Pages

Affichage des articles dont le libellé est J’accuse toute violence Montaigne. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est J’accuse toute violence Montaigne. Afficher tous les articles

vendredi 10 juin 2011

Montaigne : J’accuse toute violence..




"J'accuse toute violence en l'éducation d'une âme tendre, qu'on dresse pour l'honneur et pour la liberté."*
Telle est la conception que Montaigne se fait de l'éducation. Elle doit s'adresser à l'âme de l'enfant, pas seulement à son esprit ou à sa mémoire, et ceci quand il est tout jeune c'est à dire à l'âge tendre. Montaigne joue sur la polysémie du mot tendre qui évoque aussi une matière malléable, qui n'a pas encore pris sa forme, une cire prête à subir une empreinte définitive ou encore une argile que l'on façonnera à son gré. De là, la fragilité de l'enfance car si cette âme peut-être modelée pour le  bien, elle peut l'être aussi pour le mal. "Dresser" n'a pas ici un sens péjoratif  et ne renvoie pas à l'idée de "dressage" d'un animal, par la contrainte, sans appel à l'intelligence et la réflexion. Au contraire, il fait référence à l'étymologie latine directus : droit  que l'on peut retrouver dans droiture ou le droit chemin. Il s'agit d'amener  le jeune  enfant à respecter l'honneur et la liberté, à le rendre "droit". Le mot violence encore renforcé par le verbe "j'accuse" et l'adjectif indéfini "toute" est donc mis en antithèse avec les  deux termes "honneur et liberté" présentés comme le but de l'éducation.  L'une ne peut conduire aux deux autres. Le mot éducation retrouve son sens premier : éduquer,  "conduire",  amener en douceur vers l'honneur et la liberté, valeurs humanistes dont le sens est toujours d'actualité...
 "Il y a je ne sais quoi de servile en la rigueur et la contrainte, et tiens que ce qui peut se faire par la raison, et par prudence et adresse, ne se fait jamais par la force."*
Bien sûr, il s'agit d'un idéal chevaleresque, celui d'un noble hobereau qui entend transmettre ses valeurs aux enfants de son lignage et il ne saurait concerner le peuple à l'époque de Montaigne. Il faudra bien des siècles pour que cette maxime fasse force de loi et que les châtiments corporels soient interdits dans les familles comme à l'école, tout au moins dans notre pays...
Comment Montaigne s'est-il comporté avec ses propres enfants?  Ne serait-il comme Jean- Jacques Rousseau qui écrit  un fort beau traité d'éducation, L'Emile, et met ses propres enfants à l'assistance publique?
Au XVIème siècle, les nobles envoyaient leurs enfants en nourrrice jusqu'à l'âge de raison, c'est à dire sept ans. Montaigne considérait effectivement que "les enfants à peine encore nés, n'ayant ni mouvement en âme,ni forme reconnaissable au corps, par où ils se puissent rendre aimables" étaient peu intéressants. Pour lui, s'amuser comme on le fait "aux jeux et niaiseries de nos enfants" quand ils sont en bas âge, c'est les aimer "pour notre passe-temps, comme des guenons, non comme des hommes". Cette conception de l'enfance était  souvent encore celle de la société jusqu'au XIXème siècle.
Michel de Montaigne eut quatre filles mortes en nourrice. Seule Léonor, née 1571, survécut.
"... mais une seule fille qui eschappée à cette infortune a atteint six ans et plus, sans qu'on ait employé à sa conduite et pour le châtiment de ses fautes puériles, l'indulgence de sa mère s'y appliquant aisément, autre chose que paroles, et bien douces."
Montaigne, lui-même fut élevé par un père tendre et bon qui a cherché dit-il à "élever mon âme en toute douceur et liberté, sans rigueur et sans contrainte."** C'est de cette manière qu'il a appris le latin et le grec et qu'il était réveillé en musique, le matin, par des parents soucieux de ne pas le troubler en l'arrachant brusquement au sommeil. Vision du petit garçon, Montaigne, ouvrant les yeux au son de l'épinette ou la viole de gambe ...
* Montaigne dans le chapitre VIII Livre II De l'Affection des pères aux enfants.
** Chap XXVI Livre I De l'institution des enfants