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dimanche 9 mars 2025

Marcel Théroux : Au nord du monde

 

Au nord du monde est un roman post-apocalyptique de Marcel Théroux que l’écrivain, documentariste, a imaginé à la suite d’un reportage dans la zone d’exclusion de Tchernobyl.

Quand elle était enfant, les parents de Makepeace, quakers, désirant vivre en harmonie avec leur foi et la nature, ont abandonné les Etats-Unis pour coloniser des terres accordées par les Russes en Sibérie dans le pays des Toungouses. Une ville s’est vite dressée dans cette région rude et gelée et qui est tout sauf idyllique !  Mais Makepeace se souvient de son enfance comme une période somme toute agréable, si ce n’est, à l’école, à cause des moqueries au sujet de son prénom. Puis tout a commencé à se déliter.  Maintenant, après la catastrophe qui semble avoir atteint le monde entier, elle vit seule dans une ville déserte où les rares apparitions humaines loin d’être les bienvenues sont dangereuses. Comme elle est grande et  forte, elle passe aisément pour un homme. De plus, elle a toujours une arme à la main pour se protéger et n’hésite pas à s’en servir. C’est ainsi qu’elle blesse Ping, un jeune chinois, le soigne et le recueille. Il faut encore savoir qu’après avoir vu un avion, elle part sur les routes dans l’espoir de retrouver des vestiges de la civilisation. Mais je ne veux pas en dévoiler plus et vous laisse la surprise de la découverte.

Le roman de Marcel Théroux décrit avec poésie la nature de ce pays nordique. La beauté qu’il nous révèle fait d’autant plus ressentir la perte de ce monde unique.

« La première nuit de gel au clair de lune, j’ai vu une aurore boréale tournoyer dans le ciel comme si Dieu étendait sa lessive à supposer que le Tout-Puissant dorme sur de  la mousseline verte. Plus tard, dans la saison, les aurores boréales seraient plus bigarrées mais je trouvais celle-là déjà belle. Il y a quelque chose de rassurant dans le mouvement, et le calme et la fluidité de ce motif de lumières dans le ciel me donnaient l’impression qu’on me caressait les cheveux. »

Plus tard, dans la zone contaminée, Makepeace prend conscience de la sottise de l’homme qui n’a pas su protéger la nature, qui n’a pas compris combien ce savoir accumulé au cours des millénaires était précieux.

« Tous ces petits faits arrachés à la terre. Le nom des plantes et des métaux, des pierres, des animaux et des oiseaux; le mouvement des planètes et des vagues. Tout cela réduit à néant, comme les mots d’un message primordial qu’un idiot aurait mis à laver avec son pantalon et aurait récupéré tout  brouillés. »

Le roman de Marcel Théroux est noir, très noir ! Déjà, dans un monde civilisé, la loi du plus fort est souvent la meilleure - selon la Fontaine (qui le déplore) ou Trump (qui s’en glorifie)- alors, on imagine sans peine combien la violence domine un monde où il n’y a plus de frein au mal, plus d’éthique, plus de solidarité et où il faut se battre pour survivre. Dans le camp de concentration où elle est prisonnière, Makepeace se lie d’amitié avec Chamsoudine, ancien chirurgien, homme jadis fortuné :

«Je lui ai dit que, d’après mes observations, il ne fallait pas plus de trois jours avant que le désespoir et la faim sapent tout instinct civilisé chez une personne. Il a souri et répondu que j’avais une vision sombre de la nature humaine et que, d’après son expérience, c’était plutôt quatre. »

Si pour les critiques, le roman de Marcel Théroux s’apparente à un western des pays froids, chevauchée dans des régions inhospitalières, rencontres, aventures, bagarres et coups de feu, violence et mort, il y a bien sûr, la dimension post-apocalyptique du roman qui domine et à laquelle on ne peut échapper.  Au nord du monde décrit, malgré le courage et la ténacité de l’héroïne, un monde définitivement perdu pour l'être humain. La civilisation a disparu et l’homme ne peut en vouloir qu’à lui-même. Pourtant dans cette noirceur absolue, Marcel Théroux laisse subsister un espoir. Il faut tout reprendre à zéro, semble-t-il dire, tout recommencer à la base, comme le fera peut-être la fille de Makepeace, partant à cheval vers le nord ! Un beau roman qui ne fait pas toujours plaisir tant il pose un regard pessimiste et sans concession sur un univers qui va à sa perte mais dont la lecture est prenante.


