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samedi 10 novembre 2018

Honoré de Balzac : L'auberge rouge

Le narrateur et Victorine Taillefer

L’auberge rouge de Honoré de Balzac commence comme de nombreux romans de l’époque romantique par une histoire racontée par un convive, à la fin d’un bon repas. Nous sommes chez un banquier parisien qui a réuni des amis autour de sa table pour honorer Hermann, un banquier allemand, de passage dans la capitale. Et c’est, bien sûr, à la demande d’une "blonde et jeune personne", la fille du banquier, « qui sans doute avait lu les contes d’Hoffmann et les romans de Walter Scott » que le récit ( qui doit faire peur) commence.
Le relation d’Hermann se déroule en Allemagne en 1799 pendant les guerres napoléoniennes. Deux étudiants en chirurgie, militaires français, originaires de Beauvais, rejoignent leur régiment. L’un se nomme Prosper Magnan, l’autre, dont Hermann a oublié l’identité, reçoit pour les besoins du récit le prénom de Wilhem. Tous deux s’arrêtent dans une auberge peinte en rouge et louent une chambre qu’ils doivent partager avec un vieux négociant. Pendant la nuit, Prosper, d’origine modeste, est tenté par une mallette pleine d’argent, une véritable fortune, que le voyageur a placée sous son lit. Il est prêt au meurtre. Effrayé par ses pulsions criminelles, il s’enfuit par la fenêtre et ne revient que lorsqu’il a surmonté son trouble et repoussé la tentation.  Pourtant le lendemain, l’on retrouve le vieillard mort, la tête coupée par un instrument chirurgical qui lui appartient. Wilhem, quant à lui, a disparu; la valise aussi. Prosper est accusé de meurtre et condamné à mort. C’est là qu’il fait connaissance de Hermann. Ce dernier est bien vite convaincu de son innocence…

Le romantisme

David Caspar Freidrich

Balzac se moque des codes traditionnels du romantisme tout en leur obéissant ! Il place le récit d’Hermann en Allemagne, berceau du romantisme, et  prénomme le conteur Hermann  mais ne peut s'empêcher de remarquer ironiquement « comme presque tous les Allemands mis en scène par les auteurs. ». Le voyage des jeunes gens avant l’arrivée à l’auberge rouge donne lieu à la description des paysages accidentés, pourvoyeurs d'émotions fortes,  avec des pitons rocheux escarpés, des eaux tumultueuses, des vertiges et des a-pic que l’on retrouve non seulement chez tous les écrivains de cette époque mais aussi chez les peintres. Des sites « où le pittoresque du Moyen-âge abonde, mais en ruines… » et où « le Rhin bouillonne » au fond des gorges.  Mais ce faisant,  Balzac casse les poncifs du romantisme  en s'exerçant à  la caricature d'Hermann, « un bon gros allemand ».
« En homme qui ne sait rien faire légèrement, il était bien assis à la table du banquier, mangeait avec ce tudesque appétit si célèbre en Europe, et disait un adieu consciencieux à la cuisine du grand Carême. »
Au cours de la nouvelle, le narrateur principal qui écrit à la première personne, interrompt de temps en temps le récit d'Hermann, narrateur secondaire, pour apporter des précisions. On remarque la structure complexe de l’écriture, où le narrateur n°1 commente ce qui se passe dans le présent au moment du récit mais aussi, on le verra, après le récit, et le narrateur n°2 raconte le passé, deux narrations qui s’enchâssent l’une dans l’autre.

Nouvelle policière, gothique ?

Prosper Hermann pris de folie
L’auberge rouge n’est pas à proprement parler un roman policier. Certes, il y a meurtre, mais le lecteur sait tout de suite qui a commis le crime même si tout accuse Prosper. Il n’y a jamais de doute. L’on ne recherche pas le vrai assassin mais l’attitude apeurée d’un des convives observé par le narrateur 1 pendant le récit nous met tout de suite la puce à l’oreille. Pas de suspense donc pour savoir qui est le coupable. Il est à cette table ! C’est la certitude que nous avons.
Pour moi, la nouvelle s’apparente beaucoup plus au roman gothique si prisé chez les Anglais dès la fin du XVIII siècle et si apprécié des romantiques.
Balzac joue, en effet, sur la peur. L’effet fantastique est créé par la crise de folie qui s’empare de Prosper quand il pense à tuer le voyageur. Tout semble se dérouler comme dans un rêve, hors du temps. Le jeune homme perd peu à peu ses repères moraux, le silence de la nuit agit sur sa pensée « qui acquiert une puissance magique ». Plus tard, après sa marche désordonnée au bord du Rhin, il s’endort, calmé, semble-t-il. Mais tout concourt encore à créer une impression d’angoisse, d’étouffement. L’atmosphère est lourde, la terreur étreint Prosper même au plus profond de son sommeil, le bruit de l'eau (du sang?) goutte toute la nuit près du lit du dormeur, enfin vient la découverte macabre : « La tête du pauvre Allemand gisait à terre, le corps était resté dans le lit. Tout le sang avait jailli par le cou. »

Une nouvelle philosophique

L'auberge rouge 1923 film de jean Epstein
Pourtant, c’est en plaçant définitivement L’auberge rouge au sein de La comédie humaine, dans Etudes philosophiques que Balzac révèle la véritable intention de son oeuvre.

Il y est question de culpabilité, pas seulement de celle du véritable assassin qui se révélera être un personnage récurrent de la Comédie Humaine, Frédéric Taillefer, père de la jolie Victorine, dont le narrateur n°1 est amoureux. Mais de celle, plus subtile,  de Prosper qui a commis le crime en esprit. Mais est-on  responsable de ses pensées? Le passage a l’acte, seul, fait-il la différence entre l’innocence et le coupable ?
Enfin, au-delà de cette question, l’épreuve vécue par Prosper ne révèle-t-il pas la part de monstruosité qu’il y a en chacun de nous ? 
La notion de culpabilité entraîne aussi celle du remords et de la souffrance. Balzac montre que la conscience de l’assassin le tourmente tellement qu’il en arrive à se trahir lui-même, en refusant le croiser le regard de son voisin. C’est en jouant aux cartes avec lui que le narrateur n°1 va le confondre, ce qui rappelle l’importance symbolique du jeu de cartes dans une autre nouvelle romantique, comme vecteur de vérité, de bien et de mal, de vie et de mort,  La dame de pique de Pouchkine. Mais en démasquant le coupable, le narrateur fait-il une oeuvre morale et juste comme le lui fait remarquer une dame de sa connaissance : « Pourquoi ne pas laisser agir la justice humaine et la justice divine ? Si nous échappons à l’une, nous n’évitons jamais l’autre ! Les privilèges d’un président de Cour d’assises sont-ils donc bien dignes d’envie ? Vous avez presque fait l’office du bourreau? » Bref ! Quel droit avons-nous de nous ériger en juge ?

Enfin dernière question philosophique : Le narrateur est lui-même puni car il ne peut pas résoudre le dilemme suivant. Comment peut-il épouser Victorine et en s’alliant à elle jouir d’une fortune teintée de sang ?  Le problème moral semble insoluble. Il ne peut se résoudre à sacrifier son amour ni à l'épouser ! C’est pourquoi il  va réunir ses amis pour leur demander leur avis  : parmi eux un juge, un protestant, un curé, un puritain, un philosophe, un avocat, un ancien ministre… On a alors l’impression de se retrouver dans un conte voltairien qui renvoie dos à dos, avec une ironie malicieuse, tous ces personnages marqués par leur milieu social, leur métier, leur religion, et l’on se réjouit de leurs réponses sentencieuses, hypocrites et vides qui ne mènent à rien ! Je vous laisse découvrir la chute finale !

