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lundi 18 mars 2024

Yan Lespoux : Pour mourir, le monde


Dans Pour Mourir, le monde, Yan Lespoux, historien, universitaire spécialiste de la civilisation occitane, s’appuie sur un fait historique, le plus grand naufrage de l’histoire de la marine portugaise en janvier 1627 sur les côtes françaises de Saint-Jean-de-Luz et d'Arcachon jusqu’au Médoc à la suite de tempêtes violentes. 
 
 
Francisco Manuel de Melo ,, écrivain portugais et marin

 
 
Yan lespoux s'inspire des mémoires du capitaine-mor dom Manuel de Meneses, qui publia un mémoire, de dom Francisco Manuel de Melo, écrivain et marin, qui raconta son histoire trente ans après, et du livre de Jean-Yves Blot et Patrick Lizé qui ont réuni de nombreux documents retrouvés dans les archives espagnoles, portugaises et françaises.
Voilà quel est le bilan de ces naufrages d'après ces études  : «  7 navires coulés, deux énormes caraques des Indes de 1800 tonneaux, chargées de pierres précieuses et d'épices, escortées par cinq galions de guerre portant la fine fleur de l'aristocratie portugaise, 2000 morts, 300 rescapés. Tout cela donna lieu à un imbroglio diplomatique entre la France et le Portugal, qui impliqua le duc d'Epernon, Richelieu, Louis XIII, l'Eglise et les grandes familles du Médoc. Car si les " bourgeois " de Saint-Jean-de-Luz recueillirent des naufragés, plus au nord, sur les côtes des Landes et du Médoc, les Français pillèrent les épaves et massacrèrent les survivants. »
 
 
 
 Une caraque

 
 De Gao :  Le roman débute avec le naufrage, sur la côte du Médoc, à Lacanau, de la caraque Sao Bartolomeu, avec à sa tête, le capitaine-mor Vincente de Brito, navire revenant des Indes.  ll y avait à bord cinq cents voyageurs et un chargement d’une valeur inestimable, épices, pierres précieuses, étoffes. Il n’y eut que douze survivants. Fernando Teixeira, jeune portugais, personnage fictif du roman est l’un des leurs. Pauvre, orphelin, il a été recruté de force dans l’armée portugaise et amené aux Indes où il eut une vie aventureuse qui finit par le conduire dans les geôles de la Sainte Inquisition à Goa. Gracié, il embarque pour un retour au Portugal sur le Saint Bartolomeu et projette de voler les diamants transportés à bord, avec l’intention de sortir de sa condition car « naître petit et mourir grand est l’accomplissement d’un homme » dit le poème d’Antonio Vieira, mis en exergue du roman :  « Pour naître le Portugal; pour mourir le Monde. »

Dans le Médoc :  Fernando va rencontrer Marie. Cette dernière, une fille qui sait se défendre, a blessé un fils de famille qui l’agressait et doit se cacher des autorités dans les landes sauvages du Médoc, chez son oncle Louis, un homme brutal, pilleur d’épaves. Celui-ci qui règne par la terreur sur un peuple de travailleurs primitifs et misérables. Ces hommes vont non seulement piller les richesses de la nef mais aussi achever les rares rescapés.


Piet Heyn, le commandant de la flotte hollandaise occupe Bahia

De Salvador de Bahia :  Au Brésil, vit Diogo, dont les parents ont été brûlés vifs pendant le siège mené par la marine Hollandaise pour enlever la ville aux Portugais. Ces derniers, avec à sa tête Dom Manuel de Meneses secondé par les espagnols, vont reprendre Bahia. A cette époque le Portugal, au grand dam des nobles portugais, était alors réuni à la couronne d’Espagne. Au cours de cette guerre Diogo et son ami, un indien Tupinamba, Ignacio, deviennent les aides de camp de Dom Manuel Meneses et partiront avec lui vers le Portugal. Plus tard, sommés par le roi d’escorter les caraques venues de l’Inde, leur galion le Santo Antonio et Sao Diogo fera naufrage devant Saint Jean de Luz.

