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mardi 26 janvier 2021

André Comte -Sponville : Le dictionnaire amoureux de Montaigne

J'ai publié dimanche un billet sur le livre de Frans de Waal qui s'intitule : Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l'intelligence des animaux ICI 

 L'éthologue et primatologue Frans de Waal y explique comment, malgré les études scientifiques menées auprès des animaux et ceci pendant toute une vie, il se heurte, lui et les autres éthologues,  à l'hostilité et aux préjugés de ceux qui ne veulent pas reconnaitre les résultats de ces recherches pour des raisons idéologiques, religieuses ou tout simplement par orgueil, persuadés que l'Homme ne peut être que supérieur.

Or, en consultant le dictionnaire amoureux de Montaigne à la lettre A pour Animaux,  je lis la synthèse présentée par André Comte-Sponville sur ce thème et constate combien l'ouverture d'esprit et l'intuition  du philosophe du XVI siècle le rapprochent (malgré des différences) du scientifique du XXI ème siècle : Frans de Waal.

"Pour Montaigne, écrit A C-S , " les humains en font partie (des animaux), sans privilège aucun."N'est-ce pas un misérable animal que l'homme?" (I, 30)" Les autres animaux que nous appelons les bêtes sont nos confrères et nos compagnons que nous ne comprenons pas plus que ce qu'ils nous comprennent. C'est ce qui devrait nous interdire de les juger."  (II 12)

L'homme refuse de reconnaître l'intelligence des animaux : mais "connaît-il par l'effort de l'intelligence, les branles internes et secrets des animaux ?" Et par quelle comparaison d'eux à nous, conclut-il la bêtise qu'il leur attribue ? (II 12) Montaigne leur prête, au contraire une conscience, une intelligence et une volonté comparable aux nôtres. Il ne croit pas que l'instinct chez les bêtes fasse tout, ni qu'il ne fasse rien chez nous."

Les bêtes "ont plusieurs conditions qui se rapportent aux nôtres : de celle-là, par comparaison, nous pouvons tirer quelque conjecture; mais de ce qu'elles ont de particulier, que savons-nous ce que c'est ?"(II, 12)

 Pendant tout le XX siècle et même en ce début du XXI siècle, Montaigne aurait été considéré avec mépris et accusé d'anthropomorphisme. Mais s'il parvient, en vivant au XVI siècle, à rejoindre les scientifiques du XXI siècle, c'est parce qu'il cherche toujours autant qu'il est possible à se débarrasser des préjugés, qu'il se méfie de l'orgueil des humains. Dans sa lutte contre l'anthropocentrisme, il faut dire qu'il remet en question la Bible, ce qui n'était pas sans danger. Frans de Waal et ses pairs aussi se heurtent à l'obscurantisme mais ils ne risquent plus d'être censurés par le pape !

Peut-être aussi est-ce parce qu'il aime les animaux et vit avec eux ? Tous les "humains" qui vivent avec des chats et des chiens, n'ont pas besoin des scientifiques pour savoir que leurs compagnons éprouvent des émotions et sont intelligents ! Mais laissons parler Montaigne : 

Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi, plus que je fais d'elle? Nous nous entretenons de singeries réciproques : si j'ai mon heure de commencer et de refuser, aussi a-t-elle la sienne.

Je vais rapporter ici un passage où Montaigne, citant Plutarque, explique comment un chien qui voulait boire de l'huile au fond d'une cruche jette des cailloux dans le récipient jusqu'au moment où il peut atteindre le liquide qui est monté jusqu'au bord. 

Cela, qu'est-ce, si ce n'est l'effect d'un esprit bien subtil ? On dit que les corbeaux de Barbarie en font de mesme, quand l'eau qu'ils veulent boire est trop basse (....) Mais cet animal rapporte, en tant d'aultres effects, à l'humaine suffisance, qui si je voulais suyvre par le menu ce que l'expérience en a apprins, je gaignerois ayseement ce que je maintiens ordinairement, qu'il se trouve plus de différence de tel homme à tel homme, que de tel animal à l'homme."

Cela me fait rire parce que Frans de Waal a réalisé cette expérience ( de l'eau que l'on ne peut atteindre) avec des singes et des enfants humains, et les singes s'en sont mieux sortis que nos têtes blondes ! 