Une LC initiée par Maggie ICI / avec Myriam ICI

Nathalie pour Les secrets de la princesse de Cadignan ICI

 

Nouvelle lecture commune sur Balzac : Le colonel Chabert pour le 8 décembre 2018


samedi 27 octobre 2018

Honoré de Balzac : Le Lys dans la vallée

Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché 2018 jusqu'au 6 janvier 2019
Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché sur Le Lys dans la vallée

Félix de Vendenesse écrit une longue lettre à Nathalie de Manerville, sa fiancée, pour lui faire le récit de sa vie; la jeune femme, en effet, veut apprendre le secret de la mélancolie qui le ronge et qu’elle devine enfoui dans son passé. Cette lettre, c’est  Le Lys dans la vallée. Il lui dévoile alors son amour platonique pour la comtesse de Mortsauf, épouse malheureuse du comte de Mortsauf :  Henriette qu’il a idéalisée et qui a été son Lys, symbole de pureté, Henriette qui s’est refusée à lui  malgré leur amour réciproque, pour respecter les lois du mariage et de la vertu. Lorsque Félix lancé dans le grand monde devient l’amant de Lady Dudley, une femme ardente et libérée, Henriette, folle de jalousie, meurt en proie à une révolte et une colère proches du désespoir.

J’ai lu et relu plusieurs fois, à différents moments de ma vie, Le lys dans la vallée de Balzac et une autre fois, encore, cette année, ma fille Aurélia, photographe, ayant une résidence au château de Saché où Balzac a écrit cette oeuvre… A l'heure actuelle, ce travail photographique a donné lieu à une exposition intitulée Dilectae, jusqu'au 6 Janvier 2019, au château de Saché, musée de Balzac.

Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché 2018 jusqu'au 6 janvier 2019 d'après Le Lys dans la vallée de Balzac
Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché

Lors de ma première lecture, je devais avoir autour de 15 ans et c’est ce livre qui m’a fait connaître et aimer Balzac. Donc, c'est une lecture importante pour moi. J'avais été séduite, surtout, par cette histoire d’amour impossible, Henriette de Mortsauf tiraillée entre la passion et la vertu, et admirative du beau Félix de Vendenesse, émue par le tragique de la mort de Madame de Mortsauf que je trouvais romantique, au sens impropre et réducteur que l’on donne parfois à ce terme, c’est à dire sentimental. Oui, je n’avais pas tout compris de ce roman, je l’avoue ! 

Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché 2018 jusqu'au 6 janvier 2019
Aurélia Frey : La dilectae Le lys dans la vallée.
Mais je me souviens très bien, que la beauté des descriptions de la vallée et surtout des bouquets que compose Félix pour la jeune femme m’avait transportée. Bien sûr, à l’époque, je n’avais pas vu la portée symbolique et l’érotisme qui émanaient de la description de ces fleurs. Ce qui me frappe maintenant !  Il y a dans le Le lys dans la vallée, de magnifiques et lyriques descriptions de paysages qui, comme d’habitude chez Balzac, sont à lire au second degré. Une prose incantatoire où la métaphore amoureuse se confond avec celle de la mort qui reste étroitement liée à Madame de Mortsauf.

« Mais déjà plus haut, quelques roses du Bengale clairsemées parmi les folles dentelles du daucus, les plumes de la linaigrette, les marabous de la reine des prés, les ombellules du cerfeuil sauvage, les blonds cheveux de la clématite en fruits, les mignons sautoirs de la croisette au blanc de lait, les corymbes des millefeuilles, les tiges diffuses de la fumeterre aux fleurs roses et noires, les vrilles de la vigne, les brins tortueux des chèvrefeuilles ; enfin tout ce que ces naïves créatures ont de plus échevelé, de plus déchiré, des flammes et de triples dards, des feuilles lancéolées, déchiquetées, des tiges tourmentées comme les désirs entortillés au fond de l’âme. Du sein de ce prolixe torrent d’amour qui déborde, s’élance un magnifique double pavot rouge accompagné de ses glands prêts à s’ouvrir, déployant les flammèches de son incendie au-dessus des jasmins et dominant la pluie incessante du pollen, beau nuage qui papillote dans l’air, en reflétant le jour dans ses mille parcelles luisantes ! Quelle femme enivrée par la senteur d’Aphrodide cachée dans la flouve, ne comprendra ce luxe d’idées soumises, cette blanche tendresse troublée par des mouvements indomptés, et ce rouge désir de l’amour qui demande un bonheur refusé dans les luttes cent fois recommencées de la passion contenue, infatigable, éternelle ? »

Ces passages provoquent toujours mon admiration. Cette nature exaltée par Balzac est celle de la Touraine que l’écrivain aime tant, un écrin verdoyant et vallonné où se déroule une vie rurale paisible, idéalisée, avec ses travaux quotidiens, les vendanges, le ramassage des châtaignes et le gaulage des noyers, les promenades sous les ormes et les peupliers, un pays de châteaux et d’eau. Une véritable déclaration d’amour à cette région   :
« Ne me demandez plus pourquoi j’aime la Touraine? Je ne l’aime ni comme on aime son berceau, ni comme on aime une oasis en plein désert; je l’aime comme un artiste aime l’art… »

Madame de Mortsauf

Aurélia Frey : La dilectae  exposition au musée de BalzacSaché
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché
Madame de Mortsauf, dont le vrai prénom est Blanche demande à  Félix de l’appeler Henriette. Deux prénoms, témoins de sa dualité.  Le blanc de la pureté et le rouge du désir, le lys et et le pavot :  elle est déchirée entre la passion qu’elle éprouve pour Félix et son devoir d’épouse. Mais elle est aussi et avant tout une mère et ne pourrait se résoudre à quitter ses enfants malades.

Moi! reprit-elle, de quel moi parlez-vous ? Je sens bien des moi en moi? Ces deux enfants, ajouta-t-elle en montrant Madeleine et Jacques, sont des moi, Félix, dit-elle avec un accent déchirant, me croyez-vous donc égoïste ?

A travers elle, Balzac dénonce l’assujettissement de la femme, son manque d’indépendance soumise par les lois à son mari après l’avoir été à son père.

Les hommes font eux-mêmes les évènements de leur vie, et la mienne est à jamais fixée. Aucune puissance ne peut briser cette lourde chaîne à laquelle la femme tient par un anneau d’or, emblème de la pureté des épouses.

Pourtant, Blanche-Henriette n’est pas une faible femme. C’est elle, on l’apprendra, qui gère le domaine de Clochegourde, qui le fait prospérer, qui veille sur la santé de ses enfants malades et de son mari atteint de démence.
C’est elle aussi qui donne à Félix des leçons de conduite dans le Monde et qui le dirige dans sa conquête du pouvoir et de la fortune. Le récit se déroule pendant les cent jours et au moment de la Restauration. Blanche, élevée religieusement, dans une famille monarchiste, légitimiste, très conventionnelle, très infatuée de sa noblesse, dirige le jeune homme avec des conseil bien de sa caste :

« Vous apprendrez combien les principes de liberté sont impuissants à créer le bonheur du peuple. Mon bon sens de paysanne me dit que les Sociétés n’existent que par la hiérarchie. Vous êtes à un moment de la vie où il faut choisir ! Soyez de votre parti. Surtout quand il gagne ! »

L’agonie de madame de Mortsauf atteinte d’une maladie du pylore, nous dit-on, et sa révolte  quand elle s’aperçoit qu’elle n’a jamais connu l’amour, qu’elle s’est sacrifiée en vain aux conventions sociales est d’une terrible violence. Balzac prend alors position, en tout cas c’est ce que on lui a reproché, contre les valeurs hypocrites de la religion, contre la négation du corps, les conventions qui enferment les femmes. Les souffrances physiques et morales de son personnage exacerbées par la jalousie et par l’approche de la mort, sont atroces.

