Pages

vendredi 10 octobre 2025

Irène Vallejo : Carthage


 

Irène Vallejo écrit avec Carthage un roman polyphonique où se mêlent les voix d’Enée et d’Elissa (Didon). C’est leur histoire que raconte l’écrivaine à partir du moment où Enée, fuyant Troie en flammes, est pris dans une violente tempête qui le rejette lui et sa flotte sur les rivages de Carthage où il rencontre la fondatrice de la ville. 

Didon, princesse phénicienne, est fille de Bélos, roi de Tyr, soeur de Pygmalion. A la mort de Bélos, Pygmalion tue Scythée, le mari de Didon. Celle-ci s’échappe avec ses partisans et fonde Carthage. Intervient aussi la voix d’Ana, fille d’une magicienne, adoptée par Didon, alors que Virgile, lui, identifie Ana comme la fille de Belos, roi de Tyr, et soeur de  Didon et Pygmalion.

Nous entendons aussi la voix d’Eros qui préside à l’amour de Didon et Enée et qui met tout en oeuvre pour qu’ils s’aiment même s’il a bien du mal avec les humains tant ceux-ci sont imprévisibles, à la fois les jouets de Dieux mais aussi leur échappant par la complexité de leurs sentiments. Peut-être leur seule échappatoire ? Car l’un des thèmes du roman est celui de la liberté humaine.

Enfin nous découvrons par un regard extérieur cette fois, le personnage de Virgile que nous voyons déambuler dans Rome, sommé par Auguste d’écrire une épopée qui racontera les hauts faits d’Enée et la grandeur de Rome. Le poème est chargé, à travers le mythe, de magnifier l’empereur qui se dit descendant du fils d’Enée, Iule ou Ascagne, petit-fils de Vénus, et de légitimer son usurpation du pouvoir. Un Virgile qui a conscience de devoir écrire un oeuvre de propagande à la gloire d’Auguste, de s’être fait acheter pour que les propriétés de son père ne soient pas confisquées, un Virgile riche, fêté, envié, mais honteux de trahir ses amis républicains et sa conscience. C'est du moins ainsi que le voit Irène Vallejo.

Ce qui intéresse l’écrivaine, c’est l’histoire de Didon et Enée et non les guerres, les faits glorieux où s’illustre le héros à l’origine de Rome, quand il gagne le Latium et fonde Lavinia. Il faut noter que Irène Vajello, même si elle met en scène Eros selon la tradition virgilienne, laisse peu de poids aux Dieux. Certes, comme dans l’épopée latine, Enée croit à la prédiction divine et veut accomplir la prophétie mais Irene Vallejo se plaît à montrer que les humains sont surtout victimes de leurs croyances et de leurs illusions. D’où le personnage d’Ana qui utilise ses dons d’observation, son habileté à se dissimuler pour surprendre les secrets, afin d’asseoir son talent de devineresse. L’écrivaine met l’accent sur les enjeux politiques. Ce sont eux qui mettent un frein à la liberté humaine. Didon doit faire face non seulement à l’hostilité des nomades qui luttent contre Carthage, une cité encore très fragile, mais aussi aux intrigues des chefs militaires qui s’entretuent pour l’épouser et prendre le pouvoir. Celle-ci doit composer avec sa condition de femme pour maintenir son pouvoir face à des hommes brutaux et sans scrupules. Le récit, avec une série de meurtres mystérieux, prend parfois des allures de roman policier.  Enée est décrit comme un héros fatigué par dix ans de lutte à Troie, qui n’aspire qu’à la paix mais qui, pas plus que Didon, n’est  libre de son destin. C’est donc une vision personnelle et moderne que donne l’écrivaine.

Le roman est bien écrit mais je l’ai trouvé parfois long et j’ai eu du mal à me passionner pour les personnages. Je suis restée un peu en dehors, pas entièrement concernée. Pourtant, dans l’ensemble, cette relecture de l’Enéide m’a intéressée mais sans enthousiasme. 

mercredi 8 octobre 2025

Каракачани : En Bulgarie, les karakatchans, un peuple nomade d'origine grecque

Plovdiv : Maison du docteur Chamakov  Zlati Boyazhiev  : Каракачани : Karakatchani
 

Un petit article pour les curieux. 

