Pages

Affichage des articles dont le libellé est Littérature française XIX°. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Littérature française XIX°. Afficher tous les articles

samedi 20 avril 2024

Jules Verne : Le phare du bout du Monde


"Au moment où le disque solaire ne montrait plus que sa partie supérieure, un coup de canon retentit à bord de l’aviso Santa-Fé, et le pavillon de la République Argentine, se déroulant à la brise, fut hissé à la corne de la brigantine. Au même instant jaillit une vive lumière au sommet du phare construit à une portée de fusil en arrière de la baie d’Elgor, dans laquelle le Santa-Fé avait pris son mouillage.
Deux des gardiens, les ouvriers réunis sur la grève, l’équipage rassemblé à l’avant du navire, saluaient de longues acclamations le premier feu allumé sur cette côte lointaine.
Deux autres coups de canon leur répondirent, plusieurs fois répercutés par les bruyants échos du voisinage. Les couleurs de l’aviso furent alors amenées, conformément aux règles des bâtiments de guerre, et le silence reprit cette Île des États, située au point où se rencontrent les eaux de l’Atlantique et du Pacifique."


C’est ainsi que, dans le roman de Jules Verne, s’allument les premiers feux du Phare du Bout du Monde dans l’île aux Etats où Jules Vernes place son récit. L'écrivain situe l'action en 1859 mais il prend pour modèle le phare de San Juan del Salvamento édifié en 1884 par la République argentine et qui fut remplacé en 1902 par le Phare Nuevo mieux situé.

L’île des Etats et le phare du Bout du Monde

 

Le phare du Bout du Monde

Le roman commence au mois de décembre, au début de la belle saison, et trois gardiens restent sur place pour veiller au bon fonctionnement du phare. Vasquez est le chef. Un peu plus âgé que ses compagnons, Felipe et  Moriz, Vasquez est doté d’une solide expérience, d’un bon sens et d’une bonhomie souriante. Ils savent tous trois que rester seuls pendant trois mois avant la relève, sur une île aussi isolée, ne va pas être de tout repos. Mais le phare est un asile solide, les provisions sont abondantes,  et ils sont motivés par leur mission qui est de sauver des vies humaines, la navigation étant extrêmement dangereuse dans ces eaux houleuses, hérissées d’écueils, en proie à  de violentes et soudaines tempêtes.

"La tour était d'une extrême solidité, bâtie avec les matériaux fournis par l'île des États. Les pierres d'une grande dureté, maintenues par des entretoises de fer, appareillées avec une grande précision, emboîtées, les unes dans les autres à queue d'aronde, formaient une paroi capable de résister aux violentes tempêtes, aux ouragans terribles qui se déchaînent si fréquemment sur cette lointaine limite des deux plus vastes océans du globe. Ainsi que l'avait dit Vasquez, le vent ne l'emporterait pas, cette tour."

Jules Verne nous explique le fonctionnement d’un phare à cette époque :

" La lanterne était donc munie de lampes à double courant d’air et à mèches concentriques. Leur flamme, produisant une intense clarté sous un petit volume, pouvait dès lors être placée presque au foyer même des lentilles. L’huile leur arrivait en abondance par un système analogue à celui des Carcel. Quant à l’appareil dioptrique disposé à l’intérieur de la lanterne, il se composait de lentilles à échelons, comprenant un verre central de forme ordinaire, qu’entourait une série d’anneaux de médiocre épaisseur et d’un profil tel que tous se trouvaient avoir le même foyer principal. Dans ces conditions, le faisceau cylindrique de rayons parallèles produit derrière le système de lentilles était transmis au dehors dans les meilleures conditions de visibilité. "

Il nous fait découvrir cette île inhabitée aux côtes déchiquetées, où les plaines du centre cèdent la place vers l’ouest à des hautes falaises et à des pics escarpés qui rendent la circulation dans l’île difficile.


Une histoire de pirates


 Cependant, si les deux premiers chapitres nous décrivent le départ de l'aviso La Santa Fé, l’installation de Vasquez et ses collègues et posent le cadre du récit, la description du travail et de la vie des gardiens va être de courte durée car c’est un récit d’aventures que Jules Verne nous propose et assez haut en couleurs !  Rapidement nous nous apercevrons que l’île n’est pas aussi inhabitée qu’il le paraît !
Le troisième chapitre intitulé La Bande Kongre nous présente des pirates qui ont fait naufrage sur l’île et attendent de pouvoir mettre la main sur un bateau pour repartir. Pendant la durée de construction du phare, ils ont vécu cachés dans une caverne entassant les provisions et les richesses des navires naufragés. Quand ils parviennent à prendre possession d’un bateau échoué encore en état de naviguer mais nécessitant des réparations, ils décident de s’installer à l’abri dans la baie d’Elgor,  d’attaquer les gardiens et de s'emparer du phare. Désormais les chapitres vont présenter en alternance les agissements des pilleurs d’épave qui sont aussi des naufrageurs et la résistance de Vasquez.   

Une leçon de navigation

Un trois-mâts


Si l’on apprend relativement peu de la vie dans un phare, par contre les pirates qui sont d’excellents navigateurs nous en apprennent beaucoup sur la navigation dans des eaux tumultueuses et sur les types de bateaux de l’aviso, le bateau de guerre qui assure la relève et est prêt à intervenir avec ses canons, à la Goélette, la Maule, que vont réparer les pirates : 

 "Dans cette position, on voyait son pont depuis le gaillard d’avant jusqu’au rouf de l’arrière. Sa mâture était intacte, mât de misaine, grand mât, beaupré, avec leurs agrès, ses voiles à demi carguées, sauf la misaine, le petit cacatois et la flèche qui avaient été serrés."

au  trois-mâts, aux baleiniers, aux steamers qui passent devant l'île ou s'y échouent.
 