 « … car elle si sainte, si résignée, si faite à mourir, elle jette sur ceux qui sont pleins de vie des regards où, pour la première fois, se peignent des sentiments sombres et envieux. » dit l’abbé de Dominis à son propos

Les lecteurs et critiques de la Restauration ne s’y sont pas trompés et reprochèrent à l'auteur de ne pas avoir conçu un dénouement édifiant qui aurait exalté la vertu de la jeune femme. Balzac avait pourtant édulcoré cette fin et fait entrer Henriette dans une phase de repentir et d'apaisement à la demande de Laure de Berny, la dilecta, sa bien-aimée, qui voulait lui éviter un scandale !

Mais pour comprendre madame de Mortsauf, il faut savoir qui est son mari.


Monsieur de Mortsauf

Aurélia Frey : La dilectae  exposition au musée de Saché
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché
 Monsieur de Mortsauf  est le type même de l’émigré, semblable en cela à toute une noblesse légitimiste qui a refusé de servir l’Empire. Brisé par ses longues années d’exil et de privations, il souffre aussi d’une maladie qui débilite son corps et donne lieu à des crises de démence. Je dois dire qu’il m’a fallu quelques lectures depuis celles de ma jeunesse avant de comprendre de quoi souffrait Monsieur le comte. C’est pourtant bien dit, même si le mot n’est jamais prononcé et si Balzac brouille les pistes en donnant de vagues indications. La syphilis ! On comprend que dans le prude et hypocrite XIX siècle l’écrivain devait nous le faire comprendre d’une autre manière et cela donne :

« Ses amours ensevelis dans le plus profonds de son âme et que moi seul ai découvert, furent des amours de bas étage, qui n’attaquèrent pas seulement sa vie, ils en ruinèrent l’avenir. »
Et lorsqu’il apprend, à la naissance de ses enfants, que ceux-ci sont condamnés :

« Son nom à jamais éteint, une jeune femme pure, irréprochable, malheureuse à ses côtés, vouée aux angoisses de la maternité, sans en avoir les plaisirs; cet humus de son ancienne vie d’où germaient de nouvelles souffrances lui tomba sur le coeur et paracheva sa destruction. »

Aigri, violent, égoïste,  humiliant sa femme en public, et syphilitique, tel nous apparaît le comte. On comprend que Balzac, même s’il proteste de son estime pour eux, se soit attiré des inimitiés auprès des émigrés qui étaient rentrés en France à la restauration de Louis XVIII en peignant ce portrait !
Quant à Blanche, mariée à un homme qu’elle n’aime pas, elle qui ne sait rien de la sexualité si ce n’est qu’il s’agit d’un devoir pénible et dégradant (Monsieur de Mortsauf se plaint auprès de Félix qu’elle le repousse et veut continuer à être « vierge » avec lui), elle a peut-être été, de surcroît, contaminée par son mari et elle sait ses enfants atteints d'une maladie incurable.

« Tout a été mensonge dans ma vie, je les ai comptées depuis quelques jours ces impostures. Est-il possible que je meure, moi qui n’ai jamais vécu? » dit Henriette mourante.

Phrase auquel fait écho une pensée de Félix d’une grande cruauté et qui révèle bien ce que pense Balzac :

"Je me demande si la vertu d’Henriette n’avait pas été de l’ignorance, si j’étais bien coupable de sa mort »

Et il semble qu’il n’ait pas tort puisque la comtesse lui avoue dans son ultime lettre :

« Ah! si dans ces moments où je redoublais de froideur, vous m’eussiez prise dans vos bras, je serai morte de bonheur; j’ai parfois désiré de vous quelque violence, mais la prière chassait promptement cette mauvaise pensée. »

Félix de Vendenesse

 
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché Herbier photographique

Personne n’aime Félix de Vendenesse, aucun lecteur, sauf peut-être quand on a quinze ans, à la première lecture, parce qu’il est beau, qu’il a eu une enfance malheureuse et qu’il a l’âme d’un poète.
Non, les lectrices, surtout, le trouvent lâche, égoïste, sans personnalité. Et la réponse de la fiancée Natalie qui le traite de « chevalier à la triste figure » et  lui donne une bonne leçon en rompant avec lui, est réjouissante !

« N’imitez pas les veuves qui parlent toujours de leur première mari, qui jettent toujours à la face du second les vertus du défunt »

Il l’a bien mérité ce grand benêt qui va pleurer dans le giron de sa belle pour se faire consoler de ses amours avec une autre :

« Merci, cher comte, je ne veux de rivale ni au-delà, ni en deçà de la tombe. » « Savez-vous pour qui je suis prise de pitié? pour la quatrième femme que vous aimerez. Celle-là sera nécessairement forcée de lutter avec trois personnes. »

Ah! Voilà une femme qui a du caractère, de l’ironie, et qui change agréablement de l’angélisme (forcé) de madame de Mortsauf et des bêlements transis de son amoureux !
Pourtant, je me sens tout de même obligée de prendre la défense du jeune Félix .

Balzac a mis beaucoup de lui-même dans ce personnage. Comme Félix, il a été mal aimé par sa mère, placé dans une pension qui avait tout du « pénitentiaire », laissé à sa solitude, n’ayant aucune autorisation de sortie et souffrant de privations, deu froid et surtout du manque d’amour. Quand Félix rencontre la comtesse de Mortsauf, il a 21 ans et en paraît 14, elle en a 28 et est mariée et mère. Lui est encore physiquement et psychiquement un enfant; elle, une femme. Il est souffreteux, timide, il n’a jamais vécu, ne connaît rien à la société et encore moins à l’amour. Certes, il se sent frustré par cet amour platonique, essaie parfois d’aller au-delà, est arrêté par la peur de la perdre. Ne lui a -t-elle pas dit qu’elle le chasserait définitivement s’il devenait trop pressant ?
Si vous me demandez, pourquoi, jeune et plein de fougueux vouloirs, je demeurais dans les abusives croyances de l’amour platonique, je vous avouerai que je n’étais pas assez homme encore pour tourmenter cette femme toujours en crainte de quelques catastrophes pour ses enfants.
C’est son inexpérience, son manque de connaissance des femmes, mais aussi son respect et un amour profond et sincère qui provoquent le drame et après tout on ne peut le lui reprocher, pas plus que de prendre une maîtresse, plus tard, pour satisfaire « ses fougueux vouloirs ! »
Cependant je n’aime pas le Félix devenu adulte, homme à succès et courtisan de Louis XVIII, suffisant et  égoïste. Quant à la « lettre » qu’il écrit à Nathalie, elle est d’une goujaterie ou d’une naïveté ! On dirait bien que même à son âge, il n’a rien appris sur les femmes!

  Pascal disait "l'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange, fait la bête".  Et oui, c'est bien ce que veut montrer Balzac avec la mort si douloureuse, si horrible, de madame de Mortsauf qui prend conscience qu'elle est passée passe à côté de la vie parce qu'elle a obéi aux préceptes de la religion et aux préjugés de la société.  Cependant, l'on sent que l'écrivain s'est pris d'affection pour son Lys et que ce n'est pas elle qu'il met en cause mais une société hypocrite toujours prête à condamner la femme, celle-ci n'ayant d'autre choix que d'être soumise ou perdue. Il nous livre ainsi une critique de la noblesse provinciale au temps de la Restauration.