  



samedi 1 mars 2025

Joyce Carol Oates : Le petit paradis

 


Le roman de Joyce Carol Oates Le petit paradis est une dystopie qui dépeint un monde assez effrayant située dans une Amérique « reconstituée » (à la manière trumpiste, je suppose, englobant les pays voisins ?) où règne un totalitarisme qui ne permet aucun échappatoire. Nous sommes en 2039. Aucun individu ne doit échapper à la norme et c’est bien ce qui est difficile pour la jeune héroïne de notre histoire, Adriane Strohl, qui sort major de sa promotion. Autant dire qu’elle se distingue et devient suspecte aux yeux du gouvernement. Quand, en plus, elle conçoit son discours de fin de promo en forme d’interrogations, elle est jugée comme carrément subversive.  Il faut dire qu’elle a déjà déjà un père, trop brillant chirurgien, rétrogradé IM, Individu Marqué, un oncle disparu, « vaporisé »  … La punition ne va pas tarder. Elle sera IE, Individu Exilé. Les trop nombreux sigles employés sont lassants mais c'est un détail et heureusement cela s'arrête vite !.

 Elle est envoyée dans le passé quatre-vingts ans plus tôt, en 1959. Constamment surveillée, obligée d’adopter une nouvelle identité, elle s’appelle désormais Mary Ellen, elle doit partager le dortoir de jeunes filles de l’époque et étudier la psychologie dans une université du Wisconsin. Aux yeux de sa famille, elle a été vaporisée ! Alors, quand elle découvre que son professeur Ira Wolfman est un exilé comme elle, elle en tombe amoureuse. Oui, c’est peu original !

L’originalité du roman vient de la manière de peindre le passé. Foin de la nostalgie du bon vieux temps, et des soupirs écolos énamourés d’un monde moins technique ! La découverte de la machine à écrire en lieu et place de l’ordinateur par Adriana est amusante ! Le monde universitaire que décrit Joyce Carol Oates est celui où l’écrivaine a fait elle-même ses études,  à l’université du Wisconsin, à la même époque. Elle nous la raconte dans son roman Je vous emmène. ICI
Dans les années 1950/60, finalement, le sort des filles n’est pas très enviable. Adriana décrit avec stupéfaction les gaines et les soutiens-gorge pointus qui briment le corps des jeunes filles. Une fille  enceinte  ?  (cela ne se dit pas !) est obligée de partir de l’université.
Le sexisme règne de la part des professeurs et leurs commentaires sont désobligeants pour la gent féminine. Les filles y sont peu nombreuses. Dans le cours de Wolfman, elles ne sont que trois. Pas une seule femme professeur.

« ... la logique n’est pas un cours pour femme. Comme les maths et la physique, l’ingénierie - nos cerveaux ne sont pas adaptés à ce genre de calculs »  explique Miss Steadman.

Adriana crée le scandale en remettant en cause les observations des psychologues (tous des hommes) et le rôle du père.
La mère, « dans l’incapacité à être une  « bonne mère » est  soupçonnée de causer l’autisme chez certains enfants ».
 « Je ne parviens pas à imaginer une situation expérimentale où ces psychologues auraient pu observer « les mères à l’oeuvre ». Les pères n’auraient-ils pas « oeuvré » conjointement eux aussi ? »  s’insurge  Adriana.

L’obscurantisme règne. Les théories d’Einstein sont réfutées. C’est « une logique juive » dit l’un des professeurs ! L’homosexualité est considérée comme une déviance et «soignée» par électrochocs « jusqu’à ce qu’ils soient réduits à une masse de nerfs tremblotante. » Les malades mentaux sont lobotomisés.
 

Ce parallèle entre la société totalitaire et celle du passé est ce qu’il y a de plus intéressant dans Le petit paradis dont on se doute bien que le titre est à prendre comme une antiphrase !

 Je l’ai lu sans déplaisir, désireuse de savoir ce qui allait se passer ! Par contre, j’ai trouvé certains passages trop démonstratifs. Les personnages sont peu attachants : Adriana toujours en train de vouloir briller, persuadée de sa supériorité intellectuelle, Wolfman lui carrément antipathique ! Mais surtout, surtout, ils me sont apparus un peu schématiques, ils sont des idées, non des personnages vivants. Bref ! Moi qui aime tant Joyce Carol Oates, je n’ai pas été entièrement convaincue.

Kathel a beaucoup plus aimé le livre que moi. Voir ici
 

Participation à Objectif SF 2025 chez Sandrine

 


 

 



vendredi 21 février 2025

Connie Willis : Le Grand Livre


 

Vous aimez l’Histoire avec un grand H ? Vous aimez le Moyen-âge? Vous aimez l’aventure et l’extraordinaire ? Vous souhaitez voyager dans le Temps, vivre dans le futur ou dans le passé ? Alors ce livre est pour vous : Le Grand Livre de Connie Willis.

