Sylvie Germain : La pleurante des rues de Prague
" Cette inconnue, qui donc est-elle ? Une vision, elle-même porteuse, semeuse de visions. Une vision avare de ses apparitions. Elle ne s'est montrée que peu de fois, et toujours très brièvement. Mais chaque fois sa présence fut extrême. Une vision liée à un lieu, émanée des pierres d'une ville. Sa ville - Prague. Jamais elle n'a paru ailleurs, bien que certainement elle en ait le pouvoir. Cette femme n'a ni nom, ni âge ni visage. Peut-être en a-t-elle, mais elle les tient cachés. Son corps est majestueux et inquiétant. Elle est immense, une géante. Et elle boite fortement. " (Quatrième de couverture)
Dans le livre de Sylvie Germain, la pleurante, cette géante qui apparaît au milieu des brumes du fleuve dans Prague la mystérieuse est l’Allégorie de la Souffrance et de la Mort qui hante la ville et son passé. La narratrice la rencontre partout, dans les différents quartiers de Prague; elle n’est qu’une vision toujours solitaire, une apparition qui représente toute la tragédie du monde, non un corps mais une « immatérielle », « une pleurante » gonflée de larmes, habitée des gémissements, qui « boite sans fin entre deux mondes, celui du visible et celui de l’invisible, celui du présent et du passé, celui de la chair et du souffle et celui de la poussière et du silence. Elle louvoie d’un monde à l’autre, - passeuse clandestine de larmes mêlées, celles des disparus et celles de vivants. »
En général, j’aime le style poétique de Sylvie Germain et sa façon d’introduire le fantastique au milieu du réel. Mais là, et j’en ai été la première surprise, je n’ai pas du tout était séduite par sa pleurante ! Le personnage lui-même, pas ce qui tourne autour d’elle. Il m’a semblé que chaque fois qu’elle apparaissait, cette vision sonnait faux, trop littéraire au sens péjoratif du terme, c’est à dire d’artificiel et d’apprêté.
Je n’y peux rien et je me suis demandée pourquoi ? Peut-être parce que la pleurante ne correspond plus à cette cité telle que je viens de la voir lors de mon second voyage à Prague en ce mois de mai 2018, plus de dix sept ans après mon premier séjour. Cette ville trop bondée, bruyante, vouée au commerce, ce trop plein de boutiques que l’on retrouve maintenant presque partout en Europe, cette ville pourtant riche, belle, unique, mais qui perd ainsi beaucoup de son âme.
photographe: Roman Vischniac |
Mais il y a bien des aspects du livre que j’ai appréciés : les description de la ville sous le brouillard, dans le givre et le gel ou sous le parfum des lilas… les personnages ranimés par la voix de la pleurante m’ont touchée et là, je me suis laissé emportée par le récit : celui de Bruno Schulz, écrivain, dessinateur mort dans le ghetto de Drohobicz, celui du père de la narratrice, mourant, de la petite Sarah sur la photo de Roman Vischniac, du cygne dansant au bord de l’eau, de la nouvelle de Kafka A cheval sur un tas de charbon …. De très beaux passages écrits avec sensibilité et poésie.
"A Prague, dès la fin de l'automne et pendant tout l'hiver, la brume a une odeur, et même une consistance. Certains soirs elle se fait presque palpable tant elle est dense et ocrée. Les fumées de la ville gonflent et teintent la brume, la poussière du lignite flotte dans l'air avec un goût âpre, et suave cependant. Les villes comme les corps ont une odeur. Ont une peau."
Prague : Château et cathédrale Saint-Guy |
Prague vue du château |
Peut-être ne voyage-t-on plus assez par romans interposés ? Et que les auteurs qui ne sont pas natifs d'un lieu ne nous semblent pas légitimes pour en parler (cf "La Femme du Ve" de Douglas Kennedy qui se passe à Paris ou "Cet instant là" du même se déroulant à Berlin.)
RépondreSupprimerJe ne sais pas ? J e ne crois pas qu'il s'agisse de légitimité. Certains auteurs peuvent parler de tout, il me semble, même s'ils ne sont pas natifs d'un lieu. Il suffit qu'ils aient du talent et qu'ils soient imprégnés par le pays!