"Le premier était un steamer anglais venant du Pacifique, qui, après avoir remonté le détroit de Lemaire, s’éloignait, cap au nord-est, probablement à destination d’un port d’Europe. Ce fut en plein jour qu’il passa à la hauteur du cap San Juan.
Le second navire était un grand trois mâts dont on ne put connaître la nationalité. La nuit commençait à se faire, lorsqu’il se montra à la hauteur du cap San Juan pour longer la côte orientale de l’île jusqu’à la pointe Several. "



Un vocabulaire riche sur les parties du navire : 

"Les lames avaient tout saccagé. Elles avaient arraché les planches du pont, démoli les cabines de la dunette, brisé les gaillards, démonté le gouvernail, et le choc sur les récifs avait achevé l’oeuvre de destruction."


"Il vint alors examiner la carène du côté du large. Le bordé ne paraissait pas avoir souffert. L’étrave, un peu enfoncée dans le sable, semblait intacte, de même l’étambot, et le gouvernail adhérait toujours à ses ferrures."

"Dans toute la portion comprise entre l’étrave et l’emplanture du mât de misaine, aucune avarie ne fut
constatée. Varangues, membrure, bordé étaient en bon état; chevillés en cuivre, ils ne se ressentaient pas du choc de l’échouage sur le banc de sable"
 

sur les voiles  "On hissa la trinquette et le foc… »  « Carcante fit établir  la misaine, la brigantine qui est la grande voile dans le gréement d’un goélette, puis hisser le hunier à bloc. "


 

 Henri Paasch, Illustrated Marine Encyclopedia, 1890, croquis de la poupe. 1. quille ; 2. aileron ; 3. massif d'étambot / courbe d'étambot ; 4. étambot ; 5. garniture pour bois ; 6. petites barres d'arcasse ou barres de contre-arcasse ou contre-lisses ; 7. barre d'hourdi, lisse de hourdi ou grande barre d'arcasse ; 8. jaumière ; 9. allonge de poupe (voûte) ; 10. bord (voûte) ; 11. apôtre d'étambot ; 12. jambette de voûte ; 13. allonge de côté (voûte) ; 14. couples de l'arrière ; 15. estain ; 16. couples dévoyés ou élancés ; 17. Couples droits.

 Un étambot : Partie du navire qui continue la quille à l'arrière et où se trouve le gouvernail.

 

La varangue (16) fait la jonction entre la quille (9) et les couples(14)

Une varangue est une des pièces de charpente d'un bateau, servant, dans les fonds, de liaison transversale entre la quille et les deux couples de chaque côté, à la base de la coque1.( wikipedia)

Bref ! Un livre qui entre très bien dans la thématique de Book Trip en mer.

 

 


 

jeudi 18 avril 2024

Le Jeudi avec Marcel Proust : Du côté de chez Swann Première partie Cambray : Albert Bloch

Mehmed II  :  Gentile Bellini (1429-15O7)

Gentile Bellini peintre vénitien est le frère de Giovanni Bellini, ce dernier étant l'un des grands peintres de Venise, un de mes peintres vénitiens préférés. 

Gentile se rend à Contantinople en 1479 à la cour du sultan Mehmed II. L'histoire dit que le souverain admirant une oeuvre du peintre représentant  la décollation de Saint Jean-Baptiste, veut lui signaler une erreur. Il tire son sabre et décapite un serviteur qui passait par là : "Vous voyez, lui dit-il, les organes ne sortent pas du cou comme vous les avez représentées mais se rétractent ".

 

 Albert Bloch
 
Le descendant de Mehmed II à notre époque

35 générations séparent ces deux portraits. D'après Swann, Bloch devait ressembler à ces deux portraits en plus jeune.


Il y a dans A la recherche des passages qui sont de vraies scènes de comédie : celles avec Albert Bloch en font partie.

Albert Bloch est un camarade d'école du narrateur. Il est un peu plus âgé et exerce une grande influence sur lui en lui conseillant la lecture de Bergotte, l'un des grands écrivains de A la Recherche, et en lui parlant de poésie. Swann dont c'est l'habitude de s'entourer de personnages descendus de leur tableau  affirme que Bloch est le portrait de Mehmed II de Gentile Bellini.  

Bloch est un personnage secondaire de A la Recherche mais il m'a tellement amusée que j'ai noté les passages où il apparaît dans cette première partie de Du côté de chez Swann Cambray

 J’avais entendu parler de Bergotte pour la première fois par un de mes camarades plus âgé que moi et pour qui j’avais une grande admiration, Bloch. En m’entendant lui avouer mon admiration pour la Nuit d’Octobre, il avait fait éclater un rire bruyant comme une trompette et m’avait dit : « Défie-toi de ta dilection assez basse pour le sieur de Musset. C’est un coco des plus malfaisants et une assez sinistre brute. Je dois confesser d’ailleurs, que lui et même le nommé Racine, ont fait chacun dans leur vie un vers assez bien rythmé, et qui a pour lui, ce qui est selon moi le mérite suprême, de ne signifier absolument rien. C’est : « La blanche Oloossone et la blanche Camire » et « La fille de Minos et de Pasiphaé ». Ils m’ont été signalés à la décharge de ces deux malandrins par un article de mon très cher maître, le Père Lecomte, agréable aux Dieux immortels. À propos voici un livre que je n’ai pas le temps de lire en ce moment qui est recommandé, paraît-il, par cet immense bonhomme. Il tient, m’a-t-on dit, l’auteur, le sieur Bergotte, pour un coco des plus subtils ; et bien qu’il fasse preuve, des fois, de mansuétudes assez mal explicables, sa parole est pour moi oracle delphique. (...)

