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mardi 7 mars 2017

Venise au temps du Carnaval (10) : Tancredi Parmeggiani

Tancredi Parmeggiani : Composition
L’exposition Tancredi Parmeggiani  (1927-1964) dit Tancredi qui a lieu jusqu’au 13 mars à la fondation Guggenheim à Venise s’intitule, selon une déclaration de l’artiste en 1962 en réponse à la guerre du Vietnam, celle d’Algérie et la guerre froide entre URSS et USA.  : Mon arme contre la bombe atomique est un brin d’herbe.



Trityptique : Hiroshima (1962)


Tancredi a fait ses études aux Beaux-Arts de Venise. Il a connu Peggy Guggenheim dans les années 1950 et celle-ci lance sa carrière (comme elle l’a fait pour Jackson Pollock) en lui donnant une résidence dans son palais et en le faisant connaître au cours de nombreuses expositions à Milan, Turin, Paris.
Tancredi
Ce qui frappe dans la rétrospective, c’est la succession de styles différents comme si l’artiste recevait une multitude d’influences mais qu’il se les appropriait à une vitesse record, en faisant chaque fois quelque chose de très personnel, d’abouti! Puis,  repartant déjà vers d’autres horizons ! Le magazine « Le curieux des arts » le surnomme « le météorite de la peinture », ce qui lui va bien ! Il faut dire qu’il est mort à l’âge de 37 ans et l’on ne peut savoir quel aurait été le style de sa maturité ou s'il aurait continué ses recherches en toute liberté.  En fait, il représente un condensé de l’évolution de l’art contemporain du XX siècle.

Les premières oeuvres sont des portraits et autoportraits.  Puis viennent ses oeuvres des années 1950 où l'on sent tour à tour l'influence du pointillisme, de Pollock, du Futurisme mais toujours avec une touche très personnelle, une oeuvre tout en mouvement,  animée d'un dynamisme qui semble toujours nous entraîner dans son sillage coloré. Incroyable sensation de vie, d'animation,  d'être au centre d'une gigantesque fourmilière ou pris dans le tourbillon des astres.  L'impression aussi d'un total désordre  qui s'inscrit dans un ordre rigoureux.
Tancredi Parmeggiani : Primevera (1951)
Tancredi :  Spazio, Acqua, Natura, Spectacolo (1958)
Tancredi : Sans titre (Composition)  1957)
Et puis au cours de ces années 50, il adopte une autre manière, tout à lui, avec des figures géométriques, carreaux  rouges ou bruns, qui semblent se diluer comme effacés dans l'eau : toute sa série : Proposition pour Venise illustre ce thème.
A proposito di venezia (1955)
Tancredi : Citta (1954)
Tableaux qui aboutissent à cette extraordinaire peinture blanche où l'oeil devine en transparence, cachés dans la brume, comme derrière une vitre embuée ou une pellicule de glace, des édifices partiellement écroulés.
Tancredi : Sans titre (a propos de l'eau) 1958_50
J'ai adoré cette peinture qui paraît irréelle. Et la technique?  Comment parvenir à faire voir au-delà? Comment rendre cet aspect translucide qui laisse seulement deviner les formes, cette opalescence immatérielle qui s'accompagne de mystère? Et pourtant tout est là, l'eau de la lagune que l'on peut imaginer peinte au petit matin,  et, derrière, les formes fantasmagoriques des palais vénitiens. Evidemment, réduit à la taille d'une petite photographie, ce magnifique tableau, je le suppose, ne vous dira rien !


Enfin entre 1963-64 , peu avant son suicide en 1964,  il se tourne vers une nouvelle expérimentation, peintures et collages qu'il intitule : Diari paesani Fleurs 101% peintes par moi et par les autres où les couleurs vibrent, célébrant la nature, où la joie de vivre semble exploser.



Tancredi Parmeggiani est paraît-il peu connu en France. Quel dommage qu'il n'y ait pas plus d'expositions sur lui chez nous !

lundi 6 mars 2017

Venise au temps du Carnaval (9) : Le cimetière San Michele et Chateaubriand

Le cimetière San Michele

Le masque de la journée


Vendredi 24 février : la tradition d'un masque par jour  pour la petite Léonie continue.