SupprimerLorsque nous sommes allés à Prague le pays ne s'était ouvert au capitalisme que depuis peu et son histoire avait laissé des traces encore prégnantes dans la société : les transports en commun n'auraient pas été souillés, les magasins étaient peu achalandés ; et même, au jardin dont je t'ai parlé personne ne ramassait les fruits pour les manger
RépondreSupprimerNous, nous y sommes allés quelques années après vers l'an 2000, le tourisme commençait à se développer mais la Prague avait gardé son cachet et l'on pouvait être en intimité avec la ville quand on se levait tôt.
Supprimerle tourisme de masse est une plaie, mais nous sommes partie prenante! Sophie Germain, lecture ancienne, bon souvenir mais trèsimprécis!
RépondreSupprimerC'est exactement ce que je pense ! C'est une plaie mais s'il n'existait pas, je ne pourrais peut-être pas voyagé, du moins aussi souvent ! Ceci dit, dans les pays pour lesquels je peux je peux comparer parce que j'y suis allée avant, le contraste est si évident, que j'ai toujours un regret ! Ce qui est dommage, c'est l'uniformisation.
SupprimerDepuis toujours j'ai un problème avec cette auteure qui est encensée largement je ne parviens pas à aimer ses écrits et celui là je l'avais lu lors justement d'un voyage à Prague et je n'avais pas aimé du tout
RépondreSupprimerPersonnellement j'ai beaucoup aimé Tobbie des marais et Le monde sans vous. Là, je n'ai pas été convaincue par cette Pleurante mais je reconnais que le style est d'une grande poésie.
SupprimerJ'ai failli voyager à Prague en juin, mais bon, non.
RépondreSupprimerTon billet donne moins envie. Quant au livre, j'aime beaucoup cette collection chez gallimard
Peut-être faut-il y aller en automne ou, si l'on n'a pas peur du froid, en hiver! Je suppose que l'on doit y retrouver un peu de calme. Curieusement, les seuls endroits désertés sont les musées de peinture, mais il faut supporter la présence de gardiennes zélées (trop) qui ne vous laissent pas respirer !
SupprimerJ'ai plusieurs fois tenté de lire Sylvie Germain, sans arriver à entrer dans son univers.
RépondreSupprimerQuel dommage d'arriver à ce constat de "ville trop bondée, bruyante, vouée au commerce, ce trop plein de boutiques que l’on retrouve maintenant presque partout en Europe". Récemment, un reportage sur l'inauguration d'un nouveau quai à Bruxelles pour les passagers des croisières fluviales les montrait visitant la ville au pas de course puis dépensant x euros par jour - tourisme commercial dans toute sa laideur.
https://www.rtbf.be/info/regions/detail_port-de-bruxelles-un-nouveau-terminal-passager-inaugure?id=9897944
Oui, c'est dommage le tourisme de masse mais je suis bien consciente que j'y participe ! La baisse des prix des transports me permet de voyager plus. Et parfois on a l'impression que les gens ne s'intéressent pas et voyagent pour faire se faire des selfies et rien d'autre.. Ce qui m'ennuie aussi c'est ce commerce qui non seulement envahit tout mais ne correspond plus à un artisanat authentique ! J'avais été horrifiée de le découvrir à Venise où l'on vend des verres de Venise fabriqués en Chine et où les fabriques de verre ferment leur porte les unes après les autres. Là, à part deux ou trois magasins de marionnettes qui présentent l'artisanat local, j'avais l'impression de voir les mêmes choses qu'à Venise !
SupprimerJ'ai aimé certaines oeuvres de Sylvie Germain mais celle-ci non. Le personnage de la pleurante m'a paru factice , c'est pourquoi je me suis demandé si cela ne venait pas de ma déception par rapport à la ville. Déception est peut-être trop fort car la ville, bien sûr, reste belle et riche.
Je vais aller voir le lien que tu m'as donné.
"Une claudication d'écriture, un balbutiement. Un pleurement d'encre."... J'ai beaucoup aimé ce livre et j'aime la Prague brumeuse et hivernale.
RépondreSupprimerTout ce que tu dis m'évoque Propok Poupa, dans un autre livre de S. Germain "Immensités". Un prof relégué au rang de balayeur par le régime, tellement brisé qu'il ne réagit même plus face à la liberté, pour laquelle il a lutté, et le consumérisme qui s'abat sur son pays enfin libre.
Il y a encore moyen, heureusement, de voyager différemment, c'est souvent moins confortable et ça prend plus de temps côté organisation. L'hiver est aussi devenue ma saison favorite pour cela.
