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mercredi 23 avril 2025

T C Boyle : Parle-moi



Dans Parle-moi,  T C . Boyle  présente  un récit qui ressemble beaucoup à l’histoire vraie du bébé chimpanzé Nim élevé par la famille Lafarge comme l’un de ses enfants puis abandonné lorsque l’on n’eut plus besoin de lui, l’expérience scientifique étant arrivée à son terme et les subventions coupées. Comme Nim, le chimpanzé Sam connaît plus d'une centaine de mots et peut les lier dans des combinaisons différentes, il ressent des émotions et parvient à les exprimer, comme un enfant, il n’aime pas aller à l’école et étudier, il aime faire des farces et rire, adore les câlins, la pizza, les bonbons, le coca et les jouets et surtout il ne se voit pas comme un chimpanzé mais comme un être humain.
 

Sam passe à la télévision, ce qui plaît beaucoup au professeur Guy Shomerhorn qui espère ainsi booster sa carrière et recueillir les honneurs. Mais le chimpanzé appartient au grand patron Moncrief, un personnage suffisant, antipathique et sans empathie.  Lorsque l’apprentissage du langage est remis en cause, Montcrief ne traite plus Sam comme un enfant d’humain mais l’enferme dans une cage pour la reproduction avec d’autres primates qu’il vend ensuite à des laboratoires pour des expériences médicales. La seule qui éprouve une réel amour pour Sam, sans calcul et sans égoïsme, c’est Aimee, l’étudiante et la maîtresse de Guy, qui comprend le désarroi du chimpanzé privé d’un seul coup de tout ce qui faisait sa vie, de l’affection, des soins, des privilèges de son statut d’enfant-roi, enfermé avec des « bestioles noires » qui lui font peur, ne savent pas parler et en qui il ne se reconnaît pas. L’humaniser pour le rejeter ensuite, comme il est fait dans le roman pour Sam et dans la réalité pour Nim,  est une action irresponsable.

 Les humains minimisent les acquis linguistiques de Sam, son intelligence, refuse de voir les ressemblances existant entre son espèce et la nôtre, pour ne pas être dérangé et pouvoir continuer à l’utiliser sans se sentir coupables. Le reconnaître dans son individualité et sa personnalité, en effet, c’est admettre que l’homme n’a pas le droit d'abuser de lui et qu'il faut des lois pour le protéger. Quand je faisais mes études de Philo, on nous apprenait que les animaux n’avaient pas d’intelligence et d’émotions, qu’ils agissaient uniquement par instinct. Les éthologues ont bien fait évoluer les mentalités mais les préjugés ont la vie dure surtout quand il s’agit de défendre les intérêts des laboratoires pharmaceutiques.

 Ce roman, très proche donc de la réalité, pose les limites de notre responsabilité envers les autres espèces. Il soulève des questions d’éthique, en particulier, sur la manière dont nous nous comportons envers les primates qui partagent 98%  de notre patrimoine génétique. Le chimpanzé est très proche de nous. Il  éprouve comme nous bien des émotions communes, l’amour, la joie, la tristesse, la colère, la jalousie, l’humour, la culpabilité, la honte, et à ce titre la manière dont Sam (ou Nim) est traité tient de l’esclavagisme, de l’exploitation et de la cruauté. 

Mais il ne faut pas nier, non plus, qu’il ne peut pas aller contre sa nature. C’est aussi lui manquer de respect que de vouloir le détacher de son espèce, en faire un étranger aussi bien chez les siens que chez les humains. C'est une vérité qu'Aimee est bien obligée d’admettre lorsqu’elle vole Sam à son propriétaire pour le libérer et s'occuper de lui, dans une cavale qui ne peut que mal se terminer.

Un roman intéressant et qui a le mérite de nous faire réfléchir ! 


Voir l'article sur Nim : Le chimpanzé qui se prenait pour un enfant



lundi 21 avril 2025

T kingfisher : Nettle et bones

 

 

J’avoue que le texte de la quatrième de couverture  tout en me faisant rire m’a donné une furieuse envie de lire ce livre :

Ce n’est pas le genre de conte de fées où la princesse épouse une prince.
C’est celui
où elle le tue


Fanja aussi y est pour quelque chose qui en parle ICI. Notons que le roman a eu le prix Hugo du meilleur roman 2023 ainsi qu’une multitude d’autres prix..

Once upon the time…. Entrons dans ce conte de fées subversif où, vraiment, on dit non à la femme considérée comme une poule pondeuse et poussée dans l’escalier par un prince pas si charmant si elle ne fait pas l’affaire.  Des poules, d’ailleurs, des vraies, il en est question dans le conte et pas des moindres comme comme la dénommée (et bien nommée) Démon.  Mais la petite poule rousse du conte traditionnel (même si elle n’est pas possédée par un démon) a, elle aussi, un caractère affirmée ! Donc, méfiez-vous des poules !  Mais n’anticipons pas !  Sachez pourtant que le livre est dédié  « à ces oiseaux rares que sont les poules fortes et indépendantes » !

Dans un tout petit royaume ( mais important parce qu’il a un port commercial), entouré par les royaumes du Sud et du Nord qui le convoitent tous les deux, la reine, mère de trois filles, donne son aînée, la douce Damia, au Prince du Royaume du Nord, Vorling. Elle obtient ainsi la protection du prince. Quelque temps après le mariage, la jeune femme meurt accidentellement.
Et maintenant Kania, la seconde, une fille intelligente et avisée, épouse le prince. Marra, la petite dernière, elle, est envoyée au couvent parce qu’elle est la troisième sur la liste, « en réserve de la royauté », si jamais Kania n’avait pas d’enfant ou si elle mourrait : Sait-on jamais ? Ce serait son tour d’épouser Vorling !
Mais lorsque Marra revoit Kania à l’occasion du baptême de sa fille suivi bientôt de la mort du bébé, elle comprend que le prince, violent, obsédé par le désir d’un héritier (mâle, bien sûr,) bat sa femme et la retient prisonnière. Pour rester en vie, Kania enchaîne les grossesses qui l’épuisent. Elle sait que lorsqu’elle aura un fils, elle perdra toute valeur et le prince se débarrassera d’elle ! Marra apprend aussi que Vorling a tué Damia qui ne pouvait pas avoir d’enfant.

Féminicide(s) au pays des contes de fées ! Que peut on faire contre un souverain tout puissant, intouchable, dont rien, aucune loi, ne peut arrêter la violence et les meurtres ?  Le tuer. Et comme dans tout bon conte de fées, la jeune fille se met en quête d’adjuvants magiques, la Dame-poussière qui sait parler aux morts (et ses poules); sa marraine-fée qui ne sait accorder qu le don de bonne santé à ses filleules, faible créature (?) mais ne vous y fiez pas ! Enfin, une autre aide, humaine et non-magique comme Fenris, un chevalier sans peur et sans reproches (presque !), un costaud qui sait fendre des bûches et oui, c’est utile, pour obtenir gite et couverts et qui sait manier l’épée !  Ce qui prouve qu’on aime aussi les hommes ici ! Et Marra, en particulier, n’est pas insensible à son charme ! Ah! Ah !  
Il lui faut aussi accomplir trois épreuves impossibles, coudre une cape en tissu de fil de hibou et de cordelettes d’orties, fabriquer un chien d’os avec les os de plusieurs chiens morts et faire prisonnier un clair de lune dans un pot en argile.
Et la voilà enfin prête à affronter le prince Vorling et sa fameuse marraine-fée douée de pouvoirs extraordinaires, à la manière de la fée-sorcière de Disney et qui maintient la puissance de la dynastie depuis un millénaire.

Nettle and Bone se lit avec beaucoup de plaisir. L’imagination de T. Kingfsiher semble sans borne, les aventures s’enchaînent, l’humour est toujours présent. La manière de réinterpréter les contes de fées traditionnels est amusante, savoureuse, comme lorsque la marraine-fée de Marra rappelle le danger qu’il y a d’oublier d’inviter une marraine à un baptême. La visite de la cité des morts est fantastique à souhait et plus proche cette fois-ci de la mythologie nordique ou de Tolkien que du conte traditionnel.

