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vendredi 28 novembre 2025

Joyce Carol Oates : La saga gothique : une pentalogie

 

 Je viens de terminer La légende de Bloodsmore de Joyce Carol Oates, ce qui m'a donné envie de parler des autres romans gothiques de l'écrivaine dont j'ai lu certains livres et que j'ai commentés il y a déjà plusieurs années. 

Je rétablis ici l’ordre des volumes constituant la saga gothique de Joyce Carol Oates, mais je les ai lus dans le désordre. La légende de Bloodsmore est celui que j’ai lu en dernier alors que c’est le tome 2 de la série. Mais ce n’est pas grave dans la mesure où ces romans peuvent être lus indépendamment les uns des autres. Je pensais que cette saga était une trilogie mais non, il y en a cinq en tout et encore un que je n’ai pas lu Mon coeur mis à nu Tome 4. Donc, la récapitulation que je vous propose est à compléter.

Tous les romans gothiques de Oates, même s’ils sont très différents les uns des autres, présentent des constantes : l’écrivaine ne s’interdit rien et nous plonge dans des situations absolument fantastiques, magiques, rocambolesques, doublées d’un intrigue noire, avec mystères, disparitions, meurtres… Et en même temps, ces romans nous présentent une histoire de l'Amérique, d’une société puritaine où la femme est souvent brimée, emprisonnée, d’une société injuste où triomphent ceux qui ont le pouvoir et la richesse. Tous aussi sont marqués par l’humour (noir) de Joyce Carol Oates ! Et pour les plus réussis, il s’agit d’un feu d’artifice. Je le dis tout de suite, j’ai des préférences : Bellefleur et Les Maudits. Voici ce que j’écrivais sur ces romans lors de leur lecture à des années d’écart.


Billet publié le Mercredi 12 septembre 2012 Bellefleur saga gothique tome 1

 


 

C'est en 2012 que j’ai écrit ce billet sur le premier volume de la saga gothique, Bellefleur. Il est mon préféré des romans gothiques de Oates. Le plus fou, le plus tordu, le plus extraordinaire de tous, parfois si dense et si complexe que l’on en sort fatigué, mais lecture addictive que l’on ne peut lâcher.

Bellefleur de Joyce Carol Oates paru en 1980 aux Etats-Unis est un roman fleuve de près de mille pages qui conte l'histoire d'une dynastie fondée par Jean-Pierre Bellefleur, aristocrate d'origine française, chassé de son pays au XVIII siècle et qui crée un immense empire en achetant des terres. Il  amasse une colossale fortune dont il ne reste que des traces (mais substantielles !) au moment ou Leah épouse son cousin Gideon et décide de restaurer la puissance et la richesse de l'orgueilleuse famille. 

 Le récit qui se déroule en Louisiane, court sur plusieurs générations de la fin du XVIII à la fin du XX  siècle et présente un nombre impressionnant de personnages et d'actions. La structure du récit qui refuse la chronologie, passe d'une époque à l'autre, d'un personnage à l'autre, est extrêmement complexe à l'image de cette famille absolument hors du commun. L'écrivain ouvre parfois des portes sur un évènement mais les referme bien vite, piquant notre curiosité qui ne trouvera satisfaction que bien des chapitres après. Bellefleur n'est donc pas de tout repos ni pour le lecteur ni pour l'auteur et ce n'est pas étonnant que Carole Joyce Oates ait déclaré que ce roman l'avait "vampirisée". Mais s'il semble partir dans toutes les directions, si les personnages paraissent impossibles à maîtriser dans leur folie et leur fantaisie meurtrières, il aboutit exactement là où l'écrivaine a voulu le conduire, lorsque tout nous est révélé, que toutes les pistes se sont rejointes, et que le seul dénouement possible pour une telle famille survient enfin! 

 Le roman navigue entre réalisme et fantastique. Certes, la vie de la famille est bien ancrée dans les époques et la société et Oates décrit les jeux de pouvoir et d'argent d'une société inégalitaire et capitaliste mais il se passe de drôles de choses dans l'antique et ténébreux manoir des Bellefleur ! Un des fils disparaît dans une chambre hantée et l'on ne le revoit jamais. Il n'est pas le seul ! Yolande, une des filles d'Ewan, frère de Gideon, disparaît, elle aussi, après avoir croisé un mystérieux chien jaune, incarnation maléfique d'un jeune garçon, voisin pauvre des Bellefleur. Germaine, la fille cadette de Gideon et Leah a des pouvoirs de divination et annonce les catastrophes. Un bébé Bellefleur est enlevé et dépecé par un oiseau d'une envergure démesurée et doté d'une intelligence machiavélique. Le nain, domestique de Leah, ne cesse de grandir et de se redresser… Mais, même lorsque le Merveilleux n'a pas sa part dans le roman, les personnages sont tellement exacerbés, excessifs, tordus, ou carrément déments que l'on croit rêver. Je pense à Jedediah, sorte de Fou de Dieu, ermite qui se retire en solitaire dans la montagne, à  Jean Pierre II  psychopathe et sérial killer a l'air innocent… ou Leah et son araignée géante perchée sur l'épaule qui règle le sort des prétendants de la jeune fille un peu trop entreprenants (J’adore cet humour noir ) ! Bref ! Lire ce roman de Joyce Oates, c'est aller de surprise en surprise ! Certains passages m'ont fascinée et il m'a été difficile d'échapper à ma lecture. Pourtant, il y a des moments où j'ai été moins captivée. Pourquoi ? Une impression de surplace, des personnages qui m'intéressent moins, une fatigue passagère liée à un trop grand nombre d'évènements. Quoi qu'il en soit Bellefleur est un roman brillant qui est le fait d'une écrivaine de caractère, en pleine possession de son art et qui frappe fort.


Vendredi 28 Novembre 2025 La légende de Bloodsmore tome 2

 


 


Voici le livre lu cette année 2025. Nous sommes en Pennsylvanie, à la fin du XIX siècle dans une famille bourgeoise  qui a cinq filles dont une a été adoptée. Quincy Zinn est un inventeur de génie qui se consacre à son art mais … ne gagne d’argent, ce qui contrarie son épouse, Prudence Kiddemaster, puisqu’elle est la fille d’un riche magistrat. On pourrait le trouver sympathique, ce brave homme, mais on va voir ce qu’il a inventé !

Deirdre est la fille adoptive des Zinn. Un jour, elle est enlevée sous les yeux de ses soeurs mais, attention, un enlèvement en montgolfière, dans les airs, ce qui ajoute encore au scandale ( et au frisson) que procure un tel évènement dans la bonne société ! On ne la revoit plus dans le roman à moins que… Qui est cette femme  mystérieuse ?  Deirdre des Ombres, qui, au cours de séances de spiritisme, met en relation les membres éplorés des familles endeuillées avec les esprits de leurs proches ? On sait combien le spiritisme a marqué la société de la deuxième moitié du XIX siècle !