 Le comique naît de l'alliance disparate de mots, certains tirés de l'argot des potaches " C'est un coco " (j'ai lu un article qui suggère que ce terme pourrait correspondre dans l'argot des lycéens d'aujourd'hui à "mec") mêlés à des mots savants "dilection" "mansuétude", à des expressions ampoulées, hyperboliques "agréable aux Dieux immortels" "cet immense bonhomme" "oracles delphiques" ou à des  archaïsmes comme  "le Sieur" "Malandrins". Toujours est-il que l'effet est comique et nous renseigne aussi sur le caractère de Bloch, intelligent ? peut-être ? cultivé, c'est certain, mais pédant, sentencieux, donneur de leçon ! Autrement dit un drôle de coco lui-même !  Mais ce n'est pas fini ! Et ce qui suit est encore plus hilarant si possible !

 

Albert Bloch et la famille de Marcel

 

 Jeanne Weil, madame Proust, mère de Marcel d' Anaïs Beauvais

 Albert Bloch est juif dans une société de la fin du XIX siècle et début du XX ième gangrénée par l'antisémitisme. L'affaire Dreyfus qui divise les familles se situe, en effet, entre 1894 et 1906. Il ne faut pas oublier que Marcel Proust appartient à une famille juive par sa mère, Jeanne Weil, même si l'écrivain est catholique comme son père. Bloch est donc accueilli dans la famille du jeune Marcel avec bienveillance  mais...

Mais Bloch avait déplu à mes parents pour d’autres raisons. Il avait commencé par agacer mon père qui, le voyant mouillé, lui avait dit avec intérêt :

— Mais, monsieur Bloch, quel temps fait-il donc ? Est-ce qu’il a plu ? Je n’y comprends rien, le baromètre était excellent.

Il n’en avait tiré que cette réponse :
— Monsieur, je ne puis absolument vous dire s’il a plu. Je vis si résolument en dehors des contingences physiques que mes sens ne prennent pas la peine de me les notifier.
— Mais, mon pauvre fils, il est idiot ton ami, m’avait dit mon père quand Bloch fut parti. Comment ! il ne peut même pas me dire le temps qu’il fait ! Mais il n’y a rien de plus intéressant ! C’est un imbécile.
 

Puis Bloch avait déplu à ma grand’mère parce que, après le déjeuner comme elle disait qu’elle était un peu souffrante, il avait étouffé un sanglot et essuyé des larmes.
— Comment veux-tu que ça soit sincère, me dit-elle, puisqu’il ne me connaît pas ; ou bien alors il est fou.
 

Et enfin il avait mécontenté tout le monde parce que, étant venu déjeuner une heure et demie en retard et couvert de boue, au lieu de s’excuser, il avait dit :

— Je ne me laisse jamais influencer par les perturbations de l’atmosphère ni par les divisions conventionnelles du temps. Je réhabiliterais volontiers l’usage de la pipe d’opium et du kriss malais, mais j’ignore celui de ces instruments infiniment plus pernicieux et d’ailleurs platement bourgeois, la montre et le parapluie.


La fille de Minos et de Pasiphaé
 
 
La fille de Minos et de Pasiphaé : Sara Bernhard

 
"Mais j’aimais Bloch, mes parents voulaient me faire plaisir, les problèmes insolubles que je me posais à propos de la beauté dénuée de signification de la fille de Minos et de Pasiphaé me fatiguaient davantage et me rendaient plus souffrant que n’auraient fait de nouvelles conversations avec lui, bien que ma mère les jugeât pernicieuses."
 
Ce qui est encore amusant, c'est la naïveté du jeune garçon  qui se tourmente à propos des vers d'Alfred de Musset dans La nuit de mai* « La blanche Oloossone et la blanche Camire » et de Racine dans Phèdre  La fille de Minos et de Pasiphaé » qui, d'après Bloch,  ne signifient rien.
 
Albert Bloch adhère ainsi à la théorie de l'Art pour l'Art que Théophile Gautier avec sa dose de provocation habituelle définit ainsi : Il n'y a vraiment de beau que ce qui ne peut servir à rien. Tout ce qui est utile est laid. Gautier se fait ainsi le précurseur du Parnasse dont Leconte de Lisle est le chef de file. Or, ce dernier est  le favori de Bloch qui le qualifie de "gigantesque assembleur de rythmes".
 
  Aussi quand le jeune narrateur se tourmente en prenant pour argent comptant l'affirmation de  Bloch  "quand il m’avait dit que les beaux vers (à moi qui n’attendais d’eux rien moins que la révélation de la vérité) étaient d’autant plus beaux qu’ils ne signifiaient rien du tout ", on peut être certain que l'écrivain adulte se moque de ces théories et nous invite à les réfuter !
 
La blanche Oloossone à la blanche Camyre; La fille de Minos et de Pasiphaé. Il est vrai que ces deux vers sont souvent cités comme ayant une pureté formelle, celles des sons et de la musicalité, des vers qui retentissent comme une incantation. Le côté ésotérique des noms propres les pare de mystère, éveille l'imagination et n'enchante pas seulement l'oreille mais l'esprit. Mais il est aussi bien évident que Bloch exagère, ce ne sont pas les seules beautés de ces oeuvres et elles sont aussi porteuses de sens !  Le vers de Musset convoque les images de la Grèce antique et, au-delà, celle d'Homère avec la cité antique dont le poète reprend l'épithète blanche, image du soleil, de la pureté. D'ailleurs tout le passage dans lequel défilent les noms de lieux grecs est incantatoire et magique !  C'est la muse qui parle au poète, une intervention divine...   
La fille Minos et de Pasiphaé est aussi plein de sens et donne toute sa profondeur à la tragédie de Racine. L'évocation de  Minos, le roi des Enfers, et Pasiphaé la fille du Soleil dont Phèdre est issue fait courir sur les vers de Racine toute une poésie de l'ombre et la lumière, décrit le combat entre le Bien et le Mal, entre la pureté et la souillure, unissant ainsi la religion grecque à la religion chrétienne de Racine, le janséniste torturé par l'idée de la grâce prédestinée et de la liberté humaine. 
 
