?
!
Eva se dit que Cohn ressemblait  à un personnage de la Bible, Dieu en colère, et qu’à la place des accusés elle le craindrait. Mais ces messieurs en costume-cravate gratifiaient Cohn de regards méprisants, amusés ou indifférents. »

Pour Eva, le procès provoque un bouleversement qui va impacter toute sa vie. Un sentiment de culpabilité pèse sur elle. Les fautes des parents doivent-ils retomber sur les épaules des enfants ? C’est la question que pose ce roman.  Ainsi quand Eva va retrouver le coiffeur juif qui a survécu au camp de concentration et où sa mère l'amenait se faire coiffer, elle ne sait comment exprimer sa désolation. Après son départ,  celui-ci répond à une assistante qui demande ce que voulait sa visiteuse : " Ils veulent qu'on les console".

En même temps qu’elle découvre le passé, elle prend conscience de l’aliénation féminine dans l’Allemagne des années 60 où la femme a obligation de se marier et d’être une épouse obéissante et soumise, et obligatoirement  une mère de famille dévouée !  La dépendance dans laquelle Junger, son fiancé, veut  la maintenir n’a d’égale que le conformisme social du jeune homme même si celui-ci évolue comme on le verra au cours du récit. La différence de milieu social entre Junger qui se trouve à la tête de l’entreprise de son père et Eva, fille de propriétaires d’un petit restaurant dans un quartier populaire de Francfort, complète cette vision sociale.
Un autre personnage curieux, c’est Annegret, la soeur d’Eva, elle aussi victime des hommes. Peut-être aussi, porte-t-elle a sa manière le monstrueux passé de son pays ? Plus âgée que sa soeur Eva, elle a peut-être mieux compris ce qui se passait à ce camp ? Ses actes, ceux d’un esprit malade, sont aussi glauques que ceux des SS des camps de concentration mais le dénouement est assez surprenant, peut-être à l’image de tous ces bourreaux qui ont fini tranquillement leur vie dans leur lit, n’ayant jamais à rendre compte de leurs crimes comme on le verra  à l'issue du procès !
Un roman intéressant et lucide à la fois pour connaître cette période en Allemagne et pour l’analyse psychologique des personnages qui réagissent à ces faits.


 

8 commentaires:

  1. J'ai lu ce roman à la même période, l'an dernier. Annette Hess recrée très bien l'ambiance et la psychologie des années 60. Elle a fait un remarquable travail de recherche dans les archives. La condescendance des accusés, qui se croient intouchables, est insupportable. Eva, son héroïne, perd effectivement beaucoup de sa candeur.

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  2. c'est un roman que j'ai énormément aimé, je l'ai lu il y a ...je vérifie mais ça date déjà de 2019 brrr j'avais apprécié ce récit et à la suite j'avais visionné un film sur un sujet similaire que je te recommande Le labyrinthe du silence qui raconte le parcours d'un jeune avocat pour mettre à jour des nazis bien cachés dans des emplois anodins

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  3. J'ai tellement lu sur ce sujet ... mais peut-être ne lit-on jamais assez en tout cas j'ai tès envie de lire ce livre.

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  4. Je n'en avais pas entendu parler, merci beaucoup pour ta présentation - j'en prends note.
    Bonne semaine, Claudialucia.

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  5. cela doit être très intéressant en effet ce point de vue !

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  6. Une lecture que j'avais appréciée moi aussi, sur une période allemande que je connaissais peu et plutôt par des films (le labyrinthe du silence).

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  7. miriam : lu il y a un an pour Les Feuilles Allemandes . j'avais bien aimé .
    https://netsdevoyages.car.blog/2022/11/19/la-maison-allemande-annette-hess-actes-sud-2019/

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  8. Il ne me tentait pas au moment de sa sortie (j'avais sans doute trop de lectures sur le nazisme à ce moment-là), mais ce billet me donne envie de programmer cette lecture prochainement à la fois pour le sujet et la période des années 1960.

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