 Enfin à la lettre B comme Bénignité (douceur) est cité le passage suivant : 

Il y a un certain aspect qui nous attache, et un général devoir d'humanité, non aux bêtes seulement qui ont vie et sentiment, mais aux arbres mêmes et aux plantes. Nous devons la justice aux hommes, et la grâce et la bénignité aux autres créatures qui en peuvent être capables (d'en bénéficier). Il y a quelque commerce entre elles et nous, quelque obligation mutuelle. (II, 11)


dimanche 17 janvier 2021

André Comte-Sponville : Dictionnaire amoureux de Montaigne , J comme Jugement

Je lis le dictionnaire amoureux de Montaigne d'André Comte-Sponville. De  temps en temps je viendrai ici, dans Ma Librairie dédiée à Montaigne, pour noter remarques et citations qui ont retenu mon attention. 

Après avoir expliqué son amour pour Montaigne, "un humain exceptionnel",  "esprit libre", que "l'on aime autant qu'on l'admire",  André Comte-Sponville  exprime son admiration pour l'écrivain, "son écriture souple,  inventive, savoureuse,"  "sa pensée ouverte, lucide, audacieuse"

 Il ne croit guère la philosophie, et n'en philosophe que mieux. Se méfie de "l'écrivaillerie" et lui échappe, à force d'authenticité, de naturel. Ne prétend à aucune vérité, en tout cas à aucune certitude et fait le livre le plus vrai du monde. Ne se fait guère d'illusions sur les humains, et n'en est que plus humaniste. Ni sur la sagesse et n'en est que plus sage. Enfin ne veut qu'essayer ses propres facultés (son titre Essais est à prendre au sens propre ) et y réussit si bien que le sens du mot en sera définitivement augmenté d'une nouvelle acceptation, celle qui désigne désormais un genre littéraire - toute oeuvre de prose et d'idées, à condition qu'elle soit plutôt personnelle que didactique ou systématique - , que Montaigne qui le créa, surplombe définitivement. Qui dit mieux ? Et quel auteur, plus de quatre siècles après sa mort, qui demeure si vivant, si actuel, si nécessaire ?


Et bien sûr, comme pour tout dictionnaire, l'auteur présente  des  mots classés par ordre alphabétique qui constituent en quelque sorte, "une espèce d'anthologie" de l'oeuvre de Montaigne.

Aujourd'hui c'est à la lettre J que je m'arrête et au mot, jugement !

Montaigne, nous explique André Comte-Sponville  tient absolument à être libre de son jugement. C'est une liberté qui lui tient à coeur bien plus encore que la liberté d'action, celle d'aller et venir, encore que celle-ci lui soit très précieuse aussi. Mais au cours de sa vie, il s'aperçoit combien il lui est arrivé de se tromper, de changer d'opinion et finalement il a constaté maintes fois qu'il avait tort !

"Mais ne m'est-il pas advenu, non une fois mais cent, mais mille, et tous les jours d'avoir embrassé quelque autre chose avec ces mêmes instruments (raison et jugement ), en cette même condition, que depuis j'ai jugée fausse ? Si je me suis souvent trahi sous cette couleur, si ma touche se trouve ordinairement fausse, et ma balance inégale et injuste, quelle assurance en puis-je prendre à cette fois plus qu'aux autres?" II 12

Et nous et notre jugement et toutes choses mortelles, vont coulant et roulant sans cesse. Ainsi il ne peut -être établi rien de certain de l'un à l'autre, et le jugeant et le jugé étant en continuelle mutation et branle. II 12

"Qui se souvient de s'être tant de fois mécompté de son propre jugement, n'est-il pas un sot de n'en entrer pour jamais en défiance ? (...) D'apprendre qu'on a dit ou fait une sottise, ce n'est rien que cela; il faut apprendre qu'on n'est qu'un sot, instruction bien plus ample et plus importante" II 13

 Et il rejoint Socrate  : " Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien."

