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mardi 11 mai 2021

Titiou Lecoq : Honoré et moi

 

Titiou Lecoq annonce la couleur avec le titre de sa biographie Honoré et moi. Oui, elle va vous parler de Balzac mais attention, ce sera d’une manière très personnelle et elle aura son mot à dire. Et pas qu’un peu ! Auteur d’une livre féministe qui incite les femmes à ne plus assumer toute seule les tâches ménagères en plus de leur horaire professionnel, elle commence par une défense de la mère de Balzac! C’est vrai ça ! Tout le monde la traite de mauvaise mère, de « mégère hystérique », à commencer par son fils à qui ses biographes, Stefan Zweig en tête, emboîtent allègrement le pas !
Mais qui Honoré appelle-t-il quand il ne peut payer ses créanciers ? C’est maman ! Qui doit gérer ses affaires, ses démêlés avec les éditeurs, régler son loyer quand Honoré part à l’étranger ? C’est maman ! Et qui se retrouve sur la paille dans sa vieillesse, ruinée par son fils prodigue, obligée de quémander une pension à ce même fils ? Non, ce n’est pas le père Goriot, c’est maman ! Quand au papa Balzac, il ne s’occupe pas de ses enfants puis il meurt, donc il n’est responsable de rien.


 T Lecoq nous livre les détails de la vie de Balzac acharné à devenir écrivain, à acquérir gloire et  fortune qui toutes deux tardent à venir. Ce qui entraînera des catastrophes financières. Balzac se croyant doué pour les affaires investit des sommes colossales et aboutit toujours à un fiasco. Il apprend à fuir les créanciers, à emprunter à ses amis et même quand le succès vient il continue à dépenser plus qu’il ne gagne; ce qui l’oblige à devenir un forçat de l’écriture mais seulement la nuit car les journées et les soirées sont consacrées à paraître dans le monde. Si Balzac aime tant l’argent, ce n’est pas en avare mais en amateur dispendieux, passionné des belles choses, de bonne chère, amoureux du raffinement des étoffes, des vêtements. Il est incapable de résister à des objets précieux comme sa fameuse canne ornée de turquoises, à des meubles luxueux. Il aime le Beau et il veut paraître dans le monde, être reconnu par la noblesse qu’il admire.
L’écrivain montre combien Balzac incarne l’antithèse de l’artiste maudit. Pour lui écrire un chef d’oeuvre et gagner de l’argent n’est pas incompatible  : « Pour défendre les droits des écrivains, il imaginera même en 1840 un Code Littéraire, projet dont il donne lecture à la Société des gens de Lettres - sans succès ». Ce qui rappelle les difficultés rencontrées de nos jours pour les gens de lettres et la difficulté qu’il y a toujours à gagner sa vie quand on écrit.

Il y a donc toujours dans cette biographie de fréquents allers-retours entre le XIX siècle et le nôtre, entre les personnages de Balzac et les spécimens du XXI siècle  toujours avec beaucoup d’humour.
Car si la société a changé à bien des égards, les hommes non ! J’aime la comparaison qu’elle établit entre Emmanuel Macron et les héros (jeunes loups) de Balzac !  Parti de Province, (scènes de la vie de Province), follement amoureux  d'une femme plus âgée (Le lys dans la vallée), il "monte" à la capitale, vit dans une chambre de bonne, se rêve romancier (Les illusions perdues) abandonne ses ambitions littéraires, se lance dans la finance ( Le bal de Sceaux, La maison Nucingen), devient ministre (Le député d'Arcis  )...

" La France a élu Rastignac comme président de la République, et c'est peut-être le plus grand fait balzacien de notre société",  écrit-elle ! Et ce n'est pas un compliment aux yeux de cette écrivaine !

Mais la faiblesse de Balzac envers l’argent, son goût du luxe et ses problèmes financiers constituent une source qui enrichit son oeuvre car cela le rend à même de comprendre la société de son temps, le triomphe de cette bourgeoisie d’argent qui est en train de modifier une société fondée jusqu’alors sur les valeurs de la noblesse, il connaît les rouages du système bancaire, des taux d’intérêts, de la spéculation (Le banquier Nucingen), il peut décrire les « magouilles du Père Grandet dans Eugénie Grandet »  ou encore les malversations du baron Hulot dans La Cousine Bette.

« Balzac s’intéresse également au rapport individuel à l’argent, à ce qu’il représente pour chacun… Pour Pons et Rastignac, l’argent est un moyen mais ils ne tendent pas vers la même fin. Rastignac veut le signifié, le signe extérieur de richesse qui lui permet d’en être. Pour Pons, il est le moyen d’acquérir les oeuvres d’art sans laquelle la vie est moche. A leur opposé Grandet aime l’argent en soi. Il ne dépense rien... Enfin le baron Nucingen aime jouer. Spéculer et gagner la partie, c’est être le maître du monde, le plus fort. »

et de conclure

« Balzac fait donc entrer l’argent en littérature sous les formes le plus diverses et cela valait sans doute bien une faillite »

 Le but de Titiou Lecoq n’est pas d’analyser chaque oeuvre en universitaire ni en biographe objectif mais de nous montrer, tout en présentant les grands thèmes de l’oeuvre de Balzac, les femmes, la religion, le mariage, la politique… combien celui-ci a porté sur sa société un regard perspicace, intelligent et même génial et en quoi cette société et les personnages qu’il a créés sont un miroir qu’il nous tend à travers les siècles.

Finalement, l’écrivaine a dressé un portrait de l’homme avec ses qualités, sa gentillesse, son beau regard, sa gaieté , son don pour l'amitié mais aussi ses faiblesses. Et j’apprécie la conclusion qui casse le mythe du Grand Homme, de l’Homme supérieur, providentiel.

« Personne n’aurait été capable d’écrire La comédie humaine. Mais celui qui l’a fait n’est qu’un simple être humain, pas meilleur que vous et moi »


Cette biographie est donc non seulement agréable à lire mais introduit des idées originales.

 LC Voir Maggie

J'ai beaucoup de retard pour cette LC (désolée Maggie) mais enfin, voici mon billet !
 

mercredi 24 mars 2021

Honoré de Balzac : Adieu

 

La nouvelle de Balzac, Adieu, publiée en 1830, intégrée aux Etudes philosophiques de la Comédie Humaine, nous ramène  en 1812 pendant la retraite de Russie, au passage de la Bérézina.
Le récit se déroule au moment où le major Philippe de Sucy, est rentré en France après avoir été fait prisonnier pendant cinq ans par les cosaques. Devenu colonel, Philippe semble assombri par un lourd passé.  Au cours d’une partie de chasse, il aperçoit à travers la grille d’une propriété, une jeune femme qui a un comportement étrange. Il reconnaît sa bien-aimée Stéphanie, comtesse de Vandières, qu’il avait perdue en lui faisant franchir la Bérézina. Recueillie par son oncle , à son retour de Russie, la jeune femme n’a plus toute sa raison et répète inlassablement un mot : « Adieu ».
Le récit effectue un retour en arrière qui nous ramène aux pires heures vécues par l’armée française lors de la retraite de Russie, lorsque la Grande Armée napoléonienne, décimée par le froid et la faim, poursuivie par les armées russes, se retrouve devant la Bérézina, affluent du Dniepr, sans pouvoir la franchir, le pont ayant été détruit par l’ennemi. Napoléon ordonne de construire des ponts provisoires pendant que les russes se rapprochent et que les canons tonnent de plus en plus près.
Philippe de Sucy s’emploie à assurer la survie de Stéphanie qui a suivi son époux, le comte de Vandières, un vieux général. Il parvient à la faire passer, elle et son mari, de l’autre côté de la rivière, sur un radeau construit à la hâte,  mais ne trouve pas de place pour lui. C’est alors qu’elle lui lance ce mot  ultime : « Adieu » et qu’il sera fait prisonnier par les cosaques.
"Stéphanie serra la main de son ami, se jeta sur lui et l’embrassa par une horrible étreinte. – Adieu ! dit-elle. Ils s’étaient compris. Le comte de Vandières retrouva ses forces et sa présence d’esprit pour sauter dans l’embarcation, où Stéphanie le suivit après avoir donné un dernier regard à Philippe.
 – Major, voulez-vous ma place ? Je me moque de la vie, s’écria le grenadier. Je n’ai ni femme, ni enfant, ni mère.
 – Je te les confie, cria le major en désignant le comte et sa femme.
– Soyez tranquille, j’en aurai soin comme de mon œil.
Le radeau fut lancé avec tant de violence vers la rive opposée à celle où Philippe restait immobile, qu’en touchant terre la secousse ébranla tout. Le comte, qui était au bord, roula dans la rivière. Au moment où il y tombait, un glaçon lui coupa la tête, et la lança au loin, comme un boulet. "

Le colonel va tout faire désormais pour aider la comtesse à  recouvrer la raison mais l’issue sera tragique. Comment survivre après une telle tragédie ?  La nouvelle traite donc de la folie et montre comment l’esprit, lorsqu'il qui ne peut en supporter davantage, s’évade dans un autre monde où rien ne peut l’atteindre.

