Pages

Affichage des articles dont le libellé est BD. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est BD. Afficher tous les articles

mardi 21 août 2012

La Tempête au festival d'Avignon et une BD de Edouard Leskon


Caliban


J'aime de plus en plus La tempête de Shakespeare! La première lecture m'a surprise et décontenancée. Mais plus je lis la pièce, plus je suis sensible à la poésie, au charme de la langue (traduite, hélas, mais belle tout de même) et à la multiplicité des sens!

 Au festival d'Avignon, cette année, il y avait trois représentations de la pièce. j'ai choisi celle du Footsbarn Theater : La Tempête indienne, c'est le titre, car le texte de Shakespeare est transposé(?) en Inde. *

L'idée m'a plu. Je me suis demandée avant d'aller voir le spectacle, ce que ce déplacement dans un pays comme l'Inde apporterait à la pièce. Caliban méprisé par Prospéro, considéré comme inférieur par des hommes qui prennent le pouvoir dans son île et le réduisent en esclavage n'est-il pas une allégorie des peuples colonisés, asservis, comme l'a été l'Inde par les anglo-saxons et les peuples  du Nouveau Monde à l'époque de Shakespeare?
D'autre part, la troupe est composé d'acteurs de nationalités différentes et chacun parle sa propre langue. Le principe était séduisant pour montrer l'universalité du dramaturge.
Mais j'ai été déçue dans l'ensemble et je n'ai pas vu de lecture particulière par rapport à l'Inde si ce n'est que quelques acteurs sont indiens et Miranda porte un sari pour ses fiançailles. La pièce est traitée en farce et les personnages comiques sont assez lourds et ne font pas rire. Miranda est une jeune princesse capricieuse et puérile mais il n'y a pas d'évolution du personnage, d'émotion entre Ferdinand et elle quand ils découvrent la magie de l'amour. Ni Ariel, ni Caliban ne rendent  la poésie de la pièce, quant à la réflexion sur le pouvoir, le Bien et le Mal, la nature et la civilisation, elle m'a paru occultée car l'utilisation de plusieurs langues rend la pièce obscure (incompréhensible pour ceux qui ne la connaissent pas!)
Finalement ce qui m'a le plus plu dans ce spectacle, ce sont les êtres bizarres, mi-objet, mi-humain, mi-animal qui s'animent devant nous,  les décors de voile transparent derrière lequel le bateau glisse amenant les personnages au milieu de la Tempête et les remportant une fois la paix revenue et aussi…  la musique.


*J'ai déjà présenté La Tempête, l'intrigue et les thèmes ICI  

Une BD pour la Tempête

Une île pleine de bruits ou l'invention du territoire d'un magicien


Edouard Leskon 


J'ai découvert  ICI un article d'Edouard Leskon qui explique la naissance d'une adaptation de La Tempête en BD. Les dessins et l'imagination de l'auteur me paraissent au niveau du grand Shakespeare dont il rend la poésie et le mystère.

Caliban

Caliban dessiné par Edouard leskon

 Caliban, fils d'une sorcière, est un des personnages qui m'intriguent le plus. Il est présenté comme une sorte de monstre qui a cherché à abuser de Miranda, qui n'a jamais répondu à "la bonté" de Prospéro  et de sa fille. Pourtant quand on voit l'attitude de Prospéro envers lui, Caliban apparaît plutôt comme une victime :

** Miranda
Je n'aime pas regarder ce misérable

Prospéro
Mais tel qu'il est comment ferions-nous sans lui?
Il allume notre feu, rentre notre bois
Et vaque à d'utiles besonges. Caliban!
 Hola, esclave! Et bien, répondras-tu limon?
 (...)

Caliban
De par ma mère Sycorax, elle est à moi
Cette île que tu m’as prise. Pour commencer,
Quand tu es arrivé ici, tu me flattais
Et tu faisais grand cas de moi ; tu me donnais
De l’eau avec des baies dedans ; tu m’apprenais
 À nommer la grande lumière et la petite
Qui brûlent le jour et la nuit ; moi, je t’aimais
 Alors je te montrais les ressources de l’île,
Eaux douces, puits salés, lieux ingrats, lieux fertiles.
Maudit sois-je pour l’avoir fait ! Que tous les charmes
De Sycorax, chauve-souris, crapauds, cafards,
Pleuvent sur vous !
Je suis votre unique sujet, Moi qui étais mon propre roi (Acte I,  scène 2)


Un monstre, Caliban? De Prospéro qui utilise la force et la violence pour soumettre ceux qui lui résiste et de lui, quel est le plus monstrueux? De plus, cet être qui est mi humain, mi animal a été capable d'apprendre le langage, de s'en servir pour l'injure et la révolte face à ces maîtres mais aussi pour la poésie. Il y a en Caliban un être sensible à la nature et à la beauté et qui sait exprimer ses sentiments d'une manière délicate.

