Angel Wagenstein est un cinéaste et écrivain bulgare.
Né dans une famille bulgare d'origine juive séfarade, Angel Wagenstein a passé son enfance en exil à Paris (France) où sa famille s’est réfugiée pour fuir la répression des autorités bulgares de l'époque à l’égard des membres des mouvements socialistes et communistes. Il retourne dans son pays à la faveur d'une amnistie et, encore lycéen, milite dans une organisation antifasciste alors interdite. Des actes de sabotage lui valent d'être interné dans un camp de travail dont il s'évade pour rejoindre les rangs des Partisans. Dénoncé, arrêté, torturé et condamné à mort en 1944, il ne doit son salut qu'à l'arrivée de l'Armée rouge.
À la fin de la guerre, il suit des études cinématographiques à Moscou (Russie) et signe par la suite les scénarios d'une vingtaine de longs-métrages, récompensés par de nombreuses distinctions internationales, dont, en 1959, le Prix spécial du jury du Festival de Cannes pour Étoiles, qui met en scène les amours d'un militaire allemand avec une déportée juive bulgare. Il a aussi réalisé des documentaires et des films d'animation.
Dans les années 1990, Angel Wagenstein s’est lancé dans l’écriture de romans. "Le Pentateuque ou les Cinq livres d'Isaac" - qui évoque avec humour la destinée des juifs d’Europe centrale - est un succès immédiat. Plus qu’avec ses productions cinématographiques, Angel Wagenstein est devenu un écrivain reconnu dans l'ensemble de l'Europe. Ses livres ont été traduits dans de nombreuses langues européennes ainsi qu'en hébreu. Source : Wikipédia
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Zlati Boyadzhiev : Plovdiv la vieille ville |
Abraham le poivrot, loin de Tolède est, après Le Pentateuque ou les cinq livres d’Isaac, le deuxième volet de la trilogie d’Angel Wagenstein sur le destin des Juifs d’Europe. Le troisième volet Adieu Shanghai clôt la trilogie.
Abraham le poivrot, loin de Tolède : Albert Cohen, Bulgare exilé à Israël, iconôgraphe, rentre à Plovdiv, sa ville natale, le temps d’un colloque au monastère de Batchkovo, " le plus ancien monastère conservé dans ces régions, bâti voilà neuf cent ans." C’est un spécialiste de l’école byzantine d’iconographie et de ses ramifications tant slaves que caucasiennes.
Pour qui lit ce livre, comme je l’ai fait, en visitant Plovdiv, le plaisir est décuplé de se retrouver avec le personnage face aux images des saints « fixés pour l’éternité sur les murs de la vieille église » dans les montagne des Rhodopes :
« Les montagnes alentour exécutent avec enthousiasme leur oratorio automnal en orange, mordoré et rouge, sobrement soutenue par les ténébreuses basses des pins. »
Ou dans les vieilles rue du quartier Orta Mezar :
"Tout ceci se passait voilà bien longtemps, lorsque Plovdiv comptait plus de tavernes que d’habitants et que la clarinette de Manouche Aliev emplissait jusque tard dans la nuit le cour des hommes de pont, de tristesse et de joie."
Albert Cohen rencontre une amie d’école, Araxi, son amour d’enfance, partie en exil à Paris il y a bien longtemps, avec sa mère, la belle Mme Marie Vartanian, et qu’il n’avait jamais revue depuis. L’on apprendra ce qu’elle est devenue au temps du communisme qui a précipité la fin du vieux quartier tel qu’il était alors. Il revoit aussi un vieux photographe, Costas Papadopoulos, gardien de la mémoire de l’ancien Plovdiv, dont les photographies jouent un grand rôle dans la mémoire collective, et font renaître la vie d’un quartier cosmopolite autour de sa synagogue. Comme revit aussi le grand-père d’Albert, Abraham, maître ferblantier, surnommé le Poivrot. Le récit tourne autour de cet homme hors du commun qui invente des histoires rocambolesques dont il est le héros pour son petit-fils et qui, entre pastis et rakis, philosophe sur la vie avec ses amis.
