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mardi 8 octobre 2024

Marcel Proust : Bilan 4 : Sodome et Gomorrhe

 

 Marcel Proust Bilan 4  Sodome et Gomorhhe



Claudialucia


Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe : Le Baron Charlus et l’homosexualité (1)

Marcel Proust: Sodome et Gomorrhe : Albertine et l’homosexualité (2)

Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe l’humour (3)

 

Keisha 

 Marcel Proust : lettres à sa voisine

Keisha a déniché une correspondance rare de Proust


Miriam
 

Sodome et Gomorrhe : Le baron Charlus et Jupien

Sodome et Gomorrhe : La soirée chez la princesse de Guermantes

Sodome et Gomorrhe : Autour de Balbec et les noms des villages normands

Miriam est partie à Balbec découvrir les lieux qui ont inspiré Marcel Proust
le Grand Hôtel, la promenade sur la digue et la plage

La villa du Temps retrouvé : Marcel Proust (l'écrivain) et Marcel, le narrateur, n'ont jamais vécu dans la belle villa du Temps Retrouvé transformé en musée Belle Epoque qui contient des autographes et des tableaux des personnes ayant inspiré Proust.


Si vous avez fait d'autres lectures vous pouvez coller les liens en commentaires ici.



 

 Marcel Proust Bilan 3  Le côté de Guermantes

 



Claudialucia

Proust Le côté de Guermantes :  lucidité et pessimisme

Miriam

Proust Le côté de Guermantes :(1ère partie) Le téléphone

Proust Le Côté de Guermantes :(2ème partie) L’Affaire Dreyfus dans le salon de madame de Villeparisis

Proust Le côté de Guermantes :  (3ème partie) Un dîner chez la Duchesse de Guermantes

La Maison de tante Léonie (Musée Proust) à Illiers-Combray

 

 Marcel Proust Bilan 2 : A l'ombre des jeunes filles en fleurs

 

 

Nathalie :

Chloé Cruchaudet, d'après Céleste Albaret, « Bien sûr, monsieur Proust », 2022, édité chez Noctambule.

Chloé Cruchaudet, Céleste, tome 2 Il est temps Monsieur Proust

Laure Murat : Proust, roman familial


Marcel Proust : Bilan 1 Du côté de chez Swann

 




Aifelle


Claudialucia

 
 
Le jeudi avec Marcel Proust :  billets sur Combray
 
 
 
 

Le jeudi avec Marcel Proust :  billets sur Un amour de Swann

Evelyne Bloch Dano une jeunesse de Proust

Céleste Albaret : Monsieur Proust

Laure Murat : Proust roman familial


Dominique

Laure Murat, roman familial

Bribes et conseils aux réfractaires


Fanja

Céleste : Bien sûr, monsieur Proust BD  Chloé Cruchaudet


Keisha

Laure Murat : Proust roman familial

Brassaï : Marcel Proust sous l’emprise de la photographie


Luocine

Laure Murat, roman familial


Miriam

Présentation du challenge Marcel Proust

Du côté de chez Swann : Marcel Proust lecture gourmande

Du côté de chez Swann : l’amour de la lecture/écriture

Du côté de chez Swann :  Combray En famille

Un amour de Swann Marcel Proust


Sandrine

Du côté de chez Swann


Quand vous écrivez sur Proust, laisser le lien vers votre billet dans mon blog en cliquant sur la vignette de la colonne de droite, en haut, challenge Marcel Proust.







vendredi 4 octobre 2024

Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe : L' humour de Proust (3)

 

J’ai vu au Festival d’Avignon 2023 un spectacle avec Denis Podalydes intitulé L’humour de Proust. Car Proust est un auteur qui sait manier l’humour et certains passages de La Recherche sont vraiment désopilants, hilarants, comiques, ( la règle des trois adjectifs voir ci-dessous) et j’en ai été enchantée, ravie, contente.

