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jeudi 13 juin 2024

Le jeudi avec Marcel Proust : A l'ombre des jeunes filles en fleurs Livre 2 Les boules de neige

 

 Pendant mon voyage en Normandie,  je vous laisse avec ce beau texte de Proust ( A l'ombre des jeunes files en fleurs livre 2) dans lequel la femme, ici Odette Swann, est à la fois paysage avec "les névés du manchon" semblables à "des carrés de neige de l'hiver" et fleur avec les "boules de neige" "aux globes blancs comme des anges annonciateurs". On voit combien le vocabulaire religieux est important puisqu'il évoque à la fois l'Annonciation et le Vendredi saint, Odette parée de blanches hermines devenant dans l'imagination du jeune homme un symbole de pureté dans son salon "virginal" et "candidement fleuri". On notera aussi l'importance des odeurs : "de citron", "parfum acide et capiteux" qui permet la remontée du souvenir par la sollicitation de l'odorat et entraînent donc la résurrection de la mémoire, la promenade à Combray, du côte de chez Swann, qui était si chère à Marcel.

Quand le printemps approcha, ramenant le froid, au temps des Saints de glace et des giboulées de la Semaine Sainte, comme Mme Swann trouvait qu’on gelait chez elle, il m’arrivait souvent de la voir recevant dans des fourrures, ses mains et ses épaules frileuses disparaissant sous le blanc et brillant tapis d’un immense manchon plat et d’un collet, tous deux d’hermine, qu’elle n’avait pas quittés en rentrant et qui avaient l’air des derniers carrés des neiges de l’hiver plus persistants que les autres, et que la chaleur du feu ni le progrès de la saison n’avaient réussi à fondre. Et la vérité totale de ces semaines glaciales mais déjà fleurissantes, était suggérée pour moi dans ce salon, où bientôt je n’irais plus, par d’autres blancheurs plus enivrantes, celles, par exemple, des « boules de neige » assemblant au sommet de leurs hautes tiges nues comme les arbustes linéaires des préraphaélites, leurs globes parcellés mais unis, blancs comme des anges annonciateurs et qu’entourait une odeur de citron.

 


 

Car la châtelaine de Tansonville savait qu’avril, même glacé, n’est pas dépourvu de fleurs, que l’hiver, le printemps, l’été, ne sont pas séparés par des cloisons aussi hermétiques que tend à le croire le boulevardier qui jusqu’aux premières chaleurs s’imagine le monde comme renfermant seulement des maisons nues sous la pluie. Que Mme Swann se contentât des envois que lui faisait son jardinier de Combray, et que par l’intermédiaire de sa fleuriste « attitrée » elle ne comblât pas les lacunes d’une insuffisante évocation à l’aide d’emprunts faits à la précocité méditerranéenne, je suis loin de le prétendre et je ne m’en souciais pas. Il me suffisait pour avoir la nostalgie de la campagne, qu’à côté des névés du manchon que tenait Mme Swann, les boules de neige (qui n’avaient peut-être dans la pensée de la maîtresse de la maison d’autre but que de faire, sur les conseils de Bergotte, « symphonie en blanc majeur » avec son ameublement et sa toilette) me rappelassent que l’Enchantement du Vendredi Saint figure un miracle naturel auquel on pourrait assister tous les ans si l’on était plus sage, et aidées du parfum acide et capiteux de corolles d’autres espèces dont j’ignorais les noms et qui m’avait fait rester tant de fois en arrêt dans mes promenades de Combray, rendissent le salon de Mme Swann aussi virginal, aussi candidement fleuri sans aucune feuille, aussi surchargé d’odeurs authentiques, que le petit raidillon de Tansonville.  


James A. Whitsler




4 commentaires:

  1. Beau voyage!
    D'ici peu je participerai encore...

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  2. ces passages que tu cites sont parmi ceux que je peux relire indéfiniment

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  3. Merci pour ces blancs "comme des anges annonciateurs".

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  4. Belle symphonie en blancs, merci !

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