 Venise : Le cimetière Saint Michel et Chateaubriand

  Vous allez dire que c'est une idée un peu étrange d'aller visiter le cimetière San Michele en plein carnaval de Venise mais il y  déjà très longtemps que j'ai envie de voir ce lieu mythique et de plus, ma photographe de fille, voulait y chercher l'inspiration. Et oui, car à Venise même la mort emprunte la voie de l'eau. Jadis, on y accédait en gondole funéraire, le prêtre se tenait à l'arrière, derrière le gondolier de poupe, dans un silence recueilli. Aujourd'hui l'on s'y rend en bateau à moteur.

Le trajet en vaporetto de la Piazzale Roma, en passant par le canal qui traverse le beau quartier du Cannaregio, le Fondamento Novo jusqu'au cimetière, met déjà dans l'ambiance avec cette brume qui  voile tous les édifices et donne à la lagune des teintes étranges bigarrées de toutes les nuances du vert. Et puis, se rapprochant peu à peu, les murailles en brique rose qui entourent l'île San Michele, apparaissent.

  L'île a servi de prison comme nous l'indique Chateaubriand à propos de Sylvio Pellico. Elle est devenue le cimetière de la ville sur l'ordre de Napoléon au début du XIX siècle. L'église San Michele avec son joli cloître a été construite dans les années 1470 par Codussi.

Cloître de l'église San Michele
Si la partie moderne du cimetière avec ces caveaux à étages manque de charme, il y a beaucoup de nostalgie dans les parties anciennes, verdoyantes avec ses cyprès et ses magnolias, avec ces tombes toutes simples, couvertes de mousse, et qui semblent faire corps avec la terre.

Soldats morts à la guerre de 1914
 Les lions de pierre semblent garder la grille d'entrée.

Lions du cimetière Sans Michele
Des chapelles croulant sous le lierre cachent des mosaïques colorées. 

Mosaïque chapelle du cimetière San Michele

Mosaïque chapelle du cimetière San Michele
Nous avons trouvé la tombe de Igor Stravinsky et celle de Diaghilev, toutes deux ornées de chaussons de danse que les intempéries malmènent et noircissent.

Tombe de Diaghilev

Tombe de Igor Stravinsky

Sur l'une des tombes, la photographie d'une jeune fille de 19 ans, danseuse, moins célèbre que ses illustres aînés... Une paire de chaussons que ses proches ont recouverte d'une couche dorée est posée sur la pierre et incline à la mélancolie. D'ailleurs, l'humidité qui règne dans le cimetière et la nostalgie liée à tous ces visages qui nous regardent dans leur médaillon, surtout ceux des enfants disparus si tôt, me donnent envie de fuir.
Je me retrouve ainsi dans le dilemme qui se pose aux voyageurs :  Venise est-elle cette ville moribonde qui s'enfonce peu à peu dans l'eau et paraît vouée à la mort et à la mélancolie, la ville de Thomas Mann et de Visconti ? Philippe Sollers dans son dictionnaire amoureux de Venise cite Chateaubriand :
"Venise ! Nos destins ont été pareils, mes songes s'évanouissent à mesure que vos palais s'écroulent; les heures de mon printemps sont noircies comme les arabesques dont le faîte de vos monuments sont ornés. Mais vous périssez à votre insu; moi je sais mes ruines.... Le vent qui souffle sur une tête à demi dépouillée ne vient d'aucun rivage heureux."   
Mais Sollers conclut ainsi : "Cent soixante-dix ans après ce requiem, on aurait presque honte d'être aujourd'hui pleinement heureux en train d'écrire et qui plus est avec une femme que l'on aime, à Venise. Mais la honte n'est pas au programme de notre philosophie.

... ou bien une cité gaie, active, dont les habitants aiment à s'amuser et à rire.

Les peintres, de Girgiono à Titien, de Pierre Longhi à Tiepolo; les musiciens de Monteverdi, qui célèbre les amours scandaleuses de Néron et de Poppée, à Vivaldi qui fait frémir les violons comme des peaux au soleil; les écrivains de Goldoni à Gozzi, qui fournissaient aux scènes de théâtre des comédies étincelantes, sans craindre les sujets lestes : tous ont exalté a satiété ce plaisir de vivre, cette joie des corps. Comparez la peinture florentine linéaire, maigre, austère à la peinture vénitienne, à ces Vénus plantureuses et fruitées, et vous comprendrez tout de suite pourquoi Diaghilev et Stravinsky, ces princes de la sensualité triomphante, ont voulu être enterrés dans l'île de San Michele, à portée de cloches de la basilique San Marco. (Dominique Fernandez préface culture guides Venise)

Nous voilà à nouveau dans le vaporetto, lieu solide et réel, en route vers le sestiere du Cannaregio et ses petits canaux pittoresques.