Laisse-moi te conduire aux pommiers sauvages,
Te déterrer des truffes grâce à mes longs ongles,
Te faire voir un nid de geai, te montrer comme
On le piège le vif marmouset, te mener là
Où l'aveline pend en grappe, et dans le creux
Du roc te dénicher de petites mouettes.
Viendras-tu avec moi? Acte II scène 2


Sois sans crainte ! L’île est pleine de bruits,
De sons et d’airs mélodieux, qui enchantent
Et qui ne font pas mal. C’est quelquefois
Comme mille instruments qui retentissent
Ou simplement bourdonnent à mes oreilles,
Et d’autres fois ce sont des voix qui, fussé-je alors
À m’éveiller après un long sommeil,
M’endorment à nouveau ; – et dans mon rêve
Je crois que le ciel s’ouvre ; que ses richesses
Vont se répandre sur moi… À mon réveil,
J’ai bien souvent pleuré, voulant rêver encore »
(Acte III, scène 2)

** Traduction de Pierre Leyris:

D'autres représentations de Caliban


Caliban par Odilon Redon


Caliban par Charles A. Buchel


Caliban par William Hoggarth


Caliban John Mortimer




Challenge de Maggie et Claudialucia

samedi 12 mai 2012

Antonio Altabirra/ Kim : L'art de voler



L'art de voler de Antonio Altabirra est un roman graphique. J'avoue qu'au départ ces toutes petites vignettes sagement alignées, en noir et blanc, ne m'enthousiasmaient pas! Je trouvais à priori la conception un peu vieillotte à côté des bandes dessinées actuelles. Mais... sur les conseils de Wens,  du blog En effeuillant le chrysanthème, - "lis-le et tu verras!" - , je me suis lancée dans cette lecture! Que dis-je lancer? Plutôt plonger, enfoncer, perdue, et je n'ai pu quitter de roman avant la fin. Roman estampillé donc : lu d'une seule traite, roman prenant, passionnant d'où naît tristesse, nostalgie mais aussi attachement et admiration pour le personnage central.

Antonio Altabirra part d'un fait réel : Un homme de 90 ans se jette du quatrième étage d'une maison de retraite. Oui mais ce vieillard, c'est son père, un autre lui-même.  Altabirra nous raconte alors la vie de son père, Antonio, et son enfance pauvre dans un petit village rural d'Aragon, comment il s'arrache à cette vie âpre de petit paysan attaché à son lopin pour la misère de la grande ville, pris ensuite dans l'engrenage de la guerre civile qui l'oblige à choisir son camp. Lui qui refuse de tuer et feint d'être un mauvais tireur s'engage alors dans l'armée anarchiste où il devient chauffeur. De quoi lui rappeler ses jeunes années quand il pilotait une automobile en bois et s'envolait en rêve avec elle dans le ciel....

Oui, mais le rêve n'est pas pour des gens comme Antonio. Ce roman raconte, à travers l'histoire individuelle, la vie brisée de toute une génération d'espagnols jetés dans la guerre civile, du côté des perdants... Ces "soldats de Salamine" dont parle Javier Cercas dont les déchirements ne s'arrêtent pas avec la fin de la guerre civile mais continuent en France où ils sont parqués dans des camps. Enrôlés dans une autre guerre et, malgré la part qu'ils ont pris dans la résistance, poussés par la xénophobie française à revenir en Espagne après 1945, malgré le franquisme. Ils n'ont jamais connu la liberté.

Le personnage d' Antonio est un homme sympathique avec ses défauts et ses faiblesses. Il devra faire des compromis et mettre ses idées sous éteignoir pour faire vivre sa famille. Mais il n'abandonne jamais complètement ses rêves de liberté. Qu'il les réalise en se jetant d'une fenêtre de sa maison de retraite où il est encore traité comme un prisonnier en dit long sur ce qu'a été sa vie! Nous sommes aussi touchés par la tendresse et l'admiration que l'écrivain porte à son père.  D'où la totale empathie que nous éprouvons envers ce personnage hors du commun.