Les jeux sur le langage

Agranska Krolik: Marquise Zélia de Cambremer

Dans Sodome et Gomorrhe, Marcel Proust aime jouer sur les mots et s'amuse. Ainsi en est-il de la règle des trois adjectifs de la vieille marquise de Cambremer.

 C'était l'époque où les gens bien élevés observaient la règle d'être aimables et celle dite des trois adjectifs. Mme de Cambremer les combinait toutes les deux. Un adjectif louangeur ne lui suffisait pas, elle le faisait suivre (après un petit tiret) d'un second, puis (après un deuxième tiret) d'un troisième. Mais ce qui lui était particulier, c'est que, contrairement au but social et littéraire qu'elle se proposait, la succession des trois épithètes revêtait dans les billets de Mme de Cambremer l'aspect non d'une progression, mais d'un diminuendo. Mme de Cambremer me dit dans cette première lettre qu'elle avait vu Saint-Loup et avait encore plus apprécié que jamais ses qualités « uniques – rares – réelles », et qu'il devait revenir avec un de ses amis […], et que si je voulais venir avec ou sans eux dîner à Féterne, elle en serait « ravie – heureuse – contente ».

"Dès après le premier dîner que j’avais fait à la Raspelière (…) la vieille marquise m’avait écrit une de ces lettres dont on reconnaît l’écriture entre des milliers. Elle me disait : « Amenez votre cousine délicieuse — charmante — agréable. Ce sera un enchantement, un plaisir », manquant toujours avec une telle infaillibilité la progression attendue par celui qui recevait sa lettre que je finis par changer d’avis sur la nature de ces diminuendos, par les croire voulus, et y trouver la même dépravation du goût — transposée dans l’ordre mondain — qui poussait Sainte-Beuve à briser toutes les alliances de mots, à altérer toute expression un peu habituelle. Deux méthodes, enseignées sans doute par des maîtres différents, se contrariaient dans ce style épistolaire, la deuxième faisant racheter à Mde Cambremer la banalité des adjectifs multiples en les employant en gamme descendante, en évitant de finir sur l’accord parfait.

En revanche, je penchais à voir dans ces gradations inverses, non plus du raffinement, comme quand elles étaient l’œuvre de la marquise douairière, mais de la maladresse toutes les fois qu’elles étaient employées par le marquis son fils ou par ses cousines. Car dans toute la famille, jusqu’à un degré assez éloigné, et par une imitation admirative de tante Zélia, la règle des trois adjectifs était très en honneur, de même qu’une certaine manière enthousiaste de reprendre sa respiration en parlant. Imitation passée dans le sang, d’ailleurs ; et quand, dans la famille, une petite fille, dès son enfance, s’arrêtait en parlant pour avaler sa salive, on disait : « Elle tient de tante Zélia », on sentait que plus tard ses lèvres tendraient assez vite à s’ombrager d’une légère moustache, et on se promettait de cultiver chez elle les dispositions qu’elle aurait pour la musique."

 

Cabourg-Balbec  : Le Grand Hôtel

 

Le directeur du Grand Hôtel n'est pas en reste mais dans un style différent : A force de parler plusieurs langues, sa connaissance du français devient approximative. Le voici en train d'accueillir Marcel dans son établissement :

« J’espère, dit-il, que vous ne verrez pas là un manque d’impolitesse, j’étais ennuyé de vous donner une chambre dont vous êtes indigne, mais je l’ai fait rapport au bruit, parce que comme cela vous n’aurez personne au-dessus de vous pour vous fatiguer le trépan (pour tympan). « Soyez tranquille, je ferai fermer les fenêtres pour qu’elles ne battent pas. Là-dessus je suis intolérable », ces mots n’exprimant pas sa pensée, laquelle était qu’on le trouverait toujours inexorable à ce sujet, mais peut-être bien celle de ses valets d’étage. Les chambres étaient d’ailleurs celles du premier séjour. Elles n’étaient pas plus bas, mais j’avais monté dans l’estime du directeur. Je pourrais faire faire du feu si cela me plaisait (car sur l’ordre des médecins, j’étais parti dès Pâques), mais il craignait qu’il n’y eût des « fixures » dans le plafond. « Surtout attendez toujours pour allumer une flambée que la précédente soit consommée (pour consumée). Car l’important c’est d’éviter de ne pas mettre le feu à la cheminée, d’autant plus que, pour égayer un peu, j’ai fait placer dessus une grande postiche en vieux Chine, que cela pourrait abîmer. »