Le passage de la Bérézina

Le maréchal Ney : passage de la Bérézina  Adolphe Yvon

Le grand morceau de bravoure de l’écrivain est la description de cette bataille. Après l’avoir lue nous comprenons d’autant plus le sens de l’expression employée devant un échec, une défaite : «  C’est la Bérézina ! »

L’apathie de ces pauvres soldats ne peut être comprise que par ceux qui se souviennent d’avoir traversé ces vastes déserts de neige, sans autre boisson que la neige, sans autre lit que la neige, sans autre perspective qu’un horizon de neige, sans autre aliment que la neige ou quelques betteraves gelées, quelques poignées de farine ou de la chair de cheval. Mourant de faim, de soif, de fatigue et de sommeil, ces infortunés arrivaient sur une plage où ils apercevaient du bois, des feux, des vivres, d’innombrables équipages abandonnés, des bivouacs, enfin toute une ville improvisée.
 

Lecture commune initié par Maggie

avec  : 

mercredi 24 février 2021

Balzac : La maison du chat qui pelote


Une formidable pièce de bois, horizontalement appuyée sur quatre piliers qui paraissaient courbés par le poids de cette maison décrépite, avait été rechampie d’autant de couches de diverses peintures que la joue d’une vieille duchesse en a reçu de rouge.
Au milieu de cette large poutre mignardement sculptée se trouvait un antique tableau représentant un chat qui pelotait. Cette toile causait la gaieté du jeune homme. Mais il faut dire que le plus spirituel des peintres modernes n’inventerait pas de charge si comique. L’animal tenait dans une de ses pattes de devant une raquette aussi grande que lui, et se dressait sur ses pattes de derrière pour mirer une énorme balle que lui renvoyait un gentilhomme en habit brodé. Dessin, couleurs, accessoires, tout était traité de manière à faire croire que l’artiste avait voulu se moquer du marchand et des passants. (…) À droite du tableau, sur un champ d’azur qui déguisait imparfaitement la pourriture du bois, les passants lisaient Guillaume; et à gauche, Successeur du sieur Chevrel.

Cet extrait donne l’explication du titre de la nouvelle de Honoré de Balzac paru en 1830 dans Scènes de la vie privée : La maison du chat qui pelote, enseigne de la  boutique du drapier Guillaume et de son honorable épouse. Le couple a deux filles, Virginie (28 ans), l’aînée, aussi laide et dévote que sa mère et Augustine (18 ans), jolie à croquer. Mais dans l'esprit de Sieur Guillaume, l’aînée doit se marier avant la cadette et c’est pourquoi le commerçant propose Virginie en mariage à son premier commis, Joseph, bon commerçant, qu’il a en estime et à qui il veut laisser son commerce.
Las ! Ce dernier est amoureux de la cadette. Il n’est pas le seul ! car Théodore de Sommervieux, jeune et riche aristocrate et peintre de génie l’aime aussi. La rivalité se termine bien vite : Augustine épouse Théodore et Joseph, Virginie et la boutique ! 

Un conte de fée pour la fille du marchand épousée par un duc ? Mais l'union de Théodore et Augustine se révèle bien vite mal assortie ! La jeune fille est ravissante mais elle manque d’instruction, elle n’a pas les manières du monde et détone dans cet univers de la noblesse parisienne et du milieu artistique. Et même si elle cherche à plaire à son mari en s’intéressant à l’art, elle n’a pas l’instruction nécessaire, ni l’éducation du goût et de la sensibilité, elle qui n’a été instruite qu’aux livres de compte et aux soins du ménage. Son mari a honte d’elle et la délaisse.
Le drame va se jouer autour du tableau de la jeune femme peinte par Théodore et que celui-ci offre à sa maîtresse la duchesse de Carigliano, image de la coquette parisienne de noble lignée.

« Elle commença par offenser la vanité de son mari, quand, malgré de vains efforts, elle laissa percer son ignorance, l’impropriété de son langage et l’étroitesse de ses idées »  

 Le milieu social

Monsieur Guillaume

Le propos de Balzac le plus évident dans cette nouvelle est que l’on ne doit pas se marier hors de « sa sphère »; une union ne peut être réussie que si l’on sait se tenir à sa place, se contenter du milieu social qui est le sien. Les (més)alliances entre la noblesse d’ancien régime désargentée et la bourgeoise d’argent au XIX siècle sont au coeur de plusieurs romans de Balzac. C’est déjà ce que démontrait Molière en stigmatisant les bourgeois qui s’alliaient à la noblesse et en peignant le triste portait du riche paysan Dandin cocufié par sa femme, fille de gentilhomme. Ainsi, dans la nouvelle de Balzac, le mariage de raison de Joseph et Virginie qui ont la même conformité de goûts, d’intérêts et d’éducation est solide et leur donne du bonheur.
« Une femme devait épouser un homme de sa classe; on était toujours tôt ou tard puni d’avoir voulu monter trop haut; l’amour résistait si peu aux tracas du ménage, qu’il fallait trouver l’un chez l’autre des qualités solides pour être heureux… »

L’art et le commerce 

 

Atala au tombeau l'un des tableaux le plus célèbre de Girodet

Mais la classe sociale n’est pas le seul obstacle au bonheur de Théodore et Augustine. Il y a pire aux yeux de Balzac. C’est l’incompatibilité entre l’art, le « sublime », « les épanchements de l’âme », « les effusions de pensée » qui sont l’apanage de l’artiste Théodore, et le commerce, ce monde des marchands sans fantaisie, lié à une économie sévère où l’on connaît « le prix des choses », des « travaux obstinés », où règne une « propreté respectable » et où l’on mène « une vie exemplaire » mais ennuyeuse, sans plaisirs. Augustine qui a été habituée «  à n’entendre que des raisonnements et des calculs tristement mercantiles » représente cette classe : « Elle marchait terre à terre dans le monde réel alors qu’il avait la tête dans les cieux ».

Balzac malmène, non sans un certain mépris, la bourgeoisie marchande, ses préoccupations mercantiles, son manque de culture, de sensibilité artistique, mais il respecte sa probité et ses moeurs honnêtes.

«  De la résultait la nécessité de recommencer avec plus d’ardeur que jamais à ramasser de nouveaux écus, sans qu’il vînt en tête à ces courageuses fourmis de se demander : A quoi bon ? »

On voit où va l’admiration de Balzac. L’art est partout dans la nouvelle, on y parle de David, de Raphael, de Michel Ange, du Titien, de Léonard de Vinci. L’ami de Théodore de Sommervieux n’est autre que Girodet, disciple de David, peintre néo-classique mais déjà préromantique.

Le portrait 

Augustine chez la duchesse de Carigliano : le portrait
 

 Le portrait peint de mémoire par Théodore, amoureux d'Augustine, alors qu'elle ne le connaît pas encore, va jouer un grand rôle dans le récit. Je ne peux m'empêcher de penser qu'il est à la limite du fantastique comme la peau de chagrin du même Balzac ( 1831) qui rétrécit à chaque désir de son propriétaire ou le portrait de Dorian Gray de Wilde qui se corrompt à chaque vice de celui qu'il représente.