Quant au graphisme de Kim qui m'avait d'abord peu attirée, voilà qu'en me penchant sur ces petites images, je suis entrée entièrement dans ce monde, prêtant attention aux détails révélateurs des sentiments des personnages, à la reconstitution  historique  précise. Mes préjugés sont tombés. L'aspect miniature du dessin nous oblige à être près des gens, de leur misère, de la violence autour  d'eux.  D'où la totale empathie que nous éprouvons envers eux. Nous faisons partie du décor et comme il est bien sombre nous en ressortons avec le coeur serré!


 Challenge d'Ys dans le cadre des romans graphiques

lundi 21 novembre 2011

Jack London : Construire un feu



Construire un feu de Jack London  réunit plusieurs récits de Jack London dont la nouvelle éponyme.

L'ensemble des sept nouvelles se situent dans un lieu géographique qui s'étend du Nord-Ouest du Canada jusqu'à la Colombie britannique et l'Alaska avec pour axe le Yukon. Ces paysages glacés, désertiques, qui mettent l'Homme à l'épreuve, le confrontent à la solitude et à la mort, sont les champs d'expérience d'hommes rudes, âpres, durs à la souffrance, à la nature fruste mais au courage souvent sans mesure. Ces individus sans foi ni loi, cruels et violents, trappeurs, chercheurs d'or, voyageurs, Jack London nous en brosse des portraits  forts et haut en couleurs. Ainsi dans Perdu-de-face, le personnage principal parti de Pologne, arrive en Alaska où il se joint à une bande de chasseurs de phoques barbares qui réduisent la population autochtone à l'esclavage. Mais les victimes prouveront bientôt qu'elles ne valent pas mieux que les bourreaux.

Dans toutes ces nouvelles, la nature sert de révélateur, elle confronte l'Homme à sa propre image, elle est aussi la métaphore de la Mort que chacun doit affronter.  Dans Construire un feu, un homme accompagné de son chien se sont engagés sur une piste qui longe le Yukon pris dans les glaces et  qui doit les conduire vers le refuge où l'attendent ses compagnons. Mais la route est longue, la température avoisine -75° et l'on ne s'engage jamais seul sur une piste avec un froid aussi intense.. Construire un feu devient alors un geste désespéré qui, si l'on échoue, vous condamne obligatoirement à la mort. L'homme apprendra à ses dépens que la nature ne permet pas la moindre erreur. C'est peut-être l'un des plus belles et des plus saisissantes nouvelles du recueil.

Sur un mode plus léger nous voyons dans Ce Sacré Spot, deux amis se fâcher car chacun veut refiler à l'autre le chien Spot, voleur, paresseux, batailleur qui ne pense qu'à manger!  Mais l'ironie devient cruelle avec Mission de confiance, récit dans lequel Fred Churchill est chargé de rapporter un sac à son ami Mc Donald. Il le fera  au prix d'énormes souffrances, au risque de sa vie, avant d'apprendre ce que contenait la sacoche. Jack London dans ce recueil manie, en effet, toutes les facettes de l'humour.  L'humour noir  avec  la disparition de Marcus O Brien, récit dans lequel les personnages ont  des conceptions un peu particulières de la justice. Ils estiment légitime d'expédier dans l'au-delà leur camarade s'il chante faux et offense leurs oreilles! L'humour tourne à la farce grotesque mais sanguinolente dans Perdu-la-Face où le héros pour éviter d'être torturé par les indiens invente un stratagème qui ridiculise le chef. Quant à Braise d'or, l'un des personnages féminins du recueil, elle paiera le prix fort pour sa légèreté, le cadavre de son fiancé abandonné s'invitant à sa noce. Humour noir qui glisse  vers un  fantastique macabre, vision hallucinée de ce cadavre éjecté de son cercueil et qui conduit la fiancée infidèle à la folie. 
Ainsi l'humour semble souvent inséparable du pessimisme  de Jack London souligne  les thèmes de la Nature implacable et de la Mort, celui de la barbarie de l'Homme dans un pays qui semble échapper aux lois de la civilisation. Une barbarie qui n'a d'égale que le courage car l'Homme est capable du meilleur et du pire! Un très beau recueil de nouvelles.