La reconnaissance de l'ignorance est l'un des plus beaux et plus sûrs témoignages de jugement que je trouve. II 10

Ce que j'aime dans la philosophie de Montaigne, c'est qu'elle est toujours proche de nous et qu'elle peut s'appliquer à notre vie quotidienne.  Quand on voit ces hommes politiques ou religieux prêts à s'étriper pour leur vérité et quand on voit  les discussions intolérantes qui opposent voire enflamment parfois des réunions familiales ou amicales, je me dis (moi la première) que nous ferions bien de suivre les conseils de Montaigne : savoir que nous sommes des sots nous éviterait bien des déplaisirs !

dimanche 13 décembre 2020

Montaigne : le dictionnaire amoureux

 

Devinez ce que mon mari va m’offrir pour Noël ? Du moins, je l’espère, et je laisse traîner des messages subliminaux, écrits ou oraux, un peu partout, sur « Le dictionnaire amoureux de Montaigne » dans le style : Dans La grande librairie, mercredi, il était question de
Je vous dirai si le message a été entendu … après les fêtes !

André Comte-Sponville, philosophe, est un amoureux inconditionnel de Montaigne et comme il le disait dans l’émission de François Busnuel sur France V :  « Lisez Montaigne en français contemporain, lisez-le dans la langue de la renaissance mais avec une orthographe moderne car le texte est vraiment complexe à lire en ancien français, mais lisez-le ! »  
Alors que les autres invités s’étonnaient que Montaigne soit peu étudié au lycée et que les jeunes le connaissent si peu, il expliquait que les professeurs de philo le considéraient comme un littéraire, donc ils laissaient ce soin aux professeurs de lettres qui, eux, le considéraient comme un philosophe et le renvoyaient  etc…
En réalité, il n’en est rien ! Ce ne sont pas les professeurs qui décident du programme mais le ministre au-dessus d’eux.
Or, pourquoi les lycéens de ma génération connaissaient tous - plus ou moins - mais connaissaient Montaigne ? Parce qu’à époque, on étudiait en extraits tous les grands écrivains de tous les siècles à partir du Moyen-âge jusqu’au XX siècle ! Seules les pièces de théâtre de Molière, Racine, Corneille étaient étudiées en oeuvres complètes de la 6 ème à la terminale !
Ah! on s’est assez moqué de nos incontournables manuels des Lagarde et Michard ! Pourtant cela donnait à tous les élèves de France la même culture, la même connaissance des écrivains français, libre ensuite aux plus curieux d’aller creuser au-delà et de lire les oeuvres complètes ! Et oui, certains allaient plus loin : quand on aime la lecture, ce n’est pas un pensum ! Mais comment le faire si l’on ignore même jusqu’au nom de l’écrivain !
Pour en revenir à André Comte-Sponville, il explique combien Montaigne est un philosophe remarquable car il a une ouverture et une liberté d’esprit hors du commun, il n’impose rien, ne prétend pas détenir la vérité, il cherche avec nous et ce qu’il cherche c’est comment vivre sa vie car celle-ci est difficile. Et il parvient à transmettre son amour de la vie. Un grand philosophe donc et un grand écrivain car il utilise une langue imagée, savoureuse, vivante, imaginative, absolument réjouissante.

Je m’arrêterai là, je n’ai pas encore lu le livre ! Mais je reviendrai vous en parler bientôt !

Il nous fait redécouvrir Montaigne, écrivain de génie, talentueux philosophe, humain d’exception que l’on aurait tant aimé connaître : « quel esprit plus libre, plus singulier, plus incarné ? Quelle écriture plus souple, plus inventive, plus savoureuse ? Quelle pensée plus ouverte, plus lucide, plus audacieuse ? Celui-là ne pense pas pour se rassurer, ni pour se donner raison. Ne vit pas pour faire une œuvre. Pour quoi ? Pour vivre, c’est plus difficile qu’il n’y paraît, et c’est pourquoi aussi il écrit et pense. Il ne croit guère à la philosophie, et n’en philosophe que mieux. Se méfie de "l’écrivaillerie" et lui échappe, à force d’authenticité, de spontanéité, de naturel. Ne prétend à aucune vérité, en tout cas à aucune certitude, et fait le livre le plus vrai du monde, le plus original et, par-là, le plus universel. Ne se fait guère d’illusions sur les humains, et n’en est que plus humaniste, Ni sur la sagesse, et n’en est que plus sage. Enfin il ne veut qu’essayer ses facultés (son titre, Essais, est à prendre au sens propre) et y réussit au-delà de toute attente. Qui dit mieux ? Et quel auteur, plus de quatre siècles après sa mort, qui demeure si vivant, si actuel, si nécessaire ? » (quatrième de couverture)
 



samedi 3 octobre 2020

Montaigne : Il n'a fait que des essais !