Vous avez dit scandale ? Que dire, en effet, de l’aînée des demoiselles, Constance Philippa, qui se laisse marier mais qui fuit le soir de ses noces (il semble qu’elle n’aime pas les hommes, on verra pourquoi !), laissant le mari dépité et vindicatif, seul dans la chambre nuptiale. Et la belle Malvinia qui, séduite par un acteur (Mark Twain?), se lance dans le théâtre. Et Octavia ? Il semble que sa moralité soit plus conforme à ce que l'on attend d'une jeune fille (aux yeux de la narratrice) car elle se marie "normalement" et elle a des enfants, elle ! Ouf ! Mais je vous laisse découvrir ce qu’est la  "normale" quant aux pratiques sexuelles du respectable veuf calviniste qu'elle a épousé ! Là, la férocité de Oates est totale et elle se donne le plaisir de fustiger avec joie l’hypocrisie de cette société.  Reste Samantha, la plus intelligente, qui se plaît dans l’atelier de l’inventeur mais finit par épouser l’assistant de son papa. Quelle déchéance ! Bref ! L’ironie de Joyce Carol Oates fait des ravages et ceci d’autant plus que le récit est conté par une narratrice puritaine, bien distincte de l’auteur, dispensant des commentaires bien-pensants et vertueux et s’indignant des agissements des filles Zinn. La fin du XIX siècle, la fin d’une famille traditionnelle, le début du XX siècle  et l’accession relative à l’indépendance des femmes, voilà le sujet de La légende de Bloodsmore. Mais je n’ai pas aimé ce livre autant que Bellefleur. Bien entendu, il s’agit d’un roman gothique et qui obéit au genre en présentant des évènements curieux, inexplicables et qui restent parfois inexpliqués. Mais il est moins brillant, je le trouve trop "sage", plus attendu, il y manque ce grain de folie, ce fantastique débridé, libre, ce "tout est possible" qui est celui de Bellefleur.

samedi 2 Juillet 2011  Les mystères de Winterthurn tome 3

 


 Les mystères de Winterthurn est le tome 2 de la saga mais je l’ai lu le premier en juillet 2011,  il y a plus de 14 ans donc !

Les mystères de Winterthurn de Joyce Carol Oates que l'on pourrait qualifier de roman noir gothique aborde un registre auquel je ne m'attendais pas après avoir lu Nous étions les Mulvaney, l’un de mes romans préférés de Oates, bien ancré dans la société américaine des années 1970. 

Le livre est divisé en trois parties qui correspondent à trois énigmes, associées à des meurtres, résolues par le détective Xavier Kilgarvan :

          La vierge à la roseraie ou la tragédie du manoir Glen Mawr
          Le demi-arpent du diable ou le mystère du "cruel prétendant"
          La robe nuptiale tachée de sang ou la dernière affaire de Xavier Kilgarvan
 

Le fil directeur de ces trois récits est d'abord, bien sûr, Xavier Kilgarvan qui a seize ans au début du roman et les personnages récurrents  comme les deux cousines du jeune homme, Perdita et Thérèse Kilgarvan, ainsi que les frères du héros; ensuite le lieu, le village de Winterthurn, et le genre, un mélange de réalisme lié au roman policier et de fantastique qui rappelle le roman gothique avec intervention du diable et de démons. L'intrigue se situe à la fin du XIX ème siècle.
On peut lire cette oeuvre au premier degré, en tremblant, caché(e) sous sa couverture, fasciné(e)par les horreurs du manoir de Glen Mawr, terrifié(e) par les atrocités commises par le  "cruel prétendant" ou la robe couverte de sang de la belle et malheureuse Perdita. Et puis, il y a le second degré : un humour sous-jacent au récit qui nous interpelle comme si l'auteur voulait attirer notre attention vers autre chose, vers un autre point de vue, d'autres centres d'intérêt, thèmes qui ne sont pas si éloignés, finalement, du roman que je citais plus haut : Le double visage d'un Juge, égoïste et incestueux dans le privé mais qui se prétend juste, sévère et impartial dans l'exercice de son métier et qui condamne à la pendaison une servante, séduite par son patron et jetée à la rue, parce que son bébé est mort de froid lors de l'accouchement. Un fils de famille coupable des pires atrocités, innocenté et libéré sous un fallacieux prétexte, mais en fait parce que les jeunes filles torturées et violées par lui ne sont après tout que des ouvrières d'usine. Calomnies, cruautés, vanités, superstitions, obscurantisme... Description d'une société bien-pensante et méprisante qui cache sous les aspects extérieurs de la vertu, les dépravations les plus totales. Même le pasteur n'est pas épargné, terminant en beauté (si j'ose dire !) la satire d'une société que l'auteur épingle d'un trait vigoureux, incisif.


Mon coeur mis à nu Tome 4  A lire !  Je le propose en LC pour le mois de Février.




Mercredi 13 mai 2015 Maudits tome 5

 

 

Maudits est "gothique" mais … gothique à la manière de Joyce Carol Oates, c’est à dire très imbriqué dans la réalité, très provocateur, très ironique. Lu et commenté en 2015, il est le dernier de sa saga gothique. 

Dans une note, l’écrivaine nous fait savoir qu’il faut le lire comme une métaphore.
"Les vérités de la Fiction résident dans la métaphore, mais la métaphore naît ici de l’Histoire."

Le livre est présenté comme l’ouvrage d’un historien M.W van Dyck II, qui entreprend de nous relater, en s’appuyant sur un grand nombre de documents d’archives, de témoignages écrits ou oraux, l’histoire de la malédiction qui s’est abattue sur Princeton, la ville et son université, dans les années 1905 et 1906. Apparitions de fantômes, de vampires et de créatures diaboliques qui président à des meurtres d’enfants, au rapt d’une mariée devant l’autel, à d’autres morts violentes. La folie s’empare de la petite ville et touche particulièrement la famille Slade, dont le patriarche, Winslow Slade, ancien président de l’université de Princeton, est un membre éminent et respecté de la société du New Jersey. C’est pourtant ses petit-enfants, Annabelle, Josiah, Todd et Oriana qui vont être les principales victimes des forces maléfiques. Mais si ces créatures innocentes payaient pour le crime de leur aïeul ?

Une des forces de ce livre est dans l’interpénétration étroite de la fiction et du réel qui fait que je me suis  perdue dans ce dédale inextricable. Je ne savais plus si je me retrouvais dans la Grande Histoire ou dans la petite ! Les présidents des Etats-Unis comme Grover Cleveland et Woodrow Wilson participent à la fiction du roman et rencontrent des personnages dont on ne sait plus s'ils ont réellement existé ou s'ils sont imaginaires ! Les écrivains célèbres comme Jack London, Upton Sinclair, Mark Twain sont évidemment connus. Mais qu’en est-il des grandes familles princetoniennes, Slade, (complètement fictive), Van Dyck, Burr, Fitz Randolph?