              Une Bande dessinée de Chabouté


Chabouté a adapté la nouvelle Construire un feu en Bande dessinée. C'est une réussite! Les dessins en noir et blanc correspondent à chaque phrase-clef de la nouvelle, décrivant le froid, la solitude de l'homme, les gestes minutieux rendus difficiles par le gel pour allumer le feu. Les plans d'ensemble qui peignent l'immensité déserte et donnent la mesure de  la petitesse de l'homme alternent avec des gros plans. Ceux-ci montrent dans le détail les souffrances endurées par le personnage, l'action terrible du froid. Les pensées sont traduites dans des bulles comme s'il s'agissait d'une voix off qui commente la situation. La beauté des dessins rend pleinement compte de cette confrontation tragique entre l'Homme et la Nature, de la disproportion entre l'être humain si frêle et la nature si puissante. Elle montre la démesure de cette lutte racontée par Jack London et comment l'homme paiera son orgueil de sa mort.
 Deux artistes de talent réunis pour une oeuvre sombre et forte.

Chez Folfaerie


Chez Sabbio

jeudi 6 octobre 2011

Charles-Monroe Schluz et Montaigne : la vie c'est comme...




Snoopy : un de mes philosophes préférés...


La vie, c’est comme un cône glacé ; il faut savourer chaque bouchée.

 Pas si éloigné de Montaigne après tout :

Les autres sentent la douceur d'un contentement et de la prospérité, je la sens ainsi qu'eux, mais ce n'est pas qu'en passant et en glissant : si la faut-il étudier, savourer, ruminer., pour en rendre grâces... Ils jouissent les autres plaisirs comme ils font celui du sommeil sans les connaître. A celle fin que le dormir même ne m'échappât ainsi stupidement, j'ai autrefois trouvé bon qu'on me le troublât pour que je l'entrevisse. 
Livre III chapitre XIII

Avec Chiffonnette

jeudi 29 septembre 2011

Septième festival du Polar à Villeneuve-Lez-Avignon



 C'est là que je serai ce week end!
  
Le Septième festival du polar a lieu a Villeneuve-lez-Avignon du 30 Septembre au 2 Octobre, films, expositions, conférences,  tables rondes, lectures et rencontres vont s'y succéder pendent trois jours.
Ce festival est dédié cette année au polar nordique qui connaît un engouement particulier chez nous en ce moment. Sept auteurs nordiques sont donc invités parmi les cinquante écrivains qui seront présents.

 

les invités d'honneur
Arne Dahl
Ake Edwarsson,
Leena Letholainen
Jon Alur Steffanson
Gunnar Staalesen
Jan Costin Wagner

Quelques noms piochés au hasard parmi ceux que je connais

Michel Bussi
Sylvie Rouch
Dominique Sigaud
Didier Daeninckx
Caryl Ferey
Illustrateurs
Mako
Renart


 Pour le programme, je vous renvoie à l'adresse suivent ICI  mais voici un aperçu de ce j'ai envie de voir, d'écouter. Bien sûr, certaines heures se chevauchant, il va falloir choisir.

Cinéma nuit du noir
FIlm allemand de Baran Bo Odar : Il était une fois un meurtre
Film  suédois de Johann Runeborg Sleepwalker

expositions :  La cité réinventée : planches d'illustrateurs et de dessinateurs de BD
Installation de Dominique Testud, Photographe scènes de crime à la boulangerie
Conférences : Polar  nordique : une fenêtre sur les particularités des sociétés scandinaves
 Lectures boréales par l'acteur Antoine Coessens
Spectacle théâtre : Requiem pour Miss Blandish par la compagnie Subito

mercredi 28 septembre 2011

Chabouté : Tout seul


 Tout seul, bande dessinée de Chabouté, est un petit bijou d'émotion, de poésie, de beauté, de tendresse, d'espoir. .. Si vous n'avez pas encore lu cette BD, faites-le vite! Et si vous ne deviez en lire qu'une dans votre vie, que ce soit celle-là!

