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jeudi 10 juin 2010

Jerzy Kosinski : L’oiseau bariolé





Le roman de Jerzy Kosinski, écrivain polonais, né à Varsovie en 1933, installé aux Etat-unis depuis 1957, est écrit en anglais et a été traduit en français en 1966. Il fut, nous dit-on, l'évènement littéraire de cette année-là! Et on le comprend quand si longtemps après, sa lecture produit un tel choc que l'on en sort bouleversé.  Une grande oeuvre mais qui peut vous faire désespérer de la nature humaine!

Pendant la guerre, les parents d'un petit garçon de six ans éloignent leur fils de Varsovie car le père risque d'être emprisonné pour ses activités antinazies. Ils croient ainsi lui donner des chances de survivre à l'abri de la violence en le confiant à une vieille femme, Marta, qui vit dans une des régions la plus reculée de la Pologne de l'Est, la plus pauvre et la plus primitive d'Europe centrale. Mais Marta meurt deux mois après l'arrivée du petit garçon et celui-ci dépend désormais de la bonne volonté des villageois et des paysans. Oui, mais voilà, la population a le teint clair, les cheveux blonds et les yeux bleus. L'enfant, lui, avec ses cheveux et ses yeux noirs est pris pour un juif ou un bohémien, deux races particulièrement haïes par cette population catholique (les juifs ont persécuté le Christ et méritent leurs souffrances) et superstitieuse, arriérée, qui croit que les yeux noirs sont capables de transmettre les infirmités, la peste et la mort. D'autre part, les allemands punissent la population qui aurait l'audace d'abriter un juif. Le gamin va subir tous les sévices, les violences et perversions de ces brutes humaines. Il ne devra sa survie qu'à sa chance et à sa débrouillardise. Pendant quatre ans il ne reverra pas ses parents et ira, comme des milliers d'autres enfants dans son cas, jusqu'au bout de l'Enfer.

Le titre du roman fait référence à l'amour frustre d'un paysan du village pour une fille qui vit hors du village après avoir été violée et est considérée comme folle. Lorsque celle-ci n'apparaît pas et reste cachée dans les bois, l'homme capture un oiseau et badigeonne ses ailes avec des peintures de toutes les couleurs. Puis il libère l'oiseau bariolé espérant le retour de la femme. Celui-ci vole vers ses semblables. Mais ceux-ci ne le reconnaissent pas comme un des leurs et l'accueillent à coups de bec et de griffes, le lacèrent et le mettent à mort.
C'est la métaphore du livre, l'histoire de ce petit garçon toujours en quête de ses semblables dont il a besoin pour survivre mais qui est rejeté et persécuté parce qu'il a les cheveux noirs.

Le roman est écrit à la première personne et c'est donc à travers les yeux d'un enfant tout d'abord innocent et naïf que l'on découvre le monde. Avec Marta, malgré ses croyances d'un autre âge, le gamin découvre la nature, les animaux et les souvenirs de sa vie passée sont encore assez forts pour lui permettre de surmonter le chagrin de la séparation. Mais c'est surtout après la mort de sa protectrice, qu'il va être confronté à la cruauté. Et d'abord, avec Olga, la guérisseuse, le garçon comprend sa différence et le mal qu'il porte en lui

Elle m'appelait l'Enfant noir : c'est d'elle que j'appris pour la première fois que j'étais possédé par un esprit malin... Le signe infaillible de la présence du démon, c'étaient ses yeux noirs ensorcelés, capables de soutenir sans ciller le regard des yeux clairs et brillants. Olga me soupçonnait d'être un vampire et ne s'en cachait pas.

Pendant toutes ces années de guerre et d'errance, il passe de mains en mains, chez des personnes qui le font travailler, l'exploitent, le frappent, le torturent. Peu à peu, il perd le souvenir de ses parents; il n'est désormais préoccupé que de sa survie. Il voit l'être humain dans ce qu'il a de plus noir, de plus abject. A dix ans, il n'a plus rien d'un enfant.
Parallèlement à son destin individuel, le jeune garçon est aussi le témoin d'une Pologne dévastée par la guerre, par la violence protéiforme dans un pays tiraillé par des forces contraires. L'occupation allemande entraîne la misère car l'armée prélève la plus grande partie des récoltes pour ses soldats et élimine systématiquement juifs et bohémiens. L'enfant voit passer des convois, les fameux wagons plombés, en direction des camps de concentration. Et puis, il y a les partisans polonais, les Rouges et les Blancs qui, selon qu'ils veulent ou non installer le communisme après guerre, s'entretuent et exécutent ceux qui paraissent soutenir les uns plus que les autres. Enfin, comble de l'horreur, il y a les Kalmouks, cavaliers mongols qui haïssent le régime soviétique et ont rejoint l'armée allemande. Ils sont utilisés pour des expéditions punitives menées contre les villages. Enfin, vient la libération de la Pologne par l'Armée Rouge et la vision des survivants des camps, squelettes vivants dans leur pyjama rayé. Toute l'horreur et la détresse d'un pays sous la plume d'un écrivain qui écrit avec fièvre comme pour exorciser le Mal absolu...

Ce roman montre avec une force bouleversante toute la barbarie de la guerre et du racisme et la violence nous paraît d'autant plus grande qu'elle est exercée contre un enfant.