Bref ! Une agréable lecture très mouvementée !


jeudi 17 avril 2025

Connie Willis : Sans parler du chien


 

Sans parler du chien de Connie Willis est un récit qui fait suite au roman Le grand livre, voyage temporel pour étudier le Moyen-âge lors de la grande peste !  Dans Sans parler du chien, nous sommes au XXI ème siècle et nous continuons à voyager dans le temps mais cette fois-ci au XXème siècle, juste avant le raid aérien nazi qui détruisit la cathédrale de Coventry en Novembre 1940.

 L’historien Ned Henry est chargé par l’opiniâtre lady Schrapnell qui veut reconstruire la cathédrale de Coventry à l’identique, de retrouver la potiche de l’évêque. Ce qui n’est pas simple étant donné l’imprécision du retour dans le passé. Quand on arrive, par exemple, après ou pendant le bombardement au lieu d’arriver avant !
A force de faire la navette entre les deux époques, Ned Henry subit un énorme déphasage, c’est pourquoi pour échapper à la terrible lady, on l’envoie à l’ère victorienne, à la fin du XIX siècle. Théoriquement, il  doit se reposer dans cette époque paisible, mais aussi, il lui faut accomplir une mission à laquelle il n’a rien compris, déphasage aidant. Et le voici en train de canoter sur la Tamise avec un étudiant sympathique, Terence, et son fantasque professeur, ( coup de chapeau à Trois Hommes dans un bateau de Jerome K. Jerome), le voici qui rencontre l’arrière, arrière, arrière grand-mère de Lady Schnappel, Tossie, une blonde et délicieuse victorienne, aussi sotte que belle, qui a une révélation devant la potiche de l’évêque. Ce qu’elle confie à son journal. Journal qui tombe entre les mains de sa petite, petite, petite fille, Lady Schrapnell. Oui, toujours elle !  Ce qui explique son idée fixe à propos de la susdite potiche ! Rien n’est simple et tout se complique et d’autant plus quand Ned Henry comprend ce que l’on attend de lui : Il doit corriger une dangereux paradoxe temporel causé par une de ses collègues, Harriet, qui a ramené un chat d’une de ses expéditions.  Or, il se trouve que le chat, Princesse Arjumand, est une chatte et que c’est l’animal de compagnie de l’inénarrable Tossie ! Ajoutez à cela que Ned Henry a, sans le vouloir, empêché la rencontre de Terence avec celle qui devait devenir sa femme, empêchant par suite logique la naissance de leur fils, un jeune homme qui devait devenir un héros de la défense aérienne britannique, dramatique absence qui risque de favoriser ainsi la victoire du troisième Reich ! Catastrophe ! Il va falloir tout réparer et, bien sûr, retrouver la potiche de l’évêque !  Vous avez dit repos ?

Ce roman qui exploite un thème de science-fiction récurrent* : - que se passerait-il dans l’avenir si quelqu’un modifiait un tant soit peu le passé ? - présente parfois quelques longueurs mais est souvent hilarant ! Le déphasage de Ned Henry, les jeux de mots, les quiproquos, les personnages, les ridicules de la société victorienne avec ses séances de spiritisme, tout concourt à nous faire rire. Connie Willis a un humour renversant et nous conte une histoire complexe et enchevêtrée dont la conclusion ne manque pas de sel !

 Prix Hugo et prix Locus 1999

 * je me souviens toujours du roman de Barjavel, Le voyageur imprudent, qui présente le problème suivant : un voyageur dans le passé tue celui qui sera son grand-père mais avant que celui-ci ne soit marié et ait un enfant. Donc, le voyageur n'a pas pu naître. Oui, mais s'il n'est pas né, il ne peut pas tuer son grand-père...

 

La cathédrale de Coventry en ruines et nouvelles cathédrale

La cathédrale Saint Michel de Coventry a bien été  détruite lors d'un raid aérien le 14 Novembre 1940 mais elle n'a pas été reconstruite à l'identique comme dans le roman ! Au contraire, l'architecte, Basil Spence, a voulu conserver les ruines et a construit un bâtiment moderne à côté d'elle.

 

 

 

 

Printemps chez Moka

Chez Moka (535 pages)


mardi 8 avril 2025

John Grisham : Les Oubliés et La Sentence

 

Les Oubliés

Dans Les oubliés, John Grisham raconte l’histoire d’un avocat, Cullen Post, devenu pasteur après une grave dépression lié à son métier et qui finit par trouver sa vocation en rejoignant Les Anges gardiens, une association à but non lucratif spécialisée dans la défense des innocents injustement condamnés. Ils sont nombreux, des milliers, qui attendent l’injection létale dans les couloirs de la mort ! Ce sont eux les oubliés, hommes ou femmes noirs pris pour cibles par des suprémacistes blancs, ou blancs de milieu social défavorisé qui n’ont pas les moyens de se payer un bon avocat et à qui le système, méprisant et corrompu, fait porter le chapeau. C'est monnaie courante.

Ainsi Duke Russel, accusé de viol à la place du vrai coupable, Carter, a été condamné à mort. Maintenant que la recherche d’ADN existe, il serait facile d’innocenter l’un et de condamner l’autre mais le juge refuse de lancer les analyses.

Parfois, souvent, je n’aime pas les juges, en particulier ceux qui sont aveugles, vieux et blancs, parce que tous ont commencé leur carrière comme procureur et pas un seul n’a d’empathie pour les détenus. Pour eux, quiconque est poursuivi en justice est coupable et mérite son sort. Notre système est infaillible et la justice est toujours rendue.

Le livre raconte l’enquête menée par Post et les difficultés qu’il aura à prouver l’innocence de Duke. Mais il s’occupe aussi d’autres cas et mène plusieurs combats à la fois. Le plus difficile et le plus dangereux sera celui de Quincy Miller, un noir, condamné à perpétuité pour le meurtre d’un avocat. Il a été victime de fausses déclarations extorquées vraisemblablement par le shérif de la ville, derrière lequel se profile une organisation tout puissante.

Je ne vous en dis pas plus, les enquêtes menées sont intéressantes et surtout John Gisham présente une critique sociale au vitriol d’une justice arrogante qui non seulement ne reconnaît pas ses erreurs mais fait tout pour freiner l’accession à la vérité.  

Mr Quincy n’a rien à faire en prison, ni aujourd’hui ni depuis vingt ans. Il a été injustement condamné par l’état de Floride et devrait être libre. Une justice lente est un déni de justice !

Il y affirme ses idées contre la peine de mort, contre le racisme, décrit les conditions de vie dans les prisons pour les détenus comme pour leurs gardiens, un système inique qui permet aux riches et aux puissants de s’en sortir au détriment des classes sociales défavorisées.

Par exemple le gardien de prison :

Il exècre son boulot : se retrouver derrière les grillages et les barbelés, à surveiller de dangereux criminels qui ne pensent qu’à s’évader ou à lui faire la peau. Il déteste cette bureaucratie tatillonne, ces règles à n’en plus finir, ce directeur despotique, et cette violence, ce stress, cette pression qu’on leur met sur les épaules chaque jour, à chaque instant. Tout ça pour douze dollars de l’heure ! Et pour boucler la fin de mois, sa femme doit faire des ménages pendant que sa mère garde leurs trois gosses.

Dans Les oubliés, Grisham se révèle donc, comme dans presque tous ses romans, un fervent antagoniste de la peine de mort. Ainsi il décrit le paradoxe d’une justice qui punit un criminel d’avoir donné la mort par une mise à mort ! Il dénonce l’inhumanité qui parque les détenus dans les couloirs de la mort pendant de nombreuses années et ajoute, à la condamnation, le supplice de l’attente et l’angoisse de mourir en imagination plusieurs fois !

 Duke Russel est dans le couloir de la mort depuis seulement neuf ans. La durée moyenne est de quinze. Vingt ans, ce n’est pas une exception. Notre appel est quelque part dans la onzième cour du circuit à Atlanta, passant de service en service et quand il va arriver chez le bon greffier, l’exécution sera ajournée dans l’heure. Duke retournera en cellule d’isolement en attendant de mourir un autre jour.