Mais ce mixage entre le réel et l’imaginaire à bien d’autres fonctions que de nous étourdir et nous faire perdre la tête! Il nous ramène chaque fois à la métaphore dont parle Oates. Si les créatures diaboliques vivent dans le marais, se repaissant du sang de leurs victimes, vampirisant les femmes, tuant les enfants, le monde Princetonien réel n’apparaît pas meilleur et se nourrit lui aussi du sang des humbles comme le prouvent la naissance de Ku Klux Klan, le viol et le meurtre d’une fillette, le lynchage, dans le roman, d’un jeune couple noir qui ne soulève que peu d’émotion dans la ville. Les horreurs dénoncées par l’écrivain socialiste Upton Sinclair dans La Jungle sur les abattoirs de Chicago, la souffrance et l’exploitation des employés misérables, ignominieusement traités, sous-payés, vampirisés par le capitalisme sont autant d’atrocités, reflets du monde diabolique. Toutes ces grandes familles sont pleines de morgue et de suffisance envers leurs inférieurs, Oates parle de « snobisme »;  on comprend leur position par rapport aux noirs !  Le président Woodrow Wilson, lui-même, qui fut le premier à faire entrer un juif à l’université n’était raciste « que »… pour les noirs! Il justifiait le Ku klux Klan et il était, d’autre part, misogyne au point de ne pas envisager que les femmes puissent voter, encore moins qu’elles puissent entrer à l’université.

Ainsi "le gothique " de Joyce Carol Oates n’est pas gratuit et permet la satire d’une société qui n’a rien à envier à ceux qui règnent dans le marais. D'ailleurs,  l'écrivaine ne nous laisse jamais croire entièrement au fantastique. Lorsqu'un fait paraît inexplicable, elle lui substitue une explication réaliste comme pour les lys trouvés à l'endroit de l'apparition de la fillette du président Cleveland. De même l'apparition des serpents de pierre vivants qui sème la panique dans le pensionnat n'est-il pas le fait d'une hystérie collective ? Nous sommes toujours ramenés au doute par une écrivaine qui joue au chat et à la souris avec ses lecteurs. 

C’est avec férocité (comme toujours) que Oates dénonce  et tourne en ridicule le puritanisme des moeurs, de la pensée et du verbe de cette vertueuse société. Ainsi le mot « indicible » souvent répétée ne désigne jamais le lynchage, l’exploitation des ouvriers, les souffrances des pauvres, mais tout ce qui a trait à la sexualité, et en particulier à l’homosexualité. Et c’est « indicible », en particulier, devant les « dames » qui ne doivent pas perdre leur pureté ! Elles s’empressent donc de l’apprendre de manière indirecte, par les ragots des domestiques ou autres bavardages féminins. Quant à leur maris, si guindés, si comme il faut, si écoeurés par les « mystères » féminins, s’ils ne prononcent pas le mot adultère, ils le pratiquent ! Les lettres authentiques de Woodrow Wilson l’attestent !

Oates se fait donc un plaisir de croquer l’hypocrisie collective. La censure liée à la religion n’a d’égale que sa transgression, la vertu a pour revers le vice.
Hypocrisie aussi chez les penseurs, les écrivains qui devraient être des esprits libres mais qui abandonnent leurs idéaux dès qu’ils font fortune et fréquentent le beau monde. Tout au long du roman on retrouve cet art du portrait que Oates transforme en arme redoutable et porte à un niveau maximal!

Maudits n’est pas un roman facile; si vous voulez le lire seulement pour vivre des aventures sulfureuses, légères, et pour vous faire peur, mieux vaut le laisser de côté. Et quand j’ai parlé de dédale, précédemment, ce n’était pas qu’une image ! Il faut parvenir à s’y retrouver. La multiplicité des points de vue fait la richesse du roman mais déroute parfois. C’est à cause de cela que j’ai préféré certains passages à d’autres car le style diffère chaque fois et l’on peut s’intéresser plus à l’un des personnages qu’à l’autre. J’ai beaucoup aimé, par exemple le journal secret et codé d’Adélaïde Burr. Il nous fait pénétrer dans l’intimité d’une « dame » de la riche société princetonienne en ce début du XX siècle. La maladie et la fragilité de cette jeune femme toujours alitée peut gagner la sympathie du lecteur mais en même temps, nous nous rendons compte des préjugés sociaux, raciaux d’Adélaïde, de l’égoïsme, de la mesquinerie de ces femmes privilégiées, des conflits d’intérêt, des jalousies. A travers ce journal apparaît aussi le manque de liberté de la femme qui est élevée autant qu’il est possible dans l’ignorance de la sexualité, tenue par les hommes à l’écart de la politique et de l’instruction.

Les rencontres avec les écrivains m’ont passionnée :  Joyce Carol Oates dresse un portrait à charge, haut en couleur de Jack London qui n’affiche plus qu’un socialisme de surface pour ne pas dire de pacotille lors du meeting organisé par le naïf, sincère et pur Upton Sainclair ! Un grand moment du roman assez étourdissant ! Mais le portrait de Mark Twain ne manque pas de pittoresque lui aussi !
Enfin, les lettres de Woodrow Wilson sont, contre toute attente, (après tout, il n’est pas écrivain) très intéressantes. Il a, malgré un certain aspect désuet et conventionnel, un beau brin de plume!

Maudits est le cinquième et dernier roman gothique de Joyce Carol Oates.


 

Joyce Carol Oates Mon coeur mis à nu Tome 4  A lire !  Je le propose en LC  mais pas avant le mois de Février. Le roman compte 625 pages

samedi 22 novembre 2025

James Oliver Curwood : Les chasseurs de loups et Les Chasseurs d’or.


 Mon amour pour James Oliver Curwood remonte à mon enfance. Je l’ai  découvert dès que j’ai su lire et je l’ai relu maintes fois. Il n’avait (presque*) qu’un rival, alors, Jack London et ce sont ces deux auteurs  qui ont nourri mon imaginaire, le grand désert blanc, la neige, le blizzard, les loups, les trappeurs, les chercheurs d’or… 
A l’époque, je préférais Curwood à London ! Mes relectures des deux auteurs à l’âge adulte m’ont amenée à penser tout autrement. Jack London est plus puissant que Curwood, ses personnages sont plus réalistes, plus rudes, plus âpres, ses récits plus épiques, ses combats plus austères. Son style décrit avec brio l’inégalité du combat entre l’homme, fragile, et la Nature immense, implacable, dangereuse… tout en soulignant la grandeur de l’homme qui ne se dérobe pas et lutte pour sa survie. 

Curwood connaît aussi bien, peut-être, le Grand Nord que Jack London et cette approche lui fait écrire de belles pages, vraies, vivantes, en particulier quand il parle des animaux : Kazan, Bari chien-loup, Nomades du Nord que j’ai l’intention de relire. Cependant, ses personnages sont moins complexes, plus idéalisés et la vision des hommes est un peu plus manichéenne que chez London. Il y a les "bons" et les "méchants". Leurs aventures, même si elles sont pleines de dangers bien réels, restent dans le domaine du romanesque et jamais les héros ne perdent leur humanité malgré la fatigue et les souffrances comme c'est le cas dans les romans et nouvelles de Jack London. On sait qu'ils resteront en vie, qu’ils seront incapables d’une action lâche, servile. Et puis, cerise sur le gâteau pour la petite fille que j'étais alors, il y a toujours une belle histoire d’amour, souvent entre une indienne et un blanc ! C’est pour toutes ces raisons que je préférais Curwood.