Quelques images de l'exposition du musée Saché : La dilectae


Dilectae propose un parcours à travers les souvenirs de madame de Mortsauf, un aperçu de ce qu'elle laisse derrière elle, de ses désirs et de ses rêves, des dernières images qu'elle eut avant de fermer les yeux.

Car il n'y a que la trace...

                                                              Aurélia Frey

Aurélia qui imagine les dernières visions de Blanche Henriette de Mortsauf, appelle sa série Dilectae, en référence au grand amour de Balzac, Laure de Berny, baptisée par lui-même Dilecta.


Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché d'après le Lys danla  vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché

Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché d'après le lys dans la vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché

Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché d'après le Lys dans la vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché

Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché d'après le Lys dans la vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché

Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché d'après Le lys dans la vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché


samedi 13 octobre 2018

Honoré de Balzac : La Bourse


La Bourse, courte nouvelle d’Honoré de Balzac, paraît en 1832 dans les Scènes de la vie privée de La Comédie Humaine.
L’intrigue est mince et conte une histoire d’amour entre un jeune peintre naïf et sensible, Hippolyte Schinner, et une belle jeune fille Adélaïde dont on ignore si elle est aussi pure qu’elle le paraît. Adélaïde et sa mère, la baronne Leseigneur de Rouville, sont dans la gêne depuis la mort du père de la jeune fille. De quoi peuvent-elles bien vivre ? Ces dames reçoivent deux messieurs qui viennent jouer chez elles chaque soir, visites qui troublent le jeune homme. Lorsque sa bourse disparaît dans leur appartement, Hippolyte en vient à les soupçonner. Il est désespéré. Mais je ne vous en dis pas plus !

La Bourse est considérée comme une oeuvre secondaire de La comédie humaine et le récit paraîtrait bien léger si… s’il n’était écrit par Balzac !  Comme d’habitude, il y a, en effet, dans ces quelques pages une densité de thèmes et de descriptions qui leur donnent de l’intérêt et de la force.


Pierre Guérin : La pose de la compagne de Didon est celle d'Adélaïde dans La Bourse

Le thème de l’art revient  souvent dans la comédie humaine à travers de nombreux artistes. Ici, le peintre, Hippolyte dont le talent est reconnu, ses amis le sculpteur François Souchet, Joseph Bridau, prix de Rome, Bixiou, caricaturiste, tous personnages récurrents de l’oeuvre. Le début de la nouvelle  se révèle comme une réflexion sur l’illusion dans l’art, vérité ou mensonge, réalité ou apparence ? Je cite ce passage un peu longuement  pour le partager avec vous tant il est bien écrit et invite à la réflexion :

Il est pour les âmes faciles à s’épanouir une heure délicieuse qui survient au moment où la nuit n’est pas encore et où le jour n’est plus. La lueur crépusculaire jette alors ses teintes molles ou ses reflets bizarres sur tous les objets, et favorise une rêverie qui se marie vaguement aux jeux de la lumière et de l’ombre. Le silence qui règne presque toujours en cet instant le rend plus particulièrement cher aux artistes qui se recueillent, se mettent à quelques pas de leurs œuvres auxquelles ils ne peuvent plus travailler, et ils les jugent en s’enivrant du sujet dont le sens intime éclate alors aux yeux intérieurs du génie. Celui qui n’est pas demeuré pensif près d’un ami, pendant ce moment de songes poétiques, en comprendra difficilement les indicibles bénéfices. À la faveur du clair-obscur, les ruses matérielles employées par l’art pour faire croire à des réalités disparaissent entièrement. S’il s’agit d’un tableau, les personnages qu’il représente semblent et parler et marcher : l’ombre devient ombre, le jour est jour, la chair est vivante, les yeux remuent, le sang coule dans les veines, et les étoffes chatoient. L’imagination aide au naturel de chaque détail et ne voit plus que les beautés de l’œuvre. À cette heure, l’illusion règne despotiquement : peut-être se lève-t-elle avec la nuit ? l’illusion n’est-elle pas pour la pensée une espèce de nuit que nous meublons de songes ?

Un autre thème est celui des femmes pour lesquelles Balzac montrent beaucoup de largesse d’esprit, lui qui est si macho par ailleurs. Ainsi, non seulement il ne considère pas avec mépris Madame Schinner, la mère d’Hippolyte, qui a eu un fils en dehors du mariage mais encore montre-t-il sa désapprobation envers l’homme qui l’a abandonnée. De plus, il la peint comme une femme admirable qui a élevé son fils toute seule, dans la dignité.  De même, il peint la situation de la veuve et de sa fille avec beaucoup de compréhension pour leur misère.
Si la baronne n’a eu droit à aucune pension alors que son mari est mort dans une bataille pour sauver son pays, c’est que ce dernier était sous les ordres de Napoléon et n’est donc pas reconnu par la noblesse de La Restauration. Balzac qui a pourtant des idées monarchiques critique ce gouvernement qui laisse dans la misère ceux qui ont combattu pendant qu’ils étaient eux-mêmes en exil .
Et puis autre thème, bien sûr, celui du premier amour qui naît chez un garçon neuf, un éveil des sentiments puissants et dont l’impression ne s’effacera jamais. Balzac peint avec beaucoup de finesse et de justesse (et parfois d’humour) les étapes de ce sentiment qui s’affirme, d’abord inconscient de lui-même et puis qui se construit sur la confiance, dans le partage et l’émerveillement : 

« Le coeur a la singulière puissance de donner un prix extraordinaire à des riens. »

Balzac décrit ensuite les ravages que crée la trahison chez un être jeune et sincère..

« Les sentiments ne sont-ils pas la partie la plus brillante de notre vie ? De cette mort partielle viennent, chez certaines organisations délicates ou fortes, les grands ravages produits par les désenchantements, par les espérances et les passions trompées. Il en fut ainsi du jeune peintre. »

Balzac excelle aussi dans les portraits, ceux des visiteurs des deux dames, le comte de Kergarouët et le Chevalier du Halga,  par exemple. Vieillards figés à tout jamais dans leurs convictions et leur habillement d’un autre âge, vieux émigrés royalistes, ils sont les fantômes d’un autre temps, incarnation d’un passé révolu, ils refusent d’évoluer. Le portrait tourne vite à la caricature :

« Le personnage qui paraissait être le plus neuf de ces deux débris s’avança galamment vers la baronne de Rouville, lui baisa la main, et s’assit auprès d’elle ».

Mais ce qui me paraît le plus subtil dans La Bourse ce sont les portraits d’Adélaïde et sa mère et la description  de leur logement. Nous les découvrons à travers l’oeil exercé d’Hippolyte, qui, en bon peintre, est observateur, a le don de voir le détail, les contrastes, les formes, les couleurs, c’est pourquoi la vision qu’il a de l’appartement  est  d’une redoutable précision et peint une misère cachée mais flagrante.

« Pour un observateur, il y avait je ne sais quoi de désolant dans le spectacle de cette misère fardée comme une vieille femme qui veut faire mentir son visage. »

Il note cependant de bizarres distorsions entre la pauvreté de l’ensemble et certains objets ou meubles de valeur. Pendant la visite, le ressenti d’Hippolyte plein de compassion et de tact envers ses voisines est sans cesse perturbée par une voix insidieuse, celle du narrateur expérimenté, qui commente. Et comme pour Balzac - c’est une constante de ces romans - l’appartement et la personnalité de son occupant se confondent dans une interférence des deux images, le doute s’installe  :

« Il en était du visage de cette vieille dame comme de l’appartement qu’elle habitait : il semblait aussi difficile de savoir si cette misère couvrait des vices ou une haute probité, que de reconnaître si la mère d’Adélaïde était une ancienne coquette habituée à tout peser, à tout calculer, à tout vendre, ou une femme aimante, pleine de noblesse et d’aimables qualités. Mais à l’âge de Schinner, le premier mouvement du coeur est de croire le bien. »

« Est de croire le bien » oui ! mais le poison est ainsi instillé peu à peu et chez le lecteur et dans l’âme du jeune homme.