J’ai aimé ce roman pour les thèmes qu’il développe mais je le trouve un peu trop démonstratif et l’emploi du présent comme  temps unique du récit, introduit un style très direct mais manquant de nuances.

La Sentence


La sentence, antérieur au roman Les oubliés, reprend des thèmes chers à John Grisham sur la peine de mort et la lutte contre le racisme et l’inégalité sociale.

Le roman est divisé en trois parties :

I) Le meurtre


Pete Banning en Octobre 1946 a pris sa décision.  Il se lève et  se rend à l’église où il  tire sur le pasteur Dexter Bell  qui s’écroule sur son bureau. Il a tout prévu : il laisse en héritage sa propriété à sa fille Stella et son fils Joel qui sont tous deux étudiants ; Florry, sa soeur, ne manquera de rien ; Elle est propriétaire de sa plantation de coton, héritée de ses parents. Liza, sa femme, est enfermée dans un asile psychiatrique après des troubles mentaux.
Qui est Pete Banning ? Un planteur de coton très estimé, pas riche mais aisé, fils d’une vieille famille bien implantée et respectée dans le pays. C’est aussi un héros de guerre. Il s’est illustré aux Philippines,  revient couvert de médailles. Sévèrement blessé, il a dû rester pendant des mois à l’hôpital après son retour de la guerre.
 Il refuse de donner les raisons de son acte non seulement devant la cour mais aussi à sa famille. A ce stade de l’histoire le lecteur le moins fûté comprendra (ou croira comprendre ?) ce qu’il en est en apprenant  que le pasteur est un peu trop porté sur la bagatelle. Sa femme se plaint d’ailleurs de la légèreté de son mari. Pete est condamné : c'est la sentence !

II ) l’ossuaire


La guerre fait rage au Philippines dans la péninsule du Bataan et les japonais sont vainqueurs. Ils amènent les soldats américains et leurs alliés philippins au camp O Donnel. Les souffrances des soldats  lors de la Marche de Bataan appelée aussi la Marche de  la Mort, sous la féroce conduite des soldats japonais, l’emprisonnement dans le camp, la maladie, la malnutrition, l’insalubrité, les coups, les humiliations qui bafouent toute dignité humaine, tout concourt à faire de cette partie un récit passionnant.
De plus un retour dans le passé nous permet de découvrir la rencontre de Pete Banning et de Liza et d’en apprendre plus sur leur mariage.


III) La trahison


La dernière partie s’intéresse aux enfants de Pete Banning, à sa femme et à sa soeur et aux conséquences du meurtre commis par Pete Banning sur leur vie. Et la vérité sera révélée.

J’aime beaucoup ce roman et je le trouve plus riche que Les oubliés dans la mesure où les personnages sont plus complexes, la vision de la société dans les plantations de coton du Mississipi est riche, décrivant les difficultés économiques liées aux récoltes, les rapports entres les blancs, propriétaires des terres et leurs employés noirs. De plus, Grisham possède un art du récit qui rend addictif et la description de la guerre aux Philippines contre l’armée japonaise, la défaite des américains et de leurs alliés philippins, nous tiennent en haleine. On a du mal à s’arracher à cette lecture qui condamne aussi un chef militaire comme le général Mac Arthur, incompétent, qui abandonne ses soldats quand il y a du danger et les laisse seuls face à l’ennemi et le président Roosevelt qui l’a nommé et qui le décore après sa fuite. Grisham règle ses comptes avec l’Histoire et en donne un aperçu que je ne connaissais pas.



 

samedi 1 mars 2025

Joyce Carol Oates : Le petit paradis

 


Le roman de Joyce Carol Oates Le petit paradis est une dystopie qui dépeint un monde assez effrayant située dans une Amérique « reconstituée » (à la manière trumpiste, je suppose, englobant les pays voisins ?) où règne un totalitarisme qui ne permet aucun échappatoire. Nous sommes en 2039. Aucun individu ne doit échapper à la norme et c’est bien ce qui est difficile pour la jeune héroïne de notre histoire, Adriane Strohl, qui sort major de sa promotion. Autant dire qu’elle se distingue et devient suspecte aux yeux du gouvernement. Quand, en plus, elle conçoit son discours de fin de promo en forme d’interrogations, elle est jugée comme carrément subversive.  Il faut dire qu’elle a déjà déjà un père, trop brillant chirurgien, rétrogradé IM, Individu Marqué, un oncle disparu, « vaporisé »  … La punition ne va pas tarder. Elle sera IE, Individu Exilé. Les trop nombreux sigles employés sont lassants mais c'est un détail et heureusement cela s'arrête vite !.

 Elle est envoyée dans le passé quatre-vingts ans plus tôt, en 1959. Constamment surveillée, obligée d’adopter une nouvelle identité, elle s’appelle désormais Mary Ellen, elle doit partager le dortoir de jeunes filles de l’époque et étudier la psychologie dans une université du Wisconsin. Aux yeux de sa famille, elle a été vaporisée ! Alors, quand elle découvre que son professeur Ira Wolfman est un exilé comme elle, elle en tombe amoureuse. Oui, c’est peu original !

L’originalité du roman vient de la manière de peindre le passé. Foin de la nostalgie du bon vieux temps, et des soupirs écolos énamourés d’un monde moins technique ! La découverte de la machine à écrire en lieu et place de l’ordinateur par Adriana est amusante ! Le monde universitaire que décrit Joyce Carol Oates est celui où l’écrivaine a fait elle-même ses études,  à l’université du Wisconsin, à la même époque. Elle nous la raconte dans son roman Je vous emmène. ICI
Dans les années 1950/60, finalement, le sort des filles n’est pas très enviable. Adriana décrit avec stupéfaction les gaines et les soutiens-gorge pointus qui briment le corps des jeunes filles. Une fille  enceinte  ?  (cela ne se dit pas !) est obligée de partir de l’université.
Le sexisme règne de la part des professeurs et leurs commentaires sont désobligeants pour la gent féminine. Les filles y sont peu nombreuses. Dans le cours de Wolfman, elles ne sont que trois. Pas une seule femme professeur.

« ... la logique n’est pas un cours pour femme. Comme les maths et la physique, l’ingénierie - nos cerveaux ne sont pas adaptés à ce genre de calculs »  explique Miss Steadman.

Adriana crée le scandale en remettant en cause les observations des psychologues (tous des hommes) et le rôle du père.
La mère, « dans l’incapacité à être une  « bonne mère » est  soupçonnée de causer l’autisme chez certains enfants ».
 « Je ne parviens pas à imaginer une situation expérimentale où ces psychologues auraient pu observer « les mères à l’oeuvre ». Les pères n’auraient-ils pas « oeuvré » conjointement eux aussi ? »  s’insurge  Adriana.

L’obscurantisme règne. Les théories d’Einstein sont réfutées. C’est « une logique juive » dit l’un des professeurs ! L’homosexualité est considérée comme une déviance et «soignée» par électrochocs « jusqu’à ce qu’ils soient réduits à une masse de nerfs tremblotante. » Les malades mentaux sont lobotomisés.
 

Ce parallèle entre la société totalitaire et celle du passé est ce qu’il y a de plus intéressant dans Le petit paradis dont on se doute bien que le titre est à prendre comme une antiphrase !

 Je l’ai lu sans déplaisir, désireuse de savoir ce qui allait se passer ! Par contre, j’ai trouvé certains passages trop démonstratifs. Les personnages sont peu attachants : Adriana toujours en train de vouloir briller, persuadée de sa supériorité intellectuelle, Wolfman lui carrément antipathique ! Mais surtout, surtout, ils me sont apparus un peu schématiques, ils sont des idées, non des personnages vivants. Bref ! Moi qui aime tant Joyce Carol Oates, je n’ai pas été entièrement convaincue.