Je viens de relire pour le challenge Littérature pour la jeunesse, Les chasseurs de loup et sa suite Les chasseurs d’or

J’ai retrouvé avec grand plaisir les personnages de Roderick, un jeune américain et son ami métis, Wabigoon, dont le père, un  anglais venu dans le Nouveau Monde, a épousé une belle indienne. Rod et Wabi se sont connus à  Détroit dans le Michigan pendant leurs études et Wabi a invité Rod chez ses parents dans le Grand Nord canadien, à la Factory de Wabinosh-House, dans la région désertique du lac Nipigon, vers la Baie d’Hudson. Ces personnages, je les adorais quand j’étais jeune ainsi que la jolie Minnetaki dont Rod qui a dix-huit ans tombe amoureux.  
Avec Mukoki, un vieil indien solide et endurant, Wabi fait découvrir à son ami la rude vie des trappeurs et partage son émerveillement pour cette Nature sauvage, ses épaisses forêts de mélèzes et de sapins, ses nuits étoilées et pures, ses lacs gelés. Des spectacles à couper le souffle s’offrent aux yeux éblouis de Rod.  

« Le Wildernesse lui apparaissait dans toute sa grandeur. Aussi loin que pouvait porter la vue, la blanche étendue, mile après mile, se dépliait vers le Nord, jusqu’à la baie d’Hudson. En un éblouissement béat, Rod embrassait du regard, au-dessous de lui, la ligne des forêts noires, puis les plaines, vallonnements et collines, qui se succédaient sans fin, entrecoupés de lacs scintillants, encadrés de sapins, et d’un grand fleuve déroulant son cours glacé. C’était une splendeur magnifique et variée, dans un décor immaculé. »

 Le roman s’ouvre sur une magnifique description de la nature et sur le combat pour la vie d’un élan aux prises avec un chasseur. 

 

Illustration Anton Lomaev

 

Car bien évidemment, dans Les chasseurs de loups, les héros tuent des animaux pour manger ou pour leur fourrure, et en particulier, on s’en doute, le titre l’indique … des loups !  J’imagine, de nos jours, ce livre entre les mains des amoureux de ces bêtes sans aucun doute splendides, surtout si l’on ne risque pas de leur servir de déjeuner ! En fait, le roman paru en 1908 décrit une réalité de l’époque. Il ne s’agit pas de cruauté mais de gagner sa vie. Avec le prix de la vente des fourrures, Rod va pouvoir aider sa mère qui est veuve et a beaucoup de mal à élever son fils. Les loups étaient nombreux et représentaient un danger pour l’homme. La femme de Mukoki et son enfant ont été attaqués par une horde et dévorés. D’ailleurs, le spectacle d’un élan poursuivi par une meute marque Rod, lui enseignant que la vie dans le Grand Nord est  un combat impitoyable et qu’il y a toujours les plus forts et les plus faibles. Manger ou être mangé !

« Longtemps Roderick devait revoir dans ses rêves la bête monstrueuse qui se savait condamnée, fuyant dans la nuit neigeuse en jetant son lourd beuglement d’agonie, et la horde diabolique des Outlaws du désert attachée à ses trousses, corps agiles et puissants, corps squelettiques, dont la peau collait sur les os, mais qui demeurait indomptables et qu’affolaient la proximité de leur proie. »

Mais Curwood, chasseur, aimait trop les animaux pour continuer à les tuer, il a ensuite évolué et lutté pour la limitation de la chasse et la préservation de la Nature, un écologiste d’avant-garde. Il y a un beau passage dans Les Chasseurs d’or où Wabi parle avec amour de la majesté des élans et demande à Rod de les épargner quand il ne s’agit pas d’assurer sa propre survie. On tue pour se nourrir pas pour le plaisir de tuer ! 

Dans Les chasseurs de loups, Rod, Wabi et Mukoki s’installent dans une cabane abandonnée où ils découvrent deux squelettes et un sachet de pépites d’or. Ils comprennent que ces hommes se sont entretués pour l’or et un plan dessiné sur une fine écorce leur permet de savoir où se trouve le gisement.  

 

Wabi, Mukoki, Rod et Loup : celui-ci élevé dans son enfance par Mukoki et Wabi retournera à la vie sauvage

  

Le récit de leur chasse et des combats contre les Woongas, une tribu ennemie qui brûle leur cabane, alternent avec les recherches de Rod pour repérer les cascades qui jalonnent le chemin vers l’or. A la fin de la saison, les trois hommes  décident de retourner à la Factory pour rapporter le produit de leur trappe. Ils reviendront chercher l’or au printemps suivant. Ce sera le sujet de Les Chasseurs d’or. Mais dès le début de ce second livre, Wabi et Rod apprennent que Minnetaki a été enlevée par les Woongas. Nos héros se lancent à leur poursuite. Un combat sans merci entre les « bons » et « les méchants » a lieu et ce n’est qu’après avoir sauvé la jeune fille qu’ils pourront se consacrer à la recherche de l’or et pourront vivre bien d’autres aventures extraordinaires.  

J’ai d’abord était un peu effrayée en lisant dans ma Kindle les avertissements de l’éditeur qui invite à ne pas aborder ce roman avec la mentalité de notre époque. On a vu ce que cela signifiait pour les loups. Mais les combats avec les indiens Woongas et les morts violentes peuvent choquer aussi. Cependant Curwood n’est pas raciste. Mukoki, le vieil indien qui veille sur Wabi et Minnetaki comme une « nounou » attentive et protectrice est un personnage digne et bienveillant. 

« Une grimace de satisfaction se dessina sur sa rude figure ridée, ravagée par les intempéries  et tannée comme un cuir par les longues années vécues dans le Grand Désert Blanc. Le premier, il avait, sur ses épaules, promené le petit Wabi à travers bois et forêts. Il l’avait fait jouer et en avait pris soin lorsqu’il n’était encore qu’un enfantelet, et il l’avait initié aux moeurs du Désert. »

Il transmet son savoir et sa tolérance aux jeunes gens. Il leur raconte des histoires de la création du Monde, des dieux indiens et Rod, d’abord un peu moqueur, finit par respecter les croyances du vieillard. D’ailleurs le roman est dédicacé à « Mukoki, mon guide Peau-Rouge et ami bien-aimé en témoignage de ma reconnaissance… ».

Ces deux romans de Curwood sont donc toujours de très bons livres pour la jeunesse si l’on arrive à les replacer dans une époque qui n’est pas la nôtre et qui n’a pas les mêmes critères que nous. Ils sont bien écrits et permettent de découvrir la beauté des paysages du Grand Nord canadien. Les personnages sont sympathiques, courageux, et vivent des aventures passionnantes. On ne peut s’empêcher de les aimer. Le livre célèbre les valeurs de l’amitié, de la solidarité, de la tolérance et du respect de la nature.

 



J’ai lu ce roman dans la Bibliothèque verte, un peu sévère, quand j'étais enfant ! Mais  le roman aux Editions de La Sarbacane est magnifiquement illustrée par Anton Lomaev (voir les images de ce billet). Un beau cadeau de Noël pour petit lecteur habile.