Michel de Montaigne

 Les perles du Bac 

 Je la trouve si savoureuse, celle-ci, que je veux la partager avec vous !


 

 

"Toute sa vie, Montaigne a voulu écrire mais il n'a fait que des essais" 

 

 

 

 Pauvre Montaigne, écrivain raté !

  Et voilà quand on prend ce qu'il écrit au premier degré !

"Toute cette fricassée que je barbouille ici n'est qu'un registre des essais de ma vie." 


Au lecteur

 C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit, dés l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ai voué à la commodité particulière de mes parents et amis : à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent, plus altière et plus vive, la connaissance qu'ils ont eue de moi. Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me présenterais en une marche étudiée. Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moi que je peins. Mes défauts s'y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la révérence publique me l'a permis. Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n'est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain. Adieu donc ; de Montaigne, ce premier de mars mil cinq cent quatre vingts.

 

 

dimanche 5 janvier 2020

La Citation du dimanche : l'avenir

Picasso : la colombe de l'avenir
 
Comment voyons-nous l'avenir ? Plus que tout, peut-être, notre réponse révèle notre caractère, pessimiste ou optimiste, joyeux ou sombre et aussi nos expériences, nos joies et nos souffrances. Entre peur et confiance, entre espoir et doute, pour soi-même ou pour les peuples ou l'univers, que disent les philosophes et écrivains ?

  Peur ou confiance en l'avenir
 
Il faut réparer le Monde
 
Ceux qui ont peur de l'avenir ne profitent pas de l'instant présent,  se projettent en avant dans la crainte de vivre .


Céline
   
 
Céline le dit à sa manière et avec un pessimisme absolu :
"La plupart des gens ne meurent qu'au dernier moment ; d'autres commencent et s'y prennent vingt ans d'avance et parfois davantage. Ce sont les malheureux de la terre. " (Voyage au bout de la nuit)

"Celui qui parle de l'avenir est un coquin. C'est l'actuel qui compte. Invoquer sa postérité, c'est faire un discours aux asticots." (Voyage au bout de la nuit)

Sénèque

"Tu dépendras moins du lendemain si tu mets la main sur aujourd’hui affirme Sénèque.

 


et Montaigne renchérit  (oui, je sais, encore Montaigne !)
 
" Chacun court ailleurs et à l’avenir, d’autant que nul n’est arrivé à soi.
Nous ne sommes jamais chez nous ; nous sommes toujours au-delà ; la crainte, le désir, l’espérance, nous élancent vers l’avenir et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus." (Les Essais III, 12,).
 
Mais il en tire en tire la conclusion optimiste, hédoniste, qu'il faut profiter de la vie  et jouir du moment présent.
 
 « C’est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être »
 « Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors ; et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude et à moi. Nature a maternellement observé cela, que les actions qu’elle nous a enjointes pour notre besoin nous fussent aussi voluptueuses, et nous y convie non seulement par la raison, mais aussi par l’appétit : c’est injustice de corrompre ses règles. » (III, 13, )

 
 confiance en l'avenir

Eugène Delacroix

Parmi ces écrivains et philosophes qui croient au progrès et à un avenir radieux, ceux qui sont engagés dans une lutte sociale ou/et politique.
 


Victor Hugo affirme sa  foi au progrès social, clame sa certitude que c'est par l'instruction que l'on amènera les peuples à la réflexion et donc  au bonheur. Il prône l'union européenne qui amènera la paix sur la terre.
 
25 février. J’ai rêvé du Sénat. J’y ai parlé. J’y ai prononcé en terminant ces paroles que j’y ai dites en rêve et que j’y dirai peut-être en réalité :
« La France libre veut les peuples libres. Ce que veut la France, ce que la France demande, elle l’obtiendra. Et de l’union des libertés dans la fraternité des peuples, naîtra la sympathie des âmes, germe de cet immense avenir commencera pour le genre humain la vie universelle et qu’on appellera la paix de l’Europe. » Choses vues 1887

Poème
Ecrit après la visite d'un bagne. Les quatre vents de l'esprit (1853)
Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.
Quatre vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l’école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d’une croix.
C’est dans cette ombre-là qu’ils ont trouvé le crime.
L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme.
Où rampe la raison, l’honnêteté périt. (...)
Songeons-y bien, l’école en or change le cuivre,
Tandis que l’ignorance en plomb transforme l’or. 
 