En visitant la maison du docteur Chamalov et l'exposition  du peintre de Plovdiv, Zlati Boyadzhiev, deux très grands tableaux ont attiré mon attention. Sobrement intitulés Каракачани : Karakatchani, ils m'ont intriguée car je ne connaissais pas cette ethnie et aucun renseignement n'était donné à propos de ces oeuvres.  

 Le Dictionnaire bulgare de l'Académie bulgare des sciences donne la définition suivante du terme : Каракачани :  Karakatchani  :

... petite population de la péninsule balkanique, parlant un ancien dialecte grec du nord et habitant les pâturages de haute montagne des montagnes du Pinde, du Shar, du Pirin, du Rila, des Rhodopes, de la Stara Planina et de la Sredna Gora en été, et les champs de Thrace et les régions côtières de la péninsule en hiver.

Ce sont des bergers qui vivent de leurs moutons dont ils vendent la viande, le lait et la laine. Ils ont été longtemps nomades avant d'être obligés de se sédentariser. Ils se fixaient dans les montagnes en été et en hiver gagnaient les plaines de Thrace jusqu'à la mer Noire.
 

Chaque année, de nos jours, le dernier vendredi et le dernier samedi d'août, se déroule le Festival national des Karakatchans de Bulgarie. Il se déroule à Karandila, un parc près de Sliven, et est organisé par la Fédération des sociétés culturelles et éducatives des Karakatchans de Bulgarie.

Ces oeuvres ont été peintes par Zlati Boyadzhiev en 1971/1972 à une époque où les Karakatchans, du moins certains d'entre eux,  étaient encore nomades si j'en crois ce tableau : 

 

Plovdiv : Maison du docteur Chamakov  Zlati Boyazhiev  : Каракачани : Karakatchani

 
 
Les bergers et leurs troupeaux se déplacent séparément. Le reste des hommes et des femmes avec les chevaux chargés de leurs biens font route à pied. Sur la peinture de Boyadzhiev on voit des femmes juchées sur les chevaux, les plus âgées, peut-être, une mère, des enfants.

 

Berger Karakatchan (détail)
 

  

 Les origines des Karakatchans

 
Plovdiv : Maison du docteur Chamakov  Zlati Boyazhiev  : Каракачани : Karakatchani (détail)
 
 
Ces renseignements sont extraits de l'article intitulé : Origine, mode de vie et moyens de subsistance des Karakachans de Stanislas Valevdont je cite le début. A lire  ICI 

"Il existe différentes versions de l'étymologie du nom des Karatkachans. L'une d'elles affirme qu'il viendrait du turc « karakacan » ou « kirkacan ». Ces mots ont la même signification : « Celui qui part vers les terres incultes » ou « celui qui quitte la forêt » . L'autre version affirme que leur nom viendrait du turc « kara », qui signifie noir, et « kachan », qui signifie pauvre. Leur langue dériverait de la forme populaire du grec « koinè »."

Il existe plusieurs théories sur l'origine des Karakatchans. L'une d'elles affirme qu'ils habitent les Balkans depuis des millénaires. Selon cette thèse, ils vivaient à l'origine dans la région du Pinde, en Grèce centrale, et plus précisément dans le massif d'Agrafa, où se trouve la ville de Ioannina. Sous la domination ottomane, ils résistèrent aux esclavagistes, ce qui les poussa à subir une répression massive. C'est pourquoi, au début du XIXe siècle, ils quittèrent leurs terres et adoptèrent un mode de vie semi-nomade.

Les Karakachans se trouvent du Péloponnèse à travers la Thessalie et la Grèce du Nord jusqu'à la Bulgarie, l'actuelle République de Macédoine, l'Albanie, Andrinople, la Thrace et les terres d'Asie Mineure.

