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lundi 6 mars 2017

Venise au temps du Carnaval (9) : Le cimetière San Michele et Chateaubriand

Le cimetière San Michele

Le masque de la journée


Vendredi 24 février : la tradition d'un masque par jour  pour la petite Léonie continue.

 Venise : Le cimetière Saint Michel et Chateaubriand

  Vous allez dire que c'est une idée un peu étrange d'aller visiter le cimetière San Michele en plein carnaval de Venise mais il y  déjà très longtemps que j'ai envie de voir ce lieu mythique et de plus, ma photographe de fille, voulait y chercher l'inspiration. Et oui, car à Venise même la mort emprunte la voie de l'eau. Jadis, on y accédait en gondole funéraire, le prêtre se tenait à l'arrière, derrière le gondolier de poupe, dans un silence recueilli. Aujourd'hui l'on s'y rend en bateau à moteur.

Le trajet en vaporetto de la Piazzale Roma, en passant par le canal qui traverse le beau quartier du Cannaregio, le Fondamento Novo jusqu'au cimetière, met déjà dans l'ambiance avec cette brume qui  voile tous les édifices et donne à la lagune des teintes étranges bigarrées de toutes les nuances du vert. Et puis, se rapprochant peu à peu, les murailles en brique rose qui entourent l'île San Michele, apparaissent.

  L'île a servi de prison comme nous l'indique Chateaubriand à propos de Sylvio Pellico. Elle est devenue le cimetière de la ville sur l'ordre de Napoléon au début du XIX siècle. L'église San Michele avec son joli cloître a été construite dans les années 1470 par Codussi.

Cloître de l'église San Michele
Si la partie moderne du cimetière avec ces caveaux à étages manque de charme, il y a beaucoup de nostalgie dans les parties anciennes, verdoyantes avec ses cyprès et ses magnolias, avec ces tombes toutes simples, couvertes de mousse, et qui semblent faire corps avec la terre.

Soldats morts à la guerre de 1914
 Les lions de pierre semblent garder la grille d'entrée.

Lions du cimetière Sans Michele
Des chapelles croulant sous le lierre cachent des mosaïques colorées. 

Mosaïque chapelle du cimetière San Michele

Mosaïque chapelle du cimetière San Michele
Nous avons trouvé la tombe de Igor Stravinsky et celle de Diaghilev, toutes deux ornées de chaussons de danse que les intempéries malmènent et noircissent.

Tombe de Diaghilev

Tombe de Igor Stravinsky

Sur l'une des tombes, la photographie d'une jeune fille de 19 ans, danseuse, moins célèbre que ses illustres aînés... Une paire de chaussons que ses proches ont recouverte d'une couche dorée est posée sur la pierre et incline à la mélancolie. D'ailleurs, l'humidité qui règne dans le cimetière et la nostalgie liée à tous ces visages qui nous regardent dans leur médaillon, surtout ceux des enfants disparus si tôt, me donnent envie de fuir.
Je me retrouve ainsi dans le dilemme qui se pose aux voyageurs :  Venise est-elle cette ville moribonde qui s'enfonce peu à peu dans l'eau et paraît vouée à la mort et à la mélancolie, la ville de Thomas Mann et de Visconti ? Philippe Sollers dans son dictionnaire amoureux de Venise cite Chateaubriand :
"Venise ! Nos destins ont été pareils, mes songes s'évanouissent à mesure que vos palais s'écroulent; les heures de mon printemps sont noircies comme les arabesques dont le faîte de vos monuments sont ornés. Mais vous périssez à votre insu; moi je sais mes ruines.... Le vent qui souffle sur une tête à demi dépouillée ne vient d'aucun rivage heureux."   
Mais Sollers conclut ainsi : "Cent soixante-dix ans après ce requiem, on aurait presque honte d'être aujourd'hui pleinement heureux en train d'écrire et qui plus est avec une femme que l'on aime, à Venise. Mais la honte n'est pas au programme de notre philosophie.

... ou bien une cité gaie, active, dont les habitants aiment à s'amuser et à rire.

