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lundi 3 novembre 2025

Cédric Sapin-Defour : Où les étoiles tombent

 

 Où les étoiles tombent est le second livre de Cédric Sapin-Defour après Son odeur après la pluie, que je n’ai pas lu mais qui a obtenu un vif succès. J’ai donc eu envie de connaître l’auteur. 

J’ai hésité à écrire ce billet ne sachant pas trop comment aborder ce livre qui parle d’une histoire si douloureuse, si intime, que le traiter comme un objet littéraire me paraissait difficile. Et cependant il l’est comme n’importe quelle autre oeuvre, avec ses défauts et ses qualités, alors je vais essayer.

L’écrivain y raconte comment en Italie, dans la province de Bolzano, Cédric et Mathilde s’envolent en parapente pour éprouver une fois encore cette grisante sensation de liberté et de légèreté, et comment, cette fois-ci, le saut vire au drame, Mathilde s’écrasant en contrebas. Elle est amenée aux urgences, son pronostic vital engagé. Elle survit pourtant à ses multiples blessures et dès lors commence une suite d’opérations pour « réparer » un corps en miettes, pour soigner son polytraumatisme. L’histoire de la lente reconstruction de Mathilde, de ses souffrances et son courage ne peut évidemment que susciter l’admiration mais je me suis demandé pourquoi je n’ai pas ressenti plus d’émotion à cette lecture. C’est là qu’on remet en question sa propre sensibilité et son pouvoir d’empathie. 

Je crois que cela réside, en partie mais en partie seulement, dans la construction de l’ouvrage. On sait que, de nos jours, si l’on ne veut pas s’attirer l’ire des critiques, l’on ne peut pas écrire un récit linéaire, chronologique. La déconstruction est obligatoire, et Cédric Sapin-Defour obéit à ce principe, racontant sa propre quête, vers le lieu de la chute, vers l’hôpital, ses interrogations angoissées sur ce qui est arrivé à son épouse et parallèlement le parcours de Mathilde en ambulance, à l’hôpital, les soins qu’elle reçoit, la rééducation. Les deux récits s’imbriquent l’un dans l’autre. C’est un procédé de suspense mais assez factice quand il s'agit de la réalité et non d'un roman. A moment donné cela fonctionne tant que l’on ne sait pas ce qui est arrivé à Mathilde, ensuite cela paraît émoussé quand on a déjà la réponse à toutes les questions que se pose Cédric avant d’arriver à l’hôpital. 

De plus, on ne peut avoir que le point de vue de Cédric, forcément, puisque les personnages sont réels et non des héros de roman. On apprend tout des sentiments de Cédric, de son amour pour Mathilde, de son empathie pour les souffrances horribles de la blessée mais Mathilde reste un personnage extérieur, vu par lui. Si l’on comprend la peine de Cédric, on reste loin de Mathilde. On ne lutte pas avec elle pour se reconstruire, on ne sait pas ce qu’elle ressent intérieurement, on ne peut qu’imaginer ce qu’elle ressent, d’où l’impression d’une certaine froideur, d’une distance, comme si entre le lecteur et le personnage un écran avait été dressé. Alors on compatit, oui, mais on "n’éprouve pas". Je sais bien que l’auteur affirme que « souffrir ne saurait être un spectacle » et c’est bien là que le bât blesse. Quand il s’agit de sa vie intime, il est légitime de ne pas se donner en spectacle mais alors, pourquoi l'écrire ? Et pour ne pas se donner en spectacle, on court le risque de se montrer trop froid, trop loin de son lecteur. 

Par contre j’ai apprécié les qualités littéraires de l’auteur et c’est là que j’ai ressenti de l’émotion dans certains passages du texte qui laissent filtrer des sentiments profonds et nous ramènent à l’universel. 
Par exemple quand il parle de la beauté, du corps humain, de la vie.

« Je vis entouré des forces de la beauté. S’il ne devait rester qu’une seule croyance, ce serait elle. La première fois, c’était le vent dans les herbes hautes, il coloriait le pré du Papou, du vert clair au vert foncé. Ca duré des secondes entières puis le vent s’en est allé. En même temps qu’apparaître, la beauté se retirait. Installée, ce n’est pas la beauté, c’est autre chose.
Puis on s’est revus, dans le ciel, dans les musées, dans les phrases et les pensées. La beauté c’est comme les chanterelles dans un sous-bois, quand on commence à la voir, on ne voit plus que ça. »


« Quelle invention le corps. Le plus évolué des outils n’atteint pas cette horlogerie, l’homme  n’atteindra jamais l’homme. »

« Moi, je croyais que c’était le coeur qui pensait, qui aimait, qui frémissait, qui en faisait trop ou pas assez. En réalité c’est le cerveau. Le coeur, c’est plus joli qu’un cerveau. C’est un oyas en peau d’argile blotti dans la terre et qui irrigue tout autour de lui, quand le cerveau, lui, on dirait le périphérique parisien. Mais c’est là-haut, dans ce lacis clignotant et selon un cadastre électronique rigoureux qu’habitent la gaieté, l’effroi, la tendresse, la poésie, l’émerveillement, la délicatesse, la possibilité de joie, les douces mélancolies, les forces de l’espoir, le don de la nuance, l’arbitrage des peurs, l’accueil de l’autre, les tentations de la violence, la soif de découvrir, le doute, l’imaginaire, les rêves oubliés, les vérités fragiles et toutes ces folies passionnantes qui rendent la vie respirable. »