Nous sommes en 2054. Kivrin est étudiante en histoire à l’université d’Oxford et va être expédiée à l’époque médiévale par le directeur du laboratoire de Recherche, Mr Gilchrist, qui n’hésite pas à risquer la vie de son étudiante dans un tel voyage pour satisfaire ses ambitions personnelles. Et ceci, contre l’avis de James Dunworthy, chargé de l’organisation des voyages temporels. Pour lui, le Moyen-Âge est une période trop élevée sur l’échelle des risques et Kivrin lui paraît trop fragile :« Une fille qui mesurait moins d’un mètre cinquante, aux cheveux blonds tressés en nattes. Elle ne semblait même pas assez âgée pour pouvoir traverser une rue toute seule ». Mais elle souhaite ardemment partir et Dunworthy ne peut s’opposer à Gilchrist. Et puis, après tout, le XXI siècle n’est-il pas dangereux, lui aussi ?

«  Au Moyen-Âge, au moins, on ne risquait-on pas de recevoir une bombe sur la tête. »

Krivin a bien été préparée et partira le 22 décembre 2054 dans l’Oxfordshire du 14 au 28 décembre 1320. Le 28 décembre, elle retrouvera la porte temporelle à l’endroit où celle-ci l’a déposée.
Le docteur Mary Arhens lui a fait toutes sortes de vaccins, choléra, peste, typhoïde... Elle a aussi renforcé son système immunitaire même si l'on sait sait que la grande peste, la Mort Noire qui a d’abord touché l'Asie, le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, avant de ravager la population européenne, n’arrivera en Angleterre qu’en 1348. Badri, l’ingénieur chargé de la machine à voyager dans le temps, est très compétent. Et le départ a lieu malgré les inquiétudes de James Dunworthy.



Mais…  dans la ville du XXI siècle qui se prépare à fêter Noël se déclare alors une épidémie liée à un virus inconnu. Krivin, elle se retrouve au Moyen-âge, est recueillie par une famille noble mais une erreur de calcul la plonge en pleine épidémie de peste en 1348. Le roman se déroule donc en alternance sur les deux périodes. 


Breughel l'Ancien : le triomphe de la Mort


Au Moyen-âge, nous faisons connaissance du père Roche, de dame Eliwys, épouse de sir Guillaume, et de leurs filles, Rosemonde (12 ans) Agnès ( 5 ans). Kivrin doit affronter la peste, soigner les pestiférés, sans savoir si elle pourra revenir dans le présent. Parviendra-t-elle à sauver Rosamonde et Agnès ? Retrouvera-t-elle son époque ? Elle va prouver qu'elle est capable de "traverser la rue toute seule" !  La description de la peste est cauchemardesque et nous immerge dans une époque terrifiante. Le XIV siècle est, en effet, ressuscité avec ses superstitions, ses ignorances et ses peurs, sa vie religieuse, ses croyances à la sorcellerie, avec le manque d’hygiène et la misère, la puanteur, la maladie, avec la mort omniprésente….  


Panneau de la chapelle de Lanslevillard (XVe siècle), en Savoie, La peste noire de 1348

Au XXI siècle malgré l’épidémie et les progrès de la médecine, la pandémie fait rage. James Dunworthy se dévoue pour lutter contre la maladie, pour essayer de sauver Kivrin perdue dans l'époque médiévale,  et pour s'occuper de Colin Templer (12 ans), petit-neveu du docteur Arhens, personnage attachant. Colin et l’étudiant William Meager, ce dernier bourreau des coeurs, doté d’une mère abusive et bigote, apportent une touche de fraîcheur et de dérision au récit. Par exemple, lorsque madame Meager pour réconforter les malades leur lit des pages de l’Ancien Testament !  

« A son réveil, Mme Meager se dressait au-dessus de lui, bible au poing.
-Il vous enverra maux et afflictions, entonna- t-elle dès qu’elle le vit ouvrir les yeux. Et toutes les maladies et toutes les fièvres jusqu’à votre destruction. »
« - je constate que madame Meager ne ménage toujours pas ses efforts pour remonter le moral des troupes. Je présume que le virus prendra bien soin de l’éviter. »
 

Malgré la situation dramatique, à la recherche des origines du virus et d’un vaccin, certaines situations nous font rire !

Un livre addictif qui mêle aventures palpitantes, tragiques, et humour bienvenu, nous amène très loin dans l’imaginaire. A lire absolument si vous aimez ce genre de lecture ! Moi, j’aime et je pense que je lirai d’autres livres de Connie Willis ! Le livre a été récompensé par quatre prix. 