Les peintres, de Girgiono à Titien, de Pierre Longhi à Tiepolo; les musiciens de Monteverdi, qui célèbre les amours scandaleuses de Néron et de Poppée, à Vivaldi qui fait frémir les violons comme des peaux au soleil; les écrivains de Goldoni à Gozzi, qui fournissaient aux scènes de théâtre des comédies étincelantes, sans craindre les sujets lestes : tous ont exalté a satiété ce plaisir de vivre, cette joie des corps. Comparez la peinture florentine linéaire, maigre, austère à la peinture vénitienne, à ces Vénus plantureuses et fruitées, et vous comprendrez tout de suite pourquoi Diaghilev et Stravinsky, ces princes de la sensualité triomphante, ont voulu être enterrés dans l'île de San Michele, à portée de cloches de la basilique San Marco. (Dominique Fernandez préface culture guides Venise)

Nous voilà à nouveau dans le vaporetto, lieu solide et réel, en route vers le sestiere du Cannaregio et ses petits canaux pittoresques.

Chateaubriand :  Quatrième partie des Mémoires d'Outre-tombe Livre VI
Venise, septembre 1833.

Nous sommes allés voir cet autre champ qui attend le grand laboureur. Saint-Michel de Murano est un riant monastère avec une église élégante, des portiques et un cloître blanc. Des fenêtres du couvent on aperçoit, par-dessus les portiques, les lagunes et Venise ; un jardin rempli de fleurs va rejoindre le gazon dont l’engrais se prépare encore sous la peau fraîche d’une jeune fille. Cette charmante retraite est abandonnée à des Franciscains ; elle conviendrait mieux à des religieuses chantant comme les petites élèves des Scuole de Rousseau. « Heureuses celles, dit Manzoni, qui ont pris le voile saint avant d’avoir arrêté leurs yeux sur le front d’un homme ! »
Donnez-moi là, je vous prie, une cellule pour achever mes Mémoires.
Fra Paolo est inhumé à l’entrée de l’église ; ce chercheur de bruit doit être bien furieux du silence qui l’environne.
Pellico, condamné à mort, fut déposé à Saint-Michel avant d’être transporté à la forteresse du Spielberg. Le président du tribunal où comparut Pellico remplace le poète à Saint-Michel ; il est enseveli dans le cloître ; il ne sortira pas, lui, de cette prison.
Non loin de la tombe du magistrat, est celle d’une femme étrangère mariée à l’âge de vingt-deux ans, au mois de janvier ; elle décéda au mois de février suivant. Elle ne voulut pas aller au-delà de la lune de miel ; l’épitaphe porte : Ci revedremo. Si c’était vrai !
Arrière ce doute, arrière la pensée qu’aucune angoisse ne déchire le néant ! Athée, quand la mort vous enfoncera ses ongles au cœur, qui sait si dans le dernier moment de connaissance, avant la destruction du moi, vous n’éprouverez pas une atrocité de douleur capable de remplir l’éternité, une immensité de souffrance dont l’être humain ne peut avoir l’idée dans les bornes circonscrites du temps ? Ah ! oui, ci revedremo.


mercredi 16 janvier 2013

Sur les traces de Chateaubriand de Saint Malo à Combourg, Les mémoires d'Outre-tombe


Je ne pouvais pas aller à Saint Malo sans chercher la maison où est né François-René de Chateaubriand le 4 Septembre 1768. A vrai dire, il n'est pas trop difficile de la trouver!

Saint Malo



La maison qu'habitaient alors mes parents est située dans une rue sombre et étroite de Saint−Malo, appelée la rue des Juifs : cette maison est aujourd'hui transformée en auberge. La chambre où ma mère accoucha domine une partie déserte des murs de la ville, et à travers les fenêtres de cette chambre on aperçoit une mer qui s'étend à perte de vue, en se brisant sur des écueils. J'eus pour parrain, comme on le voit dans mon extrait de baptême, mon frère, et pour marraine la comtesse de Plouër, fille du maréchal de Contades. J'étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement des vagues, soulevées par une bourrasque annonçant l'équinoxe d'automne, empêchait d'entendre mes cris : on m'a souvent conté ces détails ; leur tristesse ne s'est jamais effacée de ma mémoire. Il n'y a pas de jour où, rêvant à ce que j'ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m'infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil, le frère infortuné qui me donna un nom que j'ai presque toujours traîné dans le malheur. Le Ciel sembla réunir ces diverses circonstances pour placer dans mon berceau une image de mes destinées. (Livre 1 chapitre Mémoires d'Outre−tombe)


La cour intérieure de la maison telle qu'elle était au XIX ème siècle.