On ne peut peindre ainsi que si l'on aime. Les amis de Théodore devinent immédiatement qu'il est amoureux de la jeune fille. Ils le comparent aux plus grands atistes peignant leur bien-aimée, Raphael, Le Titien...  Le portrait est donc doté d'une magie que tous ressentent. Théodore refuse de le vendre même si on lui en offre des sommes énormes.

Plus tard, il le donne à la duchesse de Carigliano parce que celle-ci en a exprimé le désir. Cette  trahison a une portée symbolique grave. La duchesse ne le lui a demandé que pour tester jusqu'où il irait dans son amour pour elle ou comme elle le dit avec cynisme : "Je ne l'ai exigé que pour voir jusqu'à quel degré de bêtise un homme de génie peut atteindre." : Elle le rend à Augustine pour qu'elle retrouve son mari. Pour elle, il n'est pas question d'amour ou de passion dans le mariage mais de domination.

Si armée de ce talisman, vous n'êtes pas maîtresse de votre mari pendant cent ans, vous n'êtes pas une femme, vous méritez votre sort".

En le nommant "talisman", la duchesse reconnaît le pouvoir de ce tableau.

Enfin la destruction de ce portrait à la fin de la nouvelle précipite la fin de la jeune femme. C'est comme si le peintre avait porté des coups à Augustine elle-même et avait tué leur amour..

La nouvelle a donc de l’intérêt en ce qui concerne l’étude de la vie privée, des moeurs et des classes sociales. Les personnages sont bien campés et complexes. Les rapports entre hommes et femmes sont aussi finement analysés.
Ce qui m’a un peu gênée, c’est le caractère abrupt de du dénouement. Sans transition, on passe à la scène finale si rapidement que j’ai cru qu’il manquait une partie du texte. Mais non, il n'en est rien ! D'où un moment de flottement et d'inachevé à la fin. Mais souvent, dans ses nouvelles, Balzac aime ce genre de dénouement !


LC  BALZAC  initiée par  Maggie 

avec  Myriam
 

samedi 26 décembre 2020

Honoré de Balzac : La vieille fille

Ecrit en 1836, édité en 1837, l’action de La Vieille Fille commence en 1816. Ce court roman s’insère dans Etudes de meurs, Scènes de la vie de Province, avant d’être réuni dans un même ensemble avec Le cabinet des Antiques.

Nous sommes à Alençon, en 1816, à l’époque de la seconde Restauration, Louis XVIII est au pouvoir. il a accordé une constitution dès la première restauration en 1814, ce qui mécontente les Ultra royalistes.
 En Province s’opposent deux hommes, vieillards sensiblement du même âge (57/58ans) qui présentent deux classes sociales, deux époques, deux partis politiques, deux personnalités totalement  opposés !

Le chevalier de Valois

 Le chevalier de Valois incarne la noblesse traditionnelle d’avant la révolution. Raffiné, il est toujours en phase avec le XVIII siècle, jusque dans sa manière de parler, de se vêtir, de penser. Intelligent, il a beaucoup de finesse pour comprendre la psychologie de ceux qu’il fréquente, nobles, bourgeois ou grisettes. Il plaît à tous, est charmant, spirituel, avenant. Complètement désargenté, il cache sa misère et se fait inviter dans le meilleur monde, jouant le rôle de pique-assiette. Libertin, il cache bien son jeu en paraissant avoir une vie sage et mesurée. Bien qu'il soit rusé, retors et habile à manipuler les gens, il est cependant moins pragmatique que son rival du Bousquier.

Du Bousquier

Du Bousquier est le représentant de la classe bourgeoise. Hommes d’affaires sous le Directoire, il s’est ruiné avec l’Empire et se réfugie en province pour faire fortune. Vulgaire, sans élégance, brutal, incapable de sentiments distingués, odieux, il représente les idées révolutionnaires et épouse le parti libéral qu’exècre Balzac. Mais en bon hypocrite, il ne lutte pas pour des idéaux mais pour lui-même, la seule personne qui l’intéresse. Il se révèle d’ailleurs un homme de progrès, très compétent, capable de transformer l’économie d’une ville, d’y apporter la modernité, ce que lui reproche Balzac.

Ces deux personnages opposés ne sont épargnés, ni l’un, ni l’autre par Balzac qui exerce son talent caricatural sur eux et les malmène avec brio ! Cependant, on voit très bien de quel côté penche l’écrivain qui, parfois, prend la parole directement et rédige une diatribe contre la royauté constitutionnelle, tout en se  plaçant du côté des ultras royalistes. 

Ainsi  du Bousquier représente : « …. cette fatale opinion qui, sans être vraiment libérale, ni résolument royaliste, enfanta les 221* au jour ou la lutte se précisa entre le plus auguste, le plus grand, le seul vrai pouvoir, la Royauté, et le plus faux, le plus changeant, le plus oppresseur pouvoir, le pouvoir dit parlementaire qu’exercent des assemblées électives. »

Une amie blogueuse m’a demandé en quoi Balzac était un réactionnaire. Il faut lire ce livre pour le comprendre ! 
"Aucun homme, en France, (du Bousquier) ne jeta sur le nouveau trône élevé en août 1830 un regard plus enivré de joyeuse vengeance. Pour lui, l’avènement de la branche cadette était le triomphe de la Révolution. Pour lui, le triomphe du drapeau tricolore était la résurrection de la Montagne, qui, cette fois, allait abattre les gentilshommes par des procédés plus sûrs que celui de la guillotine, en ce que son action serait moins violente. La Pairie sans hérédité, la Garde nationale qui met sur le même lit de camp l’épicier du coin et le marquis, l’abolition des majorats réclamée par un bourgeois-avocat, l’Eglise catholique privée de sa suprématie, toutes les inventions législatives d’août 1830 furent pour du Bousquier la plus savante application des principes de 1793." 

 
C’est pourquoi, malgré la caricature, malgré ses défauts, le noble chevalier du Valois est supérieur en tout à l’horrible Bousquier!

Non contents d’être ennemis en politique, Bousquier et du Valois vont aussi se retrouver rivaux dans leurs ambitions matrimoniales. Tous deux briguent la main de la Vieille fille, Rose-Marie-Victoire Cormon, non pour ses beaux yeux mais pour sa fortune.

A côté d’eux un jeune homme Anathase de Granson, naïf, amoureux sincère de cette femme, même s’il ne dédaigne pas la fortune, est malheureusement éconduit. Un autre personnage a aussi son importance, c'est la grisette, Suzanne.

Rose Marie Victoire Cormon

Rose-Marie-Victoire Cormon est une riche héritière qui vit dans la plus belle demeure d’Alençon avec son oncle, le grand-vicaire, Cormon. Elle représente la tradition royaliste solidement ancrée dans le terreau de l’Eglise catholique. Bourgeoise, étroite d’esprit, bigote, prude, elle est aussi inintelligente et ignore tout de la sexualité, ce qui l’entraîne à dire des inepties qui font la joie de son entourage. Elle est toujours « vieille fille » à force de refuser des partis tant sa méfiance est grande envers les adorateurs de sa fortune. Mais à la quarantaine, la question du mariage l’agite tant qu’elle devient une obsession. Toute la ville se moque d’elle. La caricature de son physique, de son ignorance, de ses ridicules est d’une grande cruauté. Mais l’on sait le mépris de Balzac pour les femmes célibataires qui se sont montrés trop difficiles pour trouver un mari; Il leur reproche de ne pas avoir rempli leurs obligations d’épouse, servir leur mari, et surtout leur devoir de mère, servir la société! La seule qualité que  reconnaît Balzac à Mademoiselle Cormon, c'est de vouloir des enfants! Mais il la punira, à la fin du roman, par là où elle a pêché, le refus du mariage ! Pas de pitié pour ces êtres inutiles !
Par contre et étonnamment, Balzac est assez anti-clérical et se montre ironique envers la dévotion portée à l’extrême, autrement dit la bigoterie, ce que j'avais noté dans Le Lys de la vallée. Dans ce roman, l’écrivain condamne le directeur de conscience de madame de Mortsauf qui en lui prêchant la vertu, l’a empêchée de vivre comme il critique cette dernière de ne pas avoir su choisir l’amour. Dans la Vieille fille, il est assez virulent et cela,  à plusieurs reprises :
« La dévotion cause une ophtalmie morale. En un mot les dévotes sont stupides sur beaucoup de points. (…) quoique le voltairien monsieur de Valois prétendît qu’il est extrêmement difficile de décider si ce sont les personnes stupides qui deviennent dévotes, ou si la dévotion a pour effet de rendre stupides les filles d’esprit. »

La vieille fille est donc bien un roman de moeurs où apparaît la vie étriquée, monotone, trop bien réglée de la Province, où sont dépeintes les différentes couches de la société, du peuple aux plus hautes classes. C’est aussi un roman politique qui décrit l’agitation de cette première partie du XIX siècle, de 1816 à 1830, et son histoire mouvementée. De plus, dans ce roman, Balzac porte l’art du portrait caricatural à un haut niveau.