 
 


 
   La Nuit de Mai Alfred de Musset

Partons, nous sommes seuls, l'univers est à nous.
Voici la verte Écosse et la brune Italie,
Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux,
Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes,
Et Messa la divine, agréable aux colombes,
Et le front chevelu du Pélion changeant ;
Et le bleu Titarèse, et le golfe d'argent
Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire,
La blanche Oloossone à la blanche Camyre.
Dis-moi, quel songe d'or nos chants vont-ils bercer ?
D'où vont venir les pleurs que nous allons verser ? 
 
 
 
 
Camiros est un site archéologique de Rhodes, situé sur la côte nord-ouest de l'île. Cité par Homère
Oloossone est une ville située dans les terres de Thessalie, et non près de la mer.
 
 
 

 
 
*Phèdre Racine
 
Hyppolyte acte I scène 1

Cet heureux temps n’est plus. Tout a changé de face,
Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyé
La fille de Minos et de Pasiphaé.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 

jeudi 4 avril 2024

Le Jeudi avec Marcel Proust : Du côté de chez Swann, première partie Cambray : Marcel Proust et l'Art

Claude Monet Nymphéa


Je suis en train de lire du côté de chez Swann, le premier livre de A la Recherche du temps perdu dont nous devons faire une LC avec Miriam le 15 mai. Mais cette lecture me donne envie de venir de temps en temps, avant cette date, noter les impressions qu'éveille en moi la rencontre du texte dans une chronique que j'appellerai Le Jeudi avec Marcel Proust. Et d'abord, outre l'omniprésence de la nature, l'omniprésence de l'Art, sous toutes ses formes, qui imprègne l'oeuvre et devient une façon de voir, une manière d'appréhender la réalité et de la transformer. Marcel Proust n'est pas peintre mais il voit la nature comme un tableau et pas seulement la nature, mais les êtres et les choses aussi.

Ainsi, je note, quand il va se promener au bord de la Vivonne, du côté de Guermantes, combien cette description des Nymphéas est proche des tableaux de Monet. C'est une évidence tant il y a de points communs entre la vision du peintre et de l'écrivain. Dans son livre L'herbier de Marcel Proust, Dane Mc Dowell écrit :  
 
"Chasseur d'éphémère comme Monet, obsédé comme lui par le temps qu'il fait et le temps qui fuit, Proust évoque avec des mots la poésie et le mystère de la peinture impressionniste, autant que la sérénité et la joie qu'elle transmet ".  (Editions Flammarion)
 

L'impressionnisme : les Nymphéas de Monet

" Çà et là, à la surface, rougissait comme une fraise une fleur de nymphéa au cœur écarlate, blanc sur les bords. "

 

Claude Monet "une fleur de nymphéa au coeur écarlate"
 

" Plus loin, les fleurs plus nombreuses étaient plus pâles, moins lisses, plus grenues, plus plissées, et disposées par le hasard en enroulements si gracieux qu’on croyait voir flotter à la dérive, comme après l’effeuillement mélancolique d’une fête galante, des roses mousseuses en guirlandes dénouées."

 

Claude Monet : " des roses mousseuses en guirlandes dénouées"
 

" Ailleurs un coin semblait réservé aux espèces communes qui montraient le blanc et rose proprets de la julienne, lavés comme de la porcelaine avec un soin domestique, tandis qu’un peu plus loin, pressées les unes contre les autres en une véritable plate-bande flottante, on eût dit des pensées des jardins qui étaient venues poser comme des papillons leurs ailes bleuâtres et glacées sur l’obliquité transparente de ce parterre d’eau ; de ce parterre céleste aussi : car il donnait aux fleurs un sol d’une couleur plus précieuse, plus émouvante que la couleur des fleurs elles-mêmes ; et, soit que pendant l’après-midi il fît étinceler sous les nymphéas le kaléidoscope d’un bonheur attentif, silencieux et mobile, ou qu’il s’emplît vers le soir, comme quelque port lointain, du rose et de la rêverie du couchant, changeant sans cesse pour rester toujours en accord, autour des corolles de teintes plus fixes, avec ce qu’il y a de plus profond, de plus fugitif, de plus mystérieux — avec ce qu’il y a d’infini — dans l’heure, il semblait les avoir fait fleurir en plein ciel."

 

Monet : il semblait les avoir fait fleurir en plein ciel."



L'impressionnisme : les asperges : Manet

 Botte d'asperges Manet
 
 
 Mais Proust ne dédaigne pas les natures mortes et si la description des asperges fait penser à Manet, elle évoque aussi les peintres hollandais. Ah! ces asperges ! Elles jouent un grand rôle dans toute la première partie comme révélation du caractère de Françoise. Comme sujet de conversation avec Léonie aussi, qui de son lit, observe les passant et les voit passer avec "des asperges grosses comme le bras" , elles témoignent de la curiosité de la vieille dame mais aussi de sa vie étriquée, réduite à la fenêtre de sa chambre entrouverte sur le monde où elle ne va plus jamais.
 
"Mais mon ravissement était devant les asperges, trempées d'outre-mer et de rose et dont l'épi, finement pignoché de mauve et d'azur, se dégrade insensiblement jusqu'au pied – encore souillé pourtant du sol de leur plant – par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s'étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d'aurore, en ces ébauches d'arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j'en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum.


Edouard Manet : l'asperge



La pauvre Charité de Giotto, comme l'appelait Swann, chargée par Françoise de les « plumer », les avait près d'elle dans une corbeille, son air était douloureux, comme si elle ressentait tous les malheurs de la terre ; et les légères couronnes d'azur qui ceignaient les asperges au-dessus de leurs tuniques de rose étaient finement dessinées, étoile par étoile, comme le sont dans la fresque les fleurs bandées autour du front ou piquées dans la corbeille de la Vertu de Padoue."
 