Les pavés de l'hiver chez Moka (702 pages)



Chez Sandrine Blog Tête de lecture


mardi 4 février 2025

Emily St John Mandel : La mer de la tranquillité

 

 

Dans  le roman d'Emily St John Mandel, La mer de la tranquillité, Edwin se promenant les bois de Caiette, au nord de l’île de Vancouver, entend une berceuse interprétée par un violon accompagné d’un bruit non identifiable. Nous sommes en 1912 et le jeune homme qui entend ces sons bizarres, Edwin St John St Andrew, est britannique, fils cadet d’une noble famille descendant de Guillaume le Conquérant, envoyé par son père au Canada. A Caiette, Edwin rencontre aussi un prêtre sorti de nulle part et qui disparaît de même. Des expériences inexplicables qui vont se renouveler à travers les siècles !

En 2020, Mirella voit une vidéo tournée par son amie Vincent quand celle-ci était jeune où le phénomène se reproduit et elle rencontre un journaliste qui semble intéressé par la vidéo. Soudain elle reconnait un homme qu’elle a vu quand elle était enfant, arrêté par la police, et qui a crié son nom Mirella alors qu’elle ne le connaissait pas. En 2203 nous nous retrouvons en train de faire une tournée de promotion d’un livre avec l’écrivaine Olive qui vit dans une colonie lunaire. Il y est question d’une pandémie interplanétaire bien pire que le covid 19 et d'un personnage qui porte la prénom de son héros Gaspery.. Enfin en 2402, les colonies lointaines sont peuplées depuis plus d’un siècle, celles de la lune sont désormais vétustes.  Un certain Gaspery Roberts est envoyé dans l’espace-temps pour remonter les siècles par sa soeur Zoey, physicienne de génie. Il doit enquêter sur les anomalies qui se sont produites mais il a interdiction d’interférer dans la marche du temps.

Nous retrouvons donc les personnages à différentes époques de leur vie et obtenons la réponse à nos questions sur cet étrange phénomène perçu dans les bois et sur bien d’autres choses aussi ! Ainsi, Zoey voudrait avoir la réponse à cette question qui l’angoisse, le monde dans lequel elle vit est-il une simulation? Voilà que vous pensez vivre une vie réelle et vous n’êtes, en fait, qu’une invention, qu’un programme, l’expérimentation d’un informaticien démoniaque. La réponse qui est donnée ne manque pas d’humour !

 Se pose aussi la question morale : Gaspery laissera-t-il le cours du temps se dérouler même si cela implique la mort des êtres qu’il a devant lui ? Est-ce juste ? N’y a-t-il pas un devoir de compassion ? La solidarité humaine ne prévaut-elle pas sur les lois ?
Si le roman est de science-fiction, il ne s’intéresse pas à l’aspect technique mais à l’aspect humain, à la psychologie des personnages, à leur vie, leurs sentiments.

1912 :  Ainsi le personnage d’Edwin, dix-huit ans, est un personnage fragile malgré son côté provocateur. Il ose exprimer en présence de ses parents et des invités ce qu’il pense de l’impérialisme britannique qu’il juge oppressant. C'est le genre d'humour qui me fait rire !
« Guillaume le conquérant, c’était il y a mille ans. Nous devrions quand même être capables de nous montrer un peu plus civilisés que le petit-fils dément d’un pillard viking.
son père prit la parole sur un ton posé :
«  Chacun des privilèges dont tu as bénéficié en ce monde, Edwin, a découlé d’une manière ou d’une autre du fait que tu descends, comme tu l’as exprimé avec tant d’éloquence « du petit-fils dément d’un  pillard viking ».
- Bien sûr, dit Edwin. Ca pourrait être pire. Il leva son verre «  A Guillaume le bâtard ».

 Le personnage d’Olive, écrivaine de roman post-apocalyptique, sent le vécu non seulement dans les questions que lui posent les lecteurs permettant de réfléchir au genre littéraire qu'elle écrit. "Pour ma part,  je suis convaincue que si nous nous tournons vers la fiction post-apocalyptique, ce n'est pas parce que nous sommes attirés par le désastre en soi, mais parce que  nous sommes attirés par ce qui, dans notre esprit, risque fort de se produire. Nous  aspirons à un monde moins technologique."

Mais aussi parce qu’en 2203, désolée de vous le dire, les femmes ne sont pas encore sorties du patriarcat ! Olive qui fait la promotion de son livre trouve toujours sur sa route un imbécile (homme) pour lui reprocher de travailler au lieu d’être près de sa fille ou (femme) pour encenser le père qui est si « gentil » de garder son propre enfant comme si ce n’était pas naturel ! Nul doute qu’Olive ne soit autre qu’Emily St John et que celle-ci ait dû faire face à ce genre d’ânes bâtés !

"J'ai une fille dit Olive

- Quel âge ?

- Cinq ans.

- Qu'est-ce que vous faites ici alors ?

-Eh bien, c'est ce qui me permet  de subvenir à ses besoins" répondit Olive de sa voix la plus suave. Elle fut tentée d'ajouter : " Ducon, je sais que tu ne poserais jamais cette question à un homme..."