Foi en l'avenir aussi dans le dernier couplet de l'Internationale, chant révolutionnaire écrit par Eugène Pottier en 1871, lors de la sanglante répression de la Commune de Paris.
 
 
Eugène Pottier

 L'Internationale Couplet 6 
 
Qu'enfin le passé s'engloutisse !
Qu'un genre humain transfiguré
Sous le ciel clair de la Justice
Mûrisse avec l'épi doré !
Ne crains plus les nids de chenilles
Qui gâtaient l'arbre et ses produits
Travail, étends sur nos familles
Tes rameaux tout rouges de fruits !



 
Citons enfin, parmi les optimistes, deux auteurs connus pour leur catholicisme fervent. La foi en Dieu s'accompagne pour eux de la foi en l'Homme.
Bernanos 
 
L'avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne suit pas l'avenir, on le fait

Gaston Berger

 Regarder un atome le change, regarder un homme le transforme, regarder l'avenir le bouleverse.


On peut en rire
L'avenir vu par Snoopy !



dimanche 8 décembre 2019

La Citation du dimanche : Montaigne, La vieillesse nous attache plus de rides en esprit...




Que pense Montaigne de "la sagesse" des vieillards ?


Mais il me semble qu'en la vieillesse, nos ames sont subjectes à des maladies et imperfections plus importunes, qu'en la jeunesse : Je le disois estant jeune, lors on me donnoit de mon menton par le nez : je le dis encore à cette heure, que mon poil gris m'en donne le credit :
Nous appellons sagesse, la difficulté de nos humeurs, le desgoust des choses presentes : mais à la verité, nous ne quittons pas tant les vices, comme (que) nous les changeons : et, à mon opinion, en pis. Outre une sotte et caduque fierté, un babil ennuyeux, ces humeurs espineuses et inassociables, et la superstition, et un soin ridicule des richesses, lors que l'usage en est perdu, j'y trouve plus d'envie, d'injustice et de malignité.

La vieillesse nous attache plus de rides en l'esprit qu'au visage : et ne se void point d'ames, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l'aigre et le moisi. (...) Quelles Metamorphoses luy voy−je faire tous les jours, en plusieurs de mes cognoissans ? C'est une puissante maladie, et qui se coule naturellement et imperceptiblement : il y faut grande provision d'estude, et grande precaution, pour eviter les imperfections qu'elle nous charge : ou au moins affoiblir leur progrez.
Je sens que nonobstant tous mes retranchemens, elle gaigne pied à pied sur moy : Je soustien tant que je puis, mais je ne sçay en fin, où elle me menera moy−mesme : A toutes avantures, je suis content qu'on sçache d'où je seray tombé.      Essai III chapitre 2

Oui, je sais ! Pour vous souhaiter un bon dimanche, suivant l'âge que vous avez, il y a mieux ! Et vous risquez de me quitter le coeur sombre ! Et bien non ! Un homme averti en vaut deux, une femme aussi ! Maintenant vous allez tout faire pour ne pas avoir de "rides en l'esprit" ! Cela vous consolera de vos pattes d'oie !

Et puis pour vous montrer les beautés de la vieillesse, entrons dans cette galerie de tableaux juste pour le plaisir des yeux : 
 
?
Rembrandt : vieille femme lisant (la mère du peintre)
Knut Ekwall
Le Caravage : le repas d'Emmaus (détail)
Tamara de Limpicka
?
?
Michel Ange tombeau des Médicis  : La nuit
Léonard de Vinci : autoportrait
Rembrandt : la mère du peintre
Rubens : l'enfant et la bougie
Grant Wood : american Gothic
Domenico Ghirlandaio : Portrait d'un vieillard et d'un jeune garçon

On peut en rire aussi

Philippe Geluk : Le chat

André Franquin : Gaston Lagaffe


Claire Bretecher : Agrippine
André Franquin : Gaston Lagaffe
Jacques Faizant

dimanche 18 novembre 2018

Montaigne et la mort : Tombe et cénotaphe

Cénotaphe de Montaigne au musée d'Aquitaine.
Le cénotaphe de Montaigne a été restauré en 2018 et à nouveau ouvert au public au mois de mars. Mais le corps de Montaigne ne s'y trouve pas et il a disparu depuis longtemps. Or, je viens de lire dans un article publié récemment, le 16 novembre 2018,  qu'il serait peut-être retrouvé. 