Combourg




En sortant de l'obscurité du bois, nous franchîmes une avant−cour plantée de noyers, attenante au jardin et à la maison du régisseur ; de là nous débouchâmes par une porte bâtie dans une cour de gazon, appelée la Cour Verte. A droite étaient de longues écuries et un bouquet de marronniers ; à gauche, un autre bouquet de marronniers. Au fond de la cour, dont le terrain s'élevait insensiblement, le château se montrait entre deux groupes d'arbres. Sa triste et sévère façade présentait une courtine portant une galerie à mâchicoulis, denticulée et couverte. Cette courtine liait ensemble deux tours inégales en âge, en matériaux, en hauteur et en grosseur, lesquelles tours se terminaient par des créneaux surmontés d'un toit pointu, comme un bonnet posé sur une couronne gothique.
Quelques fenêtres grillées apparaissaient çà et là sur la nudité des murs. Un large perron, raide et droit, de vingt−deux marches, sans rampes, sans garde−fou, remplaçait sur les fossés comblés l'ancien pont−levis ; il atteignait la porte du château, percée au milieu de la courtine. Au−dessus de cette porte on voyait les armes des seigneurs de Combourg, et les taillades à travers lesquelles sortaient jadis les bras et les chaînes du pont−levis.
La voiture s'arrêta au pied du perron ; mon père vint au−devant de nous. La réunion de la famille adoucit si fort son humeur pour le moment, qu'il nous fit la mine la plus gracieuse.
(Livre 1 chapitre 7 Mémoires d'Outre−tombe)




Les distractions du dimanche expiraient avec la journée ; elles n'étaient pas même régulières. Pendant la mauvaise saison, des mois entiers s'écoulaient sans qu'aucune créature humaine frappât à la porte de notre forteresse. Si la tristesse était grande sur les bruyères de Combourg, elle était encore plus grande au château : on éprouvait, en pénétrant sous ses voûtes, la même sensation qu'en entrant à la chartreuse de Grenoble. Lorsque je visitai celle−ci en 1805, je traversai un désert, lequel allait toujours croissant ; je crus qu'il se terminerait au monastère ; mais on me montra, dans les murs mêmes du couvent, les jardins des Chartreux encore plus abandonnés que les bois. Enfin, au centre du monument, je trouvai enveloppé dans les replis de toutes ces solitudes, l'ancien cimetière des cénobites ; sanctuaire d'où le silence éternel, divinité du lieu, étendait sa puissance sur les montagnes et dans les forêts d'alentour.  Le calme morne du château de Combourg était augmenté par l'humeur taciturne et insociable de mon père. Au lieu de resserrer sa famille et ses gens autour de lui, il les avait dispersés à toutes les aires de vent de l'édifice. (livre 3 chapitre 3 Mémoires d'Outre−tombe)





La terre de Combourg n'avait pour tout domaine que des landes, quelques moulins et les deux forêts, Bourgouët et Tanoërn, dans un pays où le bois est presque sans valeur. Mais Combourg était riche en droits féodaux ; ces droits étaient de diverses sortes : les uns déterminaient certaines redevances pour certaines concessions, ou fixaient des usages nés de l'ancien ordre politique ; les autres ne semblaient avoir été dans l'origine que des divertissements.
Mon père avait fait revivre quelques−uns de ces derniers droits, afin de prévenir la prescription. Lorsque toute la famille était réunie, nous prenions part à ces amusements gothiques : les trois principaux étaient le Saut des poissonniers, la Quintaine, et une foire appelée l'Angevine. Des paysans en sabots et en braies, hommes d'une France qui n'est plus, regardaient ces jeux d'une France qui n'était plus. Il y avait prix pour le vainqueur, amende pour le vaincu.
La Quintaine conservait la tradition des tournois : elle avait sans doute quelque rapport avec l'ancien service militaire des fiefs. Elle est très−bien décrite dans du Cange (Voce Quintana). On devait payer les amendes en ancienne monnaie de cuivre, jusqu'à la valeur de deux moutons d'or à la couronne de 25 sols parisis chacun.
La foire appelée l'Angevine se tenait dans la prairie de l'étang, le 4 septembre de chaque année, le jour de ma naissance. Les vassaux étaient obligés de prendre les armes, ils venaient au château lever la bannière du seigneur ; de là ils se rendaient à la foire pour établir l'ordre, et prêter force à la perception d'un péage dû aux comtes de Combourg par chaque tête de bétail, espèce de droit régalien. A cette époque, mon père tenait table ouverte. On ballait pendant trois jours : les maîtres, dans la grand−salle, au raclement d'un violon ; les vassaux, dans la Cour Verte, au nasillement d'une musette. On chantait, on poussait des huzzas on tirait des arquebusades. Ces bruits se mêlaient aux mugissements des troupeaux de la foire ; la foule vaguait dans les jardins et les bois et du moins une fois l'an, on voyait à Combourg quelque chose qui ressemblait à de la joie.
Ainsi, j'ai été placé assez singulièrement dans la vie pour avoir assisté aux courses de la Quintaine et à la proclamation des Droits de l'Homme ; pour avoir vu la milice bourgeoise d'un village de Bretagne et la garde nationale de France, la bannière des seigneurs de Combourg et le drapeau de la Révolution. Je suis comme le dernier témoin des moeurs féodales. (Livre 2 chapitre 2)