Les portraits-caricatures    

 

Artiste flamand anonyme (XVI)


On a vu que Marcel Proust est passé maître dans la caricature. Ainsi dans Sodome et Gomorrhe, nous faisons connaissance du marquis de Cambremer (Cancan pour les intimes), fils de la vieille marquise, époux de la jeune marquise René-Elodie de Cambremer-Legrandin..

"Mais son nez avait choisi, pour venir se placer de travers au-dessus de sa bouche, peut-être la seule ligne oblique, entre tant d’autres, qu’on n’eût eu l’idée de tracer sur ce visage, et qui signifiait une bêtise vulgaire, aggravée encore par le voisinage d’un teint normand à la rougeur de pommes. 
Il est possible que les yeux de M. de Cambremer gardassent dans leurs paupières un peu de ce ciel du Cotentin, si doux par les beaux jours ensoleillés, où le promeneur s’amuse à voir, arrêtées au bord de la route, et à compter par centaines les ombres des peupliers, mais ces paupières lourdes, chassieuses et mal rabattues, eussent empêché l’intelligence elle-même de passer. Aussi, décontenancé par la minceur de ce regard bleu, se reportait-on au grand nez de travers. Par une transposition de sens, M. de Cambremer vous regardait avec son nez. Ce nez de M. de Cambremer n’était pas laid, plutôt un peu trop beau, trop fort, trop fier de son importance. Busqué, astiqué, luisant, flambant neuf, il était tout disposé à compenser l’insuffisance spirituelle du regard ; malheureusement, si les yeux sont quelquefois l’organe où se révèle l’intelligence, le nez (quelle que soit d’ailleurs l’intime solidarité et la répercussion insoupçonnée des traits les uns sur les autres), le nez est généralement l’organe où s’étale le plus aisément la bêtise."

   Et encore la vieille marquise de Cambremer  (qui au demeurant est le seul personnage sympathique dans la noblesse malgré ses ridicules)

La marquise douairière ne se lassait pas de célébrer la superbe vue de la mer que nous avions à Balbec, et m’enviait, elle qui de la Raspelière (qu’elle n’habitait du reste pas cette année) ne voyait les flots que de si loin. Elle avait deux singulières habitudes qui tenaient à la fois à son amour exalté pour les arts (surtout pour la musique) et à son insuffisance dentaire. Chaque fois qu’elle parlait esthétique, ses glandes salivaires, comme celles de certains animaux au moment du rut, entraient dans une phase d’hypersécrétion telle que la bouche édentée de la vieille dame laissait passer, au coin des lèvres légèrement moustachues, quelques gouttes dont ce n’était pas la place. Aussitôt elle les ravalait avec un grand soupir, comme quelqu’un qui reprend sa respiration. Enfin, s’il s’agissait d’une trop grande beauté musicale, dans son enthousiasme elle levait les bras et proférait quelques jugements sommaires, énergiquement mastiqués et au besoin venant du nez."

"Ah ! j’avais bien senti que vous étiez musicien, s’écria-t-elle. Je comprends, artiste comme vous êtes, que vous aimiez cela. C’est si beau ! » Et sa voix était aussi caillouteuse que si, pour m’exprimer son ardeur pour Chopin, elle eût, imitant Démosthène, rempli sa bouche avec tous les galets de la plage. Enfin le reflux vint, atteignant jusqu’à la voilette qu’elle n’eut pas le temps de mettre à l’abri et qui fut transpercée, enfin la marquise essuya avec son mouchoir brodé la bave d’écume dont le souvenir de Chopin venait de tremper ses moustaches."