L'une des histoires les plus incroyables sur leur origine raconte qu'ils furent les derniers défenseurs de Constantinople. Leurs aînés décidèrent alors d'exprimer leur deuil en portant des vêtements noirs. Cette couleur fut également transmise à leurs troupeaux. "

 
Le costume des karakatchans

 


"Les vêtements traditionnels des Karakachans se distinguent par leur originalité et reflètent leur culture matérielle, bien qu'ils aient également emprunté à d'autres vêtements nationaux. Les matières traditionnelles utilisées pour les coudre sont la laine et le coton. La couleur noire prédomine, ce qui explique probablement leur nom de Karakachans.

Le costume féminin Karakachan est à la fois hivernal et estival, ce dernier étant sans manches. Les vêtements sont superposés : la longue chemise blanche en coton se porte à l'intérieur. Elle possède des manches trois-quarts bordées de broderies cousues. À son extrémité inférieure, près des chevilles, elle est ornée de dentelle abondante, le plus souvent noire. D'autres manches coupées en laine sont portées par-dessus les manches de la chemise."

Les karakatchani portent des vêtements où domine le noir parce que, fuyant la domination turque, ils se seraient enfuis de leur région d'origine, les montagnes de Pinde en Grèce, et auraient choisi  cette couleur en signe de protestation et de deuil.  Karakatchan vient de Kara qui veut dire noir, on l'a vu, mais Katchan peut aussi signifier fugitif.

 

Le chien berger karakatchan

 

Le chien karakatchan


 Le karakatchan est un chien élevé par les bergers Karakatchans. C'est un gros chien, très fort, qui n'hésite pas à s'attaquer au loup ou à l'ours pour protéger son troupeau dans les montagnes et les forêts des Balkans. On l'appelle aussi l'égorgeur de loup. Il n'abandonne jamais son troupeau et est prêt à le défendre contre tout danger. Il a failli disparaître au moment de la nationalisation des biens voulus par les communistes en Bulgarie, qui a dépossédé les bergers de leurs moutons.

 

 

Le chien karakatchan


Le cheval Karakatchan


 

Le cheval karakatchtan


Le karakatchan est une race de petits chevaux très rustiques, solides, habitués à porter de lourdes  charges pendant les transhumances. Au moment de la nationalisation les chevaux ont été tués. En 1994 il n'en restait plus que 30. Un programme de sauvegarde mis en place depuis a permis de préserver la race.

 

 Le mouton karakatchan

  

Le mouton karakastan


Le mouton karakatchan représente la plus ancienne race du sud-est de l'Europe étant donné qu'elle remonte au mouton primitif de Thrace, "le Tsekel". C'est un mouton de montagne qui est très proche du mouflon avec ses cornes enroulées et sa laine rugueuse. On dit que les bergers Karakatchans éliminèrent la couleur blanche pour ne garder que les moutons noirs.


Le mouton karakastan






lundi 6 octobre 2025

Carys Davies : Eclaircie

 

Le roman de Carys Davies, Eclaircie, se déroule en 1843 dans une île isolée au nord de l’Ecosse. C’est l’année, nous explique l’auteure, de la Great Disruption, le schisme qui a eu lieu au sein de l’église  presbytérienne écossaise et qui vit de nombreux pasteurs la quitter pour fonder la nouvelle église libre d’Ecosse. Ils protestaient contre le droit que détenaient les grands propriétaires terriens de choisir eux-mêmes les pasteurs. Un autre fait historique d’importance qui préside à ce récit est ce que l’on a appelé en Ecosse : les Clearances. Ce sont des déplacements forcés des populations rurales vivant sur des territoires reculés qui ont commencé dès le milieu du XVIII siècle et se poursuivent jusqu’à la seconde moitié du XIX siècle. Des paysans pauvres furent ainsi chassés de chez eux, allant rejoindre sur le continent une population miséreuse, sans aucune ressource, corvéable à merci, pour laisser aux grand propriétaires, en quête de profit, la possibilité de faire à moindre frais l’élevage intensif de moutons.