221*  En mars 1830, le roi  menace les députés  qui s'opposent au gouvernement réactionnaire qu'il met en place avec à sa tête Polignac; 221 d'entre eux lui présente une adresse rappelant au gouvernement les droits de la Chambre. Le roi s'empresse de la dissoudre. Le 27 juillet 1830, il dissout une assemblée nouvellement élue malgré sa volonté. Il rédige les ordonnances de Saint Cloud qui rétablissent la censure, interdisent la  liberté de la presse, modifient le cens pour éliminer la bourgeoisie. Le 27, 28, 29 ont lieu les Trois Glorieuses, révolution qui chasse Charles X du trône; Il abdique le 3 août 1830. Le duc d'Orléans monte sur le trône.

 

 J'ai trouvé un site qui explique dans quels romans de La Comédie Humaine l'on retrouve les personnages de La vieille fille ICI.

Du Bousquier : 57 ans en 1816, est le rival heureux de Valois. Il monte des entreprises sous la Révolution et mène grande vie jusqu'au Directoire, dont l'une en association avec un Minoret (Entre savants). Ruiné en 1800 (La Bourse) il se retire à Alençon, sa ville natale, où il devient le chef du parti libéral. Son mariage avec Mlle Cormon en fait, vers 1838, le maître d'Alençon (Béatrix).
–  Rose-Marie-Victoire Cormon : elle atteint la quarantaine en 1816. Vieille fille à son corps défendant, l'ironie du romancier la fait Présidente de la Société de Maternité. Son mariage, comme on sait, la laisse « fille », et vouée aux « nénuphars », selon le mot de Suzanne, qu'elle soit l'épouse de du Bousquier ou de son alter ego du Croisier (Le Cabinet des Antiques).
Suzanne : …. et ses vieillards, « personne assez hardie » pour disparaître d'Alençon « après y avoir introduit un violent élément d'intérêt » . Une beauté normande, grisette en province, lorette à Paris. Elle y fait carrière sous le nom de Mme du Valnoble, emprunté à la rue Val-Noble, où demeure Mlle Cormon (Illusions perdues, Un début dans la vie, Une fille d'Ève). Elle rêve, adolescente, au destin de Marie de Verneuil (Les Chouans). C'est elle qui procure à Esther les fatales perles noires (Splendeurs et misères des courtisanes). On apprend dans Béatrix son mariage, en 1838, avec le journaliste Théodore Gaillard. La tournée parisienne des Comédiens sans le savoir commence chez elle.
Chevalier de Valois : à Alençon. Il a 58 ans en 1816. En 1799, il était, dans l'Orne, le correspondant des Chouans (Les Chouans), et réapparaît à ce titre dans L'Envers de l'histoire contemporaine. « Adonis en retraite » il échoue in extremis auprès de Rose Cormon, et deviendra l'un des habitués du Cabinet des Antiques ; c'est dans ce roman qu'il mourra, en 1830, après avoir accompagné Charles X à Cherbourg, sur le chemin de  l'exil.
 


LC initiée par Maggie Ici avec : Rachel ICI
 

mardi 15 décembre 2020

Jane Austen et Honoré de Balzac : Orgueil et préjugé et La femme abandonnée

Portrait (controversé) de Jane Austen à l'âge de douze ans
 

A quelques années de distance en France et en Angleterre, Jane Austen et Honoré de Balzac présentent leur vision de la société provinciale. Balzac décrit la petite noblesse normande, ancré dans une ville, Bayeux, une noblesse imbue de ses privilèges, convaincue de sa supériorité mais bien éloignée de la brillante noblesse parisienne. Austen est le peintre de la "gentry" anglaise rurale, dont la rente reste attachée à ses propriétés terriennes. La France de Balzac est très ancré dans ce début du XIX avec la restauration de la monarchie alors que Jane Austen  tout en présentant les mutations de la société liées à son époque est encore tournée vers le XVIII siècle. L'histoire respective de leur pays, les écarts entre les époques, les modes de vie, les séparent. Pourtant les deux textes ont de grandes ressemblances quant aux moeurs de la société. En voilà deux extraits, l’un de La femme abandonnée de Balzac paru en 1832, l’autre de Orgueil et préjugés de Jane Austen paru en 1813 mais écrit en 1796.


 Balzac la femme abandonnée 1832

Le baron Gaston de Nueil, parisien, est obligé de s’exiler en Province, en Normandie, pour des raisons de santé.
Quand Gaston de Nueil apparut dans ce petit monde, où l’étiquette était parfaitement observée, où chaque chose de la vie s’harmonisait, où tout se trouvait mis à jour, où les valeurs nobiliaires et territoriales étaient cotées comme le sont les fonds de la Bourse à la dernière page des journaux, il avait été pesé d’avance dans les balances infaillibles de l’opinion bayeusaine. Déjà sa cousine madame de Sainte-Sevère avait dit le chiffre de sa fortune, celui de ses espérances, exhibé son arbre généalogique, vanté ses connaissances, sa politesse et sa modestie. Il reçut l’accueil auquel il devait strictement prétendre, fut accepté comme un bon gentilhomme, sans façon, parce qu’il n’avait que vingt trois ans; mais certaines jeunes personnes et quelques mères lui firent les yeux doux. Il possédait dix-huit mille livres de rente dans la vallée d’Auge, et son père devait tôt ou tard lui laisser le château de Manerville avec toutes ses dépendances. Quant à son instruction, sa valeur personnelle, à ses talents, il n‘en fut pas seulement question. Ses terres étaient bonnes et les fermages bien assurés; d’excellentes plantations y avaient été faites; les réparations et les impôts étaient à la charge des fermiers; les pommiers avaient trente-huit ans; enfin son père était en marché pour acheter deux cents arpents de bois contigus à son parc, qu’il voulait entourer de murs : aucune espérance ministérielle, aucune célébrité humaine ne pouvait lutter contre de tels avantages.

Orgueil et préjugé Jane Austen 1813

Les cinq filles de Mrs Bennett

C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles.
–Savez-vous, mon cher ami, dit un jour Mrs. Bennet à son mari, que Netherfield Park est enfin loué?
Mr. Bennet répondit qu’il l’ignorait.
–Eh bien, c’est chose faite. Je le tiens de Mrs. Long qui sort d’ici.
Mr. Bennet garda le silence.
–Vous n’avez donc pas envie de savoir qui s’y installe! s’écria sa femme impatientée.
–Vous brûlez de me le dire et je ne vois aucun inconvénient à l’apprendre.
Mrs. Bennet n’en demandait pas davantage.
–Eh bien, mon ami, à ce que dit Mrs. Long, le nouveau locataire de Netherfield serait un jeune homme très riche du nord de l’Angleterre. Il est venu lundi dernier en chaise de poste pour visiter la propriété et l’a trouvée tellement à son goût qu’il s’est immédiatement entendu avec Mr. Morris. Il doit s’y installer avant la Saint-Michel et plusieurs domestiques arrivent dès la fin de la semaine prochaine afin de mettre la maison en état.
–Comment s’appelle-t-il?
–Bingley.
–Marié ou célibataire?
–Oh! mon ami, célibataire! célibataire et très riche! Quatre ou cinq mille livres de rente! Quelle chance pour nos filles!
–Nos filles? En quoi cela les touche-t-il?
–Que vous êtes donc agaçant, mon ami! Je pense, vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti pour l’une d’elles.
–Est-ce dans cette intention qu’il vient s’installer ici?
–Dans cette intention! Quelle plaisanterie! Comment pouvez-vous parler ainsi?... Tout de même, il n’y aurait rien d’invraisemblable à ce qu’il s’éprenne de l’une d’elles. C’est pourquoi vous ferez bien d’aller lui rendre visite dès son arrivée.