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Tsanko Lavrenov : Plodiv ( détail) |
Souvent, la mémoire s’incarne dans un défilé de photos prises par Papadopoulos, images figées qui prennent vie et et se raniment sous la plume de Wagenstein.
La voilà, la taverne sous la treille, en face des vieux bains turcs, le premier havre du Poivrot, mais aussi son préféré dans sa longue navigation parmi les lagunes inexplorées de l’archipel des tavernes de Plovdiv. Et les vendeurs ambulants de douceurs orientales, balsusuk, Kadingübek, Kadayif, sans oublier le mahallebi d’un blanc nacré qui embaume la rose, aussi frémissante que le sein d’une jeune parturiente! Les voilà, les svelte Turques qui ont enfilé le salira et chaussé les socques, toutes de noir vêtues, le visage couvert du Tasman immaculé qui ne laisse voir que deux yeux malicieux, pleins de vie. Et voilà aussi, les selliers, les étameurs, et la ferrailleurs, près du pont de bois, les marchands d’abricots secs, de pistaches, et d’amandaies caramélisées.
Ainsi nous apparaît le quartier, avec le pittoresque de ses populations mêlées, avec ses commerces débordants de denrées orientales, et le peuple si divers, si bariolé, le grand père avec ses amitiés, ses disputes et ses réconciliations, toute une vie chaleureuse et dense évoquée dans un style prolixe, vivant, plein de sève.
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Zlati Boyadzhiev le pope |
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Zlatti Boyadzhiev le pope(détail) |
Une comparaison s’établit entre le Plovdiv d’aujourd’hui « impersonnel et froid » et celui d’hier où toutes les religions et les nationalités vivent ensemble dans une sorte syncrétisme bon enfant qui préside à l’éducation du petit Albert. Il y a des scènes hilarantes où le garnement est pris entre le pope qui lui assène « une claque pédagogique », le Hodja et le Rabin qui font de même ! A côté de ces trois figures religieuses, il y a, bien sûr, le maître d’école dont le rôle auprès des enfants n’est pas moins important.
L’humour de l’auteur va souvent de pair avec la nostalgie quand il évoque un monde disparu qui n’est plus peuplé, pour lui, que par des ombres. Abraham Le Poivrot est une réflexion sur le souvenir et la mémoire qui déforme les faits si bien que l’on ne sait plus si la réalité que l’on recrée correspond à la vérité. Mais remarque l’auteur : « nos représentations et nos souvenirs déformés ne constituent-ils pas une réalité, mais une réalité autre, parallèle et imaginaire. »
Humour aussi dans le sous-titre, loin de Tolède : l'écrivain donne quelques "précisions historiques" sur les origines de sa grand-mère, dont les ancêtres, les Mazal, ont été chassés d'Espagne au temps de Ferdinand et Isabelle, les Catholiques, et du sinistre dominicain Thomas de Torquemada. Comparant sa grand-mère à "un arbre pourvu de racines profondément enfouies ", l'écrivain explique comment celle-ci, "comme toutes les grands-mères juives dans les Balkans" utilise un langage assez étrange et savoureux, hérité du ladino (latin populaire), du Spanol et qu'elle-même nomme judesmo (juif). Aussi quand la grand-mère fait une scène à son mari, poivrot et infidèle, ce n'est pas triste :
"Au nom de la vérité, il nous faut reconnaître notre incapacité à restituer, dans toute leur authenticité, les mots qui suivirent. Car le dialecte qu'utilisait la senore Mazal à l'occasion de semblables échanges interethniques s'avérait un indescriptible mélange de mots slaves aux terminaisons espagnoles, et inversement, d'archaïsmes en hébreu ponctués de jurons turcs, le tout dans une confusion obstinée des genres masculin et féminin, ce plat linguistique étant par ailleurs généreusement arrosé d'une sauce ladino."
Un beau livre qui est à la fois plein d’humour, de vie et de chaleur humaine.
Angel Wagenstein : Abraham Le poivrot, loin de Tolède : Plovdiv (2)
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