C’est là qu’intervient John Ferguson, pasteur prebytérien de la nouvelle église libre à laquelle il a adhéré pour être en accord avec sa foi et sa conscience. Désormais sans paroisse et sans le sou, il est pourtant obligé d’assurer sa subsistance et celle de sa femme. C’est pourquoi il accepte un travail. Il doit se rendre dans une île au nord des Shetlands où vit Ivar, le seul habitant du lieu, pour lui signifier qu’il doit quitter son foyer. Mary a beau démontrer à John les dangers de cette mission ainsi que la responsabilité morale qui sera la sienne, John est dans le déni et se persuade qu’il agit pour le bien de cet homme puisque celui-ci pourra désormais vivre avec ses semblables. Une des difficultés et non des moindres est qu'Ivar parle une langue en voie de disparition, la langue norne, et qu’il lui sera bien difficile de se faire comprendre ! 

Mais voilà que rien ne se passe comme prévu ! John Ferguson blessé est recueilli par Ivar et le roman décrit la construction d’une amitié entre les deux hommes autour de l’apprentissage de cette langue norne, riche et passionnante, qui est en elle-même une aventure. 

«  D’autres termes étaient plus ardus tant il en existait pour désigner les moindres variations du climat et du vent, du comportement de la mer aussi, qui semblaient parfaitement distinctes aux yeux d’Ivar mais que John Ferguson peinait à définir avec certitude et qui le laissaient tout bonnement perplexe - des mots tels que gilgal et skreul et yog, fester et dreetslengi - qui semblaient tous avoir un sens précis et bien particulier, lequel dépassait son expérience personnelle et ses pouvoirs d’observation; autant de termes qu’avec un léger sentiment de défaite, il traduisait collectivement par « une mer agitée ». »

Les personnages sont très réussies : l’austérité du pasteur dont le visage peint le caractère en deux mots : «osseux et presbytérien », caractère qui se précise encore quand John entend sa belle-soeur demander à Mary  « si elle regrettait de ne pas avoir épousé un homme moins sérieux, adjectif qui dans sa bouche, il en était persuadé, signifiait strict et sans humour, ennuyeux et, plus généralement presbytérien. ». 
Pour cet homme, corseté dans ses principes, danser représente un péché, et si, par amour, il pardonne à sa femme d’avoir remplacé ses dents tombées par des fausses, suprême vanité que la communauté lui reproche, il ne le ferait jamais pour lui-même. Scrupuleux à l’extrême dès qu’il s’agit de l’indépendance spirituelle de son église, il néglige ce qui est temporel comme l’injustice sociale. Pourtant, peu à peu, au contact d’Ivar, des scrupules naissent et il se sent honteux du rôle qu’il doit jouer.  

Ivar, lui, est un taiseux. La solitude façonne un homme surtout dans un environnement dur, hostile, où il est à la merci de la maladie qui l’a laissé très affaibli. ll file la laine de ses quelques moutons et tricote ses vêtements. Il vit de peu et mène une vie simple qui ressemblerait au bonheur si ce n’était le manque de compagnie.

« Il resta planté sous la pluie douce qui tombait maintenant et, au bout d’un long moment se parla dans sa tête :
 J’ai les falaises et les récifs et les oiseaux. J’ai la colline blanche et la colline ronde et la colline pointue. J’ai l’eau claire de la source et la bonne pâture riche posée comme une couverture sur les hauteurs perchées de l’île. J’ai la vieille vache noire et l’herbe goûteuse qui pousse au milieu des rochers, j’ai mon grand fauteuil et ma maison robuste. j’ai mon rouet et ma théïère, j’ai Pegi ( son cheval) et, maintenant, miracle, j’ai John Ferguson. »
 

La beauté de la nature dans cette île est toujours présente, décrite par petites touches, même si cela n’occulte pas la difficulté de la vie lorsque commence l’hiver et que le moral est en berne au fur et à mesure que les nuits s’allongent.

Ce roman est juste au niveau des caractères, conté sobrement et les descriptions, les moments de vie, la présence constante de la mer avec les tempêtes, la pêche, les oiseaux, mais aussi la présence chaleureuse des animaux domestiques, le partage entre les deux hommes, la personnalité affirmée du personnage féminin, tout suscite beaucoup d’intérêt. 