Les similitudes entre les deux textes sont évidentes. Dans l’un comme dans l’autre, il est question d’un jeune homme riche qui s’installe en province. Il y est bien reçu mais avec une certaine indifférence par les hommes. Par contre et immédiatement, les mères et les jeunes filles sont très intéressées : « lui firent les yeux doux », et l’on s’aperçoit dans les deux cas que c’est sa richesse qui plaide en sa faveur. Personne ne connaît encore Bingley, personne ne se préoccupe de la valeur morale ou intellectuelle du baron de Nueil mais tous savent déjà le montant de ses rentes et le détail de ses propriétés. Dans La femme abandonnée, c’est la tante du jeune homme qui donne ces renseignements, dans Orgueil et préjugé, c’est une Mrs Long. Dans les deux, les commérages vont bon train et le but est le même :  le mariage de ces demoiselles avec un bon parti !

Oh! mon ami, célibataire! célibataire et très riche! Quatre ou cinq mille livres de rente! Quelle chance pour nos filles!

Certes, la sensibilité et le style de Jane Austen et Honoré de Balzac sont très éloignés l'un de l'autre mais ils sont tous les deux des observateurs perspicaces de leur société, des satiristes qui en relèvent les défauts et les faiblesses. Ils dénoncent dans les deux textes, l’avidité, le matérialisme, l’importance accordé à l’argent qui joue dans ces classes nobles ou bourgeoises un rôle prépondérant.

Balzac en tant que narrateur omniscient observe la société normande d'un point de vue extérieur. C'est en peintre et en moraliste qu'il dresse ce tableau. Dans cette nouvelle, il conserve un ton froid et détaché, presque scientifique, comme un ethnologue étudierait la vie humaine ou un entomologue celles des insectes. Il est loin, ici, de certaines descriptions qui, dans ses autres romans, lui ont valu le qualificatif de réalisme visionnaire.

Austen, en dédoublant le point de vue sous forme de dialogue entre le mari et son épouse nous donne une scène de comédie de moeurs dans laquelle s'exerce son ironie acérée, si efficace.  Après la célèbre introduction caractéristique de son style et de son esprit mordant : C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier ... Jane Austen introduit le dialogue entre Mr Bennet, esprit caustique et critique, qui feint l'indifférence et fait preuve d'une fausse naïveté : Nos filles ? En quoi cela les touche-t-il? Est-ce dans cette intention qu'il est venu ici ? et Mrs Bennet, trop sotte pour comprendre qu'il se moque d'elle, incarnant à elle seule l'étroitesse de sa classe sociale, la superficialité et le caractère intéressé. Que vous êtes donc agaçant, mon ami! Je pense, vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti pour l’une d’elles.

C’est aussi le statut de la femme qui y est montré. Le seul avenir des jeunes filles  est dans le mariage sinon elles restent à la charge de leur famille, parentes pauvres. Ce qui fut le cas de Jane. On connaît le mépris, voire la haine de Balzac, pour les vieilles filles ! D'autre part, si elles revendiquent leur choix et prennent un amant, elles sont mise au ban de la société comme la vicomtesse de Bauséant. D’où leur empressement à se marier et le souci constant des mères à qui incombe la chasse aux maris. Austen n’est pas romantique (même si c'est l'impression que cherchent à donner les adaptations hollywoodiennes de ses romans en affadissant ses propos ) et elle rejoint Balzac lorsqu’il faut montrer que, dans leur société, l’amour n’a aucune part dans le mariage et que seules les questions d’intérêt priment. Ainsi, dans La femme abandonnée, Gaston de Nueil est attiré par madame de Beauséant parce qu’elle a tout sacrifié à l’amour  : « Il n’avait point encore rencontré de femme dans ce monde froid où les calculs remplaçaient les sentiments, où la politesse n’était plus que des devoirs »

Dans les deux oeuvres on s'apercevra aussi que les héros de la nouvelle et du roman, tous les deux très jeunes, refusent cette vision mercantile du mariage. Gaston de Nueil est un romantique qui tombe amoureux d'une femme qu'il ne connaît pas encore parce que c'est une amoureuse, sincère, libre et indépendante bien que bafouée. Plus tard, il reniera ses sentiments de jeunesse pour obéir aux règles de la société mais sa mort prouvera qu'il avait tort.

Elizabeth Bennet a trop  d'orgueil et le sens de sa dignité pour tomber amoureuse d'un homme qui la méprise et pour vouloir l'épouser par intérêt. Comme Jane Austen, sa créatrice, elle préfère le célibat. C'est, pour elle, la raison qui prime sur les sentiments en véritable héroïne austenienne anti-romantique. Le dénouement du roman qui fait d'elle une femme amoureuse et comblée ne dément pas la vision lucide de Jane Austen sur la société, elle qui fait dire à Mrs Bennet : 

Mon enfant bien-aimée, s’écria-t-elle, je ne puis penser à autre chose. Dix mille livres de rentes, et plus encore très probablement. Cela vaut un titre.

Et finalement les deux textes se conclut de la même manière :

... aucune espérance ministérielle, aucune célébrité humaine ne pouvait lutter contre de tels avantages.


vendredi 4 décembre 2020

Balzac : La femme abandonnée

Le personnage de la vicomtesse de Bauséant est un personnage important de La Comédie humaine. Dans Le père Goriot  on l'y voit tenir un brillant salon parisien où il est de bon ton de paraître et n’y est pas reçu qui veut. Mais lorsqu’elle est abandonnée par son amant, elle quitte son mari et vient se réfugier à Bayeux. Mise au ban de la société pour sa scandaleuse conduite et son indépendance, elle vit orgueilleusement retirée dans ses appartements. Balzac lui consacre cette courte nouvelle intitulée La Femme abandonnée. Le second personnage est le jeune baron Gaston de Nueil, parisien lui aussi, mais en exil à Bayeux pour des raisons de santé. Il s’ennuie à mourir dans cette société provinciale étriquée et rigide. Aussi lorsqu’il entend parler la vicomtesse, son imagination fait le reste et il en tombe amoureux sans l'avoir encore rencontrée. Il finira par devenir son amant et vivre avec elle mais …

Avec sa vive imagination et sa promptitude à tomber amoureux, le baron me fait penser au Julien Sorel de Stendhal. Surtout dans la scène où renvoyé par la vicomtesse et raccompagné à la porte de la demeure par un serviteur, il comprend que son honneur est en jeu et son orgueil le pousse à la témérité. Mais la comparaison s’arrête là, Julien étant un roturier peu habitué à la société mondaine, ce qui n’est pas le cas de Gaston de Nueil.

L’intrigue de cette nouvelle est légère, assez convenue et m'a laissée un peu sur ma faim. Toute sa valeur réside à mes yeux dans deux éléments :

La conclusion de la nouvelle

La brutalité de la chute racontée en une phrase et d’un ton entièrement détaché, crée un choc, conclusion lapidaire, inattendue, de cette histoire d’amour. C’est dommage que Balzac ne se soit pas arrêté à cette phrase, ce qui aurait donné une plus grande force au dénouement qui me rappelle la manière de Victor Hugo dans La légende des siècles : et le lendemain Aymerillot prit la ville. Mais Balzac n’est pas Hugo (et réciproquement)  et il parle ici en moraliste! C'est pourquoi la conclusion est suivie  par des considérations dignes d’un entomologiste sur la nature humaine, la femme amoureuse.