La tombe de Montaigne

La récente découverte dans les sous-sols du musée d'Aquitaine à Bordeaux de restes humains permettra peut-être d'établir enfin s'il s'agit bien de la dépouille disparue du philosophe Michel de Montaigne (1533-1592)

L'actuel maire a raconté comment, dans la réserve des collections médiévales du musée, "une petite construction qui est là depuis plus d'un siècle et à laquelle personne ne s'est jamais intéressé" a attiré l'attention du directeur du musée, Laurent Védrine. Ce dernier a donc percé "deux petits trous" dans le mur de ce caveau jusque-là inconnu. Peut-être a-t-il percé du même coup le mystère de la tombe du philosophe, dont la dépouille a erré d'une sépulture à l'autre depuis son décès en 1592.

Les restes de Montaigne ont beaucoup erré
En 1593, le cercueil de Montaigne est installé dans la chapelle du couvent des Feuillants, situé à ce qui correspond aujourd'hui à l'emplacement du musée d'Aquitaine. En 1802, ce couvent fait place au lycée Royal, dont la chapelle abrite le cercueil jusqu'en 1871. C'est cette année-là que le lycée est détruit par un incendie. Les restes de Montaigne sont alors transportés au dépositoire du cimetière de la Chartreuse, à Bordeaux.

En 1886, nouveau transfert des ossements présumés de Montaigne de La Chartreuse au site initial qui a fait place entre-temps à la faculté des Lettres et des Sciences. C'est là que le tombeau réalisé par l'architecte Charles Durand est installé, dans le hall de la faculté. Depuis lors, le tombeau n'a jamais été ouvert
. Voir la suite  ICI
 

 Le cénotaphe de Montaigne



Le cénotaphe de Montaigne a donc été restauré à la suite d'une collecte publique et peut être vu à nouveau au musée d'Aquitaine à Bordeaux. Il a été commandé par  son épouse Françoise de la Chassaigne et est attribué aux sculpteurs bordelais Prieur et Guillermain, vers 1593.
 Deux médaillons en marbre rouge précisent  :
« François de la Chassaigne, vouée, hélas, à un deuil perpétuel, a fait ériger ce monument pour son époux chéri, homme d’une seule épouse, pleuré à juste titre par la femme d’un seul homme. »
« Il est mort à 59 ans, 7 mois, 11 jours, en l’an de grâce 1592 aux ides de septembre. »

Le lion (détail)
Une vanité (détail)
De chaque côté du tombeau  figurent des épitaphes, l'une en latin, l'autre en grec qui rendent hommage au défunt. L'épitaphe en latin a été traduite en 1861 par Reinhold Dezeimeris et réétudié par Alain Legros de la façon suivante :


 A Michel de Montaigne, périgourdin, fils de Pierre, petit-fils de Grimond, arrière petit-fils de Raymond, chevalier de Saint Michel, citoyen Romain, ancien maire de la cité des Bituriges Vivisques, homme né pour être l’honneur de la nature et dont les mœurs douces, l’esprit fin, l’éloquence toujours prête et le jugement incomparable ont été jugés supérieurs à la condition humaine, qui eut pour amis les plus grands rois, les premiers personnages de France, et même les chefs du parti de l’erreur, bien que très fidèlement attaché lui-même aux lois de la patrie et à la religion de ses ancêtres, n’ayant jamais blessé personne, incapable de flatter ou d’injurier, il reste cher à tous indistinctement, et comme toute sa vie il avait fait profession d’une sagesse à l’épreuve de toutes les menaces de la douleur, ainsi arrivé au combat suprême, après avoir longtemps et courageusement lutté avec un mal qui le tourmenta sans relâche, mettant d’accord ses actions et ses préceptes, il termine, Dieu aidant, une belle vie par une belle fin. »

j'ai trouvé ces renseignements  sur le site du musée d'Aquitaine que vous pouvez aller lire : https://www.pourmontaigne.fr/categorie/actualites/

Montaigne et la mort



  Très jeune, Montaigne eut  peur de la mort.  C'est une angoisse qui le tenaillait sans arrêt et ne le quittait jamais. 