La Charité de Giotto ainsi nommée par Swann est la fille de cuisine qui assiste Françoise, la cuisinière, et qui est terriblement enceinte ! On apprendra plus tard que si Françoise a fait manger des asperges à ses maîtres presque tous les jours cet été-là, c'est parce que ces légumes donnaient des crises d'asthme à la pauvre Charité dont la cuisinière était jalouse, craignant que sa patronne tante Léonie ne la préfère à elle.
 

Le Trecento italien : La charité de Giotto

La charité de Giotto


"L’année où nous mangeâmes tant d’asperges, la fille de cuisine habituellement chargée de les « plumer » était une pauvre créature maladive, dans un état de grossesse déjà assez avancé quand nous arrivâmes à Pâques, et on s’étonnait même que Françoise lui laissât faire tant de courses et de besogne, car elle commençait à porter difficilement devant elle la mystérieuse corbeille, chaque jour plus remplie, dont on devinait sous ses amples sarraux la forme magnifique. Ceux-ci rappelaient les houppelandes qui revêtent certaines des figures symboliques de Giotto dont M. Swann m’avait donné des photographies. C’est lui-même qui nous l’avait fait remarquer et quand il nous demandait des nouvelles de la fille de cuisine, il nous disait : « Comment va la Charité de Giotto ? ». D’ailleurs elle-même, la pauvre fille, engraissée par sa grossesse, jusqu’à la figure, jusqu’aux joues qui tombaient droites et carrées, ressemblait en effet assez à ces vierges, fortes et hommasses, matrones plutôt, dans lesquelles les vertus sont personnifiées à l’Arena. Et je me rends compte maintenant que ces Vertus et ces Vices de Padoue lui ressemblaient encore d’une autre manière.
 
 
Giotto chapelle de Scrovegni : La prudence, la fermeté, la tempérance, la foi, la charité, lespérance

 
 De même que l’image de cette fille était accrue par le symbole ajouté qu’elle portait devant son ventre, sans avoir l’air d’en comprendre le sens, sans que rien dans son visage en traduisît la beauté et l’esprit, comme un simple et pesant fardeau, de même c’est sans paraître s'en douter que la puissante ménagère qui est représentée à l’Arena au-dessous du nom « Caritas » et dont la reproduction était accrochée au mur de ma salle d’études, à Combray, incarne cette vertu, c’est sans qu’aucune pensée de charité semble avoir jamais pu être exprimée par son visage énergique et vulgaire. Par une belle invention du peintre elle foule aux pieds les trésors de la terre, mais absolument comme si elle piétinait des raisins pour en extraire le jus ou plutôt comme elle aurait monté sur des sacs pour se hausser ; et elle tend à Dieu son cœur enflammé, disons mieux, elle le lui « passe », comme une cuisinière passe un tire-bouchon par le soupirail de son sous-sol à quelqu’un qui le lui demande à la fenêtre du rez-de-chaussée."
 
 
L'envie et la colère

 
L’Envie, elle, aurait eu davantage une certaine expression d’envie. Mais dans cette fresque-là encore, le symbole tient tant de place et est représenté comme si réel, le serpent qui siffle aux lèvres de l’Envie est si gros, il lui remplit si complètement sa bouche grande ouverte, que les muscles de sa figure sont distendus pour pouvoir le contenir, comme ceux d’un enfant qui gonfle un ballon avec son souffle, et que l’attention de l’Envie — et la nôtre du même coup — tout entière concentrée sur l’action de ses lèvres, n’a guère de temps à donner à d’envieuses pensées."

C'est dans l'église Arena, à Padoue  et dans la chapelle Scrovegni que l'on peut admirer les fresques de Giotto qui raconte la vie du Christ et les groupes de Sept vertus et sept vices. J'ai toujours eu envie de les voir et disons que Proust en  rajoute encore !
 


L'Arena et les fresques de Giotto Chapelle des Scrovegni




Giotto : Les vices: le désespoir, l'envie, l'idolâtrie, l'injustice, la colère, l'inconstance, la sottise


Giottodi Bondone ou Ambrogiotto di Bondone, dit Giotto, né en 1266 ou 1267 à Vespignano ou Romignano et mort le 8 janvier 1337 à Florence, est un peintre, sculpteur et architecte italien de la République florentine. Artiste majeur du Trecento, ses œuvres sont à l'origine du renouveau de la peinture occidentale.((Wikipédia) On peut voir de très belles fresques de lui à la basilique de Santa Croce et à la Basilique de Saint François d'Assise.


L'Architecture  médiévale : entre roman et gothique
 
 
L' église de Saint Loup de Naud


 

Tantôt, c’est une femme réelle, la servante qui perd son statut d'être humain et qui devient peinture, qui se transmue en  oeuvre d'Art  sous la puissance de l’imagination de l’enfant renforcée et comme authentifiée  par celle de l’adulte, monsieur Swann.

Tantôt ce sont les statues du porche de l’église de Saint André des Champs qui deviennent vivantes s’incarnant comme des figures familières qui peuplent les rues de Combray. Ainsi en est-il de Théodore, le garçon de chez Camus, mauvais sujet peut-être mais  qui, pour venir en aide à Tante Léonie alitée, prend  la mine naïve et zélée des petits anges des bas-reliefs, s’empressant, un cierge à la main, autour de la Vierge défaillante, comme si les visages de pierre sculptée, grisâtres et nus, ainsi que sont les bois en hiver, n’étaient qu’un ensommeillement, qu’une réserve, prête à refleurir dans la vie en innombrables visages populaires, révérends et futés comme celui de Théodore, enluminés de la rougeur d’une pomme mûre. Non plus appliquée à la pierre comme ces petits anges, mais détachée du porche, d’une stature plus qu’humaine, debout sur un socle comme sur un tabouret qui lui évitât de poser ses pieds sur le sol humide, une sainte avait les joues pleines, le sein ferme et qui gonflait la draperie comme une grappe mûre dans un sac de crin, le front étroit, le nez court et mutin, les prunelles enfoncées, l’air valide, insensible et courageux des paysannes de la contrée. 
 
