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lundi 6 octobre 2025

Carys Davies : Eclaircie

 

Le roman de Carys Davies, Eclaircie, se déroule en 1843 dans une île isolée au nord de l’Ecosse. C’est l’année, nous explique l’auteure, de la Great Disruption, le schisme qui a eu lieu au sein de l’église  presbytérienne écossaise et qui vit de nombreux pasteurs la quitter pour fonder la nouvelle église libre d’Ecosse. Ils protestaient contre le droit que détenaient les grands propriétaires terriens de choisir eux-mêmes les pasteurs. Un autre fait historique d’importance qui préside à ce récit est ce que l’on a appelé en Ecosse : les Clearances. Ce sont des déplacements forcés des populations rurales vivant sur des territoires reculés qui ont commencé dès le milieu du XVIII siècle et se poursuivent jusqu’à la seconde moitié du XIX siècle. Des paysans pauvres furent ainsi chassés de chez eux, allant rejoindre sur le continent une population miséreuse, sans aucune ressource, corvéable à merci, pour laisser aux grand propriétaires, en quête de profit, la possibilité de faire à moindre frais l’élevage intensif de moutons.

C’est là qu’intervient John Ferguson, pasteur prebytérien de la nouvelle église libre à laquelle il a adhéré pour être en accord avec sa foi et sa conscience. Désormais sans paroisse et sans le sou, il est pourtant obligé d’assurer sa subsistance et celle de sa femme. C’est pourquoi il accepte un travail. Il doit se rendre dans une île au nord des Shetlands où vit Ivar, le seul habitant du lieu, pour lui signifier qu’il doit quitter son foyer. Mary a beau démontrer à John les dangers de cette mission ainsi que la responsabilité morale qui sera la sienne, John est dans le déni et se persuade qu’il agit pour le bien de cet homme puisque celui-ci pourra désormais vivre avec ses semblables. Une des difficultés et non des moindres est qu'Ivar parle une langue en voie de disparition, la langue norne, et qu’il lui sera bien difficile de se faire comprendre ! 

Mais voilà que rien ne se passe comme prévu ! John Ferguson blessé est recueilli par Ivar et le roman décrit la construction d’une amitié entre les deux hommes autour de l’apprentissage de cette langue norne, riche et passionnante, qui est en elle-même une aventure. 

«  D’autres termes étaient plus ardus tant il en existait pour désigner les moindres variations du climat et du vent, du comportement de la mer aussi, qui semblaient parfaitement distinctes aux yeux d’Ivar mais que John Ferguson peinait à définir avec certitude et qui le laissaient tout bonnement perplexe - des mots tels que gilgal et skreul et yog, fester et dreetslengi - qui semblaient tous avoir un sens précis et bien particulier, lequel dépassait son expérience personnelle et ses pouvoirs d’observation; autant de termes qu’avec un léger sentiment de défaite, il traduisait collectivement par « une mer agitée ». »

Les personnages sont très réussies : l’austérité du pasteur dont le visage peint le caractère en deux mots : «osseux et presbytérien », caractère qui se précise encore quand John entend sa belle-soeur demander à Mary  « si elle regrettait de ne pas avoir épousé un homme moins sérieux, adjectif qui dans sa bouche, il en était persuadé, signifiait strict et sans humour, ennuyeux et, plus généralement presbytérien. ». 
Pour cet homme, corseté dans ses principes, danser représente un péché, et si, par amour, il pardonne à sa femme d’avoir remplacé ses dents tombées par des fausses, suprême vanité que la communauté lui reproche, il ne le ferait jamais pour lui-même. Scrupuleux à l’extrême dès qu’il s’agit de l’indépendance spirituelle de son église, il néglige ce qui est temporel comme l’injustice sociale. Pourtant, peu à peu, au contact d’Ivar, des scrupules naissent et il se sent honteux du rôle qu’il doit jouer.  

Ivar, lui, est un taiseux. La solitude façonne un homme surtout dans un environnement dur, hostile, où il est à la merci de la maladie qui l’a laissé très affaibli. ll file la laine de ses quelques moutons et tricote ses vêtements. Il vit de peu et mène une vie simple qui ressemblerait au bonheur si ce n’était le manque de compagnie.

« Il resta planté sous la pluie douce qui tombait maintenant et, au bout d’un long moment se parla dans sa tête :
 J’ai les falaises et les récifs et les oiseaux. J’ai la colline blanche et la colline ronde et la colline pointue. J’ai l’eau claire de la source et la bonne pâture riche posée comme une couverture sur les hauteurs perchées de l’île. J’ai la vieille vache noire et l’herbe goûteuse qui pousse au milieu des rochers, j’ai mon grand fauteuil et ma maison robuste. j’ai mon rouet et ma théïère, j’ai Pegi ( son cheval) et, maintenant, miracle, j’ai John Ferguson. »
 

La beauté de la nature dans cette île est toujours présente, décrite par petites touches, même si cela n’occulte pas la difficulté de la vie lorsque commence l’hiver et que le moral est en berne au fur et à mesure que les nuits s’allongent.

Ce roman est juste au niveau des caractères, conté sobrement et les descriptions, les moments de vie, la présence constante de la mer avec les tempêtes, la pêche, les oiseaux, mais aussi la présence chaleureuse des animaux domestiques, le partage entre les deux hommes, la personnalité affirmée du personnage féminin, tout suscite beaucoup d’intérêt. 