 Il n’est rien dequoy je me soye des toujours plus entretenu que des imaginations de la mort : voire en la saison la plus licentieuse de mon aage, parmy les dames et les jeux, tel me pensoit empesché à digerer à par moy quelque jalousie, ou l’incertitude de quelque esperance, cependant que je m’entretenois de je ne sçay qui, surpris les jours precedens d’une fievre chaude et de sa fin, au partir d’une feste pareille, et la teste pleine d’oisiveté, d’amour et de bon temps, comme moy, et qu’autant m’en pendoit à l’oreille ...

Pour combattre la peur de la mort, c'est d'abord à la philosophie stoicienne qu'il fait appel.

Nous ne savons la mort nous attend, attendons-la partout. Méditer sur la mort, c’est méditer sur la liberté ; qui a appris à mourir, a désappris la servitude ; aucun mal ne peut, dans le cours de la vie, atteindre celui qui comprend bien que la privation de la vie n’est pas un mal ; savoir mourir, nous affranchit de toute sujétion et de toute contrainte. (Livre I  20)

La préméditation de la mort est la préméditation de la liberté. 

Le but de notre carrière, c'est la mort, c'est l'objet nécessaire de notre visée : si elle nous effraie, comment est-il possible d'aller un pas en avant sans fièvre. Le remède du vulgaire c’est de n’y penser pas. Mais de quelle brutale stupidité lui peut venir un si grossier aveuglement ? Ôtons-lui l’étrangeté, pratiquons-le, accoutumons-le, n’ayant rien si souvent en la tête que la mort. ( Livre I , 19)

Tout au long de sa vie, il n'a cessé de réfléchir sur ce sujet et il a évolué peu à peu. Voilà ce qu'il écrit dans le Livre III dans lequel le stoïcisme semble abandonné pour l'adhésion à une sagesse bâtie sur l'observation des lois de la nature.

Il est certain qu’à la plus part la preparation à la mort a donné plus de tourment que n’a faict la souffrance. 
Si vous ne sçavez pas mourir, ne vous chaille ; nature vous en informera sur le champ, plainement et suffisamment ; elle fera exactement cette besongne pour vous ; n’en empeschez vostre soing. (Livre III 12)

Nous troublons la vie par le soing de la mort, et la mort par le soing de la vie. L’une nous ennuye, l’autre nous effraye. Ce n’est pas contre la mort que nous nous preparons ; c’est chose trop momentanée. Un quart d’heure de passion sans consequence, sans nuisance, ne merite pas des preceptes particuliers.  (...)

 Si nous avons sçeu vivre constamment et tranquillement, nous sçaurons mourir de mesme. Mais il m’est advis que c’est bien le bout, non pourtant le but de la vie ; c’est sa fin, son extremité, non pourtant son object. 

 Au nombre de plusieurs autres offices que comprend ce general et principal chapitre de sçavoir vivre, est cet article de sçavoir mourir ; et des plus legiers si nostre crainte ne luy donnoit poids.
Je ne vy jamais paysan de mes voisins entrer en cogitation de quelle contenance et asseurance il passeroit cette heure derniere. Nature luy apprend à ne songer à la mort que quand il se meurt. (Livre III 12)

lundi 8 octobre 2018

Jean-Luc Aubarbier : Montaigne, le chevalier du soleil / une aventure de monsieur de Montaigne



En optant  pour le livre de Jean-Luc Aubarbier : Montaigne, le chevalier du soleil lors de l’opération Masse Critique Babelio, je me réjouissais à l’avance à la pensée de lire un roman historique sur Michel Eyquem de Montaigne. 

Henri de Navarre et Marguerite de Valois

L’époque de Montaigne déchirée par les guerres de religion, par la lutte des trois Henri (Henri de Navarre, futur Henri IV, Henri III, roi de France depuis 1574; Henri de Guise le Balafré) est évidemment très « romanesque », au sens de riches en évènements extraordinaires. Epoque troublée aussi par la dure domination du très catholique roi d’Espagne Philippe II, et par des épidémies dévastatrices comme la peste… Quant à la vie de Montaigne, Maire de Bordeaux, conseiller auprès des rois, philosophe et grand voyageur, elle ne l’est pas moins ! Les châteaux sont encore fortifiés pour éviter les attaques du voisin (même si Montaigne se démarque en laissant sa porte ouverte) ! Bref ! Tout est là pour faire un bon roman ! Le sujet du livre est d’ailleurs autant Henri de Navarre que Montaigne.