La satire de la vie provinciale

Ce que j’ai le plus apprécié dans La femme abandonnée, c’est la satire acide de la société provinciale qui est décrite avec une méchanceté étudiée. Dans ses romans, Balzac nous montre la société en action, dans la nouvelle, il nous en fait la synthèse et nous la décrit comme une carte du ciel, avec ses planètes tournant autour du soleil. Or ce dernier est ici un astre bien faible en province et Balzac a des formules acérées  pour le décrire :
"C’était d’abord la famille dont la noblesse, inconnue à cinquante lieues plus loin passe, dans le département, pour incontestable et de la plus haute antiquité…"  "Cette espèce de  famille royale  au petit pied " " Cette famille fossile" " Le chef de cette race illustre est toujours un chasseur déterminé. Homme sans manières, il accable tout le monde de sa supériorité nominale…"
"Sa femme a le ton tranchant, parle haut, a eu des adorateurs, mais fait régulièrement ses pâques; elle élève mal ses filles et pense qu’elles seront toujours assez riches de leur nom. "

"Puis viennent les astres secondaires" :
Ceux qui gravitent autour de la noblesse ancienne, une noblesse récente  plus à la mode mais tout aussi conventionnelle et figée, dans un autre style, les gentilshommes campagnards, les membres du clergé tolérés pour leur fonction mais roturiers donc inférieurs.
Et Balzac de conclure :
La vie de ces routinières personnes gravite dans une sphère d’habitudes aussi incommutables que le sont leurs opinions religieuses, politiques, morales et littéraires.

Bien entendu pour le réac Balzac, la supériorité parisienne même s'il s'agit de la noblesse n'est pas à démontrer et tout ce qui s'attache à la province est dénigrée. Mais comme il n'épargne pas, non plus, les parisiens, disons que c'est acceptable !

 Lecture commune (oui, je suis en retard !)

initiée par Maggie Ici

Miriam Ici 

Céline Ici


dimanche 24 mai 2020

Balzac : Maître Cornélius





La nouvelle Maître Cornélius de Balzac fait partie des études philosophiques de La Comédie humaine.

Le récit se déroule sous le règne de Louis XI. La fille adultérine de Louis XI est mariée à un affreux vieillard, jaloux et cruel, le comte de Saint Vallier. Elle aime en secret le jeune Georges d’Estouville. Celui-ci s’engage comme apprenti dans la maison de Maître Cornélius, argentier du roi, dont la maison jouxte celle des Saint Vallier. En passant par la cheminée, le jeune homme fougueux parvient à rejoindre sa bien-aimée. Mais la nuit même, un vol se produit et Georges accusé par Cornélius est condamné à mort. Ce n’est pas la première fois que de tels vols se produisent et tous les jeunes gens engagés par maître Cornélius ont été tour à tour accusés et pendus. Quel mystère plane sur cette demeure et son mystérieux propriétaire?

J’ai été un peu étonnée par ce texte dans lequel Balzac ne semble pas trop de quel côté se diriger.
Roman d’amour ? Le jeune noble, Georges d’Estouville, est prêt à mourir pour gagner l’amour de sa belle, Marie de Saint Vallier. Mais le récit de cet amour tourne court, et nous ne savons ce qu’il advient du jeune homme à la fin ?
Roman historique ? Il dresse un portrait un peu convenu mais pourtant réussi de Louis XI en roi intelligent, pervers, retors, et cupide. Mais le roi reste un personnage secondaire.
La nouvelle pourrait surtout présenter une dimension fantastique car le personnage de maître Cornélius et celui de sa soeur sont auréolés de mystère et de noirceur. Sorcière, la soeur et diabolique, maître Cornelius. Notons qu’il porte le nom d’un personnage des Contes d’Hoffmann. Cet homme avare, usurier machiavélique et trésorier du roi, fin politique, est responsable de la mort de six de ses apprentis convaincus de vol dans un maison pratiquement murée sur elle-même ! Comment expliquer des faits aussi inexplicables ? Comment expliquer que tous ceux qui approchent maître Cornélius meurent sur le gibet ?  Mais Balzac coupe court à la veine fantastique en donnant une explication des plus réalistes et des plus terre à terre.  Le mystère ne fait pas long feu ! et c’est dommage !
Comme d’habitude les personnages de Balzac donnent lieu à des portraits hauts en couleur mais le récit est décevant.


LC initiée par Maggie
  
 avec Miriam 

mercredi 22 avril 2020

Honoré de Balzac : Pierrette

Guido Reni : portrait de Beatrix Cenci
Pierrette, roman qu'il place dans Scènes de la vie de province, fait partie de la série que Honoré de Balzac consacre aux Célibataires, êtres inutiles, vides, sans valeur, qu’il écrase de son mépris. Nous avions commenté précédemment Le Curé de Tours au cours des lectures communes balzaciennes initiées par Maggie.

« Aussi était-ce une fille, et une vieille fille. Quand elle eut déployé ses persiennes par un geste de chauve-souris, elle regarda dans toutes les directions (…) Y a-t-il rien de plus horrible que la matinale apparition d’une vieille fille laide à sa fenêtre ? De tous les spectacles grotesques qui font la joie des voyageurs quand il traversent les petites villes, n’est-ce pas le plus déplaisant ? Il est trop triste et éprouvant pour qu’on en rie? »

Le récit 
Pierrette
Nous sommes à Provins. Les célibataires sont un couple de vieillards, frère et soeur, les Rogron, secs et durs de coeur et avares, qui se sont enrichis et affichent dans leur maison tout le mauvais goût de parvenus. Ils accueillent chez eux une jeune cousine Pierrette, une petite bretonne,  que leur confie sa grand-mère, une parente désargentée. Ils n’auront de cesse de tourmenter la jeune fille qui tombe malade à force de tortures physiques et morales. Sa personne devient alors l’enjeu d’une lutte sournoise et acharnée entre les deux factions qui se disputent le pouvoir dans la ville. Son aïeule bien-aimée et Jacques Brigaud, son amoureux, venus à son secours, pourront-ils la sauver ?

Une critique sociale virulente
Sylvie Rogron frappe Pierrette
Comme dans Le curé de Tours, Balzac peint avec Pierrette une scène de la vie de province particulièrement cruelle et pessimiste. Toutes les classes sociales y sont représentées mais aucune n’est épargnée sauf les humbles, ouvriers, menuisiers comme Brigaud et son patron, la servante des Rogron, et Pierrette et sa grand-mère.  Toutes les autres sacrifient l’innocence à leur intérêt personnel, à leur ambition sociale et politique surtout en cette période pré-électorale où tous les coups sont permis.

Les Rogron représentent la petite bourgeoisie commerçante arriviste qui veut être reçue dans le monde et pense y parvenir grâce à son argent. Pour cela, ils n’hésitent pas à spolier leur famille, à chercher des appuis dans des mariages d’intérêt, à jouer sur les dissensions politiques.
Mais leur vulgarité et leur sottise leur ferment la porte de la haute bourgeoisie légitimiste, les Julliard, les Guépin, les Guénée, les trois grandes familles de Provins et leurs alliés. Les Rogron se tourneront alors vers la bourgeoise libérale représentée par le colonel Gouraud, le médecin Neraud,  et surtout l’avocat Vinet, adversaires politiques de ceux qui les ont rejetés
Si les grands bourgeois prennent le parti de Pierrette, c’est surtout pour s’opposer à leurs adversaires politiques pour emporter les élections. Quant aux libéraux, ils soutiennent les Rogron alors même qu’ils les savent coupables de sévices envers Pierrette pour les mêmes raisons.
Mais ce sont toute de même les libéraux qui détiennent la palme de l’hypocrisie et de la bassesse  ! 
Il charge ainsi l’avocat Vinet :  

« Accoutumé à tout concevoir par son désir de parvenir, il pouvait devenir un homme politique. Un homme qui ne recule devant rien, pourvu que tout soit légal, est bien fort : la force de Vinet venait de là. Ce futur athlète des débats parlementaires, un de ceux qui devait proclamer la royauté de la maison d’Orléans, eut une horrible influence sur le sort de Pierrette. »

Le colonel Gouraud, lui aussi, est un opportuniste, prêt à épouser la riche Sylvie Rogron malgré sa laideur, ou mieux encore - en vieux filou dépravé-  la petite Pierrette si elle est héritière !
Cependant, personne ou presque ne sort indemne de la peinture au vitriol faite par Balzac. Chacun fait sienne les maximes de Vinet :