La littérature et la philosophie

 


Les discussion philosophiques ou littéraires sont souvent un moment de plaisir pour le lecteur parce qu'au milieu des arguments sérieux, Proust confie la controverse à un imbécile !  Ici, c'est le docteur Cottard qui joue ce rôle.

Le baron Charlus fervent admirateur de Balzac s'extasie devant ce passage des Illusions perdues où un personnage Carlos Herrera  demande le nom du château devant lequel il passe et qui est la demeure du jeune homme qu'il a aimé autrefois. Et il ajoute : "Et la mort de Lucien ! Je ne me rappelle plus quel homme de goût avait eu cette réponse, à qui lui demandait quel événement l’avait le plus affligé dans sa vie : « La mort de Lucien de Rubempré dans Splendeurs et Misères".

L'universitaire Brichot, un vrai savant celui-là, je l'aime bien parce qu'il est un peu iconoclaste -  avec intelligence et toujours en connaissant son sujet - critique Balzac, son style et raille ses romans feuilletons  "... et je confesse en toute simplicité d’âme que ces romans-feuilletons, rédigés en pathos, en galimatias double et triple (Esther heureuse, Où mènent les mauvais chemins, À combien l’amour revient aux vieillards), m’ont toujours fait l’effet des mystères de Rocambole..." .

 Charlus  réplique, vexée par la critique et Brichot répond avec humour en se mettant du côté de Rabelais et de Voltaire et contre Chateaubriand et Balzac  :  "Et il est permis de préférer un sentier à mi-côte, qui mène à la cure de Meudon ou à l’Ermitage de Ferney, à égale distance de la Vallée-aux-Loups où René remplissait superbement les devoirs d’un pontificat sans mansuétude, et les Jardies où Honoré de Balzac, harcelé par les recors, ne s’arrêtait pas de cacographier pour une Polonaise, en apôtre zélé du charabia."  "Cacographier" ! J'adore cette réplique mais ce n'est pas sûr qu'elle soit du goût de Proust (??) étant donné ses idées conservatrices et ses affinités pour Saint-Germain des Prés. Et en tout cas, elle ne l'est pas de Charlus, bien évidemment !  

 

Socrate

C'est au milieu cette dispute que  Cottard, bon médecin mais lettré médiocre et humoriste lourd, intervient apportant, avec ses gros sabots, une note comique à l'entretien.

J’entends bien, répondit Brichot, que, pour parler comme Maître François Rabelais, vous voulez dire que je suis moult sorbonagre, sorbonicole et sorboniforme. Pourtant, tout autant que les camarades, j’aime qu’un livre donne l’impression de la sincérité et de la vie, je ne suis pas de ces clercs… — Le quart d’heure de Rabelais, interrompit le docteur Cottard avec un air non plus de doute, mais de spirituelle assurance. — … qui font vœu de littérature en suivant la règle de l’Abbaye-aux-Bois dans l’obédience de M. le vicomte de Chateaubriand, grand maître du chiqué, selon la règle stricte des humanistes. M. le vicomte de Chateaubriand… — Chateaubriand aux pommes ? interrompit le docteur Cottard. — C’est lui le patron de la confrérie, continua Brichot sans relever la plaisanterie du docteur, lequel, en revanche, alarmé par la phrase de l’universitaire, regarda M. de Charlus avec inquiétude. Brichot avait semblé manquer de tact à Cottard, duquel le calembour avait amené un fin sourire sur les lèvres de la princesse Sherbatoff. — Avec le professeur, l’ironie mordante du parfait sceptique ne perd jamais ses droits, dit-elle par amabilité et pour montrer que le « mot » du médecin n’avait pas passé inaperçu pour elle. — Le sage est forcément sceptique, répondit le docteur. Que sais-je ? γυωθι σεαυτου, disait Socrate. C’est très juste, l’excès en tout est un défaut. Mais je reste bleu quand je pense que cela a suffi à faire durer le nom de Socrate jusqu’à nos jours. Qu’est-ce qu’il y a dans cette philosophie ? peu de chose en somme. Quand on pense que Charcot et d’autres ont fait des travaux mille fois plus remarquables et qui s’appuient, au moins, sur quelque chose, sur la suppression du réflexe pupillaire comme syndrome de la paralysie générale, et qu’ils sont presque oubliés ! En somme, Socrate, ce n’est pas extraordinaire.