Kathel a beaucoup plus aimé le livre que moi. Voir ici
 

Participation à Objectif SF 2025 chez Sandrine

 


 

 



vendredi 21 février 2025

Connie Willis : Le Grand Livre


 

Vous aimez l’Histoire avec un grand H ? Vous aimez le Moyen-âge? Vous aimez l’aventure et l’extraordinaire ? Vous souhaitez voyager dans le Temps, vivre dans le futur ou dans le passé ? Alors ce livre est pour vous : Le Grand Livre de Connie Willis.

Nous sommes en 2054. Kivrin est étudiante en histoire à l’université d’Oxford et va être expédiée à l’époque médiévale par le directeur du laboratoire de Recherche, Mr Gilchrist, qui n’hésite pas à risquer la vie de son étudiante dans un tel voyage pour satisfaire ses ambitions personnelles. Et ceci, contre l’avis de James Dunworthy, chargé de l’organisation des voyages temporels. Pour lui, le Moyen-Âge est une période trop élevée sur l’échelle des risques et Kivrin lui paraît trop fragile :« Une fille qui mesurait moins d’un mètre cinquante, aux cheveux blonds tressés en nattes. Elle ne semblait même pas assez âgée pour pouvoir traverser une rue toute seule ». Mais elle souhaite ardemment partir et Dunworthy ne peut s’opposer à Gilchrist. Et puis, après tout, le XXI siècle n’est-il pas dangereux, lui aussi ?

«  Au Moyen-Âge, au moins, on ne risquait-on pas de recevoir une bombe sur la tête. »

Krivin a bien été préparée et partira le 22 décembre 2054 dans l’Oxfordshire du 14 au 28 décembre 1320. Le 28 décembre, elle retrouvera la porte temporelle à l’endroit où celle-ci l’a déposée.
Le docteur Mary Arhens lui a fait toutes sortes de vaccins, choléra, peste, typhoïde... Elle a aussi renforcé son système immunitaire même si l'on sait sait que la grande peste, la Mort Noire qui a d’abord touché l'Asie, le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, avant de ravager la population européenne, n’arrivera en Angleterre qu’en 1348. Badri, l’ingénieur chargé de la machine à voyager dans le temps, est très compétent. Et le départ a lieu malgré les inquiétudes de James Dunworthy.



Mais…  dans la ville du XXI siècle qui se prépare à fêter Noël se déclare alors une épidémie liée à un virus inconnu. Krivin, elle se retrouve au Moyen-âge, est recueillie par une famille noble mais une erreur de calcul la plonge en pleine épidémie de peste en 1348. Le roman se déroule donc en alternance sur les deux périodes. 


Breughel l'Ancien : le triomphe de la Mort


Au Moyen-âge, nous faisons connaissance du père Roche, de dame Eliwys, épouse de sir Guillaume, et de leurs filles, Rosemonde (12 ans) Agnès ( 5 ans). Kivrin doit affronter la peste, soigner les pestiférés, sans savoir si elle pourra revenir dans le présent. Parviendra-t-elle à sauver Rosamonde et Agnès ? Retrouvera-t-elle son époque ? Elle va prouver qu'elle est capable de "traverser la rue toute seule" !  La description de la peste est cauchemardesque et nous immerge dans une époque terrifiante. Le XIV siècle est, en effet, ressuscité avec ses superstitions, ses ignorances et ses peurs, sa vie religieuse, ses croyances à la sorcellerie, avec le manque d’hygiène et la misère, la puanteur, la maladie, avec la mort omniprésente….  


Panneau de la chapelle de Lanslevillard (XVe siècle), en Savoie, La peste noire de 1348

Au XXI siècle malgré l’épidémie et les progrès de la médecine, la pandémie fait rage. James Dunworthy se dévoue pour lutter contre la maladie, pour essayer de sauver Kivrin perdue dans l'époque médiévale,  et pour s'occuper de Colin Templer (12 ans), petit-neveu du docteur Arhens, personnage attachant. Colin et l’étudiant William Meager, ce dernier bourreau des coeurs, doté d’une mère abusive et bigote, apportent une touche de fraîcheur et de dérision au récit. Par exemple, lorsque madame Meager pour réconforter les malades leur lit des pages de l’Ancien Testament !  

« A son réveil, Mme Meager se dressait au-dessus de lui, bible au poing.
-Il vous enverra maux et afflictions, entonna- t-elle dès qu’elle le vit ouvrir les yeux. Et toutes les maladies et toutes les fièvres jusqu’à votre destruction. »
« - je constate que madame Meager ne ménage toujours pas ses efforts pour remonter le moral des troupes. Je présume que le virus prendra bien soin de l’éviter. »
 

Malgré la situation dramatique, à la recherche des origines du virus et d’un vaccin, certaines situations nous font rire !

Un livre addictif qui mêle aventures palpitantes, tragiques, et humour bienvenu, nous amène très loin dans l’imaginaire. A lire absolument si vous aimez ce genre de lecture ! Moi, j’aime et je pense que je lirai d’autres livres de Connie Willis ! Le livre a été récompensé par quatre prix. 


Les pavés de l'hiver chez Moka (702 pages)



Chez Sandrine Blog Tête de lecture


vendredi 31 janvier 2025

Todd Strasser : La Vague et Martin Niemöller : Quand ils sont venus me chercher...

 

 EN MEMOIRE  :

 Pour célébrer le quatre-vingtième anniversaire de la libération d'Auschwitz.

La Vague de Todd Stasser est un roman paru en 1981 adapté d’un téléfilm d’après l’expérience bien réelle menée dans une classe de terminale à l’école de Cubberley à Palo Alto en Californie par un professeur d’Histoire en 1969. En 2008 sortit aussi un film portant le même titre de Dennis Gansel en Allemagne.

Selon le professeur  qui a raconté l’expérience: « Il s’agit de l’évènement le plus  effrayant que j’aie jamais vécue en une salle de classe, »

Ben Ross le professeur charismatique d'un lycée enseigne la seconde guerre mondiale à ses élèves et leur présente un film sur les camps de concentration. Les élèves, bouleversés par les images, s’étonnent qu’aucun allemand n’ait réagi et que tous aient suivi Hitler, adhéré à ses idées.

« Comment  les Allemands ont-ils pu laisser des millions d’êtres humains innocents se faire assassiner? »*

Ben Ross les invite à une expérience :  dans un premier temps il les fait « jouer » à observer une discipline stricte puis à répéter les trois slogans :  La Force par la discipline, la Force par la communauté, la Force par l’action. Il en profite d’ailleurs pour leur faire apprendre leurs leçons ! Au début, les jeunes gens  s’amusent mais peu à peu ils se piquent au jeu et ceci d’autant plus qu’une énergie nouvelle les anime, un sentiment de force, de pouvoir, une solidarité inédite naît entre eux de cette expérience.

« Les élèves sentaient une nouvelle fois monter en eux l’impression de puissance et d’unité qui les avait envahis la veille » « 

Bientôt, le professeur leur fait adopter un logo, une vague, et un geste qui ressemble à celui exécuté par Musk pendant la cérémonie d’investiture de Trump.

"Rappelez-vous, au sein de la Vague, vous êtes tous égaux. Personne n’est plus important ou plus populaire que les autres, et personne ne doit se sentir exclu du groupe."

Robert, l'un des élèves, souffre-douleur de la classe est l’un des plus enthousiastes dès le début. Désormais il fait partie du groupe car tous sont solidaires.  Serait-ce un des effets positifs de cet engouement ?

"Si tu étudies les personnes qui rejoignent les sectes, tu verras qu’il s’agit presque toujours de gens mal dans leur peau et dans leur vie. Pour eux, la secte est une façon de changer, de recommencer à zéro, comme une renaissance ".

Mais tous les adhérents de la Vague ne sont pas des exclus, loin de là :  L’équipe de foot, les élèves des autres classes viennent rejoindre le groupe, des cartes de membre sont distribués, portant le logo de ralliement.