« Nous serons de l’opposition si elle triomphe, mais si les Bourbons perdent, ah! Comme nous nous inclinerons tout doucement vers le centre ! »
Et les femmes ne sont pas les dernières. Dans les deux partis, deux grandes dames mènent le jeu. Elle sont égales par la beauté, le bon goût, l’éducation et l’intelligence mais non par la fortune : Madame Tiphaine et Batilde de Chargeboeuf, la dernière sans dot, qui épousera le vieux Rogron. Mais elles portent bien chacune les ambitions, les intrigues, les compromissions et les hypocrisies de leur rang. Ce sont elles qui font ou défont la carrière politique des hommes.
Batilde de Chargeboeuf «  ne se mariait pas pour être mère mais pour avoir un mari, elle se mariait pour être libre,(..) pour s’appeler madame et pouvoir agir comme agissent les hommes. Rogron était un nom pour elle, elle comptait faire quelque chose de cet imbécile, un Député votant dont elle serait l’âme.»
Le roman est une démonstration de la faiblesse des humbles lorsqu’ils deviennent le jouet des puissants. Pierrette en fait les frais et c’est encore Vinet qui résume la philosophie de ces gens-là quelque soit le parti où il se range  :

« Votre misère comme la mienne vous aura donné sans doute la mesure de ce que valent les hommes : il faut se servir d’eux comme on se sert des chevaux de poste. Un homme ou un femme nous amène de telle à telle étape. »

                                               Entre le conte et le réel : Des archétypes

Kay, Gerda dans le conte d'Andersen : La reine des neiges
Le roman a une particularité qui lui donne un dimension plus profonde. Il présente deux facettes, la réalité, d’une part, qui puise dans tous les aspects le plus sombres de l’être humain et de la société et de l’autre, le conte de fées. Ce dernier peut présenter des noirceurs mais il met à part les personnages en leur conférant un autre statut, en en faisant des archétypes.
Pierrette s’apparente à la petite fille des contes, elle affronte tous les êtres maléfiques qui dressent des pièges sur son chemin. La grand-mère n’est-elle pas celle du Petit Chaperon rouge ou de La petite fille aux allumettes? Les deux enfants pourraient être Gerda et Kay de La Reine des neiges, Hans et Gretel. Balzac en est conscient qui compare lui-même leur histoire d’amour à celle de Paul et Virginie.  

La sorcière du conte : Sylvie Rogron
 Balzac joue ainsi sur les deux tableaux entre réel et l’irréel : il dresse des portraits de méchants totalement effrayants et aboutis comme Melle Rogron, image de la sorcière et de la marâtre du conte traditionnel; et il hisse le portrait de Vinet, l’ogre, au niveau de l’archétype en faisant de lui un homme politique amoral et cynique, pour qui le pouvoir justifie tout et qui piétine ses semblables sans remords.

Le curé de Tours raconte aussi la même histoire et nous laisse sur un sentiment de tristesse et d’amertume  quant à la nature humaine mais avec Pierrette, Balzac frappe encore plus fort. Le curé Biroteau est un personnage réaliste avec des appétits et des faiblesses d’homme, gourmandise, jalousie, envie, ambition, le personnage de Pierrette est celui d’une enfant totalement innocente, douce et sans défense, une Cosette livrée aux Thénardier.  C’est pourquoi son sort nous touche plus profondément encore que celui de Biroteau. D’autre part, Honoré de Balzac est encore plus virulent dans la satire sociale. Il décrit la société comme une machine à broyer les plus faibles, d’où le sentiment de révolte, d’indignation qu’il fait naître en nous. Il englobe dans le même mépris tous les acteurs de la vie sociale et politique de son époque en France mais il étend, en conclusion, cette peinture sans illusion de la nature humaine à l'universel en terminant son récit par une allusion à Béatrix Cenci sacrifiée, elle aussi, à l'ambition d'un pape.

Lecture commune initiée par Maggie ICI

dimanche 22 mars 2020

La citation du dimanche : Balzac et les vieilles filles, Le curé de Tours

Voilà une LC avec Maggie sur le roman de Balzac : Le curé de Tours pour le 22 Mars. C'est pourquoi je présente à la fois mon billet sur le livre et la citation de Balzac sur ... les vieilles filles !

Le curé de Tours de Balzac est François Birotteau, frère de César, personnage récurrent de la comédie humaine. Il apparaît dans ce court roman comme un personnage malheureux conduit par ses ennemis à la dernière extrémité. Quoi de plus cruel que la tragédie vécue par ce pauvre homme, par ailleurs bon et naïf mais aussi peu intelligent et balourd ? Certes, le complot qui le terrasse n'est pas lié à quelque grande  cause mais à des problèmes prosaïques qui peuvent sembler dérisoires à d’autres yeux que ceux de l’intéressé!   Et pourtant quand la méchanceté humaine alimentée par la haine et le dépit s’exerce sur la victime, celle-ci peut-être touchée autant que s’il s’agissait d’un combat glorieux. Surtout quand on est un pauvre curé de campagne, dont la seule joie, faute de passion amoureuse ou intellectuelle, réside dans un fauteuil confortable au coin du feu, de bons petits plats mitonnés avec amour et des pantoufles à portée de main.

« Etre le pensionnaire de mademoiselle Gamard, et devenir chanoine, furent les deux grandes affaires de sa vie; et peut-être résument-elles exactement l’ambition d’un prêtre, qui, se considérant comme en voyage vers l’éternité, ne peut souhaiter en ce monde qu’un bon gîte, une bonne table, des vêtements propres, des souliers à agrafe d’argent, choses suffisantes pour les besoins de la bête, et un canonicat pour satisfaire l’amour propre…. »
 
Pauvre Birotteau, il ne savait pas qu’en offensant sa logeuse, Mademoiselle Gamard, une vieille fille aigrie, et en occupant le confortable logement loué par son ami, le chanoine Chapeloup, - qui lui a légué ses meubles en mourant - , il allait déchaîner contre lui non seulement l’ire de la vieille bigote mais aussi la haine de L’abbé Troubert. Ce dernier, jaloux de Chapeloup, voulait cet appartement pour lui. Birotteau sera donc dépouillé de tout ce à quoi il tenait et même abandonné par ses amis.

Le Curé de Tours, récit inséré dans Les scènes de la vie de province, a pour sous-titre  : Les célibataires. Balzac, moraliste, y excelle à peindre les mesquineries, les ridicules, la méchanceté et l’égoïsme des provinciaux, sans épargner personne :  nobles, bourgeois ou religieux. Nul échappe à son oeil acéré et son croc vindicatif ! Ici, comme le sous-titre l’indique, ce sont les célibataires qui sont visés.

Les célibataires

MIchel Bouquet : le perfide abbé Troubert
Les célibataires sont les religieux, Chapeloup, Birotteau et Troubert et  l’on ne peut dire qu’ils sortent grandis par la satire. Manquant de spiritualité et d’élévation, ils possèdent, « l’égoïsme naturel à toutes les créatures humaines, renforcé par l’égoïsme particulier du prêtre… », préoccupés surtout par les satisfactions de leurs appétits et de leurs ambitions, ils sont prêts à tout sacrifier pour parvenir à leur fin. Chapeloup y parvient par l’intelligence, une fine connaissance des autres; Birotteau, dans son égoïsme gentil et imbécile, est trop sot pour s’en sortir, et Troubert, le plus redoutable utilise les coups bas, l’intrigue, n’hésitant pas à spolier son voisin. A travers ce personnage, Balzac décrit la toute puissance des congrégations capables de faire et défaire les fortunes y compris celles des nobles.

Mais la pire des célibataires, croyez-le, c’est la femme, bien sûr ! dont l’exemple est ici l’antipathique Mademoiselle Gamard.  

Une vieille fille !

Suzanne Flon : mademoiselle Gamard

 "Les vieilles filles n’ayant pas fait plier leur caractère et leur vie à une autre vie ni d’autres caractères, comme l’exige la destinée de la femme, ont pour la plupart la manie de vouloir tout faire plier autour d’elle."
 
