Mille francs de récompense de Victor Hugo appartient au recueil de pièces intitulé Théâtre en liberté, pièces que l’auteur n’a jamais vues sur scène avant sa mort.
Ce mot de liberté appliqué au théâtre a deux sens. Il correspond d’abord au manifeste romantique de Hugo dans la préface de Cromwelll ou de Hernani qui prône la liberté dans l’art. Ainsi au théâtre, Hugo met à mal les règles classiques des trois unités et prône le mélange des genres : ni comédie, ni tragédie, il invente le drame, tout en se réclamant de Shakespeare. Le second sens est à prendre au sens propre. Hugo, exilé, jugé dangereux, sait que la censure n’autorisera jamais ses pièces à être jouées. Par contre, elles peuvent être publiées. C’est ce qu’il fait. Le théâtre est l’art de la parole et doit déjouer les pièges de ceux qui veulent la museler.
Mille francs de récompense : Théâtre national de Strasbourg 1969 |
Mille francs de récompense est un « drame » typiquement romantique, c’est à dire que la pièce présente ce mélange des genres voulu par Victor Hugo : tragique et comique, grotesque et sublime s’y côtoient.
La noirceur est là, représentée par Rousseline, cet homme horrible, dont la richesse est fondée sur des malversations, des intrigues et des trahisons. Il est l’ogre qui veut manger les petites filles, en l’occurence Cyprienne, la charmante jeune fille qui est en son pouvoir. Mais ce voleur est respecté par la société qui le comble d’honneurs.
Glapieu, lui représente le « bon » voleur. C’est la misère qui l’a amené à voler, c’est en prison qu’il a appris les ficelles du « métier » et depuis c’est en vain qu’il veut s’amender. Il est poursuivi par le police qui veut le jeter en prison. Il est honni par la société, celle-là même qui est responsable de ce qu’il est devenu.
Le personnage de Glapieu, mélange de grotesque et de sublime, qui nous fait rire et que l’on admire, ridicule mais bon et courageux, est une constante chez Hugo. On le retrouve dans L’homme qui rit à la fois sous les traits de Gwinplaine défiguré par son affreux sourire mais porteur d’un idéal et sous les traits de Ursus, le philosophe, bourru au grand coeur, qui analyse la société aristocratique avec une lucidité implacable. Glapieu ressemble aussi au voleur Aïrolo qui prend le parti de la liberté contre le despotisme religieux et royal et vole au secours des amoureux dans Mangeront-ils ? Et l’on pense aussi à Jean Valjean, Hernani, à tous les marginaux et proscrits de l’oeuvre de Victor Hugo. Glapieu, enfant, n'est-ce pas aussi Gavroche que l’inégalité sociale maintient dans la misère et l'ignorance et amène au vol ? Le dramaturge condamne le rôle des prisons qui loin d’éduquer, pervertissent ceux qui y entrent, sans espoir de retour. Un thème d’actualité ? Cela n'a pas beaucoup changé, n’est-ce pas ?
A travers la saisie dont sont victimes Etiennette et Cyprienne dépossédées de leur bien en plein hiver alors qu’elles ont été spoliées par Rousseline, c’est la justice sociale que Hugo remet en cause. Une justice qui n’a aucune compassion envers un vieil homme gravement malade et qui poursuit son travail au risque de provoquer sa mort.
L’amoureux de Cyprienne, Edgar Marc, représente aussi un aspect du sublime romantique. Son geste pour sauver le grand père de sa bien-aimée est noble mais paradoxalement le déshonore. Il veut réparer sa faute dans la mort.
Pourtant si cette situation est tragique, l’humour est toujours présent surtout par l’intermédiaire de Glapieu et la fin de la pièce est heureuse. Pour cela Victor Hugo utilise un procédé facile et courant de la comédie (Molière) : celui de la reconnaissance d’un père et de son enfant.
Mille francs de récompense : mis en scène de Laurent Pelly |
On voit ainsi que le propos de Hugo, épris de liberté (il faut lire ce beau passage émouvant où il explique le sens de La Marseillaise) est subversif et que toutes les idées qu’il développera dans ses grandes oeuvres sont présentées dans cette pièce.
Quand on referme le recueil des pièces de Théâtre en liberté, on se dit que cette lecture de Mille Francs de récompense a été plaisante, pleine d’humour mais aussi pleine d’émotion - j’aime les textes qui font vibrer, qui dénonce l’injustice, qui plaide pour la liberté et l’égalité- car l’on y retrouve Hugo et son amour de ceux qui sont les victimes d’une société inhumaine. Et l’on n’a plus qu’une envie, celle de voir cette pièce sur scène avec une mise scène et des comédiens sensibles et intelligents. Un rêve ?
LC dans le cadre du challenge Victor Hugo et romantique avec :
Une lecture que j'ai apprécié notamment grâce à cette alternance de tons, entre le drame et le carnaval, ce voleur qui se fait justicier et ce juge qui aide un voleur. On ne s'ennuie pas un seul instant. Et je publie mon billet la semaine prochaine.
RépondreSupprimerD'accord, à la semaine prochaine; Une belle pièce qui joue avec les frontières du Bien et du Mal! Le vrai voleur n'est pas celui que l'on croit !
Supprimerje cherche mais je crois pouvoir dire sans me tromper que c'est la première pièce de théâtre que j'ai vu dans ma vie, j'étais collégienne et j'en garde un souvenir très vif, si j'ai oublié les noms des personnages par contre la trame de l'histoire m'est restée
RépondreSupprimerVu ? Tu as eu de la chance car l'on ne peut pas dire que la pièce ait souvent été jouée.
SupprimerJe vois que toi aussi, tu as été séduite par Glapieu ;-) J'aimerais vraiment voir la pièce jouée, après l'avoir lue... Hélas, rien de Victor Hugo l'an prochain auprès de chez moi !
RépondreSupprimerOui Glapieu représente bien sûr les idées de Victor Hugo. J'espère voir des pièces de Hugo au festival d'Avignon ?
SupprimerEt me voici, me voilà : https://chezmarketmarcel.blogspot.fr/2017/06/oh-les-oiseaux-les-oiseaux-quel-chef.html
RépondreSupprimerMerci pour ces bonnes idées de lecture, ces pièces ne sont pas du tout connues !
Je viens te voir dès demain! merci!
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