 

De vraies scènes de comédie

 

Molière  : Le bourgeois gentilhomme


La scène du faux duel du baron Charlus est une comédie farcesque. C'est Proust lui-même qui cite Molière à son propos. Il est vrai que le baron Charlus en train de se battre dans le vide pour un faux duel n'est pas si loin de Monsieur Jourdain apprenant l'escrime !

Le Baron Palamède Charlus de Guermantes est homosexuel. Il aime platoniquement Morel, un jeune musicien sans moralité, qui profite sans scrupules de ses largesses mais se moque de lui et refuse de le voir. Morel un personnage profondément répugnant. Pour obliger le jeune homme à venir, Charlus imagine un duel fictif contre un adversaire tout aussi fictif et fait savoir au jeune homme qu’il va risquer sa vie pour lui, prétendant que son adversaire a  insulté le jeune homme devant lui, un affront impardonnable. Le Baron écrit à son témoin le docteur Cottard et le prie de venir le retrouver pour organiser les modalités de la rencontre. Le narrateur est présent et raconte la scène :        

 « Mort m’est vie. » Et M. de Charlus le disait sincèrement, non seulement par amour pour Morel, mais parce qu’un goût batailleur, qu’il croyait naïvement tenir de ses aïeux, lui donnait tant d’allégresse à la pensée de se battre que, ce duel machiné d’abord seulement pour faire venir Morel, il eût éprouvé maintenant du regret à y renoncer. Il n’avait jamais eu d’affaire sans se croire aussitôt valeureux et identifié à l’illustre connétable de Guermantes, alors que, pour tout autre, ce même acte d’aller sur le terrain lui paraissait de la dernière insignifiance. « Je crois que ce sera bien beau, nous dit-il sincèrement, en psalmodiant chaque terme. Voir Sarah Bernhardt dans l’Aiglon, qu’est-ce que c’est ? du caca. Mounet-Sully dans Œdipe ? caca. Tout au plus prend-il une certaine pâleur de transfiguration quand cela se passe dans les Arènes de Nîmes. Mais qu’est-ce que c’est à côté de cette chose inouïe, voir batailler le propre descendant du Connétable ? » Et à cette seule pensée, M. de Charlus, ne se tenant pas de joie, se mit à faire des contre-de-quarte qui, rappelant Molière, nous firent rapprocher prudemment de nous nos bocks, et craindre que les premiers croisements de fer blessassent les adversaires, le médecin et les témoins.

 

Jourdain/Charlus

Morel effrayé à  la pensée d’un combat qui ferait de lui la risée de son régiment promet à Charlus de venir le voir et de rester quelques jours auprès de lui. Désormais, le faux duel n’a plus de raison d’être et le baron l’annonce à son témoin le docteur Cottard. Ce dernier, d’abord furieux d’avoir été dérangé pour rien, reste  poli envers Charlus pour ménager ses intérêts. Il faut savoir pour bien apprécier la suite du récit que Cottard et tous les invités de Verdurin ne cessent de se moquer de l’homosexualité de Palamède (Mémé pour les intimes) Charlus… derrière son dos !