Le soir je m'embarquais sur l'étang, conduisant seul mon bateau au milieu des joncs et des larges feuilles flottantes du nénuphar. Là, se réunissaient les hirondelles prêtes à quitter nos climats. Je ne perdais pas un seul de leurs gazouillis : Tavernier enfant était moins attentif au récit d'un voyageur. Elles se jouaient sur l'eau au tomber du soleil, poursuivaient les insectes, s'élançaient ensemble dans les airs, comme pour éprouver leurs ailes, se rabattaient à la surface du lac, puis se venaient suspendre aux roseaux que leur poids courbait à peine, et qu'elles remplissaient de leur ramage confus. La nuit descendait ; les roseaux agitaient leurs champs de quenouilles et de glaives, parmi lesquels la caravane emplumée, poules d'eau, sarcelles, martins−pêcheurs, bécassines, se taisait ; le lac battait ses bords ; les grandes voix de l'automne sortaient des marais et des bois : j'échouais mon bateau au rivage et retournais au château. Dix heures sonnaient. (Livre 3 chapitres 12 et 13)




La vie que nous menions à Combourg, ma soeur et moi, augmentait l'exaltation de notre âge et de notre caractère. Notre principal désennui consistait à nous promener côte à côte dans le grand Mail, au printemps sur un tapis de primevères, en automne sur un lit de feuilles séchées, en hiver sur une nappe de neige que brodait la trace des oiseaux, des écureuils et des hermines. Jeunes comme les primevères, tristes comme la feuille séchée, purs comme la neige nouvelle, il y avait harmonie entre nos récréations et nous.
Ce fut dans une de ces promenades, que Lucile, m'entendant parler avec ravissement de la solitude, me dit : " Tu devrais peindre tout cela. " Ce mot me révéla la muse, un souffle divin passa sur moi. Je me mis à bégayer des vers, comme si c'eût été ma langue naturelle ; jour et nuit je chantais mes plaisirs, c'est−à−dire mes bois et mes vallons ; je composais une foule de petites idylles ou tableaux de la nature. J'ai écrit longtemps en vers avant d'écrire en prose : M. de Fontanes prétendait que j'avais reçu les deux instruments.
(Livre 3 chapitre 7)

Le grand Be


Le Grand Be : tombeau de Chateaubriand

Saint−Malo n'est qu'un rocher. S'élevant autrefois au milieu d'un marais salant, il devint une île par l'irruption de la mer qui, en 709, creusa le golfe et mit le mont Saint−Michel au milieu des flots. Aujourd'hui, le rocher de Saint−Malo ne tient à la terre ferme que par une chaussée appelée poétiquement le Sillon. Le Sillon est assailli d'un côté par la pleine mer, de l'autre est lavé par le flux qui tourne pour entrer dans le port. Une tempête le détruisit presque entièrement en 1730. Pendant les heures de reflux, le port reste à sec, et à la bordure est et nord de la mer, se découvre une grève du plus beau sable. On peut faire alors le tour de mon nid paternel. Auprès et au loin, sont semés des rochers, des forts, des îlots inhabités ; le Fort−Royal, la Conchée, Cézembre et le Grand−Bé, où sera mon tombeau ; j'avais bien choisi sans le savoir : be, en breton, signifie tombe. (L 1 Chapitre 3)  


