Cataract City de Graig Davidson, c'est Niagara Falls, la ville des chutes. C'est là que vivent Owen et Duncan.
Duncan sort de prison où il a passé huit ans. Son ami d'enfance Owen vient le chercher. Commence alors un récit à deux voix où chacun va raconter son histoire mêlant passé et présent et divers temps intermédiaires. Et ce double récit nous donne à voir ce qu'est la vie dans cette petite ville industrielle de l'Ontario où il y a peu d'avenir pour les enfants qui y naissent. Peu d'avenir et aussi peu d'occasion de s'échapper. La ville, personnage à part entière du roman, exerce une sorte d'attrait négatif, entre amour et répulsion, qui freine l'initiative.
"Il m'était arrivé de haïr cette foutue ville. Le sentiment d'échec omniprésent me donnait la nausée, engendrait l'impression de vivre dans une prison aux murs élastiques.
Je finissais par la trouver sinistre et menaçante. Je n'aurais su dire en quoi précisément -comment une ville pourrait-elle être néfaste?"
Je finissais par la trouver sinistre et menaçante. Je n'aurais su dire en quoi précisément -comment une ville pourrait-elle être néfaste?"
Niagara Falls, je l'avais déjà rencontrée dans le grand roman de Joyce Carol Oates Chutes, mais du côté américain. Le fleuve y exerçait un attrait puissant; il y était représenté comme une sorte de Dieu maléfique, une force démesurée. Oates y dénonçait non sans virulence la pollution des quartiers réservés aux ouvriers dont sont responsables des industriels criminels.
Pas plus que JC Oates, Davidson n'a l'intention d'entraîner son lecteur dans une visite touristique de la jolie cité "romantique" des voyages de noces, ni de brosser un tableau pittoresque du lieu. Si l'on y sent la présence du fleuve c'est pour évoquer les jeux d'enfance dans la rivière, où les trafics de contrebande sur les eaux gelés du Niagara en hiver et le bruit constant et obsédant des chutes qui crée un effet hypnotique..
En fait, Graig Davison s'intéresse aux milieux populaires, il nous parle de la dureté de la vie, du travail dans les usines ou les biscuiteries où chaque ouvrier est imprégné de l'odeur du biscuit, une ville où les distractions sont rares et les enfants peu poussés à l'étude. Si Owen, d'un milieu un peu plus aisé, a l'opportunité d'aller à l'université, Duncan, lui, est marqué par le déterminisme de sa classe. Mais tous deux, le hasard, la malchance, l'annihilation de la volonté aidant, vont être des victimes, des prisonniers de Cataract City qui ne laisse pas facilement échapper ses proies.
"Mon père comparait Cataract City à un réservoir d'air comprimé. La vie y est dure; d'une année à l'autre, les garçons deviennent des hommes, parce qu'ils n'ont pas le choix. La pression s'incruste dans les visages et les corps. On voit des gars de vingt ans aux mains noircies en permanence par la graisse pâteuse qui sert à lubrifier les rotatives de Bisk. Certains sont déjà voûtés à trente ans. A quarante ans, ils ont le front plissé des séquoias. On n'a pas le temps de vieillir ici, on devient vieux avant."
Dans l'enfance, Owen et Duncan sont rapprochés par leur amour du catch et leur admiration pour un catcheur qui les entraînera dans une sombre aventure. Plus tard, chacun évolue dans une sphère différente, à l'université pour Owen puis dans la police; Duncan, lui, nous fait pénétrer dans des milieux interlopes, courses de lévriers, et combats de chiens, rencontres de boxe clandestines, organisées par un truand sans scrupules, l'indien Drinkwater. Tout semble parfois séparer les deux amis mais ils sont toujours réunis dans les moments les plus difficiles de leur vie.
Il y a des passages très forts, passionnants, dans Cataract City, même si mon intérêt pour le roman a été parfois inégal. Deux récits-clefs, haletants, où l'on ne peut se décrocher de la lecture, encadrent l'action : L'un au début du roman, celle où les deux enfants sont perdus dans un paysage hostile, dans des tourbières de fin du monde, en proie à la faim, à la soif, menacés par des bêtes sauvages et où ils luttent pour leur survie; l'autre à la fin du roman, une course-poursuite sauvage des deux personnages alors devenus adultes, une traque implacable sur les traces de Drinkwater, dans les mêmes paysages, cette fois-ci en hiver. Dans les deux cas la mort joue à cache cache avec les héros, elle habille de sa présence menaçante chaque mot du roman. Si la première scène est un récit d'initiation violent, l'autre encore plus terrible provoquera un déclic pour Duncan. Les deux scènes forment une boucle, un recommencement qui amène pourtant au renouveau.
Je me suis demandé d'où venait parfois cette baisse d'intérêt de ma part. Je me suis aperçue que c'est lorsque Duncan part à la dérive et que nous sont décrits les milieux louches et crapuleux des combats de chiens ou d'hommes. Je pense que mes réticences viennent de mon refus de ces jeux de cirque violents et des personnages qui y participent mais que la qualité du roman n'y est pour rien.. Car les moments très forts, très puissamment décrits, abondent dans ces scènes de combats où tous les coups sont permis, où les parieurs sont avides d'argent et de sang versé. Si j'ai pu continuer ma lecture, c'est parce que Duncan reste toujours humain malgré ce qu'il fait : s'il est capable du pire, il l'est aussi du meilleur comme lorsqu'il sauve le chien blessé, par exemple, en mettant en péril sa propre vie; il est capable d'amour et d'amitié véritables et de compassion. Et c'est pourquoi, les personnages déchus - qui sont une constante dans l'oeuvre de Graig Davidson-, aussi bas qu'ils soient tombés, finissent toujours par se racheter. Graig Davidson est un écrivain qui croit en l'Homme malgré toutes les erreurs et les faiblesses dont celui-ci fait preuve. Il écrit ici une très belle histoire d'amitié.
Merci à La librairie Dialogues et aux Editions Albin Michel |
Je crois que la première scène avec les enfants qui errent et la dernière, celle de la traque en hiver pourraient me plaire et bien m'accrocher, mais je crains fort que ce ne soit pas le cas de tout le livre, tout comme toi... Je ne suis tentée qu'à moitié, alors ça ne suffit pas à me le faire noter... Mais tant mieux, j'ai tant de retard dans mes lectures (et mes billets ;0) Bon mercredi Claudialucia, bises
RépondreSupprimerUn grand merci pour cette première participation à mon challenge.
RépondreSupprimerBonne soirée.
Tiens! c'est mon tour, je pensais avoir mis un commentaire qui a disparu
RépondreSupprimerjamais lu cet auteur je verrai éventuellement en bibliothèque
RépondreSupprimerTon avis est intéressant et bien argumenté :-)
RépondreSupprimerJ'ai vu ce livre à la bibli ...
Et suite à ton jeu "un livre , un film " j'ai bien envie de découvrir l'auteur:-)