« La Vague n’était plus une simple idée, ni même un jeu. Mais un mouvement qui avait pris corps grâce à ses élèves. C’étaient eux la Vague, et Ben comprit qu’ils pouvaient agir seuls, sans lui, s’ils le voulaient. »

Et bientôt il y un glissement vers l’intolérance. Ceux qui ne veulent pas adhérer à la Vague sont rejetés,  harcelés par les autres et même frappés. Laurie et David ainsi que les membres de la rédaction du journal  du lycée cherchent pourtant à résister et vont avertir le professeur que le mouvement prend de l’ampleur et risque de conduire au désastre.

"Ben commençait à comprendre à quel point sa « petite expérience » s’avérait bien plus sérieuse que ce qu’il avait imaginé. Ils étaient prêts à lui faire une  confiance aveugle, à le laisser décider à leur place sans hésiter une seconde - ce constat l’effrayait. Si le destin des hommes était de suivre un chef, raison de plus pour que les élèves retiennent cette leçon : Il faut toujours tout remettre en question, ne jamais faire confiance aveuglément à quelqu’un. Autrement…"

 Lui-même s’est laissé prendre un moment à ce jeu, il est si agréable d’être écouté, respecté, obéi, d’avoir un tel pouvoir sur ses élèves … mais c’est au détriment de la liberté individuelle et de la réflexion. Il lui faut alors tout arrêter et faire comprendre la leçon aux enfants.

Vous aurez appris que nous sommes tous responsables de nos propres actes et que nous devons toujours réfléchir sur ce que nous faisons plutôt que de suivre un chef aveuglément; et pour le restant de vos jours, jamais au grand jamais, vous ne permettrez à un groupe de vous dépossédez de vos libertés individuelles ».

 La vague est  un témoignage romancé à partir des écrits du professeur et du téléfilm. Ce n'est pas un grand texte littéraire mais une démonstration. Il est simple à lire et je pense qu'il constituerait une bonne base de lecture pour des élèves de 4 ième et 3 ième d'autant plus qu'il parle de l'univers scolaire. Pour ceux de la seconde à la terminale les oeuvres de Jorge Semprun, Primo Levi, sur ce sujet, sont évidemment plus complexes et plus littéraires.

La mort est mon métier de Robert Merle est aussi un livre riche et passionnant qui vient corroborer la démonstration de La Vague

"Il a bien des façons de tourner le dos à la vérité. On peut se réfugier dans le racisme et dire : les hommes qui ont fait ça sont des allemands. On peut aussi en appeler à la métaphysique et s'écrier avec horreur, comme un prêtre que j'ai connu : "Mais c'est le démon ! mais c'est le Mal !"
Je préfère penser, quant à moi, que tout devient possible dans une société dont les actes ne sont plus contrôlés par l'opinion populaire.
"Qu'on ne s'y trompe pas : Rudolf Lang n'était pas un sadique. Le sadisme a fleuri dans les camps de la mort, mais à l'échelon subalterne. Plus haut, il fallait un équipement psychique très différent.
Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang, moraux à l'intérieur de l'immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs "mérites" portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l'impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l'ordre, par respect pour l'Etat, bref en homme de devoir : et c'est en cela justement qu'il est monstrueux.

 https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2011/06/gitta-sereny-au-fon-des-tenebres-un.html

 

 

Martin Niemöller : Quand ils sont venus me chercher ...

 

Martin Niemöller


* J'espère que le professeur d’histoire a tout de même expliqué à ses élèves qu’il y a  eu des opposants au régime hitlérien et que ce sont eux, qui, dans les années 1930, ont été envoyés les premiers dans les camps de concentration. C’est d’ailleurs ce que nous dit le texte du pasteur de l’église protestante, Martin Niemöller.
"Martin Niemöller passa 8 ans en camp de concentration sur ordre de Hitler auquel il s'était opposé à partir de 1934. Ancien officier nationaliste de sous-marin allemand durant la Grande Guerre, devenu pasteur par refus de tuer des innocents, il est au début attiré par les thèses du parti nazi mais réalise très vite la perversion du national-socialisme et organise, avec Dietrich Bonhöffer, la dissidence anti-régime et la résistance d'une partie de l'église allemande. Arrêté en 1937 et enfermé à Sachshausen puis Dachau, il sera libéré par les Américains en avril 1945." (wikipédia)


Quand ils sont venus chercher les communistes, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas communiste.


Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas syndicaliste.


Quand il sont venus chercher les sociaux-démocrates, 

je n'ai rien dit,

 je n'étais pas social-démocrate.

 

Quand ils sont venus chercher les Juifs, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas juif.
 

Puis, quand ils sont venus me chercher, 

il ne restait plus personne

 pour protester.

 

mardi 21 janvier 2025

Sarah Penner : La petite boutique aux poisons

 

 

La petite boutique aux poisons de Sarah Penner. Voilà le genre de lecture facile destinée aux esprits fatigués et qui ont envie de se divertir avec ce polar historique. Divertir ? Ouep ! En un  sens … mais je conseille tout de même à ces messieurs de se méfier ! Car nous allons rencontrer une empoisonneuse Nella  bientôt secondée par une admiratrice et disciple Eliza (12 ans). Une femme bien sous tout rapports puisque sa loi n° 1 est de ne jamais s’attaquer aux femmes et d’aider celles-ci à se débarrasser des maris gênants, croqueurs de dot,  infidèles, violents, désagréables ! Bref ! Une entreprise qui travaille pour le bien public et féminin ! Nous sommes en 1791 dans l'arrière-boutique obscure d’un quartier de Londres non moins obscur en train de manipuler de mystérieuses fioles gravées d’un écusson représentant un ours et avis aux maris ! Tenez-vous bien !

De nos jours, à Londres, Caroline venue des Etats-Unis est désemparée. Elle et son mari s’apprêtaient à faire ce voyage pour célébrer leur anniversaire de mariage lorsque Caroline apprend qu’il lui est infidèle. Elle part seule et se retrouve dans la capitale sans grande envie de visiter la ville, trop malheureuse pour cela. C’est le moment de faire le point et de s’apercevoir qu’elle a sacrifié tout ce qui était important pour elle en se mariant !
C’est alors qu’un homme l’aborde pour lui proposer une séance de mudlarking dans les boues de la Tamise à marée basse :
« Il fut un temps où les fouilleurs qu'on appelle mudlarks, récoltaient les pièces, des bijoux, des céramiques, pour ensuite les vendre. C'est de ça que parlent les romans de l'époque victorienne. Les gamins des rues récupéraient ce qu'ils pouvaient pour essayer d'acheter un bout de pain. Mais aujourd'hui, nous ne sommes là que pour le plaisir. Vous pouvez conserver ce que vous trouvez, c'est la règle.

Et Caroline trouve… devinez ? Et oui, une fiole avec un petit ours gravé. Dès lors elle mène une enquête qui lui permet de remonter dans le temps sur les traces de l’empoisonneuse et de découvrir son histoire. Je ne vous en dis pas plus si ce n’est que, non, Caroline n’empoisonnera pas son mari, il est assez bête pour s’empoisonner tout seul !

Un livre agréable  et divertissant  qu’il ne faut pas prendre trop au sérieux ! 

dimanche 20 octobre 2024

Stephen King : La ligne verte

 

 

Stephen King ayant fait quelques apparitions dans les blogs, j’ai eu envie moi aussi de lire un de ses livres et les hasards de la médiathèque ont fait que je suis tombée sur La ligne verte

La ligne verte se passe dans les années 1930 dans un pénitencier situé à Cold Mountain en Caroline du Nord.  Paul Edgecombe est gardien en chef du bloc des condamnés à mort. La couleur verte du lino, dans le couloir qui conduit à la chaise électrique donne son titre au roman :  La ligne verte, la ligne ultime, en quelque sorte. 