M. de Charlus, désireux de témoigner sa reconnaissance au docteur de la même façon que M. le duc son frère eût arrangé le col du paletot de mon père, comme une duchesse surtout eût tenu la taille à une plébéienne, approcha sa chaise tout près de celle du docteur, malgré le dégoût que celui-ci lui inspirait. Et non seulement sans plaisir physique, mais surmontant une répulsion physique, en Guermantes, non en inverti, pour dire adieu au docteur il lui prit la main et la lui caressa un moment avec une bonté de maître flattant le museau de son cheval et lui donnant du sucre. Mais Cottard, qui n’avait jamais laissé voir au baron qu’il eût même entendu courir de vagues mauvais bruits sur ses mœurs, et ne l’en considérait pas moins, dans son for intérieur, comme faisant partie de la classe des « anormaux » (même, avec son habituelle impropriété de termes et sur le ton le plus sérieux, il disait d’un valet de chambre de M. Verdurin : « Est-ce que ce n’est pas la maîtresse du baron ? »), personnages dont il avait peu l’expérience, il se figura que cette caresse de la main était le prélude immédiat d’un viol, pour l’accomplissement duquel il avait été, le duel n’ayant servi que de prétexte, attiré dans un guet-apens et conduit par le baron dans ce salon solitaire où il allait être pris de force. N’osant quitter sa chaise, où la peur le tenait cloué, il roulait des yeux d’épouvante, comme tombé aux mains d’un sauvage dont il n’était pas bien assuré qu’il ne se nourrît pas de chair humaine.



Le docteur Cottard





mercredi 2 octobre 2024

Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe : Le Baron Charlus et l’homosexualité : Sodome (1)

 

La première partie de Sodome et Gomorrhe est pour Marcel la révélation du secret du baron Palamède Charlus et l’éclaire enfin sur tout ce qui lui avait paru jusqu’alors incompréhensible dans ce personnage. Il comprend maintenant la raison de l’attitude du Baron lors de la première rencontre au Grand Hôtel de Balbec, il comprend pourquoi, plus tard, Charlus lui propose de devenir son protecteur, les regards dubitatifs que lui jettent « ceux qui savent » en le voyant avec lui, et la colère infantile du baron quand Marcel dédaigne sa protection.
La critique reproche à Proust la cécité de son personnage vis à vis de la vraie nature du Baron Charlus et l’accuse d’invraisemblance. Mais, même si l’on ne connaît pas exactement l’âge de Marcel à Balbec, on sait qu’il est encore très jeune et qu’il vit dans un milieu familial très protégé. C’est encore un enfant par bien des côtés. Sa grand-mère lui retire ses chaussures pour éviter qu’il se fatigue et préside à son lever, Françoise l’aide à s’habiller. Avec les jeunes filles en fleurs, il joue à des jeux qui nous paraissent, de nos jours, bien enfantins. Et comme lui-même ( Marcel, le personnage) est hétérosexuel, manifestement, il ne sait pas ce qu’est l’homosexualité ou tout au moins il n'y pense pas. Mais, nous dit-on, il est possible aussi que ce déni soit une façon pour Marcel de se cacher à lui-même sa propre homosexualité. Certes, le  personnage est amoureux d'Albertine mais leurs relations restent floues et on a du mal à croire à cet amour.

Dès le début de cette scène, une révolution, pour mes yeux dessillés, s’était opérée en M. de Charlus, aussi complète, aussi immédiate que s’il avait été touché par une baguette magique. Jusque-là, parce que je n’avais pas compris, je n’avais pas vu. Le vice (on parle ainsi pour la commodité du langage), le vice de chacun l’accompagne à la façon de ce génie qui était invisible pour les hommes tant qu’ils ignoraient sa présence. La bonté, la fourberie, le nom, les relations mondaines, ne se laissent pas découvrir, et on les porte cachés.

Daniel Van Hein : Sodome détruit par le feu

C’est en attendant le duc et la duchesse dans les escaliers de l’hôtel de Guermantes que Marcel découvre, caché derrière les persiennes d’une fenêtre, la parade amoureuse de Charlus et Jupien qui se déroule au-dessous de lui. Marcel, et ce n’est pas la première fois dans la Recherche se fait voyeur. Cela peut choquer par rapport à la moralité du personnage mais c’est en fait le statut de l’écrivain qui est décrit ici, l’écrivain vu comme « voyeur » de ses semblables. Les deux hommes se rencontrent pour la première fois et se « reconnaissent ». Marcel établit alors une correspondance entre eux et l’orchidée exposée en plein air dans la cour, attendant le bourdon qui va la féconder.