C’est pourquoi j’ai été très déçue par le dénouement. Je comprends que Carys Davies veuille montrer l’évolution du pasteur mais la fin qu’elle imagine est contraire à la mentalité, aux croyances profondes d’un austère presbytérien et même de sa femme aussi évoluée soit-elle !  On ne peut y croire un seul instant !  L'écrivaine se trompe de siècle. Je trouve qu’elle cède à la facilité, voire à la mode (?) en écrivant une fin recevable au XXI siècle mais pas au XIXième, époque ou se déroule l’histoire ( et encore si vous vous renseignez sur les presbytériens américains à l'heure actuelle, vous verrez qu’ils n’en sont pas là  même si l'on n'en est plus à la Lettre écarlate ! )
Je ne peux en dire plus pour ne pas divulguer la fin mais je m’étonne d’être la seule à avoir noté cette incohérence psychologique et historique pour ce roman nominé à plusieurs prix littéraires.

Voir le billet d'Alexandra ICI

 

 

Chez Fanja


 

samedi 4 octobre 2025

Percival Everett : James

 

Je n’ai pas relu Huckleberry Finn avant de découvrir James de Percival Everett. C’est peut-être un tort bien que rien n’oblige finalement à connaître le premier pour apprécier celui-ci. J’ai tellement aimé le livre de Mark Twain que j’avais peur d’être déçue surtout si on le relit à l’aune du XXI siècle. C’est facile de rejeter avec horreur l’esclavage de nos jours, cela ne l’était pas pour un jeune garçon, Hucklberry Finn, juste avant la guerre de Sécession. Le livre de Mark Twain analysait justement l’évolution du personnage, les problèmes moraux que lui posait le fait de ne pas dénoncer un esclave en fuite, alors que toute la société et l’église, en particulier, lui affirmaient que c’était son devoir et qu’il y allait du salut de son âme !

Dans son roman Percival Everett imagine que Jim a appris à lire et écrire à une époque où un esclave risquait sa vie à transgresser cet interdit. Une scène montre comment on peut être fouetté au sang et mourir pour le vol d’un crayon ! 
 
« George Junior trouva mon visage dans le fourré. J’avais le crayon, il était dans ma poche. On le frappa de nouveau et je me crispai. Nous nous regardâmes fixement. Il parut sourire jusqu’à ce que le fouet s’abatte encore. Le sang lui dégoulinait le long des jambes. Il chercha mes yeux et articula le mot "pars". Ce que je fis. »

Jim a, de plus, complété sa culture en se cachant dans la bibliothèque du Juge Thatcher, ce qui lui a permis d’accéder aux grands écrivains qui reviennent souvent d’une manière surprenante dans ses rêves avec, parfois leurs propres limites ou contradictions. L’esclave en fuite est donc un intellectuel qui utilise deux langages, celui que l’on attend d’un esclave et celui du maître. Et de tous les défis lancés par Jim, ce qui étonne le plus les blancs, ce qui les touche le plus, les indigne, leur fait peur, les épouvante même, c’est lorsqu’il s'exprime comme eux. En s’appropriant leur manière de parler, il fait naître une pensée dérangeante pour eux : Serait-il un homme lui aussi ? Percival Everett met ainsi le doigt sur ce qui assoit la domination des esclavagistes et sur l’importance pour eux de maintenir la soumission par l’ignorance ! Et c’est pourquoi lorsque Jim s’affranchira totalement de l’emprise des blancs, il revendiquera son vrai nom : James.

Les aventures des deux héros ressemblent fort à celles racontées par Mark Twain : Jim s’enfuit pour ne pas être vendu et se cache sur une île. Huck, lui, fuit son père, un ivrogne violent et haineux. Il fait croire à son propre meurtre pour éviter qu’on le recherche. Evidemment, Jim sera considéré comme son meurtrier. Tous deux s’embarquent sur un radeau et sur le Mississipi qui leur réserve tout un lot de surprises et de dangers. Ils deviennent au cours de leurs aventures épiques des amis et plus encore un père et son fils. 