*
Quand j'écris que "Curwood n'avait presque qu'un rival, Jack London", le "presque" renvoie à mes autres livres cultes en dehors de Curwood et London : Mon amie Flicka, le fils de Flicka et L'herbe verte du Wyoming de Mary O' Hara. Vous connaissez ? Ce que j'ai pu aimer ces romans !

 


 

dimanche 9 novembre 2025

Michael Connelly : L'innocence et la loi

 

  Michael Connelly  est un ancien chroniqueur judiciaire pour le Los Angeles Time. C’est pourquoi il introduit ses lecteurs, de roman en roman, dans les arcanes de la justice aux Etats-Unis et plus particulièrement, avec L'innocence et le loien Californie.

Un de ses héros récurrents Harry Bosch apparaît ici mais en personnage secondaire. Il vient en aide à son demi-frère, l’avocat Michael Haller, qui est dans de beaux draps. Ce dernier vient d’être arrêté par la police au volant de son véhicule qui présente une absence de plaque d’immatriculation. Or, quand le policier demande à Haller d’ouvrir son coffre, il y découvre un cadavre ! Difficile de prouver son innocence surtout quand l’enquête établit que le meurtre a eu lieu dans son propre garage.
Michael Haller connaît bien la victime, Sam Scale, un escroc qu’il a souvent défendu  (avant  que ce dernier ne l'arnaque à son tour ! Bien fait pour lui ! ) et il se doute qu’il s’agit de la vengeance d’un plus gros poisson, un malfrat qu’il a fait condamner dans le passé et qui, en se débarrassant de Scale, en profite pour lui faire porter le chapeau. Peu à peu, on va découvrir  des ramifications qui nous mèneront ... mais je vous le laisse découvrir !
Toute l’équipe de l’avocat, y compris son ex-épouse Maggie Mc Fierce (surnommée La Féroce par son ex-époux qui est toujours amoureux d’elle) se met au travail pour trouver une défense mais comme le fait remarquer Michael Haller, lui-même, être innocent ne suffit pas, il faut encore le prouver et les prisons californiennes sont pleines d’innocents !

En attendant nous faisons connaissance de la prison et ce n’est pas rose ! La vie de Haller est mise en danger et il doit assurer sa survie en payant un délinquant, Bishop, pour le défendre. Il est, pourtant, attaqué violemment et risque de mourir dans le car qui le conduit de la prison au tribunal. De plus, alors qu’il devrait être protégé par le secret professionnel, il subit des écoutes illégales de la part de l’administration de la prison pendant les réunions préparatoires de sa Défense !  Ajoutons à cela, que tous les coups sont permis ! L’accusation, Dana Berg, attachée à sa proie ne mène pas jusqu’au bout les investigations et dissimule autant qu’elle le peut les preuves en faveur de l’accusé. La Défense n’est pas en reste. Il s’agit de ne rien révéler pour frapper plus fort au moment du procès. Un panier de crabes absolument immonde ! Je ne me suis jamais sentie aussi heureuse de n’être accusée de rien et d’avoir une existence qui ne pourrait être le sujet d’un roman.

"C'est ainsi que les règles de l'équité sont subverties dans une procédure. En retardant le travail d'enquête sur un témoin ou un élément de preuve jusqu'à ce que le procès ait commencé, le procureur peut prétendre que c'est un nouveau témoin et que, de ce fait, il n'a pas été possible d'en avertir la partie adverse à l'avance; Cela la défense le fait aussi. Mais cela quelque chose d'injuste et d'inapproprié lorsque c'est l'accusation qui s'y livre alors qu'elle a la tout  la puissance de l'Etat et toutes les cartes en main."

Connely n’est pas tendre avec la justice et dénonce les conditions de détention où règne la loi du plus fort, où la violence est permise sinon exploitée. Et surtout il montre à quel point l’erreur judiciaire est fréquente puisqu’elle dépend du savoir faire de l’avocat, de l’argent que peut débourser l’accusé pour obtenir les meilleurs défenseurs, de la mauvais volonté de l’accusation. Autrement dit, mieux vaut être un accusé riche et haut placé qu’un accusé fauché !  Il démontre qu’un procès est surtout une bataille autour de l’Ego entre procureur et avocat, chacun cherchant à tout prix à briller, à se faire un nom et à remporter une victoire quelles que soient l’innocence ou la culpabilité de l’accusé. J’ajoute que ce constat bien qu’américain ne sonnerait pas faux en France

jeudi 6 novembre 2025

Naomi Novik : La fileuse d'argent

  
 

Myriem vit dans un petit village où son père est prêteur. Trop généreux, il n’a pas la force de réclamer son dû aux villageois aussi sa famille vit dans la précarité. Quand la mère de Myriam tombe malade, la jeune fille comprend qu’il lui faut agir et c’est elle qui va  passer de foyer en foyer réclamer le paiement aux emprunteurs, soit en espèce, soit en nourriture ou de tout autre manière. Par exemple, chez Wanda dont le père, une brute alcoolique, ne peut rembourser car il boit l’argent de ses dettes, elle décide que Wanda viendra travailler pour sa mère à la ferme. Elle rétablit la prospérité dans sa famille mais s’attire, en tant que prêteuse juive, l’inimitié des gens du bourg. Naomi Novik, écrivaine américaine, dont le père est d'origine lithuanienne et juive, sous la couleur du conte, aborde une réalité qui était celle de l’époque. Les prêteurs étaient d’origine juive, les chrétiens ne pouvant exercer l'usure. D’ailleurs le grand-père de Myriem est un riche prêteur de la grande ville de Vysnia. Mais les parents de Myriem sont compatissants et honnêtes et viennent en aide à Wanda ainsi qu’à son frère Sergey et son petit frère Stepon. Bientôt, ceux-ci n’ont plus de préjugés et forment une famille aimante. Seulement, voilà, la réputation de Myriem de changer l’argent en or arrive à l’oreille des Stariks, un peuple étrange, aux curieux pouvoirs, qui vit dans le pays du froid et a décidé de plonger la terre dans la glace qui leur assure la vie éternelle. Ainsi le roi Staryk ordonne à Myriam de changer l’argent en or et la choisit ( bien contre son gré) pour reine. Pendant ce temps, à la cour, la fille du Duc de Vysnia, Irina, est forcée d’épouser le tsar, (pour son plus grand déplaisir), un gamin malveillant et cruel dont elle découvre qu’il est possédé par un esprit du Mal issu du feu. Le Feu et la Glace ! On imagine la bataille qui va avoir lieu. Le récit polyphonique raconte les aventures de Miryem, Irina et Wanda et les dangers que chacune va affronter. Il leur faudra beaucoup de débrouillardise, de volonté et d’intelligence pour dominer les forces du mal et rétablir la paix.

"J'avais peur. Le Staryk avait des éperons à ses talons et des bijoux à ses doigts qui rappelaient d'énormes cristaux de glace et les voix de toutes les âmes perdues dans le blizzard hurlaient derrière lui. Bien sûr que j'avais peur.