 "Je savais que cette attente n’était pas plus passive chez la fleur mâle, dont les étamines s’étaient spontanément tournées pour que l’insecte pût plus facilement la recevoir ; de même la fleur-femme qui était ici, si l’insecte venait, arquerait coquettement ses « styles », et pour être mieux pénétrée par lui ferait imperceptiblement, comme une jouvencelle hypocrite mais ardente, la moitié du chemin."

De même Jupien "enraciné comme une plante" répond au message délivré silencieusement par l’attitude du baron, prenant "des poses avec la coquetterie qu’aurait pu avoir l’orchidée pour le bourdon providentiellement survenu "

Le baron apparaît passablement ridicule, ce que fait ressortir comiquement l’antithèse montrant Jupien "émerveillé " par "l’embonpoint vieillissant" de Charlus et tous les termes qui le décrivent insistent sur l’aspect négatif du personnage "affectée, fat, négligent", face à la fleur-Jupien qui ne lui cède en rien dans le ridicule et "donnait à sa taille un port avantageux, son poing sur la hanche, impertinence grotesque, faisait saillir son derrière". Ces deux portraits ont donc une charge satirique assez poussée.

Paradoxalement, c’est au moment où il le dépeint comme grotesque dans cette approche  amoureuse qui le déshumanise en le transformant en  gros  « bourdon »,  que Marcel aperçoit toute l’humanité du Baron qui, ne se sachant pas observé, laisse tomber le masque de "potinages, d’arrogance, de dureté" et  laisse apercevoir humanité et bonté. Et après avoir décrit cette scène de rencontre où il affecte un regard moqueur voire cynique, Proust ajoute une phrase qui en  modifie le sens :

"Cette scène n’était, du reste, pas positivement comique, elle était empreinte d’une étrangeté, ou si l’on veut d’un naturel, dont la beauté allait croissant. "

Et il va s’attacher à en montrer la beauté et le naturel !

"Mais justement la beauté des regards de M. de Charlus et de Jupien venait, au contraire, de ce que, provisoirement du moins, ces regards ne semblaient pas avoir pour but de conduire à quelque chose.

C’est que, peu à peu, Marcel Proust glisse d’une comparaison « comme un plante » à une étroite métaphore entre l’humain et la nature, « la fleur-femme », puis, toujours à propos des deux hommes, « l’homme-oiseau », « l’homme-insecte », aboutissant à une sorte d’osmose où toutes les espèces y compris humaines sont liées et semblables. Voilà qui dédouane l’homosexualité de tout jugement de valeur et de morale ! On sait qu’à l’époque de Proust, l’homosexualité que l’écrivain nomme « vice » pour satisfaire à la prudence, tout en n’acceptant pas ce terme, pouvait mettre au ban de la société et était punie par la loi.

On verra que Charlus est en butte aux moqueries, à la cruauté des invités des Verdurin, que ses efforts pour cacher ses amours le rendent souvent ridicule, pitoyable ou vindicatif et arrogant, se retirant derrière le privilège de sa classe sociale pour affirmer sa supériorité. C’est une situation que Proust a dû bien connaître surtout quand il était au lycée et que, encore naïf, il ne cachait pas ses sentiments. Il se doit donc d’être prudent dans sa description. Après avoir donné l’assurance à ses lecteurs qu’il trouve la scène ridicule et par conséquent  immorale, il affirme ainsi le contraire :

 Cette beauté, c’était la première fois que je voyais le baron et Jupien la manifester. Dans les yeux de l’un et de l’autre, c’était le ciel, non pas de Zurich, mais de quelque cité orientale dont je n’avais pas encore deviné le nom, qui venait de se lever.

