L’un des livres les plus marquants que j’ai lus cet été est le roman de Victor Del Arbol : toutes les vagues de l'océan. J’ai été fascinée par la force de ce roman, sa diversité, sa richesse et la manière dont l’écrivain nous plonge au coeur de l’Histoire, nous immergeant complètement dans les grandes tragédies du XX ième siècle.
Gonzalo Gil a épousé une femme riche, la fille d’un grand avocat. Il y a perdu son âme; avocat lui-même, il a tout fait pour rester indépendant mais il va être obligé de rentrer dans les rangs en signant un accord de fusion avec le cabinet de son beau-père et, ce faisant, en aliénant sa liberté. Ses rapports avec sa femme et son fils laissent à désirer et voilà qu’on lui annonce le suicide de sa soeur Laura avec laquelle il est en froid depuis de nombreuses années. Celle-ci a perdu son fils, assassiné par un maffieux, et la police la soupçonne d’avoir tué ce dernier avant de se donner la mort. L’enquête menée par un policier au passé trouble s’oriente vers la Matriochka, nom donné à un groupe de la maffia russe qui a à sa tête un chef aussi puissant que mystérieux.
La mort de sa soeur est un déclic qui va provoquer le réveil de Gonzalo. Peu à peu remontent à sa mémoire des souvenirs anciens, en particulier de Laura. Peu à peu aussi, nous pénétrons dans le passé de sa famille.
La mère, Esperanza, Katerina Orlovska, d’origine russe, farouche et passionnée, voue un culte à son mari. Mais que se cache-t-il derrière ses silences? Le père, Elias, est considéré comme un héros. Ingénieur communiste, il est parti travailler à Moscou et a été envoyé en déportation en Sibérie par Staline dans l’île de Nazino où il connaît l’horreur; puis de retour en Espagne il s'est illustré dans la guerre civile espagnole du côté des communistes contre Franco.
Le récit est mené sur trois époques différentes : les années 30, en Russie, à Moscou puis en Sibérie, plus précisément dans l’île de Nazino en 1933; à Barcelone pendant la guerre civile dans les années 1936-37. Et dans la Barcelone contemporaine en 2002.
Le voyage des exilés vers la Sibérie et leur séjour sur l’île Nazino, l’île aux cannibales, sont hallucinants. On préfèrerait que ce soit une fiction mais Victor del Arbor s’appuie sur des faits attestés. Le retour à Barcelone et les cruautés de la guerre civile ne le sont pas moins. On suit le récit avec passion tant l'écriture en est belle et vibrante. Ces personnages extrêmes comme Igor Stern, le tueur, chef de bande, Elias et Esperanza sont remarquables. En même temps on éprouve de la compassion d’abord pour Elias dont l’innocence a été tuée en même temps que les valeurs morales et puis ensuite pour les enfants, Laura et Gonzalo, victimes collatérales des sursauts terribles de l’histoire.
Après l’horreur, la nostalgie s’installe devant le récit de ces vies ratées, de la cruelle enfance de Gonzalo et sa soeur. On éprouve beaucoup d’émotions en lisant ce livre, on s’attache à certains personnages, on a mal pour eux.
Ce roman remue, émeut, pousse à la réflexion. Victor del Arbor ne juge pas Elias. Il en fait un portrait clinique qui nous pousse à nous interroger sur les frontières poreuses et malléables entre le bien et le mal. Comment Elias, ce jeune homme idéaliste et pur, peut-il devenir cet homme revenu de tout, endurci, sans scrupules, qui souffre et fait souffrir en retour? L’écrivain nous ouvre les yeux sur la nature humaine, sur ce qu’il y a d’obscur en elle. Jusqu’où irions-nous pour sauver notre vie? Et quand le Mal devient une habitude comment ne pas être contaminé ? Comment préserver un fond d’humanité ? A partir de quel moment Esperanza devient-elle, elle aussi, monstrueuse ? Même le tueur Igor Stern, cannibale, image de l’ogre, est une victime. Quand il avait neuf ans, les cosaques tsaristes l’ont obligé à mettre le feu à son père dont ils avaient arraché la peau. Dans la guerre civile espagnole, les atrocités ont lieu des deux côtés. Ce livre remet en cause toutes les idéologies, toutes les certitudes lorsqu’elles sont perverties par le pouvoir, les intérêts économiques, par le fanatisme. Il montre que l’homme est capable du pire… mais pas seulement car l’amitié est présente dans cette histoire et curieusement là où on l’attend le moins, entre un franquiste et un communiste; l’amour aussi, celui de Laura qui protège son petit frère, lui épargne d’être confronté à la réalité, celui d’Elias pour Irina morte en Sibérie et qui reste un fantôme accroché à sa vie, l’amour aussi de Gonzalo et Tania.
Un seul bémol pour moi, c'est dans le dénouement de l'enquête qui ne me semble pas conforme avec la psychologie des personnages ni avec ce qu’ils viennent de vivre.
Ce qui n’empêche pas Toutes les vagues de l’océan d’être un grand livre et un coup de coeur !