Chateaubriand :  Quatrième partie des Mémoires d'Outre-tombe Livre VI
Venise, septembre 1833.

Nous sommes allés voir cet autre champ qui attend le grand laboureur. Saint-Michel de Murano est un riant monastère avec une église élégante, des portiques et un cloître blanc. Des fenêtres du couvent on aperçoit, par-dessus les portiques, les lagunes et Venise ; un jardin rempli de fleurs va rejoindre le gazon dont l’engrais se prépare encore sous la peau fraîche d’une jeune fille. Cette charmante retraite est abandonnée à des Franciscains ; elle conviendrait mieux à des religieuses chantant comme les petites élèves des Scuole de Rousseau. « Heureuses celles, dit Manzoni, qui ont pris le voile saint avant d’avoir arrêté leurs yeux sur le front d’un homme ! »
Donnez-moi là, je vous prie, une cellule pour achever mes Mémoires.
Fra Paolo est inhumé à l’entrée de l’église ; ce chercheur de bruit doit être bien furieux du silence qui l’environne.
Pellico, condamné à mort, fut déposé à Saint-Michel avant d’être transporté à la forteresse du Spielberg. Le président du tribunal où comparut Pellico remplace le poète à Saint-Michel ; il est enseveli dans le cloître ; il ne sortira pas, lui, de cette prison.
Non loin de la tombe du magistrat, est celle d’une femme étrangère mariée à l’âge de vingt-deux ans, au mois de janvier ; elle décéda au mois de février suivant. Elle ne voulut pas aller au-delà de la lune de miel ; l’épitaphe porte : Ci revedremo. Si c’était vrai !
Arrière ce doute, arrière la pensée qu’aucune angoisse ne déchire le néant ! Athée, quand la mort vous enfoncera ses ongles au cœur, qui sait si dans le dernier moment de connaissance, avant la destruction du moi, vous n’éprouverez pas une atrocité de douleur capable de remplir l’éternité, une immensité de souffrance dont l’être humain ne peut avoir l’idée dans les bornes circonscrites du temps ? Ah ! oui, ci revedremo.


samedi 4 mars 2017

Venise au temps du carnaval (8) : ses masques et ses costumes


 Un défilé de costumes

Je vous avais dit que je vous ferai découvrir  dans un billet précédent à quel personnage correspondait le détail de ce costume, un de mes préférés, dont j'adore la finesse du tissu, l'harmonie des couleurs et le soin apporté à chaque détail. Il évoque pour moi le conte traditionnel : Le chat botté.






Le défilé continue et si les photographies ne vous paraissent pas excellentes, soyez indulgents car voilà ce qui se passe autour de ces personnages (ci-dessous) ! Ce n'est pas facile de trouver sa place ! Une foule compacte se bouscule pour prendre la photo sinon du siècle, du moins des costumes ! Et si vous vous plaignez du tourisme de masse dont, après tout, vous faites partie, Henry James vous rappelle que de tout temps il en a été ainsi. La beauté de Venise en est la cause : « La Venise d’aujourd’hui est un vaste musée dont ne cessent jamais les grincements du petit tourniquet qui vous y a introduit ; c’est au milieu d’une horde de compagnons que vous traversez l’établissement » (Heures italiennes,  Henry James).




Le carnaval de Venise



Le carnaval de Venise est de tradition ancienne puisqu’il a été autorisé dès 1094 par le doge Vitale Falier, il est issu de traditions antiques, héritage du paganisme. Les vénitiens sont pris d’un tel engouement pour le port du masque que dès 1436 les mascareri se constituent en corporation.

« Le masque fut pendant de longs siècles d’un usage général à Venise. C’était un dédommagement nécessaire de l’inégalité trop sensible qui existait entre les différentes classes de la population. Chez le doge, les nobles dansaient en robe noire, en grande perruque et masqués. Le nonce du pape lui même se soumettait à cet usage. Affaires et plaisirs, joie ou deuil, le masque couvrait tout. Il favorisait les apparitions des prêtres, des religieuses dans les spectacles et dans les fêtes, et sous cet incognito commode chacun était inviolable, et ne comptait autour de lui que des égaux. Ajoutez à ce mystère individuel qui abritait chacun, celui de la discrète et sombre gondole, et figurez-vous quelle étrange société ! » (Jules Lecomte Venise coup d'oeil littéraire, historique, poétique.)