Mais j'avais appris à craindre d'autres choses bien d'avantage : d'être méprisée, dépouillée de ma fierté, petit morceau après petit morceau, moquée, dupée. J'ai levé haut le menton et j'ai dit, avec autant de froideur que je pouvais en rassembler : " Et que me donnerez-vous en échange ?"

La fileuse d’argent est un petit livre ( au moment où j’écris « petit », je vérifie le nombre de pages :  500, tout de même !) de fantasy pour ados qui devrait plaire et emporter l’imaginaire des jeunes lecteurs. Quant à moi, j’aime ce genre de romans où l’auteur possède une imagination débridée et en même temps nourrie par toutes sortes de contes et mythes de divers pays. Avec La Fileuse d’argent, on est au choeur du folklore russe avec ses Baba Yagas, avec son tsar et sa tsarine, ses étendues enneigées, ses isbas blotties au fond des forêts; Andersen nous prend par la main pour nous amener aux confins des pays de glace au palais de la Reine des neiges (sauf qu’ici il s’agit d’un roi), on passe à travers les miroirs comme Alice, on vit dans deux dimensions du temps et puis l’amour ne peut-il pas naître entre deux êtres différents ? Réminiscence de la Bête et la Belle. Les mythes grecs sont revisités, celui de Perséphone et Hadès, car le roi Staryk ne peut rendre visite à la famille de son épouse qu’en hiver, les autres saisons de l’année étant trop chaudes pour lui. Ajoutez à cela une touche moderne :  les  jeunes  héroïnes Myriem, Irina et Wanda rencontreront l’amour et le bonheur mais elles le devront non pas à leur beauté et à leurs cheveux d'or comme la fille du Meunier, mais à leur courage, leur habileté, leur intelligence et leur combativité.  Elles ne seront pas sauvés par le Prince Charmant, ce sont elles qui le sauveront. Soyez persuadées, les filles ! Ce n'est pas en restant soumises et passives que vous vous en sortirez !

 

jeudi 30 octobre 2025

Récit de la vie de Frederick Douglass, un esclave américain, écrit par lui-même

Frederick Douglass
 


Frederick Douglass, né Frederick Augustus Washington Bailey en 1817 ou 1818, et mort le 20 février 1895 à Washington, est un orateur, abolitionniste, écrivain et éditeur américain. Esclave depuis sa naissance, il réussit à s'instruire et s'enfuit dans le Nord à l'âge de 20 ans. Là, les abolitionnistes le prennent sous leur protection. Il refuse de porter le nom de son maître et prend un nom tiré de La Dame du lac de Walter Scott. Quand  son livre est sur le point d’être publié en 1845, on l’envoie en Angleterre car sa liberté n’est pas acquise et il court le risque d’être repris et ramené en esclavage. Il y est reçu avec beaucoup d’égards et peut faire, grâce à ses prises de paroles, progresser la cause abolitionniste. Il reste deux ans là-bas; ses amis anglais le rachètent à son maître et lorsqu’il repart aux Etats-Unis, c’est en homme libre.

Sa naissance

L'esclavage noir 

Frederick Douglass est né dans le comté de Talbot dans le Maryland. Sa mère, Henriette Bailey, était esclave et son père blanc, vraisemblablement son propriétaire. Ce qui était assez courant, les maîtres, écrit Douglass, satisfaisant ainsi  "leurs désirs immoraux" et y trouvant "à la fois un profit et un plaisir" en augmentant ainsi le nombre de leurs esclaves.
Frederick a été séparé de sa mère dès la naissance et ne l’a rencontrée que peu de fois, la nuit, quand elle pouvait s’échapper de la plantation voisine pour venir endormir son enfant mais elle devait repartir pour prendre son travail au champ au lever du soleil sous peine d’être fouettée. Frederik n’a pu aller la voir quand elle était malade ni assister à son enterrement. 
« Il était fort commun dans la partie du Maryland d’où je me suis échappé d’enlever les enfants à leur mère à un âge très tendre. »
C’était une politique menée par les esclavagistes pour éviter que des liens trop forts puissent se tisser dans les familles noires. Il ne connaît pas sa date de naissance et pense qu’en 1835 il avait à peu près dix-sept ans.
"La grande majorité des esclaves connaissaient aussi peu leur âge que les chevaux» «  Mon ignorance sur ce point fut pour moi un sujet de chagrin dès ma plus tendre enfance. Les petits blancs savaient leur âge. Je ne pouvais imaginer pourquoi je devais être privé d’un pareil privilège."

La maltraitance, la cruauté de l’esclavage

Cette photo a dénoncé la cruauté de l'esclavage, interdite par Trump


Au cours de sa vie d’esclave Fredrick Douglass change de maîtres plusieurs fois. A la mort du capitaine Antoine, ses biens sont partagés entre sa fille Lucrèce et son fils André. Douglass est cédé à Lucrèce comme l’un des  « objets de succession », une humiliation difficile à supporter pour le jeune homme. Douglass décrit avec horreur ces scènes où les esclaves sont séparés de leur famille, les mères de leurs enfants :
« Un seul mot prononcé par un blanc suffisait pour séparer à jamais, contrairement à tous nos désirs, à nos prières, à nos supplications, les amis les plus tendres, les parents les plus chers, pour briser les liens les plus forts… »

Au cours de ce partage, les esclaves sont traités comme du bétail «mélangés pêle-mêle avec les chevaux, les brebis, les cochons, comme si tous eussent occupé le même rang sur l’échelle des êtres », examinés de manière dégradante, sans respect pour la pudeur et l’intimité des femmes et des jeunes filles. Ces humiliations sont le quotidien des esclaves qui doivent comprendre qu’il ne faut jamais dire la vérité aux maîtres et se plaindre, jamais essayé de se justifier même si l’on est innocent, jamais regarder le maître ou une femme blanche dans les yeux. 
A ces souffrances morales s’ajoutent les sévices physiques, le fouet, le viol, le manque de nourriture. Tant que les enfants ne sont pas en âge de travailler, ils sont nus hiver comme été, les adultes ont deux tenues par an quelle que soit l’usure du vêtement. Ils dorment par terre, souffrent du froid. Certains blancs manifestent un sadisme évident, éprouvant du plaisir à fouetter un esclave, à le blesser, l’estropier ou le tuer. Il ne sera jamais poursuivi. Par exemple, chez son  maître le capitaine Antoine, le surveillant Mr Plummer « était toujours armé d’un fouet fait de peau de vache et d’un gros et lourd bâton. Je l’ai vu couper et balafrer si horriblement le visage des femmes que mon maître même se mettait en colère à cause de sa cruauté. ». Pourtant, ajoute Douglass, son maître n’était pas « un propriétaire humain » et il semblait prendre lui aussi un réel plaisir à fouetter ses esclaves. L’enfant assiste, dès son plus jeune âge, au martyre de sa tante Esther accrochée par les mains à un crochet planté dans une solive, le dos ruisselant de sang, un spectacle qu’il ne pourra jamais oublier. Le maître reproche à la jeune fille d’avoir rejoint un jeune noir qui lui faisait la cour. On comprend que c’est parce qu’il convoite la jeune femme pour lui.
"Plus elle criait haut, plus il fouettait fort, et c’était à l’endroit où le sang coulait le plus abondamment qu’il fouettait le plus longtemps ».« S’il avait été de bonnes moeurs, on l’aurait cru intéresser à protéger l’innocence de ma tante, mais ceux qui le connaissaient ne le soupçonneront pas de posséder une pareille vertu."