"J’ai présidé à soixante dix-huit exécutions pendant tout le temps où j’ai servi à Cold Mountain (un chiffre sur lequel ma mémoire n’a jamais hésité; je m’en souviendrai sur mon lit de mort), et je peux affirmer que la plupart des hommes prenaient conscience jusqu’à la moelle de ce qui les attendait, sitôt qu’on leur  sanglait les chevilles aux pieds en chêne massif de Miss Cent Mille Volts. (…)
C’est d’abord par les chevilles que les clients de ville prenaient connaissance de leur mort. Ils disaient leurs dernières paroles, des phrases souvent bizarres, incohérentes puis on leur passait une cagoule en soie noire sur la tête. Cette cagoule, c’était soi-disant pour leur confort, mais j’ai toujours pensé que c’était pour le nôtre. Pour nous épargner leur dernier regard. Cette insoutenable expression de désespoir à l’idée qu’ils allaient mourir attachés à cette chaise."


Ils sont cinq gardes au bloc à s’occuper des prisonniers, à les accompagner dans leurs derniers instants, à veiller que tout se passe bien, sans heurts, sans panique, aussi bien pour leur propre santé mentale que pour celle des condamnés qui doivent mourir le plus vite, le « mieux » possible. On verra ce que cela donne quand cela se passe mal !  Paul Edgecombe n’est pas contre la peine de mort mais ce n’est pas un sadique à la différence d’un de ses jeunes collègues Percy Wetmore.
Mais tout va changer pour lui à l’arrivée de John Caffey, un noir d’une taille colossale accusé du meurtre de deux fillettes.
 

 Stephen King est contre la peine de mort, à n’en pas douter et le lecteur qui lit son livre sera vite convaincu de l’inhumanité de ce meurtre autorisé, même les parents remplis de haine contre les criminels qui ont tué leurs enfants en ressortent malades.
On ne sort pas indemne de cette incursion dans ce système pénitencier tant l'écrivain nous bouscule. Si la peine de mort est au centre du récit, le racisme l’est aussi, qui règne dans cet état du sud à l’encontre des noirs et le style de King est efficace, direct, puissant et visuel. C’est vraiment un très bon écrivain. Il a aussi un don pour créer des personnages complexes, les faire vivre, nous amener à nous intéresser à  eux, prisonniers et gardiens.
J’ai, par contre, beaucoup moins aimé l’aspect fantastique du récit qui vient rompre le réalisme sans concession du récit et l’affaiblit.

Paul Edgecombe lui-même est le narrateur, âgé. En 1995, il finit sa vie dans une maison de retraite et écrit ses mémoires qui commencent à l’arrivée de John Caffey agissant comme un révélateur. Cette mise en abyme, roman dans le roman, apporte un éclairage riche et subtil au récit, car à l’image du pénitencier et de sa ligne verte qui mène à la mort, répond, comme dans un miroir, l’image de la maison de retraite, symbole de la condition humaine, qui a, elle aussi, son gardien sadique et sa ligne verte, Paul Edgecombe sachant très bien qu’il n’en sera délivré que par la mort.

vendredi 31 mai 2024

Andy Weir : Seul sur Mars

 

 

Quand j’ai lu Seul sur Mars d'Andy Weir pour répondre au challenge sur la planète rouge initié par Taloi du ciné, je ne savais pas à quoi m’attendre.  Depuis, j’ai appris que le livre a été adapté au cinéma avec Matt Damon en 2015 et qu’il a fait couler beaucoup d’encre notamment en ce qui concerne l’aspect scientifique du récit. Finalement pour  répondre une fois pour toutes à cette question, ce roman de science-fiction (nous sommes en 2035)  a été jugé comme un bon exemple de vulgarisation scientifique et technologique même si des spécialistes de la NASA ont relevé quelques erreurs scientifiques. ICI


Le film : seul sur mars


Mark Watney, blessé lors d’une tempête et perdu dans les sables, est laissé pour mort sur la surface de Mars par le reste de l’équipage obligé de quitter la planète en urgence. Quand il se réveille, il s’aperçoit qu’il est seul et doit organiser sa survie.
Génial ! Une Robinsonnade ! Moi qui ai toujours aimé les récits de naufragés sur des îles désertes, voilà que je me retrouve face à un Robinson sur Mars ! Oui, mais survivre sur Mars est bien plus difficile que survivre sur terre même dans des conditions extrêmes comme celles des survivants du Wager ! Rien ne vit, il ne pousse rien là-bas, il n’y a pas d’eau, pas d’oxygène, pas de pression. Heureusement, Mark bénéficie d’un habitat pressurisé, d’instruments de précision, de deux rovers, d’une combinaison spatiale pour ses sorties. Il en a même plusieurs laissées par ses coéquipiers ! De même, il  a de la nourriture lyophilisée qui va lui permettre de vivre quelque temps mais certainement pas assez pour attendre la prochaine mission sur Mars. Qu’à cela ne tienne Mark possède une double casquette, il est botaniste et ingénieur en mécanique. Nous allons voir comment il parvient à cultiver des pommes de terre salvatrices, à fabriquer de l’eau en recyclant son urine et à réparer toutes sortes de pannes car les difficultés et les coups durs s’enchaînent. Bref! le suspense le plus total dans cette lutte pour la vie ! 

 "Je ne veux pas paraître prétentieux mais je suis le meilleur botaniste de la planète".

"Des patates martiennes cent pour cent bio. On n'en trouve pas dans tous les supermarchés, hein ?

Tout ceci s’accompagne de tant de calculs que je me crois retrouver dans mon passé face à mes profs de mathématiques machiavéliques et à leurs savantes tortures (de triste mémoire), les bons vieux problèmes de baignoire qui fuit ou équivalent  :  « Il me faut créer des calories. Suffisamment pour durer les mille trois cent quatre-vingt-sept sols qui me séparent de l’arrivée d’Arès 4. Un sol durant trente-neuf minutes de plus qu’une journée, cela nous donne mille quatre cent vingt-cinq jours. Voilà mon objectif : mille quatre cent vingt-cinq jours de nourriture… j’ai besoin de mille cinq cents calories par jour et je dispose de quatre cents jours de nourriture pour commencer. Combien de calories dois-je donc produire par jour pendant cette période… »
Oui, oui, je vous assure, c’est ce qu’il écrit, il a osé ! Heureusement, il ajoute « Je vous épargnerai les calculs ». Oh! merci, merci ! Magnanime Andy Weir ! C’est sûr qu’un prof de maths ne l’aurait pas fait ! A ce moment-là, et même si je lui suis reconnaissante, j’hésite à poursuivre ma lecture et je cherche qui est l’auteur :   "Andy Weir, son auteur, a été engagé comme programmateur informatique par un laboratoire américain à l’âge de 15 ans. Il n’a cessé de travailler dans l’informatique depuis. Par ailleurs il nourrit une passion pour l’espace et l’histoire des vols habités ."

Ciel ! c’est bien ma chance ! Un surdoué mais ni littéraire, ni poète, non ! Ici, pas de belles descriptions de la planète Mars, ou plutôt quand il y en a une, elle s’accompagne d’un explication scientifique : « La célèbre couleur rouge de mars vient de l’oxyde de fer qui couvre tout. Ce n’est donc pas un désert ordinaire; c’est un désert si vieux qu’il rouille. »
Pas d’analyse psychologique du personnage, de ses sentiments, de ses angoisses métaphysiques ou pas ! Et s’il y en a une, cela donne : « Je ne m’étais jamais rendu compte du silence qui régnait sur Mars. C’est un monde désert à l’atmosphère trop fine pour transporter les bruits. J’entendais battre mon coeur ( Pas mal non ? mais la suite …). Bon, trêve de digressions philosophiques . »

Mais au milieu de ce déluge de chiffres, voilà que Mark parvient à établir un contact avec la terre et voilà qui relance l’action ! Alors je le lis et entre calculs, problèmes de physique, de chimie, accidents, réparations en tout genre avec tous les détails ( de quoi me faire engager à la NASA)  et humour potache, force est de reconnaître que j’ai eu envie de savoir si le naufragé va s’en sortir et comment ! Finalement, je dois avouer que je me suis prise au jeu et que je suis allée jusqu’au bout et que j’y ai même pris un certain plaisir !