Cet album est presque sans paroles, les personnages qui y vivent sont soit des marins taciturnes, soit un solitaire, séparé de la civilisation, prisonnier volontaire dans un phare en pleine mer. Le dessin en noir et blanc, jouant sur le lumières de la nuit et du jour,  prend alors toute son importance, c'est lui qui raconte tout ce qui n'est pas dit, c'est pourquoi il faut être attentif aux moindres détails, et il est fantastique. Les variations des points de vue nous permet une approche toujours renouvelée de l'histoire. Nous sommes oiseaux et nous nous laissons porter par le vent pour nous poser sur la lanterne du phare, poisson dans un bocal nous contemplons la solitude d'un autre être, solitude qui n'a d'égale que la nôtre, marin, nous essayons de percer le mystère du phare..  A cela s'ajoutent les variations des cadrages, d'un gros plan qui éveille en nous la curiosité à un plan d'ensemble qui nous révèle la réalité…  Le dessinateur joue ainsi sur le mystère, éveille notre imagination. Chabouté suggère aussi le mouvement par le procédé cinématographique  d'un plan fixe qui permet de voir s'éloigner le bateau ou au contraire de le voir se rapprocher, venant droit sur nous, pour créer l'impression de durée dans le temps. Car l'histoire a un rythme, celui de la lenteur, de l'égalité des jours qui se traînent et se ressemblent, sauf quand survient un évènement, quand il y a irruption de la vie dans le quotidien.


Et puis il y a la poésie de l'image et du sens. On y voit l'importance des mots qui peuvent aider à vivre, enflamment l'imagination, permettent de se projeter dans un autre univers et d'oublier un instant les souffrances du présent. Mais l'on apprend aussi que l'imagination ne suffit pas et que vivre c'est aussi se confronter au réel. Le monde a, en soi, tant de beautés dépassant l'imagination qu'il faut aller au devant de lui, même si cela requiert force et courage. C'est la belle leçon de cet album qui, pour recéler des trésors  d'émotion, est cependant sobre et pudique comme le sont les personnages. Car la livre est  une belle histoire de solidarité et d'humanité. Aussi bourru soit-il le capitaine est un homme profondément honnête et généreux, quant au marin, c'est lui qui va détenir la clef de la liberté et ouvrir la porte au reclus pour une nouvelle naissance.



mercredi 7 septembre 2011

Christian de Metter : Marylin ou de l'autre côté du miroir (BD Casterman)



 La BD de Christian de Metter  "Marylin , de l'autre côté du miroir", que je viens de découvrir, est un véritable coup de coeur.

L'histoire d'abord : un jeune homme, écrivain en herbe, que l'on devine rêveur et imaginatif, aperçoit Truman Capote en compagnie d'une jeune femme brune dans un bar new yorkais. Truman Capote! Son écrivain préféré, admiré, adulé! Aussi quand la compagne de Capote, ivre morte, est prête à rouler sous la table, le jeune homme propose sa voiture pour les raccompagner! C'est ainsi qu'il découvre que la jeune femme n'est autre que Marylin, la blonde Marylin débarrassée de sa perruque! C'est le début d'une amitié respectueuse qui les entraînera au cours d'un voyage en voiture et d'une panne dans la neige jusqu'à un manoir mystérieux où vivent d'étranges personnages...

Le titre, de l'autre côté du miroir, bien sûr, hommage à Lewis Caroll, donne le ton. L'auteur va nous faire pénétrer dans un univers mystérieux et fantastique. Les images ont les teintes froides, bleutées et grises de l'hiver seulement éclairé par les flocons de neige. Le nom de la demeure  Mirror House où les héros vont se réfugier, cette petite fille en robe d'été qui leur apparaît au milieu de la neige pour les guider, ces domestiques taciturnes et légèrement effrayants qui les accueillent, le maître de maison dont l'absence crée un malaise, tout nous amène à ce glissement d'un monde à l'autre, un passage à travers le miroir.

Avec habileté, humour, il nous introduit dans la vie de ces personnages célèbres, dans la nostalgie d'une époque révolue. Truman regrette que le rôle de Holly soit attribuée à la trop sage Audrey. Il parle, bien sûr de l'adaptation de Breakfast at Tiffany. Il vient d'apprendre qu'il y a eu un crime dans le Kansas. Nous savons que ce fait divers donnera naissance à In cold blood (De sang froid). Mais le livre est surtout un bel hommage à Marylin. Christian de Metter s'intéresse non à l'artiste célèbre et glamour, non à la séductrice mais à la femme blessée, mal aimée, à ce côté enfantin qu'elle porte  en elle et qui contraste avec sa vie  fantasque, folle, noyée dans l'alcool. L'image refuse de montrer Marylin en représentation. Elle reste sobre, souvent dans les teintes sombres. La beauté vient des paysages extérieurs, New York, la campagne sous la neige. Tout en nous intéressant à l'histoire pleine de poésie et de mélancolie, l'auteur nous permet de cerner la personnalité de Marylin, en fait un personnage sensible, profondément humain.