Dans le domaine de la cruauté ceux qui, comme le révérend Daniel Weeden et le révérend Mr Hopkins qui étalent leur foi et leurs principes moraux et  religieux,  sont les pires.  
De Mr Hopkins, il affirme : « Le trait principal qui caractérisait son gouvernement était de fouetter les esclaves avant qu’ils le méritassent. »
« Un regard, un mot, une mouvement, une méprise, un accident, un manque de force physique, toutes ces choses là peuvent en tout temps servir de prétexte pour infliger un châtiment. »

 
 Douglass va très loin dans l’accusation  puisqu’il affirme  que « la religion du sud ne sert qu’à cacher les crimes les plus horribles, qu’à justifier les atrocités les plus affreuses, qu’à sanctifier les fraudes les plus détestables. ». 

A la fin de son livre, il se sentira d’ailleurs obligé d’ajouter qu’il ne vise pas la vraie religion et les chrétiens sincères qui suivent la doctrine du Christ, mais l’hypocrisie religieuse de ceux qui se servent de la religion pour dominer, contraindre et justifier l'esclavage.


La lecture comme moyen d’émancipation

 


Quand Frederick est transféré à Baltimore, il a la chance d’avoir pour maître Mr Auld  chez qui il est bien traité et bien nourri, et surtout sa femme, Mme Auld qui considère les esclaves comme des êtres humains. Elle apprend l’alphabet au petit garçon qui commence à épeler mais son mari lui explique qu’il est interdit et dangereux d’apprendre à lire aux esclaves : 

« Plus on donne à un esclave, dit-il, plus il veut avoir.
Un nègre ne doit rien savoir, si ce n’est obéir à son maître, et faire ce qu’on lui commande.
Or si vous enseignez à lire à ce nègre (ajouta-t-il en parlant de moi) il n’y aurait plus moyen de le maîtriser. Il ne serait plus propre à être esclave. »


Dès lors l’enfant prend conscience de l’importance de l’instruction et puisque Sophia Auld refuse de continuer ses leçons, il se lie d’amitié avec des petits blancs pauvres qui lui apprennent à lire en échange de nourriture. Douglass comprend alors le mot abolition et décide qu’il ne veut pas rester esclave toute sa vie. En attendant, il acquiert de bonnes compétences au niveau de la lecture et  apprend aussi à écrire. Il lit The Columbian Orator, un ouvrage anti-esclavagiste, et commence à comprendre que l’esclave doit jouer un rôle important dans la lutte pour la liberté. Douglass est marqué par un dialogue entre un esclave et son maître. Dans ce passage, le maître présente à l'esclave des justifications de l'esclavage, que ce dernier réfute, jusqu'à ce que le maître soit convaincu du caractère immoral de cette servitude. Le dialogue s'achève par la victoire de l'esclave et, et par l'obtention de sa liberté. Douglass doit certainement ses talents d'orateur à ce livre. 


« Plus je lisais, plus je ne sentais porté à haïr ceux qui me retenaient dans les fers. Je ne pouvais les  regarder que comme une troupe de voleurs favorisés par la fortune, qui avaient quitté leur patrie pour aller en Afrique, nous avaient volés de force, entraînés loin des lieux de notre naissance et réduits en esclavage sur une terre étrangère. »

L’instruction agit pour lui comme une révélation, une fulgurance qui, malgré des moments de découragement où il cède au désespoir, ne le quittera pas. Il décide de s'enfuir vers le Nord dès qu’il le pourra.

« Je reconnus que pour rendre un esclave content, il faut l’empêcher de penser, obscurcir ses facultés morales et intellectuelles, et autant que possible anéantir en lui le pouvoir de raisonner. 
Il faut l’amener à croire que l’esclavage est une chose juste; et on ne peut le réduire à cet état de dégradation que lorsqu’il a cessé d’être un homme. »


Douglass souligne aussi que si l’esclavage est nocif pour l’esclave et sape ses qualités morales, il ne l’est pas moins pour le maître. Ainsi Sophia Auld, pleine de bonté et de gaîté, sous l’influence de l’esclavage perd ses qualités humaines : « Hélas! Ce bon coeur ne devait pas rester longtemps ce qu’il était »
Après une tentative ratée d’évasion, Frederick Douglass va s’enfuir mais il ne racontera pas comment il a pu réussir car le récit, à l'époque, aurait pu nuire à ceux qui l’avaient aidé et compromettre les chances d’autres fugitifs.

Le récit de la vie de Frederick Douglass, un esclave américain, écrit par lui-même a été publié le 1er mai 1845 et, dans les quatre mois suivant cette publication, cinq mille exemplaires ont été vendus. En 1860, près de 30.000 exemplaires ont suivi. Il a été lu par Harriet Beecher-Stowe, abolitionniste qui écrit La Case de l'oncle Tom en 1852, roman qui a bien contribué à servir la cause antiesclavagiste même si, de nos jours, on lui reproche son paternalisme.


J'ai lu le livre de Frederick Douglass  après avoir découvert le roman de Perceval Everett, James, ICI . On voit combien Everett s'est inspiré des écrits des anciens esclaves.

samedi 4 octobre 2025

Percival Everett : James

 

Je n’ai pas relu Huckleberry Finn avant de découvrir James de Percival Everett. C’est peut-être un tort bien que rien n’oblige finalement à connaître le premier pour apprécier celui-ci. J’ai tellement aimé le livre de Mark Twain que j’avais peur d’être déçue surtout si on le relit à l’aune du XXI siècle. C’est facile de rejeter avec horreur l’esclavage de nos jours, cela ne l’était pas pour un jeune garçon, Hucklberry Finn, juste avant la guerre de Sécession. Le livre de Mark Twain analysait justement l’évolution du personnage, les problèmes moraux que lui posait le fait de ne pas dénoncer un esclave en fuite, alors que toute la société et l’église, en particulier, lui affirmaient que c’était son devoir et qu’il y allait du salut de son âme !

Dans son roman Percival Everett imagine que Jim a appris à lire et écrire à une époque où un esclave risquait sa vie à transgresser cet interdit. Une scène montre comment on peut être fouetté au sang et mourir pour le vol d’un crayon ! 
 