 
Je dois dire en conclusion que ce roman est très agréable et m’a donné envie de lire d’autres titres de cette auteure. Il paraît que l'on retrouve ici certains personnages de ses livres antérieurs. Ils sont d'ailleurs attachants, leur histoire est bien contée et les questions soulevées sont intéressantes.

Voir Keisha ICI

Kathel ICI 


chez Sandrine blog Tête de lecture


vendredi 31 mai 2024

Andy Weir : Seul sur Mars

 

 

Quand j’ai lu Seul sur Mars d'Andy Weir pour répondre au challenge sur la planète rouge initié par Taloi du ciné, je ne savais pas à quoi m’attendre.  Depuis, j’ai appris que le livre a été adapté au cinéma avec Matt Damon en 2015 et qu’il a fait couler beaucoup d’encre notamment en ce qui concerne l’aspect scientifique du récit. Finalement pour  répondre une fois pour toutes à cette question, ce roman de science-fiction (nous sommes en 2035)  a été jugé comme un bon exemple de vulgarisation scientifique et technologique même si des spécialistes de la NASA ont relevé quelques erreurs scientifiques. ICI


Le film : seul sur mars


Mark Watney, blessé lors d’une tempête et perdu dans les sables, est laissé pour mort sur la surface de Mars par le reste de l’équipage obligé de quitter la planète en urgence. Quand il se réveille, il s’aperçoit qu’il est seul et doit organiser sa survie.
Génial ! Une Robinsonnade ! Moi qui ai toujours aimé les récits de naufragés sur des îles désertes, voilà que je me retrouve face à un Robinson sur Mars ! Oui, mais survivre sur Mars est bien plus difficile que survivre sur terre même dans des conditions extrêmes comme celles des survivants du Wager ! Rien ne vit, il ne pousse rien là-bas, il n’y a pas d’eau, pas d’oxygène, pas de pression. Heureusement, Mark bénéficie d’un habitat pressurisé, d’instruments de précision, de deux rovers, d’une combinaison spatiale pour ses sorties. Il en a même plusieurs laissées par ses coéquipiers ! De même, il  a de la nourriture lyophilisée qui va lui permettre de vivre quelque temps mais certainement pas assez pour attendre la prochaine mission sur Mars. Qu’à cela ne tienne Mark possède une double casquette, il est botaniste et ingénieur en mécanique. Nous allons voir comment il parvient à cultiver des pommes de terre salvatrices, à fabriquer de l’eau en recyclant son urine et à réparer toutes sortes de pannes car les difficultés et les coups durs s’enchaînent. Bref! le suspense le plus total dans cette lutte pour la vie ! 

 "Je ne veux pas paraître prétentieux mais je suis le meilleur botaniste de la planète".

"Des patates martiennes cent pour cent bio. On n'en trouve pas dans tous les supermarchés, hein ?

Tout ceci s’accompagne de tant de calculs que je me crois retrouver dans mon passé face à mes profs de mathématiques machiavéliques et à leurs savantes tortures (de triste mémoire), les bons vieux problèmes de baignoire qui fuit ou équivalent  :  « Il me faut créer des calories. Suffisamment pour durer les mille trois cent quatre-vingt-sept sols qui me séparent de l’arrivée d’Arès 4. Un sol durant trente-neuf minutes de plus qu’une journée, cela nous donne mille quatre cent vingt-cinq jours. Voilà mon objectif : mille quatre cent vingt-cinq jours de nourriture… j’ai besoin de mille cinq cents calories par jour et je dispose de quatre cents jours de nourriture pour commencer. Combien de calories dois-je donc produire par jour pendant cette période… »
Oui, oui, je vous assure, c’est ce qu’il écrit, il a osé ! Heureusement, il ajoute « Je vous épargnerai les calculs ». Oh! merci, merci ! Magnanime Andy Weir ! C’est sûr qu’un prof de maths ne l’aurait pas fait ! A ce moment-là, et même si je lui suis reconnaissante, j’hésite à poursuivre ma lecture et je cherche qui est l’auteur :   "Andy Weir, son auteur, a été engagé comme programmateur informatique par un laboratoire américain à l’âge de 15 ans. Il n’a cessé de travailler dans l’informatique depuis. Par ailleurs il nourrit une passion pour l’espace et l’histoire des vols habités ."