On le voit cette « petite » nouvelle contient bien des trésors cachés sous une apparence de bleuette. C’est pourquoi je vous invite à aller lire La Bourse !


PROCHAINES LECTURES COMMUNES AVEC MAGGIE  SUR LES NOUVELLES DE BALZAC : 

Qui vient nous rejoindre ?

LE 10 NOVEMBRE : L'AUBERGE ROUGE

samedi 6 octobre 2018

Honoré de Balzac : Gobsek


Gobsek fait partie des Scènes de la vie privée de La comédie humaine. 

La scène débute dans le salon de Madame de Grandlieu, en conversation avec un ami de la famille, l’avoué Maître Derville. L’avoué entend, pendant la conversation de Mme de Grandlieu avec sa fille Camille, que celle-ci est amoureuse du jeune Ernest de Restaud, fils d’Anastasie de Restaud, née Goriot. Mme de Grandlieu désapprouve cet amour : la mère d’Ernest est dépensière, enlisée dans une relation illégitime avec Maxime de Trailles, pour lequel elle gaspille sa fortune. Derville intervient en faveur de Camille : il démontre qu’Ernest s’est vu attribuer depuis peu l’intégralité de l’héritage familial. Ce récit, qui constitue une mise en abîme d’un type humain du monde balzacien, met en lumière les personnages de Jean-Esther van Gobseck, usurier, et de Maître Derville, avocat en début de carrière. Ces deux personnages, qui jouent un rôle essentiel dans ce roman, reparaissent dans l’ensemble de la Comédie humaine, soit sous forme d’évocation : Gobseck, soit en personne : Maître Derville, que l’on retrouve dans Le Colonel Chabert, Splendeurs et misères des courtisanes et dans de nombreux autres volumes de La Comédie humaine. Il fait partie, dans les personnages de la Comédie humaine, des Gens de robe honnêtes. (quatrième de couverture)

La nouvelle de Balzac, Gobsek, publiée en 1830 et d’abord intitulée Les dangers de l’inconduite dans Scènes de la vie privée, parut ensuite sous le nom de Papa Gobsek dans Scènes de la vie parisienne, pour réintégrer Scènes de la vie privée avec le titre définitif Gobsek

Rembrandt

Et ce titre paraît le mieux adapté tant il est vrai que le personnage éponyme occupe toute la scène, image peu commune de l’usurier que « le réalisme visionnaire » de Balzac transforme en personnage fantastique, complexe. Araignée tapie dans sa toile, il est reclus dans sa maison dont il ne sort que rarement attendant le client pour le dévorer… et pourtant il s'agit d'un homme "honnête" à sa manière, car s’il est impitoyable, avide dans ses transactions, avare, bref, usurier sans état d’âme, il sait tenir la promesse faite qui vaut plus que n’importe quel papier signé.

" Il existe deux hommes en lui : il est avare et philosophe, petit et grand. »
 
"Il avait les lèvres minces de ces alchimistes et de ces petits vieillards peints par Rembrandt ou par Metsu. Cet homme parlait bas, d’un ton doux et ne s’emportait jamais."
"Cette maison, qui n’a pas de cour, est humide et sombre. Les appartements n’y tirent leur jour que de la rue.
Sa maison et lui se ressemblaient. Vous eussiez dit de l’huître et son rocher."

En effet, s’il est un personnage qui permet de comprendre l’expression de «  réalisme visionnaire »,  c’est bien Gobsek ! Celui-ci illustre la pensée de Théophile Gautier  « Les personnages de Balzac sont plus grands que nature, ce sont des types, et non des individus tels qu’il s’en rencontre dans le monde réel. »

« Ce petit vieillard sec avait grandi. Il s’était changé à mes yeux en une image fantastique où se personnifiait le pouvoir de l’or. » dit de lui le narrateur.

Gobsek est un observateur de la vie humaine, il sait percer les mobiles profonds de chacun, il connaît l’intimité, jusqu’au fond de l’alcôve, de tous ceux qui se présentent devant lui. On peut dire qu’il est l’égal de Dieu .. ou du romancier, de Balzac lui-même dont la position en hauteur, si je puis dire, permet d’observer l’espèce humaine un peu comme un entomologiste observe la vie des insectes.

« Mon regard est comme celui de Dieu, je vois dans les coeurs. Rien ne m’est caché. L’on ne refuse rien à qui  lie et délie les cordons du sac. Je suis assez riche pour acheter les consciences de ceux qui font mouvoir les ministres… »

Gobsek : la comtesse Anastasie de Restaud

Dans cette nouvelle, il s’agit bien de peindre la vie privée, les amours adultères d’Anastasie de Restaud (une des filles du père Goriot), et de son amant le mondain Maxime de Trailles; on assiste à leur visite chez l’usurier où la dame va achever de ruiner son mari. Mais c'est aussi la vie parisienne que décrit Balzac. Maxime de Trailles est lui aussi un type, celui du dandy sans argent qui vit au-dessus de ses moyens grâce à ses relations haut placées et aux crochets de ses maîtresses séduites par sa belle figure et sa prestance.  L'écrivain dresse un portrait de la noblesse parisienne, corrompue, dissipée, dépensière, inapte au travail,qui pendant cette période de la Restauration ne pense qu’au plaisir et à la débauche, une aristocratie pleine de morgue, se considérant comme d’essence supérieure, classe sociale creusant elle-même le trou dans laquelle elle finira pas disparaître au profit de la bourgeoisie. Cette dernière est représentée par l’avoué maître Derville, un personnage positif, honnête, qui part de rien mais grâce à son travail va parvenir à s’élever. Il épouse une jeune fille du peuple, Fanny, modeste mais sage et sérieuse et forme avec elle un couple heureux et solide. A travers ce personnage à l'opposé de la noblesse, Balzac décrit l'ascension d'une classe sociale qui va peu à peu prendre le pouvoir..

Maître Derville, personnage récurrent de La Comédie humaine, est le narrateur principal. Voisin de Gobsek, peu fortuné à ses débuts, il occupe une place à part dans la vie de l’usurier et le connaît bien.  C’est à lui qu’il fait un emprunt pour acheter son étude et se nouent entre eux des relations qu’il est difficile d’appeler amitié (Gobsek ne fait de cadeau à personne) mais qui s’en approchent le plus. C’est à travers sa vision que nous découvrons Gobsek, sauf à quelques moments où l'usurier prend lui-même la parole pour exposer sa philosophie.

Le Pouvoir et le Plaisir ne résument-ils pas votre ordre social ? Nous (les usuriers) sommes dans Paris une dizaine ainsi, tous rois silencieux et inconnus, les arbitres de votre destinée.

Il est d'ailleurs assez piquant que Balzac place la critique de la société matérialiste dominée par l'argent  :

La vie n'est-elle pas une machine à laquelle l'argent imprime le mouvement.
 
L’or est le spiritualisme de vos sociétés actuelles.


dans la bouche d'un avare qui déclare par ailleurs :

Si vous aviez vécu autant que moi, vous sauriez qu'il n'est qu'une seule chose matérielle, dont la valeur soit assez certaine pour qu'un homme s'en occupe. Cette chose... c'est l'OR.  L'or représente toutes les forces humaines.