« George Junior trouva mon visage dans le fourré. J’avais le crayon, il était dans ma poche. On le frappa de nouveau et je me crispai. Nous nous regardâmes fixement. Il parut sourire jusqu’à ce que le fouet s’abatte encore. Le sang lui dégoulinait le long des jambes. Il chercha mes yeux et articula le mot "pars". Ce que je fis. »

Jim a, de plus, complété sa culture en se cachant dans la bibliothèque du Juge Thatcher, ce qui lui a permis d’accéder aux grands écrivains qui reviennent souvent d’une manière surprenante dans ses rêves avec, parfois leurs propres limites ou contradictions. L’esclave en fuite est donc un intellectuel qui utilise deux langages, celui que l’on attend d’un esclave et celui du maître. Et de tous les défis lancés par Jim, ce qui étonne le plus les blancs, ce qui les touche le plus, les indigne, leur fait peur, les épouvante même, c’est lorsqu’il s'exprime comme eux. En s’appropriant leur manière de parler, il fait naître une pensée dérangeante pour eux : Serait-il un homme lui aussi ? Percival Everett met ainsi le doigt sur ce qui assoit la domination des esclavagistes et sur l’importance pour eux de maintenir la soumission par l’ignorance ! Et c’est pourquoi lorsque Jim s’affranchira totalement de l’emprise des blancs, il revendiquera son vrai nom : James.

Les aventures des deux héros ressemblent fort à celles racontées par Mark Twain : Jim s’enfuit pour ne pas être vendu et se cache sur une île. Huck, lui, fuit son père, un ivrogne violent et haineux. Il fait croire à son propre meurtre pour éviter qu’on le recherche. Evidemment, Jim sera considéré comme son meurtrier. Tous deux s’embarquent sur un radeau et sur le Mississipi qui leur réserve tout un lot de surprises et de dangers. Ils deviennent au cours de leurs aventures épiques des amis et plus encore un père et son fils. 

Mais bien sûr, au-delà des aventures, le sujet de Percival Everett reste l’esclavage dont il décrit toutes les horreurs, l’exploitation au travail, les corrections physiques, la séparation des membres d'une même famille, les condamnations arbitraires, les lynchages, les viols, les humiliations, et plus que tout le fait de ne pas être considéré comme un être humain à part entière. Il montre que la colère est l’un des principaux sentiments qui guide Jim et l’anime, le submerge. Il choisit de se défendre et ne recule pas devant la violence. Quand il s’introduit chez le juge Thatcher et le menace pour savoir où sont sa femme et sa fille,  vendues pendant son absence, celui-ci lui dit : 

« -Toi, tu vas avoir de sérieux ennuis; tu ne t’imagines pas à quel point.
- Qu’est-ce qui vous fait dire que je n’imagine pas le genre d’ennuis qui m’attendent ? Après m’avoir torturé, éviscéré, émasculé, laissé me consumer lentement jusqu’à ce que mort s’en suive, vous allez me faire subir autre chose encore ? Dites-moi juge Thatcher, qu’y a-t-il que je ne puisse imaginer ? »

On peut se demander si le parti pris de Percival Everett de prendre pour personnage un  homme instruit est crédible. L’écrivain répond à cette question en montrant James en train de lire un livre volé au Juge Thatcher : c’est  le récit de William Brown paru en 1847, esclave dans le Missouri, qui s’enfuit et gagna le Canada; mais il n’est pas le seul.  Je vous renvoie  à l’article Ici 

 


 

 
Dès la fin du XVIII siècle l’autobiographie d’Olaudah Equiano, The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African  est publiée en Angleterre en 1789. 
 

 


Le contemporain de William Brown, Frederick Douglass écrit lui aussi une autobiographie (Narrative of the Life of Frederick Douglass, Written by Himself). Je l’ai trouvée en français et j’ai l’intention de la lire.


 
 

mercredi 23 avril 2025

T C Boyle : Parle-moi



Dans Parle-moi,  T C . Boyle  présente  un récit qui ressemble beaucoup à l’histoire vraie du bébé chimpanzé Nim élevé par la famille Lafarge comme l’un de ses enfants puis abandonné lorsque l’on n’eut plus besoin de lui, l’expérience scientifique étant arrivée à son terme et les subventions coupées. Comme Nim, le chimpanzé Sam connaît plus d'une centaine de mots et peut les lier dans des combinaisons différentes, il ressent des émotions et parvient à les exprimer, comme un enfant, il n’aime pas aller à l’école et étudier, il aime faire des farces et rire, adore les câlins, la pizza, les bonbons, le coca et les jouets et surtout il ne se voit pas comme un chimpanzé mais comme un être humain.
 

Sam passe à la télévision, ce qui plaît beaucoup au professeur Guy Shomerhorn qui espère ainsi booster sa carrière et recueillir les honneurs. Mais le chimpanzé appartient au grand patron Moncrief, un personnage suffisant, antipathique et sans empathie.  Lorsque l’apprentissage du langage est remis en cause, Montcrief ne traite plus Sam comme un enfant d’humain mais l’enferme dans une cage pour la reproduction avec d’autres primates qu’il vend ensuite à des laboratoires pour des expériences médicales. La seule qui éprouve une réel amour pour Sam, sans calcul et sans égoïsme, c’est Aimee, l’étudiante et la maîtresse de Guy, qui comprend le désarroi du chimpanzé privé d’un seul coup de tout ce qui faisait sa vie, de l’affection, des soins, des privilèges de son statut d’enfant-roi, enfermé avec des « bestioles noires » qui lui font peur, ne savent pas parler et en qui il ne se reconnaît pas. L’humaniser pour le rejeter ensuite, comme il est fait dans le roman pour Sam et dans la réalité pour Nim,  est une action irresponsable.

 Les humains minimisent les acquis linguistiques de Sam, son intelligence, refuse de voir les ressemblances existant entre son espèce et la nôtre, pour ne pas être dérangé et pouvoir continuer à l’utiliser sans se sentir coupables. Le reconnaître dans son individualité et sa personnalité, en effet, c’est admettre que l’homme n’a pas le droit d'abuser de lui et qu'il faut des lois pour le protéger. Quand je faisais mes études de Philo, on nous apprenait que les animaux n’avaient pas d’intelligence et d’émotions, qu’ils agissaient uniquement par instinct. Les éthologues ont bien fait évoluer les mentalités mais les préjugés ont la vie dure surtout quand il s’agit de défendre les intérêts des laboratoires pharmaceutiques.

 Ce roman, très proche donc de la réalité, pose les limites de notre responsabilité envers les autres espèces. Il soulève des questions d’éthique, en particulier, sur la manière dont nous nous comportons envers les primates qui partagent 98%  de notre patrimoine génétique. Le chimpanzé est très proche de nous. Il  éprouve comme nous bien des émotions communes, l’amour, la joie, la tristesse, la colère, la jalousie, l’humour, la culpabilité, la honte, et à ce titre la manière dont Sam (ou Nim) est traité tient de l’esclavagisme, de l’exploitation et de la cruauté. 

Mais il ne faut pas nier, non plus, qu’il ne peut pas aller contre sa nature. C’est aussi lui manquer de respect que de vouloir le détacher de son espèce, en faire un étranger aussi bien chez les siens que chez les humains. C'est une vérité qu'Aimee est bien obligée d’admettre lorsqu’elle vole Sam à son propriétaire pour le libérer et s'occuper de lui, dans une cavale qui ne peut que mal se terminer.

Un roman intéressant et qui a le mérite de nous faire réfléchir ! 


Voir l'article sur Nim : Le chimpanzé qui se prenait pour un enfant