Ciel ! c’est bien ma chance ! Un surdoué mais ni littéraire, ni poète, non ! Ici, pas de belles descriptions de la planète Mars, ou plutôt quand il y en a une, elle s’accompagne d’un explication scientifique : « La célèbre couleur rouge de mars vient de l’oxyde de fer qui couvre tout. Ce n’est donc pas un désert ordinaire; c’est un désert si vieux qu’il rouille. »
Pas d’analyse psychologique du personnage, de ses sentiments, de ses angoisses métaphysiques ou pas ! Et s’il y en a une, cela donne : « Je ne m’étais jamais rendu compte du silence qui régnait sur Mars. C’est un monde désert à l’atmosphère trop fine pour transporter les bruits. J’entendais battre mon coeur ( Pas mal non ? mais la suite …). Bon, trêve de digressions philosophiques . »

Mais au milieu de ce déluge de chiffres, voilà que Mark parvient à établir un contact avec la terre et voilà qui relance l’action ! Alors je le lis et entre calculs, problèmes de physique, de chimie, accidents, réparations en tout genre avec tous les détails ( de quoi me faire engager à la NASA)  et humour potache, force est de reconnaître que j’ai eu envie de savoir si le naufragé va s’en sortir et comment ! Finalement, je dois avouer que je me suis prise au jeu et que je suis allée jusqu’au bout et que j’y ai même pris un certain plaisir !

 


PS : Je me demande bien pourquoi il le classe dans Thrillers ? Il s'agit d'un f livre de science-fiction et d'aventure tout simplement.

mardi 27 mars 2018

Karel Capek : La guerre des salamandres



La guerre des salamandres de l’écrivain tchèque Karel Capek est l’un de ces livres dont le titre m’a interpellée pendant des années, cité très souvent comme l’un des plus  grands classiques de la science-fiction politique et aussi comme un texte visionnaire. Une de ces oeuvres dont vous vous dites chaque fois : "Il faut que je la lise » ! Lecture à faire toujours repoussée, oubliée, mais qui reste dans un coin de votre mémoire. Et puis soudain dans le cadre du mois de La littérature de l’Europe de L’Est, voilà que, sans l’avoir cherché, à la bibliothèque, je tombe sur ce livre. Enfin !!

« Que dirions-nous si une espèce animale autre que l’homme proclamait que, vu son nombre, elle possède seule le droit d’occuper le monde entier et de dominer toute la nature » écrit  Karel Capek quand il publie La guerre des salamandres. Nous sommes en 1936. Hitler est au pouvoir depuis 1933 et Capek ajoute à propos de l’histoire qu’il a imaginée dans  laquelle les salamandres prennent le pouvoir : «  La critique l’a qualifiée de roman utopique. Je m’élève contre ce terme. Il ne s’agit pas d’utopie, il s’agit d’actualité. ». Une actualité qui allait bientôt aboutir à la deuxième plus grande boucherie du XX siècle mais Capek ne serait plus là pour la vivre. Il est mort en 1938.  On peut dire pourtant qu’il l’avait prévue.
La salamandre géante de Chine : 200 ans, 1m 40, 50 kg

Dans une petite île près de Sumatra, le capitaine Jan Van Loch découvre une espèce de salamandres douées d’intelligence, adaptées au milieu marin, qu’il décide d’utiliser pour exploiter les perles huitrières. C’est le début d’un capitalisme paternaliste à petite échelle et encore humain, car le capitaine adore ses salamandres et veille à ce qu’elles ne soient pas maltraitées. Mais à sa mort, plus rien ne retient les grandes sociétés capitalistes et c’est par millions qu’elles élèvent les salamandres, les vendent, les utilisent pour tous les grands travaux sous-marins, les instruisent militairement et leur donnent des armes pour faire d’elles de la chair à canon. Mais…. Les salamandres de plus plus nombreuses se révoltent et prennent le pouvoir.

Dans ce roman Karel Capek, sous le couvert d’un roman fantastique, dénoncent  toutes les abjectes idéologies en isme en commençant par le capitalisme, le nationalisme, le militarisme et l’impérialisme, le racisme…
Les salamandres représentent  les classes laborieuses malheureusement exploitées, des êtres intelligents considérés comme du bétail, achetés et vendus comme jadis les esclaves africains, sujets d’expériences médicales pour les progrès de « la science »,  puis au fur et à mesure que les salamandres développent une intelligence supérieure et que leur nombre s’accroît, elles vont symboliser l’impérialisme qui chercher à accroître ses territoires au détriment des autres peuples, puis la dictature en prenant le pouvoir.