Ainsi cette nouvelle courte mais dense nous livre non seulement des portraits haut en couleurs, archétypes de leur classe sociale mais aussi, en condensé, la vision critique et lucide de la société de la Restauration, telle que Balzac la développera tout au long de La Comédie humaine



PROCHAINES LECTURES COMMUNES AVEC MAGGIE  SUR LES NOUVELLES DE BALZAC : Vous pouvez nous rejoindre

LE 10 OCTOBRE  :  LA BOURSE

LE 10 NOVEMBRE : L'AUBERGE ROUGE

dimanche 3 avril 2016

Honoré de Balzac : La duchesse de Langeais


La duchesse de Langeais a été publié en feuilleton en 1834 sous le titre Ne touchez pas à la hache, titre que Rivette a choisi pour son adaptation cinématographique. En 1843, La duchesse de Langeais (titre retenu par Baroncelli, réalisateur dont vous aviez à trouver le nom) fut intégré dans La comédie humaine, dans la section Histoire des Treize.

Le récit

La duchesse de Langeais de Baroncelli

Nous sommes en 1823. Le général Armand de Montriveau s’introduit dans un couvent de carmélites, sur une île espagnole pour retrouver sous le nom de soeur Thérèse, la femme qu’il aime, Antoinette de Langeais. Le récit se déroule ensuite en flash back à Paris, dans le Faubourg Saint Germain, au temps de la première Restauration.
La duchesse de Langeais, riche aristocrate au coeur froid, orgueilleuse imbue des privilèges de sa classe, poursuit une vie factice, faite de bals, d’amusements, de conversations mondaines et de flirts. Elle collectionne les admirateurs, s’amusant à les provoquer mais leur opposant une vertu irréprochable. C’est le jeu qu’elle joue avec Armand de Montriveau, ancien général d’Empire. Celui-ci cherche à la conquérir mais en vain, la coquette le séduit, l’affole puis se dérobe. Mais le général n’est pas homme dont on peut se moquer. Il enlève la duchesse décidé à se venger. Puis il l’épargne mais la duchesse a compris qu’elle l’aimait. Désormais elle supplie son amoureux de lui revenir. Pour lui, elle est prête à sacrifier sa réputation mais Armand la dédaigne à son tour. La duchesse s’enfuit alors et prend le voile. Il faudra cinq ans à Montriveau pour la retrouver et chercher à nouveau à l’enlever mais cette fois-ci d’un couvent!

Le romantisme

La duchesse de Langeais Illustration de Andre E. Marty
Si le roman La duchesse de Langeais part d’un fait réel, souvenir cuisant de Balzac repoussé par la duchesse de Castries à qui il avait avoué son amour, il est marqué par le romantisme de son époque. Il présente même un aspect gothique dès le premier enlèvement de la jeune femme, transportée dans un lieu inconnu par des hommes masquées, menacée d’être marquée au fer rouge comme dans un roman de Dumas. Les années de recherche à travers plusieurs pays d’Europe de l’amant inconsolable et le deuxième enlèvement sont autant d’éléments de cette atmosphère romantique. Montriveau et ses amis, prennent d’assaut les falaises de cette île qui protègent le monastère. Dans un décor et sous un éclairage éminemment gothiques, tout est en place pour conter une histoire terrible : les ombres de la nuit, le déguisement de Montriveau en religieuse, ses compagnons ayant chacun sur eux un poignard ( et détail incongru qui m’a fait sourire (?) : « une provision de chocolats »!), l’office des morts qui résonnent tandis qu’ils s’introduisent dans la cellule de Soeur Thérèse, la découverte de la morte à la lumière des cierges et le transport du corps jusqu’au navire…
Les personnages aussi rappellent d’autres héros romantiques, en particulier ceux de Stendhal.  Montriveau quand il est repoussé par la duchesse alors qu’elle s’est presque donnée à lui réagit comme un Julien Sorel  décrochant une arme pour tuer Mathilde de la Mole qui paraît le mépriser! L’orgueil et le sentiment de l’honneur sont très vifs chez les deux personnages. Le revirement de la duchesse de Langeais qui découvre soudain son amour quand elle va être marquée par son amant est semblable à la réaction de Mathilde exaltée d’avoir failli être tuée par son amant. Le ressemblance des deux femmes et des deux hommes s’arrêtent là : Mathilde à les défauts de sa classe sociale mais n’est pas prude, étroite d’esprit, confite en dévotion. Elle est intelligente, elle lit les philosophes, elle a des idées avancées. Julien Sorel n’appartient pas à la noblesse, il est ambitieux mais naïf et capable d’amour vrai, ce dont on peut douter pour Armand de Montriveau. Les personnages de Balzac ne sont pas sympathiques.
Et d’ailleurs le dénouement si terre à terre du roman me paraît être de la part de Balzac le refus de l’émotion, une réaction anti romantique voire cynique! Ultime petit coup de griffe décoché à la duchesse de Castries?
Ah! ça dit Ronquerolles à Montriveau quand celui-ci reparut sur le tillac, c’était une femme, maintenant ce n’est rien. Attachons un boulet à chacun de ses pieds, jetons-la à la mer, et n’y pense plus que comme nous pensons à un livre lu pendant notre enfance.
- Oui, dit Montriveau, car ce n’est plus qu’un poème.
-Te voilà sage. Désormais aie des passions; mais de l’amour, il faut savoir le bien placer, et il n’y a que le dernier amour d’une femme qui satisfasse le premier amour d’un homme. »

Le réalisme

Antoinette et Armand Dessin de Louis Edouard Fournier
Mais La duchesse de Langeais est aussi un peinture réaliste  de la noblesse au moment de la restauration et de l’avènement de Louis XVIII. Le but de l’auteur est de décrire la déchéance d’une classe sociale qui pour survivre devrait être grande. Son manque de hauteur, sa frivolité la condamnent. Les hommes de valeur jugés dangereux sont écartés du pouvoir et ne gouvernent que les hommes médiocres. Le Faubourg Saint Germain dont la duchesse de Langeais et ses chevaliers servants sont les représentants est animé d’une vie vaine, sans idées, sans aspirations. L’église règne en maître sur cette société, les femmes ont leur confesseur, tous suivent la messe, la plupart du temps non par conviction réelle mais parce qu’il faut suivre les  « usages du monde » et que la religion est un moyen de soumettre le peuple: La duchesse est très lucide à ce sujet et déclare:
Si nous voulons que la France aille à la messe, ne devons-nous pas commencer par y aller nous-mêmes? La religion, Armand, est, vous le voyez, le lien des principes conservateurs qui permettent aux riches de vivre tranquilles. La religion est intimement liée à la propriété.
Toutes les moeurs reposent sur l’hypocrisie.  Les femmes peuvent y tromper leur mari à condition que personne ne soit au courant : 
Une imprudence, c’est un pension, une vie errante, être à la merci de son amant; c’est l’ennui causé par les impertinences des femmes qui vaudront moins que toi, précisément parce qu’elles auront été très ignoblement adroites. Il valait cent fois mieux aller chez Montriveau, le soir, en fiacre, déguisée, que d’y envoyer ta voiture en plein jour. Tu es une petite sotte, chère enfant.
Les maris, eux, peuvent s’afficher avec leurs maîtresses avec plus de liberté et ils ont tout pouvoir sur la fortune de  leur femme. Balzac résume cela dans des formules lapidaires d’une méchanceté et d’une lucidité glaçantes! Voilà les conseils donnés à la duchesse par son oncle :
Renoncez à votre salut en deux minutes, s’il vous plaît de vous damner; d’accord! Mais réfléchissez bien quand il s’agit de renoncer à vos rentes. Je ne connais pas de confesseur qui nous absolve de la misère.
La situation de la femme certes n’est pas enviable. Elle est mariée contre son gré par son père et est désormais à la merci d’un époux qui peut tout se permettre et qui dans le cas de la duchesse n’est jamais entré dans son lit..
Si vous tentez à faire un éclat, je connais le sire, je ne l’aime guère. Le duc est assez avare, personnel en diable; il se séparera de vous, gardera votre fortune, vous laissera pauvre, et conséquemment sans considération. Les cent mille livres de rente que vous avez héritées dernièrement de votre grand tante maternelle payeront les plaisirs de ses maîtresses, et vous serez liée, garrottée par les lois, obligée de dire amen à ces arrangements-là.