 
Vierge gothique Calvados

 
Cette ressemblance, qui insinuait dans la statue une douceur que je n’y avais pas cherchée, était souvent certifiée par quelque fille des champs, venue comme nous se mettre à couvert, et dont la présence, pareille à celle de ces feuillages pariétaires qui ont poussé à côté des feuillages sculptés, semblait destinée à permettre, par une confrontation avec la nature, de juger de la vérité de l’œuvre d’art.
 
Comme le personnage de Swann, le jeune Marcel fait descendre les personnages des murs, des toiles ou des socles où les siècles les avait figés. La réalité ne lui apparaît vraie que confirmée par l'oeuvre d'Art ou inversement !





Cette église Saint André des Champs est citée dix-sept fois dans la Recherche. C'est l'ancien prieuré clunisien de Saint Martin des Champs à Paris, exemple parfait du passage du roman au gothique et symbole du peuple français, qui a servi de modèle à Proust pour la description de l'église de Saint André des champs. 
Mais celle-ci est aussi  composée de plusieurs références architecturales : La Cathédrale de Chartres, l’église de Saint-Loup-de-Naud (Seine-et-Marne, près de Provins).
 
 
Cathédrale de Chartres


Quant à l'église Saint-Hilaire son clocher et ses fameux vitraux, elle aussi est une construction à partir de  de monuments différents dont Proust lui-même a parfois oublié l'origine. Il écrit en 1918 : « Ma mémoire m'a prêté comme modèles beaucoup d'églises. Je ne saurais plus vous dire lesquelles. Je ne me rappelle même plus si le paysage vient de Saint-Pierre-sur-Dives ou de Lisieux. Certains vitraux sont certainement les uns d’Évreux, les autres de la Sainte-Chapelle et de Pont-Audemer »


Vitrail de la cathédrale d' Evreux


"Il y en avait un qui était un haut compartiment divisé en une centaine de petits vitraux rectangulaires où dominait le bleu, comme un grand jeu de cartes pareil à ceux qui devaient distraire le roi Charles VI ; mais soit qu’un rayon eût brillé, soit que mon regard en bougeant eût promené à travers la verrière tour à tour éteinte et rallumée un mouvant et précieux incendie, l’instant d’après elle avait pris l’éclat changeant d’une traîne de paon, puis elle tremblait et ondulait en une pluie flamboyante et fantastique qui dégouttait du haut de la voûte sombre et rocheuse, le long des parois humides, comme si c’était dans la nef de quelque grotte irisée de sinueux stalactites que je suivais mes parents, qui portaient leur paroissien ; un instant après les petits vitraux en losange avaient pris la transparence profonde, l’infrangible dureté de saphirs qui eussent été juxtaposés sur quelque immense pectoral, mais derrière lesquels on sentait, plus aimé que toutes ces richesses, un sourire momentané de soleil ; il était aussi reconnaissable dans le flot bleu et doux dont il baignait les pierreries que sur le pavé de la place ou la paille du marché ; et, même à nos premiers dimanches quand nous étions arrivés avant Pâques, il me consolait que la terre fût encore nue et noire, en faisant épanouir, comme en un printemps historique et qui datait des successeurs de saint Louis, ce tapis éblouissant et doré de myosotis en verre."

On le voit, ce que décrit Marcel Proust rappelle l'émerveillement ressenti par l'enfant quand il contemple les effets fantastiques du kaléidoscope. Le vocabulaire fait appel tour à tour aux champs lexicaux de l'incendie "éteinte et rallumée""mouvant et précieux", et surtout de la pluie dans une longue métaphore filée "ondulait""dégouttait" , "les parois humides" "le flot bleu et doux", "baignait" et où l'oxymore pluie flamboyante unit l'incendie à la pluie, le ruissellement de l'eau entraînant l'image de la grotte "irisée de sinueux stalactites". Mais l'enfant n'oublie pas qu'il est dans une église "la nef de quelque grotte". Puis intervient le champ lexical de la pierre précieuse : "l'infrangible dureté des saphirs" "les pierreries", la beauté de la nature prenant ensuite le relais de la beauté de l'art , "un sourire momentané du soleil" et  les myosotis de verre."
 
Comparaisons avec l'incendie, métaphores de la pluie, image de la grotte et de ses stalactites, de la pierre précieuse, des fleurs et du soleil. Le texte de Proust est en lui-même un éblouissement, une oeuvre d'art qui rend bien compte de la beauté des vitraux. !
 
 
 
Pont-Audemer : Eglise Saint-Ouen

 
XVIII siècle :   Le goût des  ruines


Clair de lune Hubert Robert


Dans chaque jardin le clair de lune, comme Hubert Robert, semait ses degrés rompus de marbre blanc, ses jets d’eau, ses grilles entr’ouvertes. Sa lumière avait détruit le bureau du télégraphe. Il n’en subsistait plus qu’une colonne à demi brisée, mais qui gardait la beauté d’une ruine immortelle. Je traînais la jambe, je tombais de sommeil, l’odeur des tilleuls qui embaumait m’apparaissait comme une récompense qu’on ne pouvait obtenir qu’au prix des plus grandes fatigues et qui n’en valait pas la peine. Des grilles fort éloignées les unes des autres, des chiens réveillés par nos pas solitaires faisaient alterner des aboiements comme il m’arrive encore quelquefois d’en entendre le soir, et entre lesquels dut venir (quand sur son emplacement on créa le jardin public de Combray) se réfugier le boulevard de la gare, car, où que je me trouve, dès qu’ils commencent à retentir et à se répondre, je l’aperçois, avec ses tilleuls et son trottoir éclairé par la lune.