Gonzalo Gil a épousé une femme riche, la fille d’un grand avocat. Il y a perdu son âme; avocat lui-même, il a tout fait pour rester indépendant mais il va être obligé de rentrer dans les rangs en signant un accord de fusion avec le cabinet de son beau-père et, ce faisant, en aliénant sa liberté. Ses rapports avec sa femme et son fils laissent à désirer et voilà qu’on lui annonce le suicide de sa soeur Laura avec laquelle il est en froid depuis de nombreuses années. Celle-ci a perdu son fils, assassiné par un maffieux, et la police la soupçonne d’avoir tué ce dernier avant de se donner la mort. L’enquête menée par un policier au passé trouble s’oriente vers la Matriochka, nom donné à un groupe de la maffia russe qui a à sa tête un chef aussi puissant que mystérieux.
La mort de sa soeur est un déclic qui va provoquer le réveil de Gonzalo. Peu à peu remontent à sa mémoire des souvenirs anciens, en particulier de Laura. Peu à peu aussi, nous pénétrons dans le passé de sa famille.
La mère, Esperanza, Katerina Orlovska, d’origine russe, farouche et passionnée, voue un culte à son mari. Mais que se cache-t-il derrière ses silences? Le père, Elias, est considéré comme un héros. Ingénieur communiste, il est parti travailler à Moscou et a été envoyé en déportation en Sibérie par Staline dans l’île de Nazino où il connaît l’horreur; puis de retour en Espagne il s'est illustré dans la guerre civile espagnole du côté des communistes contre Franco.
Ile Nazino dite l'île aux cannibales |
Le voyage des exilés vers la Sibérie et leur séjour sur l’île Nazino, l’île aux cannibales, sont hallucinants. On préfèrerait que ce soit une fiction mais Victor del Arbor s’appuie sur des faits attestés. Le retour à Barcelone et les cruautés de la guerre civile ne le sont pas moins. On suit le récit avec passion tant l'écriture en est belle et vibrante. Ces personnages extrêmes comme Igor Stern, le tueur, chef de bande, Elias et Esperanza sont remarquables. En même temps on éprouve de la compassion d’abord pour Elias dont l’innocence a été tuée en même temps que les valeurs morales et puis ensuite pour les enfants, Laura et Gonzalo, victimes collatérales des sursauts terribles de l’histoire.
Après l’horreur, la nostalgie s’installe devant le récit de ces vies ratées, de la cruelle enfance de Gonzalo et sa soeur. On éprouve beaucoup d’émotions en lisant ce livre, on s’attache à certains personnages, on a mal pour eux.
Barcelone 19 juillet 1936 |
Un seul bémol pour moi, c'est dans le dénouement de l'enquête qui ne me semble pas conforme avec la psychologie des personnages ni avec ce qu’ils viennent de vivre.
Ce qui n’empêche pas Toutes les vagues de l’océan d’être un grand livre et un coup de coeur !
Je ne résiste pas à citer un extrait du roman pour que vous ayez une idée de la maîtrise du style. Nous sommes sur sur l'île Nazino. Les soldats qui gardent les prisonniers viennent de céder à un moment de panique et ont tiré dans la foule :
"Quand s'éteignit l'écho des derniers coups de feu, l'îlot était jonché de cadavres. L'air sentait la poudre. Même les soldats, qui s'acharnaient encore quelques minutes plus tôt, contemplaient ce spectacle dantesque en silence, effrayés de leur propre rage. Certains vomissaient, d'autres sanglotaient. Plus de deux cents hommes, femmes et enfants moururent ce jour-là. Une demi-douzaine de soldats tombèrent aussi. Et soudain, au loin, un écho musical transperça la brume qui enrobait le fleuve. Entouré de cadavres, un vieil homme jouait de l'harmonica, assis sur un tronc d'arbre. La musique répandait sa tristesse. La scène était démentielle, hallucinante, incroyable. Mais le vieillard était bien réel, les notes de son harmonica s'élevaient au-dessus des gémissements des blessés.
Le commandant qui avait ordonné aux soldats de cesser le feu s'approcha du vieux, son revolver à la main, marchant comme un automate. Tous pensaient qu'il allait l'exécuter. Au bout d'une longue minute, il ôta son manteau, recouvrit délicatement les épaules du vieil homme, comme si c'était son père ou son grand père, s'assit à côté de lui, promena un regard dément, releva la visière des sa casquette à la pointe de son revolver, laissa son regard errer sur les cadavres figés dans des positions invraisemblables, à genoux, les yeux écarquillés, la bouche béante tournée vers le ciel. Les doigts tremblants, il chercha une cigarette dans sa veste, l'alluma et aspira une longue bouffée. Le vieillard jouait toujours. Alors, l'officier appuya son revolver contre sa tempe et se fit sauter la cervelle.
Victor del Arbol |
Víctor del Árbol, né en 1968 à Barcelone, est un romancier
espagnol, auteur de roman policier. Il fait ses études supérieures en
histoire à l'Université de Barcelone. De 1992 à 2012, il travaille comme
fonctionnaire du gouvernement de la Catalogne. Il participe également à
une émission radiophonique de Ràdio Estel.
Il amorce une carrière d'écrivain avec la publication en 2006 du roman policier El peso de los muertos. C'est toutefois la parution en 2011 de La Tristesse du samouraï (La tristeza del samurai), traduit en une douzaine de langues qui lui apporte la notoriété. Pour ce roman, il remporte plusieurs distinctions, notamment le prix du polar européen 2012.
En 2015, son roman Toutes les vagues de l’océan remporte le le grand prix de la littérature policière * du meilleur roman étranger.
En 2016, il reçoit le prix Nadal pour La víspera de casi todo. (Wikipedia)