Et là vous pouvez compter sur Balzac le réactionnaire, le rétrograde, pour en rajouter !

" Si tout dans la société comme dans le monde, doit avoir une fin, il y a certes ici bas quelques existences dont le but et l’inutilité sont inexplicables. La morale et l’économie politique repoussent également l’individu qui consomme sans produire (..) Il est rare que les vieilles filles ne se rangent pas d’elles-mêmes dans la classe de ces êtres improductifs"

Ne pensez pas, en effet, que Balzac critique cette manière de considérer "la vieille fille", au contraire , et, là, je m’énerve mais c’est aussi cela la littérature ! Vivre et réagir ! Et même si je m’efforce toujours de me replacer dans le siècle d’un écrivain pour pouvoir le juger, de ne jamais faire d’anachronisme dans ma façon d’aborder la littérature, je ne peux supporter les idées étroites de Balzac, méprisant les femmes, du moins celles qui n’entrent pas dans un moule, il a le don de me faire sortir de mes gonds !  Même à son époque, il y avait des hommes plus ouverts  !
Mademoiselle Gamard détient donc la palme non du martyre mais du mépris, de l’exécration !  Pourquoi est-elle devenue aigrie et méchante ? parce qu’en restant célibataire, elle est un poids inutile dans la société

 
"En restant fille, une créature du sexe féminin n’est plus qu’un non-sens : égoïste et froide, elle fait horreur. Cet arrêt implacable est malheureusement trop juste pour que les vieilles filles en ignorent les motifs."

"Ces êtres ne pardonnent pas à la société leur position fausse, parce qu’ils ne se la pardonnent pas à eux-mêmes."

"Puis elles deviennent âpres et chagrines, parce qu’un être qui a manqué à sa vocation est malheureux ; il souffre , et la souffrance engendre la méchanceté."

Bon, voilà, j’ai maintenant terminé ma petite colère littéraire et féministe, donc j’en reviens à l’ouvrage lui-même. Comme d’habitude Balzac exerce son talent à cette peinture acerbe de la société provinciale et il y réussit.  Le personnage de César Birotteau me rappelle le colonel Chabert, non pour la similitude des personnages, bien au contraire, mais parce que tous deux sont victimes de la société qui les spolie et les rejette. On éprouve pour lui de la compassion et l’on referme le livre en se disant que l’on a assisté à une petite scène désolante de la cruauté habituelle à la comédie humaine.

Lecture commune avec Maggie : Voir le Curé de Tours ici

samedi 29 décembre 2018

Balzac : Le colonel Chabert




Sorti de l’hospice des Enfants trouvés, il revient mourir à l’hospice de la Vieillesse, après avoir, dans l’intervalle, aidé Napoléon à conquérir l’Egypte et l’Europe ». C’est ainsi qu’à la fin du roman de Balzac, Le Colonel Chabert, l’avoué Maître Derville résume la pitoyable histoire du colonel Chabert.


Ce dernier est un officier d’Empire, fidèle de Napoléon à qui il doit sa fortune. Passé pour mort et jeté dans une fosse commune, il en sort pour trouver sa femme remariée, devenue comtesse, et ses biens spoliés.
L’avocat Maître Derville, personnage récurrent de La Comédie Humaine que nous avons rencontré dans Gobsek quand il n’était encore que clerc, se charge de défendre Chabert, de le faire reconnaître et de recouvrir sa fortune. Il y parviendrait grâce à une transaction (ancien titre du roman) entre les deux partis si le pauvre homme ne tombait dans les filets de son ancienne épouse qui feint de l’aimer toujours pour mieux se débarrasser de lui. Lorsqu’il découvre la duplicité de sa femme, découragé, il abandonne toute idée de lutte et s'abandonne à la déchéance.
le colonel Chabert Fanny Ardant : La comtesse


A travers ce roman, Balzac présente un beau portrait, émouvant, d’un ancien de Napoléon et fustige l’hypocrisie des moeurs de la Restauration. La vision de cet homme déchu, Chabert, un des héros de Iéna et d’Eylau, ayant perdu son identité, sa dignité est bouleversante : « Je ne suis plus un homme, je suis le numéro 164, septième salle.. » comme l’est la diatribe de l’avoué Derville qui dénonce avec violence et émotion les vices de cette société avide, et âpre au gain, prête à tout sacrifier à l’argent et au pouvoir.


"Combien de choses n’ai-je pas apprises en exerçant ma charge ! J’ai vu mourir un père dans un grenier, sans sou ni maille, abandonné par ses deux filles auxquelles il avait donné quarante mille livres de rente ! J’ai vu brûler des testaments ! J’ai vu des mères dépouillant leurs enfants, des maris volant leurs femmes, des femmes tuant leurs maris en se servant de l’amour qu’elles leur inspiraient pour les rendre fous ou imbéciles, afin de vivre avec leur amant. (…) J’ai vu des crimes contre lesquels la justice est impuissante."

La conclusion de Derville : « Enfin, toutes les horreurs que les romanciers croient inventer sont toujours au-dessous de la vérité » présente un des thèmes chers au roman dans cette époque de transition entre le romantisme et le réalisme. Nous voyons que pour Balzac le réel dépasse de loin la fiction.
Pourtant on peut voir combien le talent de l’écriture transcende ce réel qui passe toujours par la vision de l’écrivain, le point de vue qu’il choisit. Et pour Balzac, en particulier, très marqué par l’art pictural, le portrait du colonel devient un Rembrandt !
« … un homme d’imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt sans cadre. Les bords du chapeau qui couvraient le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse. »
Mais le colonel est aussi une sculpture, « un beau marbre » « défiguré » « dégradé » par des « gouttes d’eau tombées du ciel », et un des dessins fantaisistes des peintres qui « s’amusent à dessiner au bas de leurs pierres lithographiques »

Et c’est bien des personnages réels, d'anciens soldats de Napoléon, qui ont inspiré Balzac. Mais là encore l’écriture détourne le réalisme en présentant le blessé comme un spectre échappé à la tombe dans un passage absolument hallucinant qui décrit le moment où Chabert se réveille dans la fosse commune, enseveli sous des cadavres :

« Mais il y a eu quelque chose de plus horrible que les cris, un silence que je n’ai jamais retrouvé nulle part, le vrai silence du tombeau. Enfin, en levant les mains, en tâtant les morts, je reconnais un vide entre ma tête et le fumier humain supérieur. »
« En furetant avec promptitude, car il ne fallait pas flâner, je rencontrait fort heureusement un bras qui ne tenait à rien, le bras d’un Hercule ! Un bon bras auquel je dus mon salut. Sans ce secours, je périssais ! Mais avec une rage que vous devez concevoir, je me mis à travailler les cadavres qui me séparaient de la couche de terre sans doute jetée sur nous, je dis nous, comme s’il y eût des vivants ! » « Mais je ne sais pas aujourd’hui comment j’ai pu parvenir à percer la couverture de chair qui mettait une barrière entre la vie et moi. Vous me direz que j’avais trois bras ! Ce levier, dont je me servais avec habileté, me procurant toujours un peu de l’air qui se trouvait entre les cadavres que je déplaçais, et je ménageais mes aspirations. Enfin, je vis le jour, mais à travers la neige, monsieur… »
Le récit d’une naissance, de cet homme sorti «du ventre de la fosse aussi nu que de celui de ma mère» et qui se crée un passage de l’intérieur vers l’extérieur, de l’obscurité au jour, du noir au blanc, au milieu des cadavres, paraît être le mythe d’Orphée revisitée par un grognard du XIX siècle, au parler parfois rude et familier.
J’ai pensé en lisant cela au personnage de Pierre Lemaître dans «Au revoir là-haut » enfoui dans un trou d’obus et cherchant sa respiration dans la tête d'un cheval.

Paru dans Les scènes de la vie parisienne puis dans Les scènes de la vie privée, ce court roman de Balzac est un hommage émouvant à la vie d'un grognard de Napoléon et je n'ai jamais autant ressenti dans une autre oeuvre de Balzac, son indignation envers la grande société parisienne et un tel parti pris de sympathie pour un personnage.

Lecture commune avec Maggie, 

Myriam, 

Cléanthe