Armand de Montriveau représente une autre sorte de noblesse; celle d’Empire; Après avoir d’abord été écarté avec le retour des Bourbons, il est ensuite réintégré dans l’armée et retrouve son grade. Mais il ne fait pas de compromis et a son franc parler, il peut être direct et même brutal. A la différence des autres, ce n’est pas un courtisan. Il annonce une nouvelle révolution si la noblesse ne sait pas évoluer.

 Une lutte amoureuse pour la domination

Ne touchez pas à la hache de Jacques Rivette
L’amour d’Antoinette et d’Armand apparaît le plus souvent comme un rapport de force. Chacun lutte pour la domination de l’autre. La duchesse n’aime pas Montriveau, elle veut qu’il soit à ses pieds, qui lui rende hommage, qu’il manifeste de la dévotion pour elle. C’est une coquette et une hypocrite. Elle aime jouer avec le feu, être prête à céder puis reculer au dernier moment en invoquant dieu, sa vertu, son devoir d’épouse. Mais elle n’a jamais eu l’intention de se donner à lui. Elle veut le dominer. Ensuite elle a l’intention de le repousser comme elle l’a fait pour les autres et  se moquer de lui. Le général, au début, en bon soldat, aime conquérir, prendre d’assaut. Le jeu l’amuse mais lorsque la forteresse se révèle imprenable, il dépite; quand enfin, il apprend par son ami Ronquerolles que la duchesse s’amuse de lui comme elle l’a fait tour les autres, il devient furieux et il l’enlève. Mais il ne s’abaissera pas au viol, il veut  faire pire, la marquer au fer rouge car il prouvera qu’elle lui appartient. Là encore le rapport entre eux est celui de la domination. Si dans la première partie de la lutte, la duchesse de Langeais était victorieuse, dans la seconde partie, le renversement de la situation la rend soumise et implorante et Montriveau intraitable. C’est elle qui perd. Lorsqu’il la retrouve au couvent, Montriveau ne lui demande pas son avis, il décide de l'enlever. Il se comporte toujours en officier qui veut remporter la victoire et forcer la citadelle. Seule la mort peut mettre fin à ces rapports passionnés, certes, mais finalement assez monstrueux.

C’est ce qui amène Balzac à distinguer la passion de l’amour :

L’amour et la passion sont deux différents états de l'âme que poètes et gens du monde, philosophes et niais confondent continuellement. L'amour comporte une mutualité de sentiments, une certitude de jouissances que rien n'altère, et un trop constant échange de plaisirs, une trop complète adhérence entre les coeurs pour ne pas exclure la jalousie. La possession est alors un moyen et non un but ; une infidélité fait souffrir, mais ne détache pas ; l'âme n'est ni plus ni moins ardente ou troublée, elle est incessamment heureuse ; enfin le désir étendu par un souffle divin d'un bout à l'autre sur l'immensité du temps nous le teint d'une même couleur : la vie est bleue comme l'est un ciel pur. La passion est le pressentiment de l'amour et de son infini auquel aspirent toutes les âmes souffrantes. La passion est un espoir qui peut-être sera trompé. Passion signifie à la fois souffrance et transition ; la passion cesse quand l'espérance est morte.

 voir le billet de Maggie






Le livre : La duchesse de Langeais de Honoré de Balzac
Le film : La duchesse de langeais de Jacques de  Baroncelli






Le prix Balzac est attribué aujourd'hui à : Aifelle, Dasola, Eeguab, Miriam


dimanche 8 mars 2015

Honoré de Balzac : Le chef d'oeuvre inconnu / La belle noiseuse de Jacques Rivette


La Belle Noiseuse vue par Bernard Dufour inspiré par Balzac dans le film de Jacques Rivette

La  nouvelle de Balzac Le chef d’oeuvre inconnu est d’abord parue en feuilleton en 1831 puis a été intégrée aux Etudes philosophiques de La Comédie Humaine (1846).

Le récit

Nicolas Poussin : autoportrait
Un jeune peintre (qui n’est autre que Nicolas Poussin débutant) se rend à l’atelier du peintre Porbus. Il y retrouve le maître Frenhofer qui critique le dernier tableau de Porbus, à qui, affirme-t-il, il manque la vie. Nicolas Poussin est d’abord irrité par la suffisance de Frenhofer mais lorsque celui-ci retouche la toile de Porbus, il est en admiration. 
Frenhofer, lui-même disciple d’un grand maître, le peintre Mabuse, parle alors à Porbus et Nicolas de son tableau de La Belle Noiseuse, portrait de Catherine Lescaut, qu’il n’a jamais pu achever et qu’il n’a jamais voulu dévoiler à personne. Nicolas Poussin lui offre alors sa maîtresse, la belle Gillette, comme modèle, à la condition que Frenhofer leur montre son  oeuvre une fois celle-ci terminée. 
Gillette résiste par pudeur puis finit par se soumettre à son amant, comprenant que celui-ci la sacrifie à sa carrière et à son amour de l’art. Mais le mépris s’insinue en elle pour cet homme qui n’a peut-être pas la valeur qu’elle lui attribue et ceci marque la fin de son amour.
Grâce à la beauté de son modèle, Frenhofer achève le portrait dans une exaltation sacrée mais lorsqu’il dévoile sa toile aux deux hommes… ? Je vous laisse découvrir la suite!

Les personnages

La belle Noiseuse vue par Richard Hamilton(1922-2011)  inspiré par Balzac
Maître Frenhofer est un personnage fictif, disciple de Mabuse. Dans le film de Rivette, il est interprété par Michel Piccoli.

Catherine Lescaut  dite la Belle Noiseuse qui a servi de modèle au peintre est elle aussi un personnage imaginaire. Elle n'est pas présente dans la nouvelle alors que dans le film elle est interprétée par Jane Birkin qui est l'épouse du peintre.

Nicolas Poussin La sainte famille à l'escalier (1648)  Cleveland art museum

Nicolas Poussin : n’est pas encore, dans la nouvelle, le grand peintre classique que nous connaissons. 
Gillette : maîtresse de Nicolas Poussin


Frantz Porbus : le peintre de Henri IV

François Porbus : Frantz Porbus, dit Porbus le Jeune (1570-1622), auteur de célèbres portraits de Henri IV.


Jean Gossaert ou Gossart dit de Mabuse: portrait de Fille

Mabuse : Jean Gossaert ou Gossart dit de Mabuse (ou Maubeuge) (1478-1536), grand peintre flamand.