 


PS : Je me demande bien pourquoi il le classe dans Thrillers ? Il s'agit d'un f livre de science-fiction et d'aventure tout simplement.

mercredi 29 mai 2024

Herman Melville : Billy Budd

 

Billy Budd est une jeune marin de vingt et un ans, dont la beauté attire l’attention. Ses camarades l’ont surnommé « le Beau Marin » ou encore « Bébé Budd ». Il est embauché d’abord dans la marine marchande où sa bonne humeur et sa belle mine lui attirent toutes les sympathies. Par la suite, il est enrôlé de force dans la marine de guerre sur le bateau le Bellipotent comme l’était grand nombre de jeunes gens à cette époque.

Gabier de misaine, Billy s’efforce d’accepter le changement qui vient d’intervenir dans sa vie sans protester et d’accomplir son travail correctement. Mais il va se heurter à la malveillance affichée du capitaine d’armes, John Claggart. Celui-ci n’a aucune raison d’en vouloir à Billy, et, nous dit Melville, ces sentiments ne sont pas rationnels mais liés à « une dépravation relevant de la nature. »  En fait, « la raison première de sa haine pour Billy, à savoir la remarquable beauté de ce personnage » semble être l’unique motivation de sa conduite.

L’homosexualité refoulée de Claggart qui nie son attirance pour le Beau Marin, prisonnier de sa conception de la virilité et des préjugés de l’époque, est précisée explicitement par ailleurs. Elle fait écho à l’homosexualité de Melville interdite par son éducation puritaine mais qui apparaît dans chacun de ses romans.

« Claggart apparaissait alors comme l’homme de douleurs. Oui, et parfois l’expression mélancolique se nuançait de tendre nostalgie, comme si Claggart aurait pu aimer Billy n’eut été l’interdit du destin ».

Claggart ne peut lutter contre cet amour qu’il juge coupable et qui le mettrait au ban de la société, qu’en cherchant à le nier et à en supprimer l’objet. Claggart est le Mal, le jeune homme représente le Bien, sa jeunesse se pare d’une innocence presque enfantine qui ne lui permet pas de discerner le Mal. Il est donc la victime toute désignée. Son seul défaut est un bégaiement qui l’affecte au cours d’une trop grande émotion. Aussi lorsque Claggart l’accuse injustement de fomenter une mutinerie devant le capitaine Edward Fairfax Vere, ne pouvant se défendre et exprimer son innocence, Billy frappe Claggart de son poing et le tue.

Le contexte historique a une grande importance dans le récit et d'ailleurs Melville y consacre plusieurs chapitres s'étendant, en particulier, sur  le mode de recrutement des marins et sur l'enrôlement forcé. Le drame se déroule au moment de la révolution française pendant l’été de 1797. Les marins anglais, cette année là, déclenchèrent une série de mutineries qui furent sévèrement réprimées. Pourtant le mécontentement couve toujours et les officiers sont à cran. C’est ce qui explique que le sort de Billy Budd accusé de meurtre, même si l’on reconnaît son innocence au sujet de la mutinerie, soit fixé d’avance. Le capitaine Vere, partisan de l’ordre et de la discipline militaire, le condamne à  la pendaison et il est exécuté dès le lever du soleil.
 
 Il y a quelque chose de christique dans la mort du Beau Marin. En mourant, alors qu’il est innocent, ce sont les péchés collectifs qu’il expie et non sa propre faute et, de même que le Christ, il meurt en pardonnant à celui qui l’a condamné : « Que Dieu bénisse le capitaine Vere !», hissé sur la grande vergue, dans une symbolique de la lumière qui l’auréole et le transfigure :

« au même instant le hasard voulut que la toison vaporeuse suspendue bas à l’orient s’imprégnât d’une douce et glorieuse lumière, comme dans une vision mystique la toison de l’Agneau de Dieu, tandis que simultanément, suivi du regard par la masse compacte de visages torturés vers le haut, Billy s’élevait; et, s’élevant recevait en plein le rose de l’aube. »

On pourrait penser que la nouvelle, se terminant par le pardon et cette image du Christ, est finalement optimiste malgré le tragique du propos. C’est ce que je pensais, notant que le calviniste Melville semble dire que son héros est sauvé malgré sa prédestination au malheur, puisqu’il reçoit la promesse de l’aube, condamné par les hommes mais reçu par Dieu.  

Mais dans la préface, le traducteur Daniel Orme explique que de nombreux critiques s'interrogent sur le sens de cette nouvelle. Certains considèrent  le récit de Melville comme une parodie ironique et que c'est ainsi qu'il faudrait prendre la dernière phrase de Billy Budd, "Que Dieu bénisse le capitaine Vere".  La nouvelle témoignerait alors du rejet de la loi militaire qui n'hésite pas à sacrifier un innocent et d'une condamnation sans appel du capitaine Verre. Daniel Orme pense que c'est aller trop loin dans  l'interprétation de la pensée de Melville, petit-fils du Major Thomas Melville, qui n'a jamais cessé de respecter l'ordre militaire.
 
Pourtant, Rictor Norton va beaucoup plus loin dans son étude : "Herman Melville", Gay History and Literature, 9 janvier 2000. 

Il analyse l’entretien « secret » qui a lieu entre Billy Budd et le capitaine Vere avant la pendaison, l’auteur pose cette question : « Que s’est-il passé dans le placard du capitaine Vere ? » et il conclut  :

"Cela se termine par le triomphe stérile de l’autorépression. Le « Que Dieu bénisse le capitaine Vere » de Billy est plein de l'ironie la plus amère. Au moment où il prononce cette bénédiction, à laquelle fait écho l'équipage du navire, "le capitaine Vere, soit par maîtrise de soi stoïque, soit par une sorte de paralysie momentanée provoquée par un choc émotionnel, se tenait droit, rigide comme un mousquet, dans le râtelier de l'armure du navire". - c'est-à-dire : il devient un pénis en érection. La bénédiction et l'exécution sont suivies d'un très court chapitre intitulé "Une digression", dans lequel le commissaire de bord et le chirurgien ne parviennent pas à expliquer l'étrange absence du "spasme musculaire" dans le corps pendu de Billy, un "spasme" qui est " plus ou moins invariable dans ces cas-là. ». On se demande combien de lecteurs de Melville se rendent compte que ce dont il est question est de l'orgasme et de l'éjaculation qui se produisent habituellement lorsqu'un homme est pendu - une des raisons pour lesquelles les réformateurs estimaient que les pendaisons publiques étaient obscènes."

Billy Bud nous dit-on est l'une de des nouvelles les plus discutées, les plus controversées de Melville. Les interprétations qui en ont été données sont souvent complexes et contradictoires.

A vous de vous faire une idée en la lisant ! 




LC avec Keisha

Autre LC sur Melville prévu avec Fanja à une date non arrêtée


mardi 30 avril 2024

Lectures communes : Les dates

 

R. Van der Weyden

 

 Marcel Proust


 

 LC :  PROUST Du côté de chez Swann 

 pour le 15 MAI  Miriam Claudialucia

 

LC  : PROUST  les jeunes filles en fleurs 

 pour le 3 JUILLET  Miriam Claudialucia


LC : PROUST  Le côté de Guermandes

 Pour le 3 SEPTEMBRE Miriam Claudialucia

 

Voir les billets déjà parus  le jeudi avec Marcel Proust ICI 


Céleste Albaret

Céleste Albaret : Monsieur Proust


LC :  Monsieur Proust souvenirs de Céleste Albaret  OU/ET Céleste Bien sûr Monsieur Proust de Chloé Cruchaudet BD 1 et 2  On peut choisir de lire l'un ou l'autre ou les deux.  

