Henri Pollès est né en 1909 à Tréguier (Côtes d'Armor). Son père, ingénieur de la navigation, est nommé à Nantes . C'est dans cette ville qu'il fait ses études secondaires. Il se découvre une passion précoce de collectionneur, amassant entre autres choses, timbres, cartes postales, programmes, boîtes d'allumettes et mêmes billets de tramway Tous les étés, il retrouve sa ville natale où il imagine son héroïne, Sophie de Tréguier. Parallèlement à sa vie littéraire, Pollès s'engage un temps dans le débat politique et dans le journalisme?. Il collabora au journal Giustizia e liberta, publication italienne contre le fascisme et fit un reportage sur L'Espagne pour le magazine Vendredi. Connaissant des jours de misère, déçu du peu de succès littéraire et d'avoir plusieurs fois raté le Goncourt, Henri Pollès mit sa carrière littéraire de côté et devint courtier en livres, à la fois pour avoir un revenu stable et assouvir sa grande passion de collectionneur. Ce n'est qu'après presque vingt ans de silence, en 1982, qu'il publia de nouveau un roman lequel lui valut le prix Paul Morand de l'Académie française. Il est décédé en 1994 dans l'incendie de sa maison et son corps est inhumé dans le cimetière de Tréguier.
Bibliophile éclairé, Henri Pollès avait une impressionnante collection d'ouvrages. 30 000 de ses livres firent l'objet d'un don en1988 la ville de Rennes, sauvant ainsi une partie de sa collection inestimable des flammes qui plus tard ravagèrent son pavillon de Brunoy (Essonne)
Des titres : Toute guerre se fait la nuit, Amour, ma douce mort, Le Fils de l'auteur, Sur le fleuve de sang vient parfois un beau navire..
Sophie de Tréguier
Sophie de Tréguier
Les livres des auteurs bretons du XIX siècle ne cessent de me surprendre. Ils nous révèlent une Bretagne dure, âpre, où la vie est une lutte, ou les gens sont austères, durs et méfiants, repliés sur eux-mêmes, cruels et parfois primitifs. Je vais bientôt écrire à ce propos sur des romans comme Le crucifié de Keraliès de Le Goffic, le gardien du feu d'Anatole le Braz, ou La tour d'amour de Rachilde..
Sophie de Tréguier (1933) de Henri Pollès qui se passe dans la première partie du XX siècle est aussi un livre cruel, non pas comme les précédents où la dureté côtoient la folie, mais plus subtilement, plus insidieusement. Cela n'en est pas moins efficace!
Sophie est une charmante jeune fille de santé fragile et d'une grande gentillesse. Sa mère, commerçante, tient une épicerie et économise sur tout pour faire une dot à sa fille qu'elle couve d'un amour possessif, insensible aux sentiments de Sophie qu'elle est bien incapable de comprendre. Son père, artisan, est avant tout un bon à rien et un ivrogne mais pas méchant. Il vénère aussi sa fille mais dilapide l'argent que gagne la mère. Voilà pour la famille! Quant aux Trégorrois, ils adorent les ragots, ils connaissent la vie de chacun et les commérages médisants sont "si amusants, si pittoresques, et la chronique du mal est tellement plus variée et attrayante que celle du bien". Bons paroissiens au demeurant! Bref! ils ne se privent pas de dire du mal des uns et des autres et Sophie n'échappera pas à leur méchanceté qui finira par la tuer. Surtout quand elle tombe amoureuse de Yves, le bel officier de marine, et que celui-ci l'abandonne pour une fille en meilleure santé et plus riche qu'elle!
Sophie de Tréguier est un drame même s'il n'y pas de meurtres ni de violence physique, de sentiments emportés et excessifs, un drame sans bruit ni fureur, discret et étouffé. Celui-d'une jeune fille trop sensible, trop douce, qui a peur de faire du mal à sa mère en la quittant, qui fait toujours passer ceux qu'elle aime avant elle-même. Henri Pollès décrit avec précision, comme une étude clinique, comment la méchanceté et la calomnie peuvent tuer. Les gens, le fiancé, lâche et influençable, la mère, égoïste et avare, les commères mal intentionnées, ne sont pas des barbares ou des brutes, ce sont des êtres médiocres, intéressés, égoïstes... bref! des gens "normaux" mais des meurtriers tout de même.
J'avoue que j'ai été assez déstabilisée par le style de l'auteur surtout quand il imite le parler français des bretons trégorrois! Je n'ai pas aimé non plus l'intervention de l'auteur-narrateur, à plusieurs reprises, comme si le lecteur ne pouvait comprendre seul. C'est souvent en moraliste qu'il analyse les sentiments. La voix qui se fait entendre est désabusée, sans illusions, voire misanthrope. Ces accents d'indignation m'ont gênée! Pourtant je me suis laissée prendre par l'histoire car les sentiments de la jeune fille sont très bien analysés. Peu à peu, l'on prend conscience qu'elle n'est pas de taille à lutter et qu'une prison morale se referme sur elle. Sophie est une jeune fille qui vit de rêves et la réalité ne peut être à leur hauteur, elle se révèlera toujours décevante. Une Emma Bovary vertueuse et confite en dévotion en pays breton mais une Emma tout de même!
La description de la société bretonne est intéressante et il y a même des scènes de genre comme cette messe du dimanche où l'on vient faire admirer sa toilette, ou la foire de la Saint-Yves, ou le mariage campagnard... Les légendes, les superstitions, les rencontres avec l'Ankou, cet auxiliaire de la mort, et les revenants hantent les esprits.. Paganisme et religion catholique se confondent souvent.
A noter que Pollès avec ce roman a été en concurrence avec le Céline de Voyage au bout de la nuit pour le prix du roman populaire en 1932. C'est lui qui l'a emporté!