C’est ainsi que Yan Lespoux mène ses trois personnages principaux à travers les océans et de points de l’horizon diamétralement opposés jusqu’aux côtes françaises où ils se rencontreront, une navigation houleuse et tumultueuse qui se double d’une traversée de l’enfance à l’âge adulte, tout au long de ce roman initiatique.

Le roman de Yan Lespoux est très enlevé et bien écrit ! Les descriptions sont à la hauteur des éléments déchaînés, des pays exotiques. De plus, l’écrivain se révèle un bon conteur et nous plonge dans un récit mouvementé et aventureux, agréable à lire par un effet proportionnellement contradictoire aux émotions rencontrées, plus j’ai peur, mieux c’est !  Oui, je sais ! Je dois avoir gardé mon âme d’enfant parce qu’après les romans qui parlent du froid, de la neige et de la survie dans le Grand Nord, juste après, j’adore toujours les récits de mers démontées et de bateaux en détresse, voire d’îles désertes.

 Découvrir la vie au bord d’une caraque ou d’un galion, braver les tempêtes, souffrir du scorbut, faire naufrage deux fois, échapper à l’inquisition, commercer avec les Indes, découvrir la misère et la sauvagerie des résiniers, des costejaires et des bergers des Landes dans notre France du XVII siècle, mesurer la misère des peuples, qu’ils soient colonisés, esclaves ou nés, comme Fernando, « au mauvais endroit », du mauvais côté de la barrière sociale, tout est passionnant !
 Le sérieux de la documentation nous permet de découvrir des faits historiques que je ne connaissais pas , ce naufrage, la reconquête de Bahia, la colonisation des Indes et la présence de l'Inquisition jusque là-bas,  et ceci, comme si on le vivait en même temps que les personnages. 

 

Dom Manuel de Meneses capitaine-mor du Sao Juilao et du Bartolemeu

De plus, le texte ne manque pas d’humour. J’ai aimé le personnage du noble portugais, le Fidalgo, Dom Manuel de Meneses, dont l’écrivain fait un portrait réjouissant par exemple lorsqu'il refuse d’échapper à la flotte anglaise plus nombreuse et mieux armée que lui à la faveur de la nuit. Il fait attacher un fanal à la poupe de son navire pour ne pas avoir l’air de fuir … d’où un premier naufrage quand il se fait canarder le lendemain matin  ! Ou encore en 1627 quand il discute de figures de style dans un texte de Lope de Vega avec Dom Manuel de Melo alors que son navire est en train de sombrer, malmené par les vagues de l’océan déchaîné. On rit de son sens de l’honneur qui n’a d’égal que sa stupidité mais qui finit par forcer l’admiration, porté à un degré tel que la démesure l’empêche d’être ridicule !  De plus sous ses airs de grand seigneur impassible, l’écrivain nous fait toucher l’homme, celui qui éprouve de la peur et trahit parfois ses faiblesses, un être humain, pas des meilleurs, mais humain, en quelque sorte ! Une personnalité historique que Yan Lespoux traite comme l'un de ses personnages et à qui il donne une complexité.
 

Donc un bon roman ! N'hésitez pas à embarquer ! A lire pour le plaisir de l’aventure et de la rencontre avec l’Histoire !  

Et puis, quand vous l'aurez lu, venez nous voir Fanja et moi,  pour nous dire ce que vous avez pensé de la fin ouverte du roman, l'écrivain ne précisant pas vraiment ce que ses personnages sont devenus !

Enfin, j'ajoute que j'aime ce livre parus aux éditions Agullo. Je trouve que c'est un bel objet  (conception de la couverture par Cyril Favory) avec la carte jaquette d'après Jan Huygen van Linschoten et les images de la première et quatrième de couverture d'Alfredo Roque Gameiro.

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