Dans ce texte le point de vue artistique est délibérément choisi par l'écrivain, un peintre du XVIII siècle à une époque où le goût des ruines romaines ou médiévales prédominent dans l'art. Ici, le tableau du peintre vient se substituer à la réalité et parvient même à l'effacer : "le clair de lune semait ses degrés rompus de marbre blanc" pour faire apparaître "une colonne à demi brisée". C'est la lumière qui fait surgir la fantasmagorie comme le fait la lanterne magique dans sa chambre d'enfant à Combray, envoyant danser sur les murs et la poignée de la porte les ombres de Geneviève de Brabant et de Golo. 
On voit ici comment, plus tard, le son (les aboiements des chiens) et l'odeur (des tilleuls) associés à cette vision du peintre du XVIII siècle, ressuscitent le souvenir et rappellent l'image du passé enfoui dans la mémoire comme le fait le goût de la madeleine trempée dans du tilleul de Tante Léonie. Ainsi le temps n'est jamais retrouvé brut,  directement,  mais seulement  par l'intermédiaire de tous les  sens.
 
 Hubert Robert né le 22 mai 1733 à Paris et mort le 15 avril 1808 dans la même ville est un peintre français, dessinateur, graveur, professeur de dessin, créateur de jardins et conservateur au muséum central des arts de la République. Il est un des principaux artistes français du XVIIIᵉ siècle. (Wikipédia) Ses peintures de ruines en font un précurseur des romantiques.
 
 
Et comme l'on ne peut épuiser ce thème de l'art chez Proust, je m'arrête, sachant que ces passages sont presque tous  situés dans la première partie de Du côté de chez Swann intitulée Cambray et que j'en ai noté bien d'autres en avançant dans ma lecture.


Voir ce livre recommandé par Keisha sur l'Art dans l'ensemble de La Recherche du temps perdu.
 
Le musée imaginaire de Marcel Proust  Tous les tableaux de A la recherche du temps perdu  Eric Karpeles Editions Gallimard
keisha ICI 





mardi 26 mars 2024

Emma Stonex : Les gardiens du phare


 Dans son roman Les gardiens du Phare, Emma Stonex s’appuie sur un fait divers réel qui est toujours demeuré un mystère.
En 1895, sur les îles Flannan, au large de l’Ecosse, au coeur de l’archipel des Hébrides, la construction d’un phare dans cette zone pleine de récifs, réputée dangereuse, commence. C’est en décembre 1899 que le phare d’Eilean Mor, qui se dresse sur un rocher inhospitalier, inhabité, battu par les vagues et le vent,  s’illumine pour la première fois
Pour assurer sa maintenance, il faut quatre hommes, dont trois doivent rester en permanence sur l’île, le quatrième  partant en congé sur la terre ferme toutes les six semaines.  En Décembre 1900, un capitaine de navire signale que le phare est resté éteint. Quand on envoie des secours, les trois gardiens restés sur place, James Ducat, Thomas Marshall et Donald MacArthur, ont disparu sans laisser de traces. 

L’enquête a conclu que les gardiens avaient dû s’approcher trop près du bord pour sécuriser une grue et avaient été emportés par une vague géante. Mais cette conclusion est restée à l’état d’hypothèse n’ayant jamais pu être confirmée.

Les trois gardiens disparus d'Eilean Mor
 

C’est cette histoire que raconte Emma Stonex dans Les gardiens du phare en la transposant en 1972  et en situant le phare sur les îles Maidens, au nord de l’Irlande.
Les trois hommes, Arthur Black, le gardien-chef de la Maiden, Bill Walker son second et Vince dont c’est le premier poste - et à qui l’on essaiera de faire porter le chapeau parce qu’il a fait de la prison - disparaissent. La société des phares cherchent rapidement  à clore l’enquête, refusant de creuser plus avant, de crainte de détruire la bonne réputation de la Société, plutôt paternaliste, qui exige la fidélité et la bonne conduite de ses employés dont elle veut donner une image héroïque et qui prend soin de leur famille en retour.

L'île Flannan : Eilenn Mor

C’est l’occasion pour l’écrivaine de présenter la vie dans le phare et la dureté du métier de gardien qui exige des nerfs solides, une bonne santé mentale et une entente entre les trois personnes qui sont obligés de vivre ensemble de jour comme de nuit. Si l’une de ces conditions n'est pas réunie, les agacements deviennent vite antipathies, les tensions naissent, les risques d’affrontement s’exacerbent. La journée est rythmée par les travaux d’entretien du phare et de l’optique de la lanterne, les nuits exigent des quarts de veille pour assurer le bon fonctionnement de la lumière. Il faut imaginer la monotonie de la nourriture et des occupations, la solitude qui ébranle le moral, la séparation d’avec la famille, les tempêtes, effrayantes, avec des vagues gigantesques qui se brisent sur le phare dans un vacarme  incessant, la responsabilité des vies humaines qui pèse sur les gardiens s’il y a un dysfonctionnement.

Dans le roman,  Emma Stonex imagine que vingt ans après, un journaliste décide d’écrire sur cette histoire et demande à rencontrer les  femmes des disparus, Helen, Jenny et Michelle. Car ce qui intéresse aussi l'écrivaine, c’est de donner une explication à ces disparitions ou tout au moins d’avancer une autre hypothèse que celle retenue officiellement. Les femmes parlent, en effet, et se dessinent des secrets de couple, des mésententes, des jalousies, des non-dits… Une analyse psychologique assez fine qui fait apparaître les caractères et les sentiments de chacun, sous laquelle, en filigane, se dessine une réponse au mystère et à la tragédie ! Un roman intéressant !

 Tout seul

 

Je vous signale la magnifique BD  intitulée Tout Seul de Christophe Chabouté sur les gardiens de phare.

Voilà ce que j'en écrivais : "Tout seul, bande dessinée de Chabouté, est un petit bijou d'émotion, de poésie, de beauté, de tendresse, d'espoir. .. Si vous n'avez pas encore lu cette BD, faites-le vite ! Et si vous ne deviez en lire qu'une dans votre vie, que ce soit celle-là!