L’explication du titre

La belle Noiseuse vue par Rivette inspiré par Balzac

La nouvelle et le texte ne portent pas le même titre. Le film de Jacques Rivette intitulé La belle noiseuse met l’accent sur la maîtresse du peintre, Marianne, interprétée par Emmanuelle Béart. Un dialogue du film explique clairement le sens (même si contrairement à ce qu’affirme Marianne  « noiseuse » n’existe pas en québécois (wikipédia)) terme que nous retrouvons en français dans l’expression « chercher des noises à quelqu’un ». « Noise » en ancien français signifie bruit, tumulte, tapage, puis par glissement de sens, dispute. La noiseuse est une femme qui cherche querelle, bref! une « emmerdeuse » comme il est dit dans le film, autrement dit une femme qui n’est ni soumise, ni docile!

La nouvelle s’intitule Le chef d’oeuvre inconnu et désigne le portrait de la Belle Noiseuse que Frenhofer à peint avec tant de soin et qu’il n’a jamais voulu montrer à personne. Pour Frenhofer la passion de l’art et de la femme se confondent.

Montrer mon œuvre, s’écria le vieillard tout ému. Non, non, je dois la perfectionner encore. Hier, vers le soir, dit-il, j’ai cru avoir fini. Ses yeux me semblaient humides, sa chair était agitée. Les tresses de ses cheveux remuaient. Elle respirait !
Eh ! bien, l’œuvre que je tiens là-haut sous mes verrous est une exception dans notre art. Ce n’est pas une toile, c’est une femme ! une femme avec laquelle je ris, je pleure, je cause et je pense. Veux-tu que tout à coup je quitte un bonheur de dix années comme on jette un manteau ? Que tout à coup je cesse d’être père, amant et Dieu. Cette femme n’est pas une créature, c’est une création. Vienne ton jeune homme, je lui donnerai mes trésors, je lui donnerai des tableaux du Corrège, de Michel-Ange, du Titien, je baiserai la marque de ses pas dans la poussière ; mais en faire mon rival ? honte à moi ! Ha ! ha ! je suis plus amant encore que je ne suis peintre.

Balzac revisite ici le mythe de  Pygmalion amoureux de Galatée, la statue qu’il a créée et qui prend vie devant lui. Maître Frenhofer éprouve de l’amour pour sa création et souffre des affres de la jalousie comme un amant véritable.
Le récit, à ce moment là, peut s’infléchir vers le fantastique tout comme dans le conte d'Hoffmann L'homme au sable  avec Olympia, la poupée automate conçue par Coppelius ( Coppélia dans le ballet de Léo Delibes). Mais Balzac choisit de rester dans une certaine forme de réalisme  en s'intéressant d'abord au thème l’art et en présentant sa conception de l’artiste. Le personnage de Frenhofer devient un symbole, l'incarnation même de l'Art.

La portée de la nouvelle

La Belle Noiseuse vue par Pablo Picasso inspiré par Balzac

 C’est ce qu’explique l’universitaire Elisheva Rosen qui présente une interprétation du récit que je cite ici.

"Le Chef-d'oeuvre Inconnu est l'une des nouvelles les plus célèbres et les plus commentées de Balzac. Les avatars de son paratexte indiquent bien les différentes orientations de la nouvelle. Conte fantastique à la manière de Hoffman à l'origine, le récit tend, au fil de ses remaniements, à se détacher de la mode qui le portait au départ. Avec la mise en relief de sa dimension « philosophique », il s'impose comme l'un des textes majeurs de Balzac sur l'art, l'artiste et plus généralement la création. La scénographie balzacienne doit son efficacité à sa manière particulière de tresser érotique et esthétique : le drame de Frenhofer, comme le désarroi des artistes qui ont divinisé le Maître, est d'autant plus poignant qu'il se joue sur une double scène quasiment sacrificielle, celle de l'art et celle du désir et de l'amour. La réception du texte est conforme à cette double orientation du récit. Si les lecteurs contemporains se montrent plutôt sensibles au destin de Gillette, les lectures ultérieures y reconnaissent volontiers, selon l'heureuse expression de P. Laubriet, un véritable « catéchisme esthétique ». Ce texte, si cher à Cézanne, illustré par Picasso, a inspiré depuis les années soixante bien des essais d'esthétique : Michel Leiris, Hubert Damisch, Michel Serres, Georges Didi-Huberman, pour ne citer qu'eux, ont alimenté leur réflexion à sa source, amplifiant ainsi les résonances mythiques de ce récit aux charmes duquel le cinéma (Jacques Rivette) se devait de céder à son tour."

Les théories artistiques de Balzac

Le thème du portrait qui s’anime, plus vrai que la vie, est récurrent chez Balzac puisqu’on le retrouve, développé, dans Le portrait de Dorian Grey, récit fantastique qui est le reflet d’une des conceptions essentielles de l’art que Honoré de Balzac présente sous forme de maxime  : La mission de l’art n’est pas de copier la nature, mais de l’exprimer ! Tu n’es pas un vil copiste, mais un poète !
Il n'est pas étonnant que les peintres et les théoriciens de l’art aient été fascinés par cette nouvelle qui est une sorte de manifeste artistique.

La vie

Au moins, avez-vous là couleur, sentiment et dessin, les trois parties essentielles de l’Art explique Frenhofer à Portus et Poussin mais cela ne suffit pas.L’art en doit pas se contenter de l’apparence, il doit aller au-delà, il ne doit pas copier la vie mais être la vie!

C’est cela, et ce n’est pas cela. Qu’y manque-t-il ? un rien, mais ce rien est tout. Vous avez l’apparence de la vie, mais vous n’exprimez pas son trop-plein qui déborde, ce je ne sais quoi qui est l’âme peut-être et qui flotte nuageusement sur l’enveloppe ; enfin cette fleur de vie que Titien et Raphaël ont surprise.

Et ceci concerne toute création, y compris la création littéraire :

Il ne suffit pas pour être un grand poète de savoir à fond la syntaxe et de ne pas faire de faute de langue !
Ta création est incomplète. Tu n’as pu souffler qu’une portion de ton âme à ton œuvre chérie. Le flambeau de Prométhée s’est éteint plus d’une fois dans tes mains, et beaucoup d’endroits de ton tableau n’ont pas été touchés par la flamme céleste.

La lumière

Ce n’est pas la ligne mais la lumière qui donne la forme :

Rigoureusement parlant, le dessin n’existe pas !  La ligne est le moyen par lequel l’homme se rend compte de l’effet de la lumière sur les objets ; mais il n’y a pas de lignes dans la nature où tout est plein : c’est en modelant qu’on dessine, c’est-à-dire qu’on détache les choses du milieu où elles sont, la distribution du jour donne seule l’apparence au corps !`

Le travail de la forme

La Forme est un Protée bien plus insaisissable et plus fertile en replis que le Protée de la fable, ce n’est qu’après de longs combats qu’on peut la contraindre à se montrer sous son véritable aspect ; vous autres ! vous vous contentez de la première apparence qu’elle vous livre, ou tout au plus de la seconde, ou de la troisième ; ce n’est pas ainsi qu’agissent les victorieux lutteurs ! Ces peintres invaincus ne se laissent pas tromper à tous ces faux-fuyants, ils persévèrent jusqu’à ce que la nature en soit réduite à se montrer toute nue et dans son véritable esprit. Ainsi a procédé Raphaël, dit le vieillard en ôtant son bonnet de velours noir pour exprimer le respect que lui inspirait le roi de l’art, sa grande supériorité vient du sens intime qui, chez lui, semble vouloir briser la Forme.

Travaillez ! les peintres ne doivent méditer que les brosses à la main. 



Enigme N° 108
Le roman :Le chef d'oeuvre inconnu de Honoré de Balzac
Le film : La belle Noiseuse de Jacques Rivette
Bravo à  : 
Aifelle, Asphodèle, Dasola, Eeguab, Florence, Kathel, Keisha, Maggie, Syl,
Merci à tous les participants! Voir chez Wens pour le film.