Mais bien sûr, au-delà des aventures, le sujet de Percival Everett reste l’esclavage dont il décrit toutes les horreurs, l’exploitation au travail, les corrections physiques, la séparation des membres d'une même famille, les condamnations arbitraires, les lynchages, les viols, les humiliations, et plus que tout le fait de ne pas être considéré comme un être humain à part entière. Il montre que la colère est l’un des principaux sentiments qui guide Jim et l’anime, le submerge. Il choisit de se défendre et ne recule pas devant la violence. Quand il s’introduit chez le juge Thatcher et le menace pour savoir où sont sa femme et sa fille,  vendues pendant son absence, celui-ci lui dit : 

« -Toi, tu vas avoir de sérieux ennuis; tu ne t’imagines pas à quel point.
- Qu’est-ce qui vous fait dire que je n’imagine pas le genre d’ennuis qui m’attendent ? Après m’avoir torturé, éviscéré, émasculé, laissé me consumer lentement jusqu’à ce que mort s’en suive, vous allez me faire subir autre chose encore ? Dites-moi juge Thatcher, qu’y a-t-il que je ne puisse imaginer ? »

On peut se demander si le parti pris de Percival Everett de prendre pour personnage un  homme instruit est crédible. L’écrivain répond à cette question en montrant James en train de lire un livre volé au Juge Thatcher : c’est  le récit de William Brown paru en 1847, esclave dans le Missouri, qui s’enfuit et gagna le Canada; mais il n’est pas le seul.  Je vous renvoie  à l’article Ici 

 


 

 
Dès la fin du XVIII siècle l’autobiographie d’Olaudah Equiano, The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African  est publiée en Angleterre en 1789. 
 

 


Le contemporain de William Brown, Frederick Douglass écrit lui aussi une autobiographie (Narrative of the Life of Frederick Douglass, Written by Himself). Je l’ai trouvée en français et j’ai l’intention de la lire.


 
 

jeudi 2 octobre 2025

Les peintres de Plovdiv (2) : Dimiter Kirov et Georgi Bojilov-Slona

Fresque de Dimiter Kirov dans le jardin de la maison Guiorgiadi
  

Voici les artistes de Plovdiv de la seconde moitié du XX siècle : Dimiter Kirov (1935-2008 ) et Georgi Bojilov-Slona (1935-2001. Ils sont tous les deux exposés dans les vieilles maisons des riches marchands de Plovdiv devenues de nos jours des musées.

 

 Dimiter Kirov dit  DiKiro

 

Maison Veren Stambolyan

Dimiter Kirov ou DiKiro est né à Istanbul en 1935 et est mort en 2008 à Sofia en 2008.  Il a suivi les cours de l’université des Beaux-Arts de Sofia et est l’un de ses plus grands représentants.

Lui aussi a vécu et travaillé à Plovdiv fasciné par la vieille ville et sa richesse patrimoniale. Il s’est illustré dans plusieurs domaines artistiques, l'art monumental, la fresque, la mosaïque et l’art moderne.

 

Maison Stambolyan : Oeuvres de Dimiter Kirov



Maison Stambolyan : Dimiter Kirov

 

Maison Stambolyan : Dimiter Kirov : Orphée (détail)


 Maison Veren Stambolyan : Dimiter Kirov  : le peintre et sa femme

L’épouse de Kirov, Roussalia Antonova est une ballerine et professeur de danse.

 

Maison Stambolyan Dimiter Kirov  : Roussalia Antonova 

 
          Maison Stambolyan : Dimiter Kirov : Agression


Maison Stambolyan : Dimiter Kirov  Agression (détail)


  Dimiter Kirov : Plovdiv en hiver  Muséee des BA de Sofia


Georgi Bojilov-Slona dit l'Eléphant
 
 
Georgi Yordanov Bozhilov Slona : Cirque

 
 
Georgi Yordanov Bozhilov, aussi connu sous le surnom de Slona, l'Eléphant, est né à Plovdiv en 1935. Il est mort en 2001. J'ai peu d'images de son oeuvre car je n'ai pas eu le temps de visiter la maison Skobeleva qui lui est dédiée. (Voir ici) 
 
 

 
 Georgi Yordanov Bozhilov Sloan: Apocalypse

  
Mais l'Institut municipal antique de Plovdiv, en tant que gardien du patrimoine culturel et historique, dont une partie est l'œuvre diversifiée de Georgi Bozhilov, a lancé une autre exposition virtuelle « À la mémoire de Georgi Bozhilov - Slona », qui est disponible sur la page Facebook et Instagram - Plovdiv Old Town /official/.
 