 Karel Capek manie l’humour avec brio, et épingle tour à tour toutes les nations, en mettant en valeur leurs travers et leurs faiblesses et chacun en prend pour son grade, l’antisémitisme des allemands, l’orgueil et la prétention à la supériorité des anglais, le racisme des Etats-Unis avec les agissements haineux du Ku kux Klan, la vanité culturelle des français, et ceci pour notre plus grand plaisir !
Sous cette apparente de légèreté, le propos est pourtant sombre et grave car Capek a une vision lucide de la société de son temps et des dangers du national-socialisme. C’est un monde bien réel que l’écrivain dénonce et dont il fait la satire. Il déjà tout compris  de ce qui est en train de se mettre en place en Allemagne.
Tout en soulevant les questions philosophiques et morales liées à l’exploitation des salamandres, il réalise aussi une satire des législateurs qui multiplient les lois sans se mettre d’accord et sans cohérence, des savants qui écrivent des thèses d’une vacuité absolue.
Et il observe la menace montante du totalitarisme et les réponses inadéquates des nations qui laissent se développer cette peste brune sans réagir, des journaux qui ne s’intéressent qu’au sensationnel, à l'anecdote croustillante, et trahissent leur rôle d’éclaireur et d’éveilleur, du cinéma qui joue sur le strass et les paillettes et ne se préoccupe que de l’intérêt économique du film, n’apportant ainsi aucune réflexion sur le monde en crise.
Et oui, l’on rit en lisant La guerre des salamandres mais l’on ne peut s’empêcher de penser avec effroi à «l’ actualité » - du propos comme le soulignait l’écrivain lui-même -,  une actualité qui est aussi et toujours la nôtre et pas seulement celles des années 1930. A lire !!


Nommé sept fois pour le Nobel de Littérature en 1932 et 1938, Karel Čapek, né le 9 janvier 1890 à Malé Svatoňovice dans la région de Hradec Králové en Bohême, mort le 25 décembre 1938 à Prague, est l'un des plus importants écrivains tchèques du XXᵉ siècle







jeudi 2 novembre 2017

Jean Hegland : Dans la forêt


Je suis vouée aux dystopies en ce moment ou aux romans post-apocalyptique si vous préférez. Quelle que soit leur appellation, c’est une rencontre  dont je ne saurais me plaindre car les livres que j’ai lus sont des réussites : Voir  Les buveurs de lumière de Jenni Fagan et Monde sans oiseaux de Karin Serres

C’est le cas de Dans la Forêt de Jean Hegland paru aux éditions Gallmeister qui, outre une dystopie, est aussi un livre de « nature writing ».

  Eva et Nell, sa soeur aînée, se retrouvent seules dans leur maison isolée, en pleine campagne, à l’orée de la forêt, après la mort de leurs parents et une catastrophe planétaire. La situation est  terrible :  plus d’électricité, plus d’approvisionnement, les gens meurent de faim, des épidémies se propagent, les villes se vident faute d’habitants, la pénurie d’essence empêche les déplacements, plus de téléphone, d’internet, de radios, de télévision; toutes les communications avec l’extérieur sont impossibles.  Les causes de la catastrophe sont assez floues, mais l’on sait que le monde est en guerre. Les deux jeunes filles vont devoir apprendre à survivre, d’abord avec l’illusion que tout va redevenir comme Avant, puis en sachant que la situation n’est pas réversible.

Le récit alterne entre plusieurs moments du passé, de leur enfance un peu marginale, avec des parents qui les font vivre dans la nature, à l’écart de la civilisation à laquelle elles aspirent, en rébellion contre ce genre de vie :  Eva est danseuse, Nell veut entrer à Harvard … au présent où il faut trouver le courage de continuer en abandonnant toute illusion. Le danger est partout, la mort, la famine, la maladie, le découragement, l’envie de suicide, l’ours qui rôde dans la forêt; mais de tous, le plus dangereux, c’est l’Homme. Rescapé de l'ancienne civilisation, il abuse de son pouvoir et symbolise le Mal.
Jean Hegland peint avec beaucoup de lucidité les rapports entre les deux soeurs, les alternances amour-répulsion, la désespérance, la peur. Les jeunes filles sont très dissemblables de caractère, de goût et il ne faut pas oublier qu’elles sont très jeunes et vulnérables : Dix sept, dix huit ans.

Séquoïa géant Yosemite Park source
La partie tournée vers le passé est intéressante mais c’est lorsque les personnages doivent affronter la réalité, après la catastrophe, que la lecture se révèle particulièrement passionnante. La nature devient alors mère nourricière, source de vie  et c’est avec exaltation que Nell et, par la suite Eva, découvre toutes ces richesses qu’elles ne soupçonnaient pas jusqu’alors.
Je reste très sceptique sur le dénouement proposé par l’auteure pour qui la survie ne viendrait que du retour à la vie primitive mais j’ai toujours aimé, depuis Robinson Crusoé, ces « robinsonnades », qui montrent l’humain capable de tirer sa subsistance de la terre, de la forêt, de l’eau et de son intelligence. Un retour à la nature assez exaltant, que proposaient aussi les romans de Giono. Le mythe du bon sauvage à la Rousseau est aussi revisité à travers les lectures de Nell qui découvre le destin de deux femmes amérindiennes chassées par les blancs et qui ont réussi à survivre dans la forêt.