La personnalité du narrateur est aussi très intéressante. Ecrivain en herbe, on devine qu'il est un lecteur assidu et que la littérature est tout pour lui comme le prouve son admiration pour Capote. Il a une personnalité attachante, ne profite pas de la détresse de Marylin pour coucher avec elle. Il est encore comme elle le lui dit un petit garçon, plein d'admiration, en train de vivre une rêve. On devine aussi qu'il est connu par sa famille comme un affabulateur. Il a dû raconter tellement d'histoires que personne ne veut le croire! En fait, un passage à la fois plein d'humour mais triste aussi,  montre que sa mère, malade, dont il a oublié l'anniversaire, ne peut le croire que s'il raconte un mensonge!

La chute du récit est très belle mais je ne vous ne dis pas plus pour vous laisser la surprise!

Voir aussi  ici 
Wens



Chez George

samedi 26 mars 2011

Fred Vargas et Edmond Baudoin, Le marchand d'éponges




Je ne m'attendais pas en ouvrant cette courte nouvelle de Frédéric Vargas, extraite du recueil Cinq francs pièces et  illustrée par Edmond Baudoin, à ressentir un tel plaisir de lecture. Le marchand d'éponges est une nouvelle graphique dont le charme est lié à la parfaite adéquation jamais redondante entre le récit et l'image, tous deux imprégnés de poésie, d'humanisme et d'humour.
On y retrouve toutes les qualités de Fred Vargas à la fois dans le récit et dans les dialogues.
Le commissaire Adamsberg enquête sur le meurtre en pleine nuit d'une jeune femme de la haute société. Il interroge un SDF qui a assisté au meurtre mais ce dernier ne veut rien dire. Il sait trop, lui qui est un laissé pour compte, lui qui vend des éponges dans les rues de Paris, au milieu de l'indifférence générale, que si la victime était d'un milieu modeste, il n'y aurait pas un tel déploiement de police pour rechercher les meurtriers.
Vargas excelle dans la confrontation de ces deux êtres que tout pourrait opposer et qui, pourtant, se ressemblent. Le commissaire Adamsberg, notre "pelleteur de nuages" et Pi,  vieillard crasseux, malmené par la vie, qui se révèle aussi poète à sa manière, sont faits pour se comprendre. C'est en lui accordant attention et respect que le commissaire Adamsberg parviendra à obtenir son témoignage. Comme d'habitude Fred Vargas s'intéresse aux humbles, aux marginaux à qui la vie n'a jamais fait de cadeau. On sent la tendresse dont elle les pare. Son SDF est vrai, vivant et finalement sympathique même s'il est peint sans idéalisme. Mais il est aussi hors norme avec son don exceptionnel pour les chiffres, tout comme l'est Adamsberg, remueur de chimères, qui va avoir un idée formidable pour faire vendre les éponges de Pi.
Quant aux dialogues insolites, inattendus, ils entraînent le lecteur dans un monde décalé et poétique où rire et émotion se rencontrent.

Les illustrations d'Edmond Baudoin en noir et blanc nous promènent dans les rues de Paris, sur les places, dans le métro. La ville devient un personnage à part entière. Les  images des déambulations d'Adamsberg, dans le silence de la nuit, le long de la Seine, sous les ponts, sont propres à la méditation et dégagent une mélancolie qui vont bien avec  personnage. La variation des points de vue, lorsque l'image nous permet de nous élever pour contempler la ville dans son ensemble ou la Seine vue d'une gargouille de Notre-Dame donne à l'homme sa juste place, une petite silhouette solitaire dans une ville immense, splendide pourtant dans son indifférence. J'ai beaucoup aimé aussi les affiches sur les murs du métro de Paris pendant le dialogue du commissaire et du SDF, un arrière fond plein de signification qu'il faut regarder avec minutie.
Parfois l'image est en décalage avec le dialogue, a tel point qu'une autre histoire racontée cette fois par Baudoin interfère avec le récit de Vargas. Ainsi quand Adamberg et Pi parlent dans un café, on voit au premier plan un couple d'amoureux(?) qui aperçoit quelque chose hors champ et a l'air effrayé. C'est comme si le dessinateur nous disait : attention, moi aussi je raconte ! Il n'y a pas que Adamsberg et Pi , les autres aussi existent et ont leur histoire personnelle.
Voir l'article de wens .