Cet album est presque sans paroles, les personnages qui y vivent sont soit des marins taciturnes, soit un solitaire, séparé de la civilisation, prisonnier volontaire dans un phare en pleine mer. Le dessin en noir et blanc, jouant sur le lumières de la nuit et du jour,  prend alors toute son importance, c'est lui qui raconte tout ce qui n'est pas dit, c'est pourquoi il faut être attentif aux moindres détails, et il est fantastique. Les variations des points de vue nous permet une approche toujours renouvelée de l'histoire. Nous sommes oiseaux et nous nous laissons porter par le vent pour nous poser sur la lanterne du phare, poisson dans un bocal nous contemplons la solitude d'un autre être, solitude qui n'a d'égale que la nôtre, marin, nous essayons de percer le mystère du phare..  A cela s'ajoutent les variations des cadrages, d'un gros plan qui éveille en nous la curiosité à un plan d'ensemble qui nous révèle la réalité…  Le dessinateur joue ainsi sur le mystère, éveille notre imagination. Chabouté suggère aussi le mouvement par le procédé cinématographique  d'un plan fixe qui permet de voir s'éloigner le bateau ou au contraire de le voir se rapprocher, venant droit sur nous, pour créer l'impression de durée dans le temps. Car l'histoire a un rythme, celui de la lenteur, de l'égalité des jours qui se traînent et se ressemblent, sauf quand survient un évènement, quand il y a irruption de la vie dans le quotidien."
VOIR la suite ICI

 

La Tour d'amour

 
 
"La tour d'amour de la "sulfureuse" Rachilde est un roman qui sidère, qui laisse pantelant. Jamais en ouvrant le livre de quelqu'un qui était pour moi une inconnue, jamais je n'aurais pensé découvrir un texte d'une telle force, servi pas un style puissant aux images hallucinatoires. Je comprends, bien sûr, que le récit ait fait scandale et je ne suis pas sûre qu'il ne choque pas, même de nos jours, les lecteurs sensibles tant il est morbide et nous entraîne dans la spirale d'une folie qui tient de la perversion. Si vous êtes de ceux-là, tant pis, mais ne dites pas que Rachilde est un médiocre écrivain" Voir Ici


 Le gardien du feu


J'ai aimé aussi :  Le gardien du Feu de l'écrivain breton Antoine Le Braz

"Je vous l'ai dit à propos du roman de Rachilde La Tour d'amour, les phares bretons inspirent aux écrivains des romans sombres et tourmentés tout comme le sont les personnages qui y vivent! Dans Le gardien du Feu d'Anatole Le Braz, c'est le phare de Gorlébella en plein Raz qui sert de décor pour cette histoire d'amour et de jalousie proche de la folie." Voir  Ici

 

 Les disparus du phare

 

J'ai moins aimé Les disparus du phare de Peter May mais lisez  le premier volet de la trilogie L'île des chasseurs d'oiseaux !

"Peter May, je l’ai découvert avec sa trilogie écossaise qui se situe dans l'archipel des Hébrides, dans l’île Lewis, et c’est de loin L’île des chasseurs d’oiseaux, le premier, qui demeure mon préféré. Il offre des pages d’une force étonnante qui raconte le quotidien des hommes de cette île et décrit leur mentalité ancrée dans le passé, si loin de la civilisation urbaine actuelle.
 Avec Les disparus du Phare, Peter May retourne dans les Hébrides, plus précisément dans les îles Flannan à une vingtaine de kilomètres de l’île Lewis. L’auteur s’empare d’un fait divers réel, survenu en 1900 : la disparition jamais élucidée des trois gardiens du phare d’Eilean Mor." 
Voir Ici


Tadloidu ciné chez Dasola conseille aussi les titres suivants et Je lis Je blogue une BD. Merci à eux  ! Je ne les ai pas encore lus mais cela me donne envie de les découvrir.

 

Robert Louis Stevenson : Journal de la construction d'un phare

Au large de l’Écosse, en mer du Nord, à la croisée de plusieurs routes maritimes, se trouve un récif meurtrier, où les navires s’abîment par dizaines. En 1807, un homme décide de mettre fin à cette malédiction. Ingénieur pour la Compagnie des Phares du Nord, Robert Stevenson se lance dans une entreprise périlleuse : ériger un phare sur un récif immergé vingt heures par jour. Trois années durant, dans des conditions chaotiques, il coordonne le chantier de Bell Rock. Animés par la volonté de rendre la mer plus sûre, ses hommes et lui luttent contre vents et marées pour mener à bien ce projet ambitieux.

En racontant l’histoire de sa famille et en publiant les carnets de son grand-père, Robert Louis Stevenson rend non seulement hommage à la dynastie de pionniers et de bâtisseurs dont il est issu, mais il révèle aussi au public une formidable aventure collective. (quatrième de couverture)  

 

Jules Verne : Le Phare du bout du monde


L’île des États : un îlot désertique au large de la Terre de Feu, à plusieurs dizaines de milles de tout espace civilisé. Les autorités argentines viennent d’y inaugurer un phare, pour permettre aux navires de franchir le cap Horn par une route plus rapide et plus sûre. Trois gardiens de phare sont déposés sur l’îlot pour y séjourner, seuls, durant les trois mois de l’hiver austral. Seuls ?... (quatrième de couverture) 

 

Emmanuel Lepage :  Ar -Men  BD


Au large de l’île de Sein, à la pointe Finistère, Ar-Men émerge des flots. Construit en 1867, on surnomme ce phare mythique «L’enfer des enfers». Sa lumière veille les navires, et les protège des récifs menaçants. Les hommes se sont succédés pour l’entretenir, sentinelles d'une côte déchiquetée que les marins redoutent. Germain, dans les années 1960, est l’un de ces gardiens téméraires et solitaires. Dans l'édifice isolé, contre vents et marées, il a trouvé son exacte place, emportant là ses blessures et son abandon d’une vie sur terre, avec les autres hommes. ( quatrième de couverture ) Editions Futuropolis