Séquoïa tombé
 L’écrivaine parvient à donner une puissance poétique à cette thèse à travers la description du tronc creux du séquoia géant tombé à terre, véritable caverne des origines où vont se réfugier les personnages comme dans un utérus maternel. C’est évidemment un symbole fort de cet abandon de la civilisation et du retour à l’essentiel.
C’est très beau et j'en aime le symbolisme et la poésie !
Ceci dit dans un monde réel, je ne parie pas deux sous sur la survie de deux femmes et d’un bébé dans une souche d’arbre pendant un hiver entier ! Je comprends très bien la dénonciation de la technologie abrutissante qui nous envahit, nous rend dépendants, nous éloigne de l’essentiel. Pour le reste, la négation du progrès n’a jamais été mon fort ! Celui-ci n’est en lui-même ni bon, ni mauvais, c’est l’usage qu’en font les humains qui le déterminent.  Et Voilà ! retour à la case départ : Rabelais.

Il n'empêche que ce livre est bon, bien écrit, à la fois poétique et addictif  et que j'ai beaucoup aimé sa lecture.

Et je découvre dans Le Monde une critique de Dans la forêt illustrée par une photographie de Aurélia Frey ICI


Voir Aifelle ICI  ; Dominique ICI

mardi 19 septembre 2017

Karin Serres : Monde sans oiseaux



Il paraît qu’autrefois certains animaux traversaient le ciel grâce à leurs ailes, de fins bras couverts de plumes qui battaient comme des éventails. Ils glissaient dans l’air, à plat ventre, sans tomber, et leurs cris étaient très variés. Ils étaient ovipares, comme les poissons ou les lézards, et les humains mangeaient leurs oeufs. On les appelait les « oiseaux ».
Comment décririons-nous un oiseau si nous n’en avions jamais vus ? Si nous n’en avions entendu parler que par ouï-dire? C’est ainsi que commence par cet instant de poésie triste et d’étrangeté le livre de Karin Serres dont c'est le premier roman : Monde sans oiseaux aux éditions Stock.


Bien sûr, le lecteur comprend que cette dystopie présente un monde de l’Après, un Après à goût de catastrophe que l’homme n’a pas su éviter mais qui signe une disparition des espèces et du monde ancien. Mais rien n’est dit vraiment si ce n’est par petites touches, et nous restons dans un entre-deux, un univers dont l’étrangeté nous frappe malgré la familiarité que nous en avons. Le fantastique s'y introduit au milieu du quotidien même si celui-ci n’est que le résultat de mutations malencontreuses commises par les apprentis-sorciers que sont les hommes! Ainsi ces petit cochons fluorescents amphibies qui servent de nourriture mais peuvent devenir des animaux de compagnie. Et que dire de ces maisons sur roulettes que l’on hisse sur le flanc de la montagne à mesure que l’eau avance !
Dans ce roman, la mort et la vie sont étroitement mêlées. Les morts du village enfermés dans des cages sont engloutis au fond du lac. Ce lac d’où vient la vie (la nourriture) mais dont la montée semble inexorable. Ce lac où l’on se noie, où l’on devient statue de glace par les hivers de grand froid. La description du cimetière sous-marin est absolument hallucinante car le style de l'auteure à l'art de faire surgir des images.

Dans ce monde rude, figé dans le passé, vit une petite fille rêveuse qui écrit des poèmes et nous retrouvons en elle nos rêves d'enfants : être Jo dans Les Quatre filles du Docteur March, pleurer en lisant la Ballade du roi des Aulnes. Mais... la banalité de ce monde s'arrête là et d'abord avec le prénom de l’héroïne : Petite Boîte d’os. Ce prénom donné par son père témoigne à la fois de la petitesse de l’homme mais aussi de sa grandeur, du cerveau qui lui permet de penser : « Nous ne sommes qu’un sac de flan mou dans une petite boîte d’os ! » . Une petite boîte d'os qui n'a pu empêcher l'irréparable car pendant tout le roman l'on a conscience de l'impossible retour en arrière et l'on se sent ému par cet univers en disparition.

Petite Boîte aime le vieux Jeff qui a fui le « déluge » et puis est revenu chez lui. C’est l’amour qui la maintient en vie, un amour fort, puissant, entier pour Jeff, son fils Knut, et aussi pour la nature omniprésente. Car la ville existe de l’autre côté du lac mais elle est encore plus âpre et plus cruelle.

Ce roman qui reprend un thème de science-fiction rebattu à notre époque surprend par son regard neuf, l’originalité du traitement. Il touche et émeut par sa nostalgie, son goût doux-amer qui au moment où l’on découvre toute la beauté de la nature nous fait savoir qu’elle n’est plus. Le style de l’écrivaine suggestif, plein de finesse, est à la fois poétique et réaliste, doux et violent. Un beau roman. A découvrir !