logo-challenge-la-nouvelle5.1300840717.jpg
initié par Sabbio

jeudi 17 mars 2011

Baudoin: Les essuie-glaces

Mondrian, l'arbre rouge


Il y a des êtres avec qui on est bien tout de suite, c'est inexplicable. Dès qu'on les voit, on sait que l'on va être bien avec eux. Cette évidence n'est pas vrai  qu'avec les humains, elle est vraie avec les chiens, les chats, les ânes et les chèvres... avec les oiseaux, c'est plus difficile, mais avec les plantes, ça marche. Il y a des arbres qu'on aime au premier regard.

mercredi 16 mars 2011

Baudouin : Les essuie-glaces


Les essuie-glaces est une BD de Baudouin que j'ai lu avec Wens (En effeuillant les chrysanthèmes ) et  que nous avons décidé de commenter ensemble.
Baudoin qui vient de passer trois ans au Québec doit repartir en France. Il va faire avec Laurence, Jean-Guy, poète québécois et Violette, un dernier voyage au Québec jusqu'en en Gaspésie afin de dire adieu à ce pays et à ses habitants qu'il a appris à  aimer.
Les premières pages de la bande dessinée nous place dans une dimension onirique : un  homme prisonnier d'un long et austère couloir aux portes fermées emprunte un escalier qui se déroule dans le ciel, appuyé sur l'air. Puis l'escalier devient une voie de chemin de fer qui finit par  s'ancrer dans le sol et l'amène  à une gare étrange ou une jeune fille tout aussi étrange attend un train partant vers n'importe où. Et cet homme qui n'est autre que le dessinateur lui-même va alors raconter ce dernier voyage avec lequel interfèrent les rappels de son séjour de trois ans en pays québécois. Le récit n'est pas linéaire et fait fi du cartésianisme. Comme son ami Jean-Guy, Baudoin est un rêveur, un poète. Les souvenirs se bousculent, réflexions, pensées intérieures, retours en arrière dans son passé mais aussi dans le passé du pays, comme, par exemple, quand il fait raconter par Jocelyne la déportation des Acadiens.


J'ai aimé la poésie et la nostalgie qui émanent du récit et de l'image. Très souvent la page se divise en longs bandeaux qui donnent l'impression d'une vision panoramique du paysage pour mieux en rendre l'ampleur, l'étirement, la vastitude, l'idée qu'il est à une autre échelle. Il y a un mélange entre réalisme et rêve. On reconnaît très bien les lieux (et ce n'est pas un mince plaisir pour moi qui ai voyagé là-bas et en garde un si beau souvenir), dessinés avec précision, les maisons avec les escaliers extérieurs métalliques de Montréal , les  îles du Saint-Laurent, la petite église rouge de Tadoussac, le rocher de Percée…

Tadoussac
baudoin-tadoussac.1300227757.jpg
Mais les dégradés de  bleus, le gris des arbres aux branches dénudés de la forêt,  les  traits de crayon comme estompés par la brume, créent un univers plein d'une  beauté triste ou flamboie parfois  le rouge d'un vêtement, d'un toit d'église, ou d'un canoë qui sombre pour signifier le mot fin.  Car c'est bien un adieu et non un au revoir à ce pays, à son amour, à cette période de sa vie.  Baudoin semble être de ceux qui tirent un trait sur le passé, qui ne revienne pas en arrière mais il emporte deux belles images  en guise de cadeau : celle d'un cerf qui lui est donné par une indienne dans une forêt démesurée et celle de Laurence, Violette et Jean-Guy souriant. Pourtant les essuie-glaces qui essaient d'effacer le gris du ciel dans la dernière partie du voyage n'y parviennent pas.
tadoussac-eglise-rouge.1300227875.jpg
Eglise de Tadoussac

baudoin-riopelle.1300227487.jpg
Jean Paul Riopelle est un grand peintre, graveur et sculpteur québécois. Il est né à Montréal en 1923  et mort à l'Ile-aux-Grues en 2002
jean-paul-riopelle.1300267120.jpg
Riopelle : période mosaïque

samedi 6 novembre 2010

Daeninckx et Tardi : Le der des ders (BD)