 

Joos de Momper le jeune :  Loth ses filles et les anges fuyant Sodome et Gomorrhe en feu La femme de Loth changée en statue de sel à gauche
 


Suit alors un très beau plaidoyer contre l’homophobie qui dépeint la souffrance de ceux qui ne peuvent jamais se montrer tels qu’ils sont et dont l’amour est un crime aux yeux de la société.

"Race sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et le parjure, puisqu’elle sait tenu pour punissable et honteux, pour inavouable, son désir, ce qui fait pour toute créature la plus grande douceur de vivre ; qui doit renier son Dieu, puisque, même chrétiens, quand à la barre du tribunal ils comparaissent comme accusés, il leur faut, devant le Christ et en son nom, se défendre comme d’une calomnie de ce qui est leur vie même ; fils sans mère, à laquelle ils sont obligés de mentir toute la vie et même à l’heure de lui fermer les yeux ; amis sans amitiés, malgré toutes celles que leur charme fréquemment reconnu inspire et que leur cœur souvent bon ressentirait ; mais peut-on appeler amitiés ces relations qui ne végètent qu’à la faveur d’un mensonge et d’où le premier élan de confiance et de sincérité qu’ils seraient tentés d’avoir les ferait rejeter avec dégoût, à moins qu’ils n’aient à faire à un esprit impartial, voire sympathique, mais qui alors, égaré à leur endroit par une psychologie de convention, fera découler du vice confessé l’affection même qui lui est la plus étrangère, de même que certains juges supposent et excusent plus facilement l’assassinat chez les invertis et la trahison chez les Juifs pour des raisons tirées du péché originel et de la fatalité de la race."

Il est vrai aussi que ces interdits qui pèsent sur les amours homosexuels engendrent bien des corruptions, amours tarifés avec des jeunes garçons des classes populaires, les riches tirant parti de leur misère. Charlus aurait des scrupules à profiter des jeunes gens bien nés, il les aime mais il ne les touche pas, il n’en a plus quand il s’agit de jeunes commis, employés ou apaches !

On comprend alors le sens du titre de ce quatrième volume de la Recherche : Sodome et Gomorrhe, du nom des deux cités bibliques réprouvées par le ciel, en butte au feu divin qui punit et détruit les amours considérés contre-nature, masculins et féminins. En début de roman avec Charlus il est question de Sodome, en deuxième partie avec Albertine, de Gomorrhe. Car nous annonce Proust, les homosexuels sont partout dans la société et si nous les apercevons pas, eux savent se reconnaître et se protéger autant que possible malgré le danger.

Si dans la littérature avant Marcel Proust, les homosexuels sont présents, il en est toujours parlé d’une manière fortuite et en des termes choisis, par allusion. C’est la première fois, avec Proust qu’un roman met l’homosexualité au centre de l’action et  en parle avec autant de franchise, sans employer de circonvolutions, en termes directs et parfois crus.

 La citation  de Vigny, en exergue, donne d'ailleurs le ton : "La femme aura Gomorrhe et l'homme aura Sodome". " Et le sous-titre "Première apparition des Hommes-femmes descendants de ceux des habitants de Sodome qui furent épargnés par le feu du ciel"

Dans quelle mesure l'écrivain a-t-il contribué à l’évolution des mentalités ?

"… partie réprouvée de la collectivité humaine, mais partie importante, soupçonnée là où elle n’est pas étalée, insolente, impunie là où elle n’est pas devinée ; comptant des adhérents partout, dans le peuple, dans l’armée, dans le temple, au bagne, sur le trône ; vivant enfin, du moins un grand nombre, dans l’intimité caressante et dangereuse avec les hommes de l’autre race, les provoquant, jouant avec eux à parler de son vice comme s’il n’était pas sien, jeu qui est rendu facile par l’aveuglement ou la fausseté des autres, jeu qui peut se prolonger des années jusqu’au jour du scandale où ces dompteurs sont dévorés."

 

 

Demain Jeudi 3 Octobre : Sodome et Gomorrhe : Albertine et l'homosexualité : Gomorrhe (2)