Lettre de remerciement au maire de Saint Malo :
Je n'avais jamais prétendu et je n'aurais jamais osé espérer, Monsieur, que ma ville natale se chargeât des frais de ma tombe. Je ne demandais qu'à acheter un morceau de terre de vingt pieds de long sur douze de large, à la pointe occidentale du Grand-Bé. J'aurais entouré cet espace d'un mur à fleur de terre, lequel aurait été surmonté d'une simple grille de fer peu élevée, pour servir non d'ornement, mais de défense à mes cendres. Dans l'intérieur je ne voulais placer qu'un socle de granit taillé dans les rochers de la grève. Ce socle aurait porté une petite croix de fer. Du reste, point d'inscription, ni nom, ni date. La croix dira que l'homme reposant à ses pieds était un chrétien : cela suffira à ma mémoire.






jeudi 24 novembre 2011

François-René de Chateaubriand : Mémoires d'Outre-tombe (2)


Pour la citation du jeudi continuons ensemble la lecture de ce premier volume des Mémoires d'Outre-Tombe dans lequel Chateaubriand narre son enfance. Ce passage célèbre raconte les soirées passées au château de Combourg ainsi que les nuits dans le donjon isolé où l'enfant était relégué à l'écart des autres.

Vie à Combourg-journées, soirées

Ce torrent de paroles écoulé, j’appelais la femme de chambre, et je reconduisais ma mère et ma sœur à leur appartement. Avant de me retirer, elles me faisaient regarder sous les lits, dans les cheminées, derrière les portes, visiter les escaliers, les passages et les corridors voisins. Toutes les traditions du château, voleurs et spectres, leur revenaient en mémoire. Les gens étaient persuadés qu’un certain comte de Combourg, à jambe de bois, mort depuis trois siècles, apparaissait à certaines époques, et qu’on l’avait rencontré dans le grand escalier de la tourelle ; sa jambe de bois se promenait aussi quelquefois seule avec un chat noir.
Mon donjon
La fenêtre de mon donjon s'ouvrait sur la cour intérieure ; le jour, j'avais en perspective les créneaux de la courtine opposée, où végétaient des scolopendres et croissait un prunier sauvage. Quelques martinets qui, durant l'été, s'enfonçaient en criant dans les trous des murs, étaient mes seuls compagnons. La nuit, je n'apercevais qu'un petit morceau du ciel, et quelques étoiles. Lorsque la lune brillait et qu'elle s'abaissait à l'occident, j'en étais averti par ses rayons, qui venaient à mon lit au travers des carreaux losangés de la fenêtre. Des chouettes, voletant d'une tour à l'autre, passant et repassant entre la lune et moi, dessinaient sur mes rideaux l'ombre mobile de leurs ailes. Relégué dans l'endroit le plus désert, à l'ouverture des galeries, je ne perdais pas un murmure des ténèbres. Quelquefois, le vent semblait courir à pas légers ; quelquefois, il laissait échapper des plaintes ; tout à coup, ma porte était ébranlée avec violence, les souterrains poussaient des mugissements, puis ces bruits expiraient pour recommencer encore. A quatre heures du matin, la voix du maître du château, appelant le valet de chambre à l'entrée des voûtes séculaires, se faisaient entendre comme la voix du dernier fantôme de la nuit. Cette voix remplaçait pour moi la douce harmonie au son de laquelle le père de Montaigne éveillait son fils.
L'entêtement du comte de Chateaubriand à faire coucher un enfant seul au haut d'une tour pouvait avoir quelque inconvénient ; mais il tourna à mon avantage. Cette manière violente de me traiter me laissa le courage d'un homme, sans m'ôter cette sensibilité d'imagination dont on voudrait aujourd'hui priver la jeunesse. Au lieu de me chercher à me convaincre qu'il n'y avait point de revenants, on me força de les braver. Lorsque mon père me disait d'un sourire ironique : « Monsieur le Chevalier aurait-il peur ? » il m'eût fait coucher avec un mort. Lorsque mon excellente mère me disait : « Mon enfant, tout n'arrive que par la permission de Dieu ; vous n'avez rien à craindre des mauvais esprits, tant que vous serez bon chrétien », j'étais mieux rassuré que par tous les arguments de la philosophie.




jeudi 17 novembre 2011

François-René de Chateaubriand : Mémoires d'Outre-tombe

Philipp Otto Runge (1806) peintre allemand romantique

J'ai parlé mardi des Mémoires d'Outre-Tombe de François-René de Chateaubriand  et de ce tome I que j'aime tant, consacré aux souvenirs de sa jeunesse à Saint Malo ou à Combourg.  Je ne résiste pas aujourd'hui à vous présenter un passage.  Chateaubriand raconte les sottises de petit galopin qu'il commettait avec son premier ami, Gesril. L'enfance a peu changé!