Au XVIII le port du masque est autorisé à des périodes précises de l’année  qui dépassent la période du carnaval et correspond à une durée de six mois environ.

« S’il prend à Venise un relief exceptionnel au point de devenir très tôt un mythe, c’est d’abord semble-t-il en raison de la physionomie singulière de la ville, de l’harmonie envoûtante qui se crée entre les personnages masqués et l’incomparable détour urbain : à Venise le masque a une dimension, à la fois théâtrale et poétique. C’est sans doute aussi que Venise est l’un des berceaux de la Commedia dell’arte, dont les personnages sont autant de masques. Et sans doute encore parce que Venise  est une ville hyperpolicée, où indicateurs, espions, préfets des moeurs sont partout. » Jean-Michel Brèque.

 Le masque devient le symbole de la ville de Venise. Pendant le carnaval, le peuple comme la noblesse s’amusent dans un gaieté débridée, une liberté sans contrainte, protégés comme ils le sont par l’anonymat du masque, mais qui s’accompagne aussi d’excès et de débauches.
Goldoni se fait le témoin de ces fêtes populaires sur les places et les campielli de la cité où quelques nobles désœuvrés viennent se mêler à la liesse populaire pour éprouver des émotions fortes.




Au XVIII siècle, le carnaval n’a jamais été aussi brillant mais il est interdit  en 1797 par Bonaparte dont la présence à Venise signe la fin de la république vénitienne. Plus tard, l’occupation autrichienne privant Venise de sa liberté ne sera pas propice à sa renaissance.
C’est en 1979 que le carnaval va être ressuscité lors de la biennale et du festival de théâtre qui  le proposent  pour thème central. 










De nos jours Venise est envahie au moment du carnaval par les touristes italiens mais aussi du monde entier. Pourtant, la tradition ne semble pas complètement morte pour les vénitiens si j'en juge par ces personnages masqués qui sortent de leur maison, se font photographier devant leur porte et se dirigent vers la place Saint Marc.










 Dominique Fernandez, en parlant du carnaval vous invite à mettre un masque et à déposer votre corset d'habitudes et de préjugés  : Lancez-vous dans le tourbillon du carnaval, une de plus belles inventions de cette coquine parfumée. Vous en rejaillirez neuf, délivré, transformé, vous rejaillirez en vous -même." .
 Je dois dire que j'ai été bien loin de ressentir cela ! J'ai été déçue, je vous l'ai dit, par l'aspect commercial du carnaval, l'attrape-touristes organisé, les animations vulgaires qui transforment la fête en foire bruyante et sans grâce. On peut le dire, ce genre d'organisation tue le mystère et ceci d'autant plus que la brillante piazza San Marco est dissimulée par cette scène monumentale, ces constructions en bois et ces barrières de fer qui gâchent l'enchantement que produit ce lieu habituellement paré d'or et de lumières. C'est sûr, vous ne souffrirez pas du syndrome de Stendhal ici ! Je me souviens d'avoir écouté un concert lorsque j'avais 15 ans sur cette même place, sous le scintillement des étoiles, avec une foule recueillie et plein d'émotion qui retenait son souffle. Souvenir inoubliable.  La poésie est morte.

Alors? Alors, même si l'esprit du carnaval s'est perdu, il reste la beauté des costumes et des masques.  Certes les personnages costumés ne sont pas là pour s'amuser et faire la fête. Ils sont là pour "promener" leur costume et les faire admirer.  Certains qui se présentent visage nu sont même assez cabotins. Il y a parmi eux des passionnés et on sent qu'il y a une vraie recherche de leur part à la perfection de leurs atours et ceux-là vous apportent du plaisir. D'autres ont l'esprit de théâtre et organisent des petites scénettes et des facéties.






Et puis toutes les époques, les formes, les couleurs sont au rendez-vous. La créativité est à l'honneur.






Mais ceux que j'aime le plus parmi eux, ce sont ceux qui ne se livrent pas, qui attendent qu'on vienne à eux, qui cherchent à préserver leur mystère. Et alors, parfois, le charme opère car le masque a un pouvoir silencieux, il impose une distance par rapport à l'autre, un respect, une admiration.

Parmi eux mes préférés

Pour mon plaisir personnel et pour ceux qui ne crient pas encore grâce, je publie ici mon palmarès personnel à partir de tous les costumes que j'ai pu voir depuis le début de mon séjour.







  

Et vous quels sont vos préférés ?

et encore quelques masques...