Connais-tu "Juste avant l'hiver" de Françoise Henry, ambiance Prague 1969 garantie, pour te consoler des paradoxes de nos sociétés modernes!
http://moustafette.canalblog.com/archives/2012/02/04/23295235.html
Moi aussi tant que je le pourrai, je ne voyagerai pas en groupes. J'ai eu la chance de pouvoir aller en Norvège jusqu'au cap Nord en Mai et il n'y avait pas encore beaucoup de touristes. Ils arrivent en Juin.
Supprimerje viens voir le lien.
Je n'ai pas lu ce livre de Sylvie Germain, un auteur qui reste encore loin de moi. Peut-être un jour.
RépondreSupprimerBonne journée.
Comme je l'ai écrit ci-dessus, j'ai aimé certains de ses livres.
SupprimerJ'ai dû le lire à sa sortie, donc en 1992 ! Je n'en garde pas un souvenir très précis, mais je sais que globalement j'avais aimé l'atmosphère du livre. A l'époque Sylvie Germain habitait Prague, elle y a enseigné quelques années. Je suis passée à Prague en 1970 je crois, donc en pleine époque communiste, de boutiques il n'y avait pas ... J'ai vu la ville dans son jus si je puis dire, avec des traces des combats récents et un climat pesant (des soldats russes partout). Le choc serait rude si j'y retournais.
RépondreSupprimerQuand j'y suis allée, des années après, le tourisme était déjà bien parti, mais les boutiques étaient plus authentiques avec les marionnettes en bois à l'effigie du brave soldat Chveik (presque moribond) et non de Michael Jonhnson, les verres de Bohème qui n'étaient pas fabriqués en Chine comme ceux de Venise etc.. Certains musées n'étaient pas encore créés mais on avait pu voir beaucoup d'oeuvres de peinture réunies dans un seul (plus que cette fois-ci où des salles entières étaient fermées ). Il y avait encore des lieux qui étaient peu bondés si on savait s'écarter et choisir des heures tranquilles.
SupprimerEt on pouvait encore aller dans des tavernes fréquentées par les seuls pragois, manger de la nourriture authentique et danser avec eux.
Je pense que le choc serait rude si tu y retournais. Mais je suppose que quelqu'un qui n'y est jamais allé et qui n'a pas de point de comparaison, sera certainement sensible au charme de la ville.
J'ai visité Prague, au printemps, juste après la chute du bloc communiste. Il pleuvait, il faisait frais, tous les bâtiments étaient noirs et toute la ville sentait le charbon. Trouver une place dans un restaurant n'était pas facile : il fallait respecter une procédure tatillonne et les menus étaient tout sauf folichons...
RépondreSupprimerJe m'aperçois aujourd'hui que cela a été une grande chance !
Ce devait peut-être être un peu triste, non ? Je pense avoir eu la chance d'y être allée à une époque intermédiaire, où il n'y avait plus de pénurie mais beaucoup moins de monde !
Supprimertiens, c'est drôle, je pensais à cet auteur aujourd'hui en rédigeant mon billet sur Le Garçon de Malte, je trouve que leurs écritures se ressemblent parfois.
RépondreSupprimerJe n'ai pas vu la ressemblance. Peut-être ce mélange entre réalité et irréalité ?
SupprimerJe me souviens avoir aimé, mais je ne suis jamais allée à Prague, donc je peux imaginer cette ville comme la voit Sylvie Germain.
RépondreSupprimerOui, et puis il faut savoir qu'elle est toujours aussi belle mais il faut faire abstraction du bruit et la foule.
RépondreSupprimerJe ne lis plus cet auteur ( je crois que j'en ai lu qu'un d'ailleurs) à cause justement de son style symbolique, allégorique qui fait trop factice... Tu n'as pas l'air d'avoir trop apprécié non plus, je ne pense pas le lire malgré les points positifs que tu cites à la fin du billet...
RépondreSupprimerMaggie, mon avis est mitigé. En effet, je n'ai pas aimé le personnage de la pleurante mais paradoxalement j'ai bien apprécié les visions qu'elle drainait et le passé qui surgissait sur ses traces. Etait-il nécessaire de créer ce personnage fantastique ? pour ma part, je trouve que non.
RépondreSupprimerPas facile de découvrir un pays sous l'aspect que nous aimerions avoir de lui pour s'être bien informé avant le départ...
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