Nous étions un dimanche sur la grève, à l’éventail de la porte Saint-Thomas à l’heure de la marée. Au pied du château et le long du Sillon, de gros pieux enfoncés dans le sable protègent les murs contre la houle. Nous grimpions ordinairement au haut de ces pieux pour voir passer au-dessous de nous les premières ondulations du flux. Les places étaient prises comme de coutume : plusieurs petites filles se mêlaient aux petits garçons. J’étais le plus en pointe vers la mer, n’ayant devant moi qu’une jolie mignonne, Hervine Magon, qui riait de plaisir et pleurait de peur. Gesril se trouvait à l’autre bout, du côté de la terre. Le flot arrivait, il faisait du vent ; déjà les bonnes et les domestiques criaient : « Descendez, Mademoiselle ! descendez, Monsieur ! ». Gesril attend une grosse lame : lorsqu’elle s’engouffre entre les pilotis, il pousse l’enfant assis auprès de lui ; celui-là se renverse sur un autre : celui-ci sur un autre : toute la file s’abat comme des moines de cartes, mais chacun est retenu par son voisin ; il n’y eut que la petite fille de l’extrémité de la ligne sur laquelle je chavirai qui, n’étant appuyée par personne, tomba. Le jusant l’entraîne ; aussitôt mille cris, toutes les bonnes retroussant leurs robes et tripotant dans la mer, chacune saisissant son marmot et lui donnant une tape. Hervine fut repêchée ; mais elle déclara que François l’avait jetée bas. Les bonnes fondent sur moi ; je leur échappe ; je cours me barricader dans la cave de la maison : l’armée femelle me pourchasse. Ma mère et mon père étaient heureusement sortis. La Villeneuve défend vaillamment la porte et soufflette l’avant-garde ennemie. Le véritable auteur du mal, Gesril, me prête secours : il monte chez lui, et avec ses deux soeurs jette par les fenêtres des potées d’eau et des pommes cuites aux assaillantes. Elles levèrent le siège à l’entrée de la nuit ; mais cette nouvelle se répandit dans la ville, et le chevalier de Chateaubriand, âgé de neuf ans, passa pour un homme atroce, un reste de ces pirates dont saint Aaron avait purgé son rocher.

Miriam dans son blog Carnets de Voyage a illustré le même texte des Mémoires d'Outre-Tombe avec des photos prises lors de son séjour à Saint-Malo : Allez voir ICI




Avec Chiffonnette

mardi 15 novembre 2011

Invitation au romantisme avec Chateaubriand pour guide




Naissance à Saint Malo le 4 Septembre 1768 :  
"Il n'y a pas de jour ou je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre ou ma mère m'infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil..." Mémoires d'Outre-Tombe


 De temps en temps, je vous inviterai à aller voir de blog en blog les billets écrits dans le cadre du challenge romantique afin d'en découvrir les richesses et trésors. Il ne s'agira pas d'un bilan mais d'un voyage  dans l'univers romantique de la blogosphère.

VOYAGE AVEC MIRIAM

Aujourd'hui c'est le blog de Miriam Carnet de voyages que je vous invite à aller visiter.  Elle nous amène en Bretagne avec François-René de Chateaubriand pour guide et vous allez pouvoir la suivre en mettant vos pas dans ceux du grand écrivain romantique.

Avant de vous présenter les billets de Miriam, quelques mots sur les Mémoires d'Outre-Tombe qui lui servent de guide...