Je n'ai  pas lu le livre de Daeninckx Le der des ders que Tardi a adapté pour sa bande dessinée. Je ne peux donc juger de la valeur de l'adaptation et c'est donc sur la BD de Tardi que je m'attarderai.
Varlot, détective privé, aidé par sa secrétaire et petite amie Irène, enquête sur une affaire confidentielle à la demande du colonel Fantin de Larsaudière. Celui-ci un héros de la guerre de 14 se voit menacé dans son honneur par un maître chanteur qui est au courant des infidélités de sa femme. Histoire banale et simple, pense Varlot! Le détective va s'apercevoir peu à peu que l'enquête est beaucoup plus complexe que prévu et qu'elle met en cause le passé du colonel et sa conduite en temps de guerre. Une affaire dangereuse qui pourrait bien être fatale à plus d'un comme nous le constaterons en lisant le livre!
Dans cette BD, on retrouve un thème commun aux deux hommes, Daeninckx et Tardi, tous deux hantés par la guerre de 14-18 dont ils sont devenus des spécialistes. Ils dénoncent l'horreur la stupidité de ces combats meurtriers présents partout et d'une manière presque hallucinatoire dans l'image et le texte : Varlot passe devant l'abattoir de la Villette vers lequel est conduit un troupeau de  moutons et l'image se transforme sous ses yeux en une armée de poilus marchant en rangs serrés vers la mort, prêts à l'abattage dans cette grande "boucherie héroïque" dont parle Voltaire. Varlot aperçoit, en ouvrant une porte, les corps enlacés d'un club échangiste? Se substituent alors la vision  et les râles des corps gisant dans la douleur et le sang des soldats de la Grande Guerre. La guerre est partout. Elle poursuit le jeune détective jusque dans ses rêves violents et obsessionnels qui ne le quittent jamais. Ici, on visite l'hôpital des Gueules cassées. Là on voit une charmante mariée sortant de l'église à côté d'un infirme, assis dans un fauteuil roulant. C'est donc avec véhémence et passion que Daeninckx et Tardi dénoncent la guerre mais aussi ceux qui en vivent, ceux qui envoient les simples soldats se faire tuer en se retranchant derrière leur tenue galonnée. Autant dire que l'antimilitarisme des deux est virulent et que leur vision de la société est pessimiste parce que la raison du plus fort, comme nous le prouve le dénouement, est toujours la meilleure. Une vision amère et désabusée à la Céline!
J'aime beaucoup les illustrations de Tardi. Le Paris des années 1920 nous y apparaît reproduit avec une précision et une richesse qui se révèlent dans le moindre détail. Le choix du noir et blanc est fidèle à l'esprit du livre, à son pessimisme et rappelle le cinéma de l'époque. Détailler chaque image est un plaisir ainsi que reconnaître les rues, les quartiers de Paris, constater la différence avec la ville contemporaine. La circulation a bien changé, peu intense. Les voitures hippomobiles concurrencent encore l'automobile surtout pour les véhicules utilitaires servant aux livraisons. La bébé Peugeot voisine avec la petite anglaise Carden ou l'énorme Vauxhall, la grosse anglaise des riches, du colonel et de la colonelle Fantin. Le train à vapeur avec sa grosse colonne de fumée, le métro avec la publicités du lait Maggie, les pavés des rues minutieusement dessinés luisant sous la pluie, le siège de l'Humanité, l'Opéra, Neuilly avec ses hôtels particuliers, la place Clichy , Roissy ... le Paris des riches et des pauvres apparaît ici avec une foule de personnages dont certains ont pratiquement disparu du paysage français : les Hirondelles, agents de police sur leur vélo avec leurs grandes capes déployées comme des ailes, les religieuses en cornette, la Nurse coiffée d'un bonnet blanc promenant les trois enfants de bonne famille en costume de marin, les ouvriers grévistes (ceux-là, non, ils sont toujours d'actualité!), cigarette au bec, casquette enfoncée sur la tête, surveillés par les gardes mobiles à cheval.. Un monde passé ressucite traversé par des images de cauchemar et fait de cette BD une réussite!