Chez Sacha


mardi 30 septembre 2025

Les peintres de Plovdiv (1) : Tsanko Lavrenov et Zlati Boyadzhiev

Tsanko Lavrenov : le vieux Plovdiv on y voit la maison Guieorguiadi et porte Hissar Kapia

 

Plovdiv : Maison Guieorguiadi à droite et porte Hissar Kapia


Plovdiv est appelé "la ville des peintres" car toutes les  belles maisons issues de la Renaissance nationale qui exposent leurs oeuvres sont aussi des musées. Au plaisir de découvrir la richesse architecturale, la beauté des intérieurs, s'ajoute donc la découverte d'oeuvres picturales et d'artistes différents mais tous liés par l'amour de leur ville.

 Les plus grands figures de la peinture plovdivienne sont Tsanko Lavrenov (1896-1978) et Zlati Boiadjiev (1903-1976) pour la première génération. (1)

 Georgi Bojilov-Slona (1935-2001), Dimitar Kirov(1935_ ),Dimitri Kazak-Nero (1933_1992), sont les artistes de la seconde génération et sont aussi exposées  dans les vieilles maisons de Plovdiv. (2)

 

Tsanko Lavrenov


Maison de Kirkor Mesrobovich : musée Lavrenov


Plovdiv : Exposition Lavreno  

 

Aleksandar-Stefan Ivanov dit Tsanko Lavrenov est né à Plovdiv en 1896 dans une famille de commerçants aisés et il est mort dans sa ville en 1978.  Ses œuvres sont exposées dans l'ancienne maison de Kirkor Mesrobovich, construite en 1846 et située dans la vieille ville de Plovdiv. 

La peinture de Tsanko Lavrenov est caractéristique de l'art national bulgare du XX siècle. La première guerre mondiale l'a empêché de s'inscrire aux Beaux-arts de Sofia.  Par la suite, il part étudier à Vienne dans une école privée pendant un an en 1921. Il y découvre l'art nouveau et l'expressionnisme qui influenceront son oeuvre. Puis il revient à Plovdiv où il décide de se consacrer à la peinture  tout en aidant ses soeurs dans le magasin familial.  Ses thèmes sont liés à sa ville natale qu'il cherche à peindre entre tradition et modernisme. Il a peint aussi tout une série de monastères et des vues des Balkans. Parce qu'il n'est pas passé par les Beaux-Arts, son art ne doit rien à l'académisme et me semble être un (savant) art naïf, en tout  cas quelque chose d'unique.

 voir ici

Plovdiv  Tsanko Lavrenov : concert dans la maison  marchand Argir Kuyumdzhioglu

la maison  Argir Kuyumdzhioglu



Plovdiv : Tsanko Lavrenov


Curieuse peinture intitulée Plovdiv de Noël ! A droite, le peintre habillé à l'européenne présente un tableau représentant des hommes et des femmes d'un milieu bourgeois aisé, riches marchands, pope. Au-dessus de leur tête est inscrit Noël. A gauche, un autre homme en costume traditionnel présente un tableau figurant des femmes en train de brûler et cette inscription : Prostituées ! Au centre deux hommes à cheval. Je ne sais pas qui ils sont mais leur classe sociale est évidente. En arrière-plan, la veille ville de Plovdiv sur ses collines.


Musée des Beaux-Arts de Sofia : Tsanko Lavrenov : la ville de Plovdiv


Musée des Beaux-Arts de Sofia : Tsanko Lavrenov : la ville de Plovdiv (détails)