En 1830, Chateaubriand se retire définitivement des affaires publiques mais il refuse de publier ses Mémoires, celles-ci présentant des réflexions et des jugements concernant des personnages politiques encore en  place.  Il déclare que ses Mémoires ne pourront être publiés qu' "Outre-Tombe". Son éditeur, Monsieur Delloye, achète les droits de ce volumineux manuscrit en 1836 avec la promesse de ne les publier qu'à la mort de l'écrivain qui survient en Juillet 1848.
Selon ses voeux  Chateaubriand sera inhumé sur le Grand Bé, dans la rade de Saint Malo : je reposerai donc au bord de la mer que j'ai tant aimée.
J'ai dans ma bibliothèque les six tomes des Mémoires d'Outre-tombe, chacun de près de cinq cents pages magnifiquement illustrées de gravures de l'époque. Je ne les ai jamais tous lus. Il y a tant de détails,  tant d'évènements, de personnages célèbres jadis mais que je ne connais pas, que la lecture m'a paru parfois bien compliquée voire ennuyeuse. Je préfère les feuilleter pour chercher des passages sur  précis, souvenirs de ses voyages en Provence ou en Italie, par exemple.
Mais j'ai lu, par contre, le tome 1 avec beaucoup de plaisir. C'est celui de l'enfance et de l'adolescence et Chateaubriand y égrène des souvenirs pleins de vivacité, amusants ou tristes, des anecdotes pittoresques. Il nous décrit ce qu'était l'éducation d'un enfant de la noblesse, nous parle de sa soeur bien aimée Lucile, des premières atteintes de cette mélancolie qui a été la sienne toute sa vie.  Et surtout, il nous parle de Saint Malo, sa ville, nous promène sur le port ou au bord de la grève, face aux îlots  Le Fort-Royal, La Conchée, Cézembre et le Grand-Bé,  Plancoet, le joli village près de Dinan, où il a été confié à sa nourrice, le château de Combourg, terre de ses ancêtres ...

 Saint-Malo n’est qu’un rocher. S’élevant autrefois au milieu d’un marais salant, il devint une île par l’irruption de la mer qui, en 709, creusa le golfe et mit le mont Saint-Michel au milieu des flots. Aujourd’hui, le rocher de Saint-Malo ne tient à la terre ferme que par une chaussée appelée poétiquement le Sillon. Le Sillon est assailli d’un côté par la pleine mer, de l’autre est lavé par le flux qui tourne pour entrer dans le port. Une tempête le détruisit presque entièrement en 1730. Pendant les heures de reflux, le port reste à sec, et, à la bordure est et nord de la mer, se découvre une grève du plus beau sable. On peut faire alors le tour de mon nid paternel. Auprès et au loin, sont, semés des rochers, des forts, des îlots inhabités : le Fort-Royal, la Conchée, Césembre et le Grand-Bé, où sera mon tombeau ; j’avais bien choisi sans le savoir : bé, en breton, signifie tombe.

C'est ce voyage que Miriam a accompli pour nous.

Le Grand-Bé, tombeau de Chateaubriand image de Miriam


 Prendre Chateaubriand pour guide
Chateaubriand est omniprésent dans la région. On entre dans la ville close de Saint-Malo sur la place Chateaubriand où se trouve l'hôtel Chateaubriand non loin de sa maison natale. Du haut des remparts on devine son tombeau sur le Grand-Bé. Plancoët, le village de sa nourrice, Combourg, le château où il a passé son enfance et son adolescence,  Dol où il a été au collège, Dinan et de nombreux manoirs conservent des souvenirs de son passage.... Lire la suite


Les Remparts de Saint Malo
Sur la plage, des théories rejoignent les îlots du grand Bé et du  Petit Bé  découverts, à marée basse. Je descends des escaliers très raides pour me joindre aux pèlerins qui vont défiler devant la tombe de Chateaubriand avant que la marée ne remonte Lire la suite

 Château de Combourg :  image de Miriam

Combourg et Dol de Bretagne
 Le château de Combourg, propriété des Chateaubriand depuis les Croisades, se visite accompagné.  Avant la visite, je parcours le parc sur des allées sablées entre des châtaigniers  et découvre l’étang beaucoup plus sauvage et joli que le lac qui borde la ville...
Un  haut escalier droit conduit au perron. L’entrée est décorée au goût du XIXème avec murs peints et trophées de chasse.  Dans la chapelle, la mère de l’écrivain, très pieuse, passait  beaucoup de temps à méditer et prier.  Lire la suite

 Retour par Plancoet :
 En sortant du sein de ma mère, je subis mon premier exil; on me relégua à Plancoet, joli village entre Dinan, Saint Malo et Lamballe....
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 Randonnée sur la digue de la duchesse Anne
A ma gauche, les vagues et les salicornes très humides, à marée haute peut être après la pluie de cette nuit. Des mares avec des affûts ont sans doute été creusées par les chasseurs de gibier d’eau. A ma droite dans le polder, des vaches, des moutons, des saladesLire la suite