Or, voilà que dès la préface, le lecteur apprend « que ce romancier audacieux tord délibérément le cou à l’histoire et lui préfère des aventures imaginaires…. »
Ainsi, dans le roman, le seigneur de Montaigne devient « chevalier du soleil » membre d’une société secrète qui réunit à travers l’Europe des comploteurs désireux d’établir la paix religieuse. Il est chargé par Henri III d’aller voir le pape à Rome pour négocier la paix et il est rejoint dans son voyage par le futur Henri IV et par Guillaume d’Orange dit le Taciturne qui mène une révolte au Pays-Bas contre l’hégémonie de Philippe II d’Espagne.
Si le voyage de Montaigne pour prendre les eaux (Montaigne était atteint de la gravelle, calculs rénaux qui le faisaient énormément souffrir )a bien existé et de même sa visite au pape à Rome où Les Essais ont été passés au crible de l’inquisition, tout le reste n’est qu’affabulation, semble-t-il. Le philosophe n’a jamais été chargé d’une telle mission. Il n’a jamais été l'ami de Henri IV même s’il a eu des relations avec lui et a cherché à exercer une influence pacificatrice sur les souverains, influence d’ailleurs très modeste si l’on en juge par le massacre de la Saint Barthélémy en 1572. Et Marie de Gournay, sa « fille d’alliance » qui n’était qu’une petite fille à l’époque, devenue sa maîtresse dans le roman, ne l’a jamais accompagné déguisée en garçon et pour cause !

Bref! Devant toutes ces trahisons de l’Histoire, je me suis préparée à lire un roman de cape et d’épée palpitant, faisant fi de la réalité historique pour vivre des aventures rocambolesques à la manière de Dumas ! D’autant plus que la présence de Louis d’Artagnan, le père du héros de Les quatre mousquetaires nous y invite. Et c’est bien, d’ailleurs, ce qui arrive, dans l’épisode où ce dernier enlève sa fiancée retenue prisonnière et la ramène à la cour de Nérac. Mais cela ne dure pas, la structure du roman ne le permettant pas.
Divisé en chapitres selon une chronologie précise et avec des retours en arrière, le récit romanesque s’interrompt pour exposer des faits historiques, faire le point sur les personnages. Il commence en 1578 et se termine dix-sept ans après la mort de Montaigne (1592), en 1609, avec le personnage du fanatique François Ravaillac, prêt à tuer le roi Henri IV. Une incursion dans les années 1560 nous permet de faire la connaissance de Pierre de la Boétie et de voir une partie de la jeunesse de Montaigne. La connaissance de l’époque, de la vie et de l’oeuvre de Montaigne est très solide. Michel Eyquem parle comme un livre ou plutôt comme son livre, et ses principales idées sont exposées telles qu’on les lit dans Les Essais.
Mais on dirait que Jean-Louis Aubarbier n’a pas su trouver la juste mesure entre roman historique et roman de fiction. Personnellement, cela m’a beaucoup gênée parce que si je connais assez bien Montaigne pour savoir ce qui lui appartient, je ne le connais pas assez pour savoir ce qui est de l’ordre de l’invention. Par exemple, si je me suis dit que que Montaigne et son ami La Boétie n’avaient jamais été alchimistes, j’ai pensé aussi qu’Etienne de La Boétie n’avait certainement pas écrit le texte de La servitude sur les murs de sa chambre pour le faire recouvrir de plâtre. Il m’a fallu lire cette fois-ci la postface pour savoir ce qu’il en était réellement. Finalement et alors que le livre a des bases sérieuses et fait découvrir des univers réels et fascinants comme cette brillante cour de Nérac qui témoigne de la vitalité à cette époque des pays de langue d’Oc, j’ai fini par douter de tout et tout remettre en question. J’aurais vraiment préféré lire un essai historique, j’aurais été moins déboussolée!
C’est que je ne conçois un bon roman historique que si les faits avérés sont strictement authentiques, l’écrivain ayant bien sûr licence d’imaginer ce que l’Histoire laisse dans l’ombre et de broder quand il s’agit de combler les manques !






Merci à Masse Critique et aux Editions De Borée