Plovdiv Tsanko Lavrenov : monastère Simonos Petre sur le mont Athos



Plovdiv Lavrenov : Monastère de Rila : l'église


Plovdiv Lavrenov : Monastère de Zograf


Plovdiv : Tsanko Lavrenov : Monastère de la Tranfiguration


Tsankor Lavrenov : La foire

La foire est un étonnant tableau qui peint avec précision et un luxe de détails, dans un même espace, différentes scènes qui forment comme autant de petits tableaux. L'impression d'ensemble, la foule, le mouvement, les danses, les manèges, la musique, donnent une impression de vie et de réalité. Il s'agit d'un tableau extrêmement "bruyant" et dans lequel tous les mouvements circulaires évoquent la rotation de la planète. Même les maisons à l'arrière-plan semblent subir l'attraction et être prêtes à s'envoler.  Tous les personnages sont disposés en cercles auxquels s'ajoutent encore les chapiteaux ronds des manèges, et au premier plan, alors que les personnages sont stables, ce sont leurs jeux comme celui de la roulette, à droite et du tir à la carabine sur une cible ronde, au centre, qui rejoignent le mouvement circulaire.  Bien que le style soit très différent, j'ai pensé à Chagall et aussi au futurisme italien, aux tableaux de Gino Severini. Lorsque l'on regarde attentivement le tableau, la foule cesse d'en être une, chaque personne s'individualise et l'on peut remarquer que toutes les classes sociales sont représentées, les différents métiers, tous les âges aussi...

 

Chagall Triomphe de la musique

 

Lavrenov : la foire (détails)


Gino Severini : Danseuse de Pigalle


Zlati Boyadzhiev
 
 
Zlati Boyadzhiev : Berger (1927) Musée de Sofia ( première période)

 
Zlati Boyadzhiev est né dans le village de Brezevo près de Plovdiv en 1903 et il meurt à Plovdiv en 1976.  Il suit des études de peinture à l’Académie royale des Beaux-Arts de Sofia en 1932. Il se lie d’amitié avec Tsankor Lavrenov en 1926 et tous deux font partie des peintres qui ont pris la ville de Plovdiv comme sujet. Il explore aussi la vie rurale et peint des scènes quotidiennes. Son séjour en Italie l’ouvre à la peinture de la Renaissance dont on retrouve l’influence dans ses portraits. ll explore aussi les techniques de la peinture des icônes. Plus tard, il sera aussi influencé par la peinture flamande. Ses oeuvres sont exposées à Plovdiv dans la maison de style Renaissance nationale (XIX siècle) du docteur Stoyan Chomakov. 



maison docteur Stoyan Chomakov : musée Zlati Boyadzhiev



maison docteur Stoyan Chomakov : musée Zlati Boyadzhiev


 
 
 
Zlati Boyadzhiev: L'artiste et sa femme (1941)  Maison docteur Stoyan Chomakov

 
Il y a deux périodes dans la peinture de Zlati Boyadzhiev : de 1932 à 1952 sa manière est  classique ou néo-classique. J'ai vu quelques oeuvres de la première période à Sofia.
 
 
 
 
 
 Zlati Boyadzhiev : Hiver à Plovdiv (1939)musée des Beaux-Arts de Sofia

 
Deuxième période ( 1951-1976) 


 Zlati Boyadzhiev : La ville de Plovdiv : vers l'abattoir (musée de Sofia) (1960)

 
En 1951 il est victime d’un accident cérébral et perd l’usage de sa main droite, il ne peut plus ni parler, ni lire. Sa femme Tsena le soutien dans ses efforts pour récupérer l’usage de la parole et pour écrire et peindre de la main gauche.
En 1953, Zlati Boyadzhiev recommence à peindre mais son style et sa manière de peindre sont complètement transformés. Son art se rapproche du style naïf et la  ligne brisée et la  superposition de la peinture  s’apparentent à l’impressionnisme. Il peint des compositions complexes avec une foule de personnages en mouvement, dans des couleurs vives qui n'est pas, parfois, sans rappeler Jérome Bosch.


 Zlati Boyadzhiev : danse traditionnelle

 
 
Zlati Boyadzhiev  : Le mariage  Plovdiv Maison docteur Stoyan Chomakov


 
Zlati Boyadzhiev : Jeux d'hiver à Plovdiv (détail)




Zlati Boyadzhiev : Jeux d'hiver à Plovdiv (détail)Maison docteur Stoyan Chomakov


 
 
 Zlati Boyadzhiev : la mort du cochon Maison docteur Stoyan Chomakov