C’est pourquoi j’ai été très déçue par le dénouement. Je comprends que Carys Davies veuille montrer l’évolution du pasteur mais la fin qu’elle imagine est contraire à la mentalité, aux croyances profondes d’un austère presbytérien et même de sa femme aussi évoluée soit-elle !  On ne peut y croire un seul instant !  L'écrivaine se trompe de siècle. Je trouve qu’elle cède à la facilité, voire à la mode (?) en écrivant une fin recevable au XXI siècle mais pas au XIXième, époque ou se déroule l’histoire ( et encore si vous vous renseignez sur les presbytériens américains à l'heure actuelle, vous verrez qu’ils n’en sont pas là  même si l'on n'en est plus à la Lettre écarlate ! )
Je ne peux en dire plus pour ne pas divulguer la fin mais je m’étonne d’être la seule à avoir noté cette incohérence psychologique et historique pour ce roman nominé à plusieurs prix littéraires.

Voir le billet d'Alexandra ICI

 

 

Chez Fanja


 

11 commentaires:

  1. Chez babelio, au moins un billet déplore la fin...

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    1. J'irai le lire ! J'ai été d'autant plus déçue de cette erreur que le roman m'a plu.

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  2. Je comprends ton bémol pour la fin. C'est vrai qu'elle peut surprendre pour l'époque mais je trouve qu'elle correspond bien aux personnages et à leur évolution. Je viens de terminer l'autobiographie d'un aristocrate anglais homosexuel. il est né plus tard (fin 19ème siècle et a écrit son livre au début du 20ème) mais j'ai été étonnée qu'il affiche si facilement son homosexualité. J'ajoute un lien vers ton billet à la fin du mien.

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    1. Proust aussi parlait de l'homosexualité à la même époque mais il sauvegardait les apparences autant que possible. Mais pense à Wilde ! L'homosexualité était punie par la loi. Elle n'a été dépénalisée en France officiellement qu'en 1982. En 2010 aux Etats-Unis un pasteur convaincu d'homosexualité a été démis de ses fonctions. Dans certains pays on en meurt encore. Et en plus, John Ferguson est adultère et d'un seul coup il oublie toutes ses convictions intimes. Ce qui m'a irritée, c'est cette grossière erreur de mentalité. Tout doit s'arranger ! Comme j'ai bien aimé le livre, j'ai mal accepté ces invraisemblances, ce manque de compréhension des mentalités et croyances. Quant au ménage à trois qu'envisage sa femme, c'est tout simplement ridicule.

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  3. Il vient de rejoindre ma bibliothèque, je le lirai avant fin novembre, pour le faire passer dans le Book trip en mer (tu peux d'ailleurs proposer ton billet à Fanja). J'ai donc lu ton billet en diagonale, mais j'ai eu le temps de voir que tu étais déçue par la fin... on verra, j'ai énormément aimé Le voyage de Hilary Byrd, lu cette année aussi.

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    1. Mais c'est vrai, je vais le proposer à Fanja pour son challenge. C'était le premier livre que je lisais d'elle et c'est vrai qu'elle écrit bien.

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  4. C’est si fréquent de relire le passé à l’aulne de nos idées actuelles.

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    1. Bien sûr, la littérature est universelle et il est normal de la lire en cherchant en quoi et comment elle nous parle de nous et quelles leçons, quelles richesses en tirer. Ce que je veux dire avec « à l’aune de nos idées actuelles », c’est le fait de juger les faits et les personnages avec notre mentalité actuelle, ce qui entraîne un manque de compréhension, des contresens, mais aussi, bien souvent des aberrations. On débaptise le titre des livres, on interdit des mots et des pensées, on déboulonne, on conspue des personnes qui ne pouvaient pas penser comme nous, lecteurs du XXI siècle. On ne peut pas comprendre les personnages de Balzac, par exemple, si on le lit sans tenir compte de l’évolution des mentalités au cours des siècles. C’est ce que j’appelle céder à la facilité ou à la mode ! Et c’est pourquoi la fin de ce roman m’a énervée et ceci d’autant plus que je le trouvais réussi.

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  5. Je l'ai lu et pense le chroniquer bientôt.
    La fin m'a bien titillée un peu, mais j'ai trouvé que dans un roman, l'auteur a une certaine liberté, par exemple celle d'imaginer que la psychologie de quelques personnes puisse détonner par rapport à la mentalité de l'époque.

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  6. Détoner mais pas à ce point ! Un presbytérien sincère et entier comme John Ferguson ne peut pas accepter son homosexualité et l'adultère à cette époque-là ( 1843) sans une crise de foi majeure, sans se sentir condamné devant Dieu et sans être condamné aussi pas la société. Il ne faut pas oublier que les presbytériens croient à la prédestination. Liberté de l'auteur si c'est un livre à l'eau de rose, oui, mais cela n'est pas le cas. C'est même un bon roman. Elle avait trouvé un ton juste pour parler de ses personnages... et puis d'un seul coup, patatras !

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  7. Athalie l'a lu aussi récemment. Ce roman commence à sérieusement m'intriguer. Je pense céder à la curiosité prochainement aussi je n'ai pas lu les motifs de ta déception sur le dénouement, mais je suis très curieuse de savoir si j'aurai le même ressenti que toi.

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