Pour le 11 MAI : Fanja   claudialucia
 

Maryse Condé

 

LC  : Maryse Conde Titre au choix

POUR LE 20 Mai Aifelle Miriam claudialucia

 

Herman Melville

LC  : Herman Melville Billy Budd

pour le 29 Mai Fanja ( avec Moby Dick) claudialucia
 

lundi 29 avril 2024

Nathaniel Ian Miller : L'Odyssée de Sven

 

Avec l'Odyssée de Sven de Nathaniel Ian Miller, nous sommes en 1916 à Stockholm. Sven est une jeune homme imaginatif, qui lit beaucoup et rêve, non sans romantisme, d’aventures dans le Grand Nord. Il est ouvrier et son travail lui pèse et l’ennuie. Il décide de partir au Spitzberg travailler dans les mines et là, la réalité le rattrape. Non seulement il n’est pas question de voir le pays mais encore les conditions de travail sont extrêmement pénibles et une galerie s'effondre sur sa tête, le laissant défiguré et objet de répulsion. Seul l’amitié de McIntyre, géologue écossais, intellectuel avec lequel il partage l’amour de la lecture, va lui permettre  de survivre. C’est auprès d’un autre ami, finlandais, socialiste, le trappeur, Tapio, qui vit les tragédies et les violences que connaît la Finlande déchirée par la guerre civile, qu’il va apprendre son métier avant de se couper du monde et vivre de ses chasses. Enfin, il est rattaché à la vie par sa soeur Olga, sa nièce, Helga et la fille de celle-ci, qui ont continué à lui écrire malgré ses silences.

Inspirée d’une histoire vraie, l’odyssée de Sven nous amène donc aux confins des pays nordiques, dans le Spitzberg. Le roman de Sven, est bien, en effet, une épopée tant les dangers à affronter sont nombreux, les animaux sauvages, les tempêtes, la nuit arctique, la neige, le froid, la faim, la solitude, la folie. 

« Ainsi commença la période sombre, comme je l’appelle. Sauf qu’elle n’était pas si sombre que ça. C’est plutôt que mon esprit s’assombrit, comme une pièce éclairée par la lumière du jour, et puis soudain on baisse les stores et il ne reste que la flamme vacillante d’un petit bout de chandelle de suif. »

Sven, décide de vivre seul, coupé de ses semblables pendant de longs mois, et, à travers lui, nous assistons à la trajectoire d’un esprit qui va au-delà de ce qu’il est possible à l’être humain de supporter, au risque de se perdre.

"Une meilleure métaphore pourrait être ceci : la vie dans le vide est sans blessures, car rien ne peut vous toucher. Mais le vide est froid. Et le froid mord alors même qu’il engourdit."

Il ne reviendra des Enfers que par la présence et l’amitié de ceux qui l’aiment et, ne l’oublions pas,  par la présence et la fidélité de son chien Eberhard : « je frissonne à la pensée du tour que les choses auraient pu prendre sans Eberhard. »

L’odyssée de Sven est un roman plein d’une sourde tristesse, plein de douleur, où la beauté de la nature n’a d’égale que la cruauté, où chacun se retrouve seul et affronte des moments terribles mais c’est aussi un histoire pleine d’humanité qui laisse la place à l'espérance grâce à l’amitié, la solidarité et le partage. Un beau roman !

vendredi 29 mars 2024

Brandon Sanderson : Tress de la mer émeraude


 

Tress de la mer d'émeraude est un livre de  Brandon Sanderson, le premier des quatre romans secrets écrits par l'auteur pendant la pandémie de covid19.

Tress vit sur un rocher, une île exiguë que la pierre noire rend plutôt lugubre. Seuls les marins qui déchargent les marchandises lui laissent entrevoir d’autres horizons, les lunagrées, dont les douze lunes de couleurs différentes sont vénérées comme des déesses par les habitants du pays.
La jeune fille vit dans la lunagrée verdoyante, celle qui déverse des spores vertes, ( mortelles au contact de l’eau), celles-ci formant l’océan de la même couleur. Un océan de spores ! La vie est monotone sur l’île mais Tress, petite fille humble, effacée et sage, simple laveuse de vitres, s’en accommode.  N’a-t-elle pas pour ami, le "jardinier" du château,  Charlie, qui n’est autre que le fils du Duc ? Or, elle est amoureuse  de lui et réciproquement. Mais voilà que Charlie est amené au loin par son père pour se marier avec une princesse et qu’il disparaît, enlevé par la sorcière de la mer de Minuit, la mer aux spores noires, la plus dangereuse de toutes. Il faut traverser la mer Pourpre où vit un terrible dragon pour atteindre l’antre de  la sorcière et l’affronter.  
Pour sauver le jeune homme, Tress décide de partir et comme chacun le sait, l’amour soulève les montagnes et, en l’occurence, ici, traverse les océans ! 

Comment la petite laveuse de vitres va-t-elle s’enfuir, passagère clandestine sur un bateau de contrebandiers, puis prisonnière et bientôt capitaine sur un vaisseau de pirates ? Comment va-t-elle être aidée (ou non?) par son ami le rat parlant et les marins ? Comment va-t-elle se révéler fûtée, fûtée, et pleine de ressources, la petite laveuse de vitres ? C’est ce que je ne vous dirai pas !  Il va falloir lire le livre! Et oui, c’est comme ça, la vie !

Ma première impression, je l’avoue, a été de me retrouver dans un conte de fées traditionnel plutôt que dans un roman Fantasy : la structure d’abord en trois parties, la situation initiale, l’élément perturbateur, les péripéties avec les adjuvants magiques ou pas qui interviennent jusqu’à la résolution finale si possible heureuse. L’héroïne, la petite laveuse de vitres, est bien un personnage de contes déterminée par ce qu’elle représente socialement et non par ce qu’elle est,  comme la petite fille aux allumettes, le petit ramoneur, le vilain petit canard…
Je me suis dit qu’il s’agissait donc d’un conte pour enfants et j’ai un peu renâclé à entrer dans le livre. J’aime les romans fantasy mais ceux qui s’adressent aux adultes. Pourtant, je voyais déjà se dessiner l’originalité du récit, c’est la fille qui part secourir son amoureux (un peu falot, le pauvre gars !) et qui va se révéler indépendante, intelligente, astucieuse et courageuse et, ce qui n'empêche rien, gentille, altruiste! Elle devient donc au cours de la lecture, de plus en plus intéressante surtout quand son caractère s’affirme et qu’elle commence à travailler avec les spores.  Donc, un bon point ! Ensuite, j’ai commencé à goûter un humour à La Princesse Bride, le film culte de mes filles, de mes petits-enfants et de leur grand-mère, vu et revu cent fois.  Et là, re re re bon point !

Mais j’étais gênée parfois par un humour potache, un peu lourd, en tout cas que je ne comprenais pas toujours, jusqu’au moment où je me suis aperçue que c’était le narrateur Hoid* qui prenait la parole, un être apparemment fou, subissant un sortilège lancé par la sorcière et qui tient des propos incohérents dont certains, pourtant, ont un sens caché. J’ai pensé aux personnages d’Alice au pays des Merveilles, le chapelier par exemple, confinant à l’absurde, un humour au deuxième degré. Le roman prenait des colorations différentes, interrompues parfois par des considérations qui s’adressent aux adultes plutôt qu’aux enfants. Et finalement j’ai aimé et je l’ai lu avec plaisir.

Bon, je me serais épargnée toutes ces hésitations, ces interrogations sur le roman si j’avais lu la post-face de Brandon Sanderson, avant ma lecture mais, disciplinée, je l’ai lue après : «  Je ne voulais pas d’un conte de fées, mais visais quelque chose d’adjacent. L’idée n’était pas néanmoins pas d’obtenir un résultat trop enfantin. Je souhaitais quelque chose que mes fans apprécieraient : un conte de fées pour adultes en quelque sorte. Chemin faisant, je me suis retrouvé en train de repenser à l’incroyable roman de William Goldman, Princess Bride (1987) qui parmi mes lectures, se rapproche le plus du ton que je tâchais d’atteindre . »  Un conte de fées pour adultes, c’est exactement ce qu’il est parvenu à réaliser !

*C’était le premier livre que je lisais de Brandon Sanderson  donc je ne savais pas  que Hoid est un personnage récurrent dans les livres de cet auteur et dans l’univers du Cosmere qu’il a créé.. Elantris est le premier  livre où il apparaît.

Et comme il s'agit de navigation même sur des spores, je participe à